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Julia Weiss : du Rhin à l'Elbe - Une Alsacienne à la Semperoper de Dresde
17 octobre 2014 : Julia Weiss, soliste au Ballet de la Semperoper de Dresde
Ancienne
élève de l'Ecole de danse de l'Opéra National de
Paris, Julia Weiss est allée, après cinq années passées
au Ballet du Rhin, poursuivre sa carrière en
Allemagne, à Mayence tout d'abord, puis à la Semperoper,
l'un des plus prestigieux théâtres du pays. Julia a
accueilli notre correspondante dans son appartement de la Neustadt
("ville nouvelle") de Dresde, situé à deux pas de
l'Augustusbrücke, l'un des ponts sur l'Elbe assurant le lien avec
l’Altstadt (l’ancienne ville historique). C’est ici
qu’elle travaille, à la Semperoper, dans ce quartier
très touristique, mais qui fut presque entièrement
détruit par les bombardements alliés en
février 1945. Il a depuis été
restauré à l'identique. Lors de l'entretien, Julia
rentrait tout juste de répétition et devait
préparer sa valise, pour un spectacle programmé deux
jours plus tard en Autriche. Portrait.

Julia, peux-tu nous relater le parcours qui t’a menée jusque ici?
J’ai
commencé la danse à cinq ans, en Alsace, avec Cécile
Grignard, puis je suis entrée au conservatoire de Mulhouse. A onze
ans, j’ai intégré l’École de danse de
l’Opéra (direction Claude Bessy) où j’ai
fait mes classes jusqu’en première division. Durant cette
période, j’ai dansé, entre autres, dans Péchés de jeunesse de Jean Guillaume Bart ou encore dans Western Symphony
de George Balanchine. Ensuite, j’ai passé un an au Ballet
de l’Opéra de Paris, et j'ai eu la chance de danser dans Symphonie en Ut (Balanchine), Ivan le Terrible (Grigorovitch), La Septième Lune (Bombana), Noces (Bronislawa Nijinska), La Sylphide
(Lacotte) et Signes (Carlson). À l’issue du concours
externe, j’ai été bien classée mais il
n’y avait pas de poste de libre. Bertrand d’At, à
l’époque directeur du Ballet du Rhin, m’a directement
proposé un contrat fixe dans sa compagnie. L’Opéra
m’avait conseillé de retenter ma chance
l’année suivante, mais le résultat fut le
même.
De ce fait, j’ai travaillé durant cinq ans à
Mulhouse, et ça a été un vrai choc après
l’Opéra de Paris. Il n’y avait pas de réelle
hiérarchie, tout le monde avait la chance de danser des
rôles de solistes. L’atmosphère était plus
créative, il y avait moins de barrières. Et je crois que
j’ai pris goût à cette sensation de liberté. Nous
travaillions vraiment beaucoup, nous avions au moins deux
créations par an, nous dansions dans nos théâtres
à Mulhouse, Colmar et Strasbourg et beaucoup en tournée.
J’ai dansé (en corps de ballet ou en soliste) dans des
pièces de Bertrand d’At, de Béjart, de
Bournonville, de Balanchine, de Lucinda Childs, de Duato, de
Forsythe, de Bombana, de Godani, de Foniadakis et de beaucoup
d’autres encore. J’ai vraiment beaucoup appris durant cette
époque, mais il est vrai que j’étais en
général plutôt considérée
comme la "danseuse classique" de la compagnie. Puis lorsque nous avons
travaillé avec Giacopo Godani, je devais avoir 22 ans, il a
insisté pour me mettre en avant dans sa pièce… Et
là, ça a été une révélation! J’ai
vraiment fais un bond en danse contemporaine, je suis sortie de mon
carcan.
