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critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

08 et 13 mars 2018 :  Soirée Roland Petit au Capitole de Toulouse


Minoru Kaneko (le Toréador) dans Carmen


Depuis les fameux programmes Balanchine de l'époque Glushak, le Capitole n'avait plus connu de soirées de ballets consacrées à un seul chorégraphe. En interprète d’élection des grands ballets de Roland Petit, Kader Belarbi a conçu cet hommage au grand chorégraphe français en réunissant, outre la reprise des Forains, adopté par la compagnie toulousaine en 2014, deux pièces célèbres d’autres périodes créatrices : L’Arlésienne et Carmen. Il n'est que de voir la curiosité qu'ont suscitée les diverses manifestations et rencontres publiques autour de la programmation, sans parler de l'affluence vers le spectacle lui-même, pour apprécier la trace qu'a laissée dans l'histoire de la danse le chorégraphe français. C'est d'autant plus à souligner que les rapports de Roland Petit avec la Ville rose sont restés de son vivant étrangement inexistants. Un rattrapage en règle s'imposait de toute évidence. Le public toulousain a pu mesurer comment Roland Petit, dans des intuitions d’artiste à l’écoute de son temps, savait s’entourer des meilleurs créateurs : musiciens, décorateurs, peintres, poètes ou littérateurs, dans le prolongement de l’esprit des Ballets russes de Diaghilev. Les trois oeuvres choisies pour ce programme ont de nombreux points communs, mais développent chacune son propre climat, son propre rythme.

Les ForainsKateryna Shalkina (la Belle endormie), Davit Galstyan (le Prestidigitateur)

Les Forains ont fait, très jeune, accéder Roland Petit à la célébrité. A travers la description tendre et savoureuse d’artistes ambulants vivant chichement de leurs numéros de cirque face à un public intéressé mais peu charitable, il présentait une allégorie de l’artiste marginalisé. Si l’arrivée émouvante de la petite troupe emmitouflée de châles, traînant péniblement sa charrette, a des résonances contemporaines, c’est un tableau intemporel et essentiellement poétique qui glisse des petits détails du quotidien entre Visions d’art et Belle endormie.

Les ForainsSolène Monnereau (Visions d’art / Loïe Fuller)

Sur la musique ravissante de Sauguet, l’atmosphère douce et nostalgique est parfaitement rendue par les danseurs du Capitole, avec peut-être sur la deuxième distribution davantage de liant entre les numéros, davantage d’osmose entre les personnages si joliment croqués (est-ce par un effet de rodage du spectacle?). La danse serpentine de Loïe Fuller, le lent éveil à la vie de la Belle endormie (superbe gradation de la danse de Juliette Thélin), la complainte des Sœurs siamoises, les cabrioles du Clown, les marches sur les mains de l'Acrobate se succèdent sous la houlette du Prestidigitateur qui fait apparaître des colombes. Celui-ci mène son petit monde avec malice pour ce qui est de Davit Galstyan, avec une complicité bienveillante pour ce qui est de Minoru Kaneko. On se souvient de la tendresse paternelle que mettait de surcroît Valerio Mangianti naguère dans un ballet que l'on prend toujours plaisir à revoir.

L'Arlésienne
Julie Charlet (Vivette), Ramiro Gomez Samon (Frédéri)

En maitre du ballet narratif, Roland Petit s'est approprié l'histoire de L'Arlésienne. Si le conte d'Alphonse Daudet, de par son acuité de récit ethnographique, n'a rien perdu de sa force, le drame en trois actes que l'auteur en a tiré par la suite, en dépit de sa célébrité (le titre même est devenu une expression du langage courant), et malgré l'appoint optionnel de la sublime partition de Bizet, n'a jamais rencontré le franc succès. La faute probablement à ses outrances impudiques, ses tirades exacerbées et larmoyantes, difficiles à faire passer sur scène. Roland Petit s'est attaché à un moment précis de la trame narrative, la soirée des noces de Fréderi et Vivette. En réalité cette scène ne vient ni de la nouvelle, ni de la pièce, l'argument du ballet ayant transformé les «accordailles» en «épousailles», ce qui, dans la Provence du 19ème siècle, n'est évidemment pas la même chose.

L'ArlésienneJulie Charlet (Vivette)

Accompagnés par leurs amis en habits de fête, les jeunes mariés sont emmenés vers leur chambre nuptiale. Les sollicitations des amis et une suite de pas de deux de plus en plus cruels nous conduisent inéluctablement vers une issue tragique que Vivette malgré tous ses efforts n'aura pas réussi à détourner. Les deux rôles solistes exigent une intensité dans l'expression qui ne supporterait aucune rupture de ton. Très féminine, très attentionnée, à la fois confiante et inquiète, Julie Charlet rend avec toute la subtilité voulue les nuances de ses sentiments tandis que Fréderi, emmuré dans son obsession, se détourne d'elle. Ramiro Samón nous ravit toujours de ses lignes pures et nettes, ses réceptions moelleuses, ses grands jetés qui découpent l'espace jusqu'au grand saut fatal.

