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entretiens
Raphaël Coumes-Marquet - Itinéraire d'un futur Maître de Ballet

12 mai 2015 : Raphaël Coumes-Marquet, Soliste Principal et futur Maître de ballet à la Semperoper de Dresde


Raphaël est soliste principal au Semperoper Ballett de Dresde. Après une longue et brillante carrière en Europe (il a dansé, entre autres, avec les Ballets de Monte-Carlo, le Staatsballett de Vienne et le Het Nationale Ballet à Amsterdam), il prendra sa retraite de danseur à l’issue de la saison 2014-2015. Pour Dansomanie, il a accepté de revenir sur son parcours et d’évoquer ses rencontres marquantes, ainsi que ses projets d’avenir.





Raphaël, peux-tu te présenter? Comment as-tu débuté? Comment s’est passée ta formation à l’École de danse de l’Opéra de Paris?

Je suis originaire de Besançon. Depuis tout jeune, je baigne dans un monde, sinon de danseurs, du moins de gens attirés par l’art. Par exemple, durant la guerre, mon grand-père jouait en cachette dans un groupe de jazz américain, puis, plus tard, il créa l’école de musique de sa ville. Mes parents, eux, ont toujours voulu que nous ayons des activités extra-scolaires, et c’est comme ça  qu’un jour je me suis retrouvé dans un cours de danse. Ça m’a tout de suite plu, et petit à petit, la danse classique est devenue une passion. Un jour, mon professeur de danse a suggéré à mes parents de tenter l’examen de l’École de Danse de l’Opéra de Paris; je l’ai réussi, et c’est comme ça qu’à onze ans j’ai intégré cette prestigieuse institution.

A l’époque, les élèves étaient encore installés à l’Opéra Garnier. C’était fabuleux! Je vivais près de Clichy, dans un appartement partagé avec plusieurs autres de mes camarades. Nous étions tous tellement proches que je ne me suis jamais senti seul ou n’ai souffert d’être loin de ma famille. Le matin, madame Lejeune, notre logeuse, nous préparait à manger, telle une deuxième maman. Puis nous allions à pied à l’Opéra Garnier pour nos cours de danse le matin. Nous y croisions les danseurs de la compagnie, c’était magique!

Ensuite, nous nous rendions à l’école, rue de Suresnes, et le soir après avoir dîné à la cantine de l’Opéra, nous rentrions au foyer. Nous perdions peut être deux, voire trois heures de nos journées à «crapahuter» entre l’Opéra, l’école et le foyer, mais c’était magique de se balader comme ça dans Paris (surtout pour un provincial comme moi), de voir les vitrines des grands magasins... Nous nous sentions très libres!

Après deux années à l’Opéra Garnier, nous (les élèves) avons déménagé à Nanterre. J’étais là lors de l’inauguration. C’était surréaliste! Il y avait Jack Lang, moultes personnalités politiques ou de la danse, et les familles d’élèves étaient toutes conviées afin de visiter ces nouveaux locaux. Nous étions tellement excités! Nous courrions partout, ouvrions toutes les portes, nous découvrions les salles de danse, le pôle scolaire... À l’internat nous étions surpris par ces longs couloirs qui n’en finissaient pas... Cette journée fut vraiment mémorable.

Bien sur, à Nanterre, nous n’avions plus cette liberté, mais d’un autre coté, vu qu’on ne perdait plus de temps pour se rendre d’un point à un autre, ils nous ont rajouté des cours de danse, et c’était tout aussi bien. J’ai vraiment apprécié cette époque. Nous formions vraiment une famille.

J’ai fait mes classes normalement, puis, en troisième division, je me suis gravement blessé au genou. Cette année étant une classe charnière, j’ai dû perdre six mois vraiment importants et à mon retour, j’ai pu constater mon retard par rapport à mes camarades. A l’examen de fin d’année, j'ai été renvoyé. Ce moment où l’on voit son nom du coté des exclus est vraiment particulier. Je ne savais pas quoi penser. Je voyais mes amis qui ne savaient pas quoi me dire. Je n’étais pas triste. J’étais juste déboussolé et perdu.