Puis j’ai appris que Giacopo allait travailler en Allemagne,
à Mayence, dans la compagnie qu'avait reformée le
chorégraphe Pascal Touzeau. Et je savais que le style de cette
compagnie était dans la lignée de Forsythe et que ça
pourrait vraiment m’intéresser. Donc j’ai
quitté ma région, mon pays, pour aller travailler en
Allemagne. J’y suis restée deux ans, j’y
étais soliste ; il ne s’agissait quasiment que de
créations car le directeur reconstruisait tout le
répertoire. Et donc, de nouveau, nous travaillions beaucoup.
Durant cette période, j’ai encore plus élargi ma
palette en danse contemporaine, et j'ai été
poussée à improviser, à créer.
C’était vraiment très intéressant.
Mais à ce moment de ma carrière, je me posais beaucoup de
questions sur ce que je voulais vraiment. Une partie de moi me poussait
à arrêter complètement le classique pour me lancer
encore plus dans le contemporain. Mais j’étais encore
jeune et j’avais peur de louper quelque chose. Je me demandais si
je pouvais encore avoir du plaisir en classique, j’avais besoin
de challenges. Puis, alors que je dansais Quintett,
de Forsythe, Aaron Watkin, le directeur du Ballet de
l’Opéra de Dresde, m’a repérée. Il a
su que je comptais quitter Mayence et il m’a proposé de venir
auditionner pour sa compagnie.
Le répertoire y est vraiment très large (du classique pur
au contemporain) et quand j’ai vu l’excellence du niveau
des danseurs, j’ai décidé de tenter ma chance.
À l’issue de l’audition, il m’a proposé
un contrat de demi-soliste! Pour moi, ça allait être un gros défi :
il fallait récupérer mon niveau technique en classique,
mon travail de pointes, retrouver mes lignes, et assurer des
rôles de solistes dans de grands ballets traditionnels,
alors que depuis plusieurs années, je me dirigeais de moins en
moins dans cette voie.
Les premiers mois ont été assez intenses et
difficiles. J’ai appris environ dix ballets en deux mois.
Je me suis refamiliarisée avec La Bayadère, Le Lac des
cygnes, La Belle au bois dormant (A.Watkin), Apollon, Joyaux,
Coppélia de Balanchine, et en même temps, je devais assurer
et prouver que je méritais ma place aussi bien dans les
classiques que dans des pièces de Forsythe, Mats Ek,
S.Celis, G. Godani, A. Ekman, etc..
Mais j’ai vite vu les résultats, et la saison suivante,
je suis montée en grade (1ère soliste=première
danseuse), ce qui m’a confortée dans l'idée de ne pas
lâcher. Contrairement à l’Opéra de
Paris où les danseurs apprennent/créent un ballet, puis
le dansent et passent au suivant, ici les ballets sont
étalés sur toute la saison, voire sur plusieurs saisons
d’affilée. De ce fait, la saison suivante, quand
j’ai repris mes rôles, tout était déjà
plus simple, je me suis épanouie de plus en plus, et
désormais, avec cette troisième saison, je me surprends
même à penser que je pourrais avoir envie d’un
rôle principal dans un grand ballet classique. J’aimerais
relever le défi! Je suis heureuse d’avoir fait le choix de
ne pas abandonner le classique.
En
examinant la programmation de cette saison, on constate que vous avez
déjà beaucoup dansé (et nous ne sommes
qu’en octobre...). Vous remontez beaucoup de ballets et
plusieurs tournées sont prévues en plus de tout cela.
Alors, comment travaillez-vous? Comment sont gérés les
emplois du temps, les répétitions?
En général, nous commençons la journée avec
un cours à dix heures jusqu’à onze heures quinze,
puis nous répétons jusqu’à dix-huit heures.