L'ArlésienneAlexandra Surodeeva (Vivette) - Philippe Solano (Frédéri)

Dans l'autre distribution, Alexandra Surodeeva et Philippe Solano, de par leur caractérisation et leur expression, ne sont pas sans évoquer dans les mêmes rôles Eleonora Abbagnato et Jérémie Bélingard. Ce n'est pas un mince compliment quand on sait que ces deux étoiles furent spécialement choisies par Roland Petit lui-même à l'Opéra de Paris. Alexandra Surodeeva, danseuse arrivée en début de saison dans la compagnie toulousaine, déploie des trésors d'indulgence et de bonté envers son partenaire. Quant à Philippe Solano, dès son premier solo au rythme incisif, il nous fait entrer de plain pied dans la tragédie du moment. Son regard, qui semble déjà voir l'au-delà des choses, ses mouvements, précis et pleins de violence contenue, montrent une compréhension profonde du personnage dans une interprétation bouleversante qui fera date. Ce danseur déjà maintes fois remarqué trouve là son grand rôle de référence.

CarmenDennis Cala Valdés (Don José), Natalia de Froberville (Carmen)

Avec Carmen, ce n'est pas la conduite du récit qu'il faut admirer (il ne nous intéresserait guère si l'on ne connaissait le support littéraire et opératique), ni même la construction de personnages (peu cohérents en définitive). Ce qui parait encore époustouflant aujourd'hui, c'est l'invention foisonnante du chorégraphe dès le début de sa carrière, avec ce zeste de trivialité voulue qui fut souvent sa marque de fabrique. Les pieds en dedans, les genous pliés, les danses avec les chaises, les cigarettes allumées, les chants ridicules, sans parler de la cacophonie visuelle de la scène de la taverne, toute cette insolence passe de manière réjouissante. 

Avec le tableau de la chambre, nous voici dans un ambiance très cinématographique. Des éléments de décor réalistes (le lit de fer, le lavabo), un éclairage étudié, une profondeur de champ soulignée par Carmen qui regarde au-dehors à travers le store, voici le décor idéal pour un des plus beaux pas de deux du répertoire, un moment d'éternité au sein du ballet.

CarmenNatalia de Froberville (Carmen)

Natalia de Froberville et Kateryna Shalkina n'ont certes pas la gouaille irrésistible de Zizi Jeanmaire, mais elles en adoptent consciencieusement le jeu de jambes, jouant du taqueté avec un humour distancié. Natalia de Froberville met toute son élégance classique au service d'un style qui ne lui est pas naturel. La composition séduit, à défaut de convaincre tout à fait. La ravissante Kateryna Shalkina compose un personnage tout en finesse. Mais où est le tragique désir de liberté qui la conduira jusqu'à la mort?

Le Don José de Dennis Cala Valdés, au physique de héros d'aventure, joue sur une virilité de macho assumé. Sa danse un peu fruste le rend proche de Mérimée et il fait des merveilles dans la scène de la chambre. Au contraire, Rouslan Savdenov évoque moins le personnage malgré une danse parfaite techniquement.

CarmenThiphaine Prévost (La Femme-Bandit), Davit Galstyan (Le Chef-Bandit)

Le trio de Bandits forme un contrepoint drolatique. Tiphaine Prévost et Davit Galstyan notamment y déploient une énergie infernale qui les fait par instants dépasser le couple principal. Le corps de ballet, aussi bien dans l'exubérance de Carmen que dans la sobriété de L'Arlésienne, fait montre d'une homogénéité remarquable, fruit d'un travail de longue haleine pour s'approprier le style voulu. Et grâce à ce travail, on peut être déjà certain que ce programme sera souvent demandé pour les futures tournées du Ballet du Capitole. Il ne faudra pas le rater.





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Les Forains
Philippe Solano (Le Clown) dans Les Forains



Les Forains
Musique : Henri Sauguet
Chorégraphie : Roland Petit
Argument : Boris Kochno
Décors et costumes : Christian Bérard
Lumières : Jean-Michel Désiré

Le Prestidigitateur 
Davit Galstyan (08/03) / Minoru Kaneko (13/03)
La Belle Endormie – Kateryna Shalkina (08/03) / Juliette Thélin (13/03)
Le Clown Philippe Solano (08/03) / Nicolas Rombaut (13/03)
La Petite