Heureusement Mademoiselle Bessy, qui avait dû déceler mon potentiel, m’a proposé de finir mon cursus, non pas en tant qu’élève mais en tant que boursier. Grâce à elle, j’ai pu continuer à travailler dans cette prestigieuse école, sans avoir à en subir le stress. Je n’avais plus à passer les examens de fin d’année. Je participais tout de même aux tournées (au Japon par exemple) et dansais dans les ballets de fin d’année (Le Prisonnier du Caucase, L’Oiseau de feu). En seconde division, n’étant pas élève titulaire, je n’ai pas participé aux démonstrations avec les élèves de ma classe, mais j'ai dansé avec la première division, car il leur manquait des garçons pour présenter le cours d’adage. J’ai vraiment eu de la chance.

Sachant que je n’intégrerai jamais le Ballet de l’Opéra de Paris, je me suis ouvert à ce qui se passait à coté. Je n’avais pas comme unique but, contrairement à mes autres camarades, d'entrer dans la compagnie nationale. Je lisais des articles sur les troupes étrangères, j’allais voir leurs spectacles lorsqu’elles étaient invitées à Paris. Je nourrissais une passion particulière pour John Neumeier et espérais un jour auditionner à Hambourg. Mais la vie en a décidé autrement.



Justement, comment a commencé ta carrière en tant que danseur professionnel?

Une fois ma scolarité terminée, je me suis demandé où aller. Je ne me voyais pas retourner prendre des cours au conservatoire de Besançon. J’avais 18 ans, il me fallait trouver un contrat quelque part. Un jour, mes parents ont lu dans le magasine Danser qu’il y avait une audition pour le Ballet de Nice. Il n’y avait, à ce moment-là, pas de directeur attitré. C’était une période transitoire, et le maître de ballet gérait un peu tout. J’ai eu le contrat et ma vie de danseur professionnel a commencé. Mes débuts ont été assez faciles. Nous n’avions pas beaucoup de spectacles et j’avais un salaire qui tombait tous les mois, avec un contrat de fonctionnaire municipal. Je me suis payé une voiture, j’avais mon appartement, mes premières cartes de crédit, beaucoup de temps libre.. C’était pour ainsi dire des «vacances». C'est là aussi que j'ai appris ma vie d’adulte. Après Nanterre où tout nous était mâché, il fallait que j'apprenne à cuisiner, que je fasse les courses, que je paye mon loyer.

Mais, à 18 ans, j’avais besoin d’adrénaline, je voulais danser, découvrir le monde. Cette année-là, Jean-Christophe Maillot, qui venait de prendre la direction des Ballets de Monte-Carlo, organisait une audition dans la Principauté. Pour moi qui avais besoin de challenges, une compagnie prometteuse, qui faisait le «buzz», s'offrait à moi, à à peine vingt minutes de route. Comment ne pas y tenter sa chance? J’y suis allé, et j’ai été engagé.

Mes années monégasques ont été passionnantes. Ça me changeait de Nice: nous travaillions énormément, nous tournions dans le monde entier, le répertoire - en plus des créations de Maillot - comprenait du Forsythe, du Kylian, des Balanchine. Je découvrais des danseurs extraordinaires venus de tous horizons. C’était vraiment enrichissant. J’avais tout ce dont je rêvais. Jean-Christophe Maillot, qui m'appréciait, m'a confié des premiers rôles alors que j'avais à peine vingt et un an. Avec le recul, je me dis que c’était peut-être un peu trop tôt. J’ai été tellement poussé que j’ai eu la sensation de ne pas avoir le temps de travailler sur moi-même, de ne pas avoir la possibilité de consolider mes bases. Quand je vois les jeunes aujourd’hui qui, avant les cours, font des exercices de Pilates, de renforcement musculaire, je me dis que j’aurais adoré pouvoir faire ça. Durant ma quatrième année à Monaco, je me sentais vraiment débordé, plus vraiment maître de mon corps, et j’ai su que c’était le moment de partir.