Nous avons une pause d’une heure environ, vers quatorze heures,
pour manger. Bien sûr, nous faisons une pause plus longue lorsque
nous avons spectacle le soir. Après, le souci vient du fait que
nous n’avons que deux studios, dont un assez petit, donc
c’est assez difficile de tout travailler, et de ce fait les
heures de répétitions sont intenses et très
concentrées. Demain [18 octobre 2014], nous partons en Autriche,
à Sankt Pölten ; ce matin, nous avons retravaillé
les
pièces que nous présenterons, et qui d’ailleurs ne
seront pas tout à fait les mêmes que pour la
tournée
à Paris.
Depuis
quand travaillez-vous sur les pièces de cette tournée? Ce
programme sera-t-il également dansé ailleurs?
Nous présentons tout d'abord ce programme Forsythe à Sankt Pölten le 19 octobre 2014. Nous y danserons Enemy in the Figure, Neue Suite et In the Middle, Somewhat Elevated
(pièce que la compagnie a dansée, je crois, il y a environ
huit ans, mais comme une bonne partie des danseurs sont nouveaux, ça a
été assez intense pour la remonter). Puis nous allons
à Paris les 28, 29 et 30 octobre, avec Steptext à la place de Enemy in the Figure) et à Barcelone et à Anvers fin février 2015. On a commencé a travailler In the Middle
à la fin de la saison dernière. Puis la Forsythe
Company est venue en tournée en septembre à la Hellerau
[centre européen des arts à Dresde, ndlr], et son
directeur en a profité pour venir nous voir et faire son casting.
Mais dans le même temps nous étions en train de travailler
pour la première pièce de la saison (une soirée
avec Bella Figura, de Kylián, The Grey Area, de Dawson, et Minus 16, de Naharin). Ensuite, il a fallu remonter Roméo et Juliette, de Stijn Celis
(j'y dansais déjà le rôle-titre la saison
dernière), ainsi que Legenden, hommage à Richard Strauss
(constitué de Tanzsuite d'Alexeï Ratmansky et de La Légende de Joseph
de Stijn Celis) créé la saison dernière, et que nous
redansons à Dresde à partir du 8 novembre prochain.
Certains danseurs commencent également à travailler avec
David Dawson qui crée un Tristan et Iseult,
dont la première aura lieu le 15 février 2015. Donc
c’est assez intense, sans compter qu'il nous faudra bientôt
reprendre Casse-Noisette
(chorégraphié par le directeur de la compagnie, Aaron
Watkin, et le directeur de la Palucca Schule, Jason Beechey).
Après, il y aura encore Le Lac des Cygnes (Watkin), Giselle (Dawson), Impressing the Czar (de Forsythe, dont l'entrée au répertoire est prévue pour mai 2015), et enfin la reprise de Nordic Lights (Lidberg / Inger / Ekman) en fin de saison.
Donc, en sus de cette saison chargée, la compagnie part cette
année en tournée à Paris, avec un programme
spécialement conçu pour l'occasion. Quel effet cela te
fait-il de venir danser en France? Et tout particulièrement dans
la capitale?
J'en suis heureuse, car mon frère vit à Paris. Et
même si ma famille me soutient beaucoup et vient très
souvent me voir danser à Dresde, c’est super de pouvoir
venir danser en France. Par contre, dès le premier jour, ils ont
appelé pour avoir des places, et n’ont pu en obtenir que
deux! Tout a l’air complet, ou alors peut
être qu'une partie des places sont réservées aux
abonnés. C’est un peu dommage ; j’aurais voulu en
profiter pour que plus de monde puisse venir me voir, car mis à
part un spectacle cet été, je n’ai pas dansé
en France depuis cinq ans!
En
venant à Paris, cela permettra à d’anciens
collègues de l’Opéra de voir ton évolution,
d'autant que tu danses en soliste dans In The Middlle. Comment penses-tu qu’ils réagiront?