Je me rappelle avoir  tenté une audition à l’American Ballet Theater. Ce fut épique! J’étais arrivé la veille, puis, avec le décalage horaire et vu que je n’avais pas trouvé d’hôtel, j’avais dormi dehors et étais aller prendre la classe le matin, pas très réveillé... De l'inconscience totale! Une expérience de jeunesse qui m’a servi de leçon pour la suite!

Bref, après Monaco, j’ai réalisé que j’étais tout de même encore très jeune et que j’avais envie de grands ballets classiques comme Le Lac des cygnes et que j’avais envie de travailler dans une maison rattachée à un grand Opéra, avec ma loge à moi. Quelque chose qui ressemblait un peu à l’Opéra de Paris, en somme. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à la Staatsoper de Vienne.


Donc, pour la première fois, tu es parti vivre à l’étranger. Comment cela s'est il passé?

Ce fut assez difficile de quitter Monaco, car j’avais - et j'ai toujours - un tel respect et une telle admiration pour Jean-Christophe Maillot! J’ai des liens très forts avec cette compagnie, mais je ne regrette pas mon choix pour autant.

Vu le travail intense que nous avions à Monaco, il m’était assez difficile de trouver du temps pour aller auditionner. J’ai tout de même appelé Renato Zanella (j’avais dansé pour lui à Monaco), alors directeur du Ballet de Vienne, pour lui demander si je pouvais auditionner pour sa compagnie. Suite à ce coup de fil, il me proposa un contrat de demi-soliste! J’étais sidéré, mais vraiment heureux. Pourtant, je ne suis finalement resté qu’une année à Vienne; c’est une compagnie très hiérarchisée et on met du temps avant d’avoir l’opportunité de danser des rôles. Mais j’en ai eu quelques-uns, tout de même. J’étais encore assez jeune et il fallait que je me remette au classique pur. Il y avait beaucoup de danseurs russes, donc cette année-là m’a surtout servi à retravailler sur moi, principalement pendant les entraînements. J’ai beaucoup observé les différentes techniques. Les solistes étaient impressionnants.Vladimir Malakhov, par exemple, venait régulièrement prendre les classes.

Après les échauffements, les garçons travaillaient leur technique. Ils s’amusaient à faire des tours à la seconde, des tours en l’air, des manèges. Je les observais avec intérêt et avais envie de les imiter. Mais ma timidité me retenait d’y aller. Un jour, j’ai tenté quelques petites pirouettes dans le fond de la salle, et un soliste russe est venu vers moi et m’a donné des corrections, m’a poussé... Petit à petit, je découvrais que je pouvais moi aussi le faire, et c’est comme ça que j’ai retravaillé ma technique.

Au bout d’un an à peine, j’ai eu envie de partir. J’ai réalisé que j’avais dans le fond besoin d’un coté créatif plus intense. Vienne était quand même encore une compagnie très conservatrice.
 
Un week-end, des amis de la troupe sont partis faire la fête à Amsterdam. Et vu que je suis aussi assez fêtard, ils m’ont proposé de les accompagner. Je me suis dis que ce serait stupide de ne pas en profiter pour auditionner pour le Het Nationale Ballet (dirigé à l’époque par Wayne Eagling). Ayant retenu la leçon de mon audition ratée à New-York, je ne suis pas allé faire la fête le soir,  afin d’être en forme pour mon audition privée du samedi matin. Une fois l’audition passée, j’ai rejoint mes amis qui venaient à peine de se réveiller de leur soirée, et je leur ai annoncé que j’avais un contrat de demi-soliste au Het Nationale Ballet.Ce fut vraiment un week-end mémorable!

Raphaël Coumes-Marquet


Et donc à l’âge de 24 ans, tu es parti à Amsterdam, pour y rester... huit ans?


Oui, c’est vraiment là-bas que je me suis découvert. J’ai été engagé en tant que sujet, puis j'ai été rapidement nommé soliste. Le répertoire était tellement riche, j’ai enfin dansé les rôles principaux dans les grands classiques et j'ai participé aux créations de nouvelles chorégraphies. Les solistes là-bas étaient vraiment fabuleux. Wayne Eagling savait vraiment mettre en valeur ses danseurs et leur donner les bons rôles, créer les meilleurs partenariats. Très vite, j’ai  travaillé avec Yumiko Takeshima qui, même des années plus tard, à Dresde, est restée l'une de mes partenaires attitrées.
 
C'est à Amsterdam que j'ai rencontré David Dawson. A l'époque, il dansait encore, mais il commençait aussi à se lancer dans la chorégraphie. J’étais de ses toutes premières créations, telles A Million Kisses to My Skin ou Grey Area. Je crois que j’ai tout dansé de lui, je connais ses ballets vraiment par cœur!

À cette époque, j’ai également rencontré Aaron Watkin [voir notre interview : Aaron Watkin, directeur du ballet de la Semperoper de Dresde], l'actuel directeur du Ballet de la Semperoper. Il venait souvent à Amsterdam. Il y avait dansé auparavant et venait parfois y rendre visite à ses amis. Il remontait pour nous des ballets de Forsythe, comme The Vertiginious thrill of Exactitude, et organisait des galas dans lesquels il m’invitait à danser des pas de deux de Dawson. Lorsque, en 2006, il est devenu directeur à la Semperoper, il a emmené avec lui David Dawson comme chorégraphe résident et Yumiko Takeshima en tant que Principal. A sa demande, je suis aussi parti pour Dresde.


Et alors, ce nouveau changement dans ta carrière?

Encore une fois, c’est arrivé au bon moment. Personnellement après huit ans à Amsterdam, j’avais envie d’un tout dernier challenge dans ma carrière de danseur. Aaron Watkin est arrivé à Dresde et a remplacé trente-cinq danseurs. Il m’a proposé de venir et de faire partie du groupe de David Dawson, mais il était clair entre nous que je ne venais pas uniquement pour servir un chorégraphe.

Nous sommes tous arrivés à Dresde un peu en famille; et là, ça a été formidable. Je considère avec le recul que j’ai vraiment été chanceux dans ma vie professionnelle, car tout s’est toujours parfaitement enchaîné. Quand nous nous sommes installés, nous avons tout chamboulé dans la maison. Jiří Bubeníček arrivait de Hambourg, les sublimes Natalia Sologub et Elena Vostrotina, ou encore Dimitri Semionov, débarquaient de Russie – et il y avait encore tellement d’autres danseurs exceptionnels... Aaron Watkin sait choisir des danseurs avec de vraies personnalités, qui sont passionnés et travaillent dans une ambiance saine. Avec eux, de nouveau, j’ai créé une vraie famille. On passait tous nos week-ends ensemble à faire la fête, on voulait vraiment se connaître. Même les danseurs qui travaillaient auparavant sous la direction de Vladimir Derevianko et que Watkin a gardés, se sont très bien intégrés.


Qu’as-tu dansé pour ta première saison à Dresde?

Il me semble que lors de ma première saison, nous avons dansé du Kylián et In the Middle, Somewhat Elevated de Forsythe. Comme David Dawson était chorégraphe résident, on a très vite inclus ses chorégraphies au répertoire, mais pas uniquement. On a également gardé un peu de ce qui se faisait déjà dans la compagnie. C’est comme ça que j’ai enfin pu aborder  les œuvres de John Neumeier. Mon rêve de jeunesse était de danser pour lui à Hambourg et là, il s'est en quelque sorte réalisé. J’ai eu la chance de travailler un peu avec lui, et de danser certains rôles principaux dans ces pièces.

J’ai commencé par le rôle d'Obéron dans Le Songe d’une nuit d’été, que j’avais vu, plus jeune, à l’Opéra de Paris. Plus tard j’ai interprété Drosselmeyer / Le Maître de ballet dans son Casse-Noisette. J'ai également dansé dans Illusionen, wie Schwanensee, sa version du Lac des Cygnes.

Au début, à Dresde, le rythme était intense. Nous voulions montrer qui nous étions et prouver que cette compagnie pouvait devenir célèbre. De fait, nous travaillions tous les jours de 10h00 à 21h00. C’était éreintant mais tellement exaltant. Au bout d'un certain temps, nous avons repris des horaires plus normaux... En tout cas,  mes neuf années ici auront été les plus belles.