Je
n’y ai pas pensé! Je suis très heureuse de
danser cette pièce de Forsythe, mais c’est assez stressant
aussi, car j’ai un solo assez difficile. Et il est vrai que cette
pièce a été créée pour
l’Opéra de Paris, et a depuis été
dansée un peu partout dans le monde. Elle a beaucoup
évolué. Nos coachs, qui ont travaillé avec
Forsythe, ont tenté de nous guider, nous ont proposé
leurs idées, leurs ressentis de l’époque. Mais il
est vrai aussi que le Ballet de la Semperoper de Dresde tend plus
à
montrer les individualités de chaque danseur. Nous avons
tous des écoles différentes ; autant chez les filles
que chez les garçons, il y a toutes sortes de physiques, de
tailles, de lignes... Le public, les habitués de
l’Opéra de Paris seront peut-être surpris, mais
c’est ce que nous revendiquons. J’espère que
ça attisera la curiosité des Parisiens, qu’ils
auront
envie d’en voir plus de notre compagnie. Nous avons des danseurs
vraiment superbes et il faut que leur travail soit reconnu ailleurs.
Trouves-tu
qu’une fois sortis de France, on oublie un peu que les danseurs
font des carrières à l’étranger tout aussi
brillantes et épanouissantes?
Il
est vrai que le public ne sait pas forcément qu’il y a des
talents français qui sont partis à
l’étranger, qu'ils y font des carrières brillantes,
et que l’on peut être heureux ailleurs. Je trouve dommage
qu’on n’en parle pas davantage. Ne serait-ce que pour les
nouvelles générations de danseurs. Par exemple ici
à Dresde, nous avons Fabien Voranger (Premier soliste) ou
Raphaël Coumes-Marquet (Principal) qui, après leurs
études à l’Ecole de danse de
l’Opéra, ont eu un très beau parcours : le Het
National Ballet (Amsterdam), les Ballets de Monte-Carlo et le Ballet de
l’Opéra de Vienne pour Raphaël Courmes-Marquet, le Ballet
National de Marseille, la Deutsche Oper de Berlin et également
l'Opéra de Vienne pour Fabien Voranger. Je suis très
contente qu’ils puissent revenir danser dans leur pays natal.
Et je remercie Dansomanie qui fait tout pour parler des danseurs
français qui poursuivent leur carrière hors de
l'Hexagone. Nous sommes nombreux dans ce cas (à Berlin, à
Munich, à Hambourg...) et si nous sommes présents un peu
partout, c’est que le style français plait encore… Il nous faut le représenter dignement!
A ce propos, comptes-tu rester longtemps en Allemagne? La France ne te manque-t-elle pas?
Bien
sûr la France me manque, et de plus en plus avec l’âge
[Julia n’a que 28 ans! ndlr]. Mais je suis pour l’instant
ravie de travailler en Allemagne. Je suis heureuse à Dresde,
j’ai tout ce dont j’ai besoin, la ville est très
agréable à vivre, et puis, au niveau du travail, je ne
peux pas me plaindre. Il y a aussi un vrai sentiment de
sécurité, même s'ils sont un peu trop à
cheval sur les règles! On s’y fait... Il est vrai que
j’ai l’impression de rater des choses, ne serait-ce que
dans ma famille, je voudrais être plus active dans notre vie
familiale. Mais mes proches viennent aussi me voir autant de fois
qu’ils le peuvent, de ce coté-là, je suis
très chanceuse. Et ce n’est pas comme si
j’étais partie m’expatrier aux USA ou en Asie! Je ne
veux pas me plaindre, lorsque je vois des collègues qui ne
rentrent chez eux que durant l’été... Je suis tout
de même très heureuse et je sais que j’ai fait le
bon choix!
Julia Weiss - Propos recueillis par Aurélie Lafaye
Vous pourrez découvrir Julia Weiss dans Neue Suite et In the Middle, Somewhat Elevated de William Forsythe, du 28 au 30 octobre 2014 au Théâtre de la Ville, à Paris.
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Entretien
réalisé à Dresde le 17 octobre 2014 - Julia Weiss © 2014,
Dansomanie
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