Comment résumerais-tu ces neuf années de ta vie passées à Dresde? 

C’est devenu ma maison ici. Le travail y est tellement intéressant, et puis le théâtre [Semperoper] est superbe. En neuf ans, on n’a pas chômé! Aaron Watkin sait vraiment choisir ses danseurs, et il y a une telle émulation qu'on n'a pas le temps de s’ennuyer. J’ai pu danser tous les rôles principaux des grands ballets, tels Le Lac des Cygnes, La Bayadère, La Belle au bois dormant, et participer à des créations d’Alexander Ekman, Stijn Celis, Alexeï Ratmansky...

Mais – Aaron Watkin le sait - Dresde n’est pas comme comme Paris ou Londres, où il y a un public vraiment présent qui vient voir des ballets. Ici, les solistes principaux alternent dans les premiers rôles, et on ne danse pas forcément autant qu’on le voudrait. Heureusement, Watkin laisse ses Principaux participer à de nombreux galas dans le monde entier. Il veut qu'ils représentent le Semperoper, tels des ambassadeurs. C’est un des meilleurs moyens pour faire connaître la compagnie, et pour moi une façon aussi de présenter et d'exporter le travail de David Dawson, car c’est un peu ma spécialité.

J’ai également pu travailler en tant que maître de ballet dans diverses compagnies, pour remonter des pièces de Dawson. Lorsqu’il n’a pas la possibilité de se déplacer lui-même, ou que son bras droit, Tim Couchman, est déjà occupé ailleurs, c’est à moi que qu’on fait appel. Ainsi, j’ai remonté la saison dernière sa Giselle à Essen.


Cette première expérience de maître de ballet t’a donc préparé à ton nouveau métier, que tu exerceras à Dresde à partir de la saison 2015-2016? Comment s'est décidé l’arrêt de ta carrière de danseur et ta reconversion en maître de ballet? Y-a-t-il, comme à l’Opéra de Paris, un règlement qui impose de partir à un âge précis?

Non, ici, tout se fait en fonction des désirs de chacun. Aaron m’a laissé le choix. A l'approche de la quarantaine, il m’était de plus en plus difficile de danser les grands rôles classiques du répertoire. Et de ce fait, ne remplissant plus vraiment ma fonction de danseur principal, j’ai abordé ce sujet avec Aaron. Une nouvelle fois, j’ai eu beaucoup de chance, étant donné qu’un poste de maître de ballet s'est libéré en novembre dernier. On en a beaucoup discuté avec Aaron, il voulait vraiment me laisser le choix et me permettre de partir en beauté. Cette saison, il y a deux productions de Dawson au répertoire, et ça tombait très bien, car je voulais faire mes adieux sur l'une de ses pièces.

J’ai ainsi eu l’honneur de danser une dernière fois dans Giselle en avril 2015. Yumiko Takeshima - partie à la retraite le 22 avril 2014 - n’étant plus là, on m’a demandé avec quelle danseuse j'aimerais être associé. Et c’est comme ça que j’ai choisi Julia Weiss [voir notre entretien : Julia Weiss : du Rhin à l'Elbe - Une Alsacienne à la Semperoper de Dresde], une soliste vraiment superbe. C’était la première fois qu’elle abordait ce rôle, et je trouvais ça intéressant pour nous deux de le danser ensemble. Je l’ai dansé tellement de fois, et pourtant, on a dû tout réapprendre du début; cela représente en fait très bien la situation dans laquelle je me trouve actuellement. J’ai vraiment eu la sensation de passer le flambeau à cette nouvelle génération. C’était très émouvant. Puis en juillet, pour mon dernier spectacle, je danserai le Roi Marc, dans une autre pièce de Dawson, Tristan et Yseult, créé pour le Semperoper Ballett en février. Ce n'est pas le rôle principal, j'y serai un peu en retrait, mais il est très important dramatiquement.


Comment vis-tu tes derniers spectacles? De la nostalgie? Comptes-tu danser encore après, dans des galas par exemple?

Pour l’instant je n’ai rien de prévu et je ne me vois pas trop danser jusqu’à plus soif, surtout du Dawson où il faut vraiment être très en forme, vu la technique que ça demande. Je ne réalise pas encore très bien, mais je ne suis pas triste. J’ai eu une carrière tellement riche; il faut savoir partir avec panache.

Ma famille sera là, des amis très proches viendront également (Bernice Coppieters, notamment, qui a récemment mis fin à sa carrière à Monaco). Jean-Christophe Maillot ne pourra pas faire le déplacement, mais il m’a déjà envoyé plusieurs messages très touchants.

Et puis, je reste au Semperoper. Certes, je ne serai plus sur scène, mais ce n’est pas comme si je devais quitter mon appartement, la ville, mes amis. Je sais que je reverrai mes collègues à la rentrée. Seulement, mon rôle sera différent. Et j’ai hâte d'y être! Je vais aussi enfin pouvoir me prendre des vacances, et préparer cette rentrée avec sérénité.


Seras-tu maître de ballet en charge des pièces de Dawson uniquement?

Nous sommes plusieurs maîtres de ballets et, heureusement, je ne ferai pas uniquement travailler les chorégraphies de David Dawson. A la Semperoper, il y a un répertoire tellement riche, et comme j’ai tout dansé ici depuis 2006, je pense que je peux leur apprendre pas mal de choses! Je sais en tout cas déjà que je vais faire travailler la pièce de Ratmansky - Legenden – Hommage an Richard Strauss - qui partira en tournée en Russie.

Par ailleurs, lorsque j'étais à Amsterdam j’ai cotisé pour une sorte de pension qui prépare à l’après. Ça sert de bourse par exemple aux danseurs qui, une fois retraités, ont besoin d’être aidés dans leur nouvelle vie. J’en connais certains qui, avec cette assurance, ont pu financer leurs études d’économie ou de droit, ou même devenir pilote de ligne! Moi, grâce à ça, je vais aller à New-York pour assister aux stages d'été, regarder les cours de danse, apprendre auprès d’autres maîtres de ballet. Dès que j’aurai du temps libre pendant ma saison à Dresde, j’irai assister à des cours, des répétitions et voir ce qui se fait dans d'autres théâtres. Après, ce n’est pas non plus entièrement nouveau pour moi, j’ai déjà remonté des ballets pour diverses compagnies. Simplement, je ne veux  pas être un danseur de plus qu'on recase en maître de ballet. Je veux y aller en douceur et engranger le maximum d’informations possible.


Pour finir, n’as-tu pas peur, en tant qu’artiste, d'être éloigné d'un vrai travail de création?


Même si ma tâche principale sera de remonter des pièces déjà au répertoire, je continuerai aussi à créer. Par exemple, depuis neuf ans, je chorégraphie le gala du nouvel an. Je ne danserai certainement plus sur scène car il faut un entraînement régulier, mais qui sait? Si on me propose quelque chose, même du théâtre, je pourrais être interessé. Je suis ouvert à tout ce qui peut se présenter. Mais pour l’instant, le plus important reste ce nouveau challenge qu’Aaron Watkin m’a offert.




Raphaël Coumes-Marquet - Propos recueillis par Aurélie Lafaye



[A l’issue de cet entretien, j’ai dû laisser Raphaël se reposer, ayant le soir-même une longue répétition en scène d’Impressing the Czar, nouvelle première de William Forsythe à la Semperoper . Ayant assisté à cette répétition (coordonnée, entre autres, par Monsieur Forsythe lui-même et Kathryn Bennetts - ancienne directrice du Ballet de Flandres), cette pièce totalement déjantée et qui demande une réelle  énergie risque d’être encore une fois un beau succès !! C’est tout ce que je souhaite pour Raphaël.- Aurélie Lafaye]


 Raphaël Coumes-Marquet


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Entretien réalisé à Dresde le 12 mai 2015 - Raphaël Coumes-Marquet © 2015, Dansomanie


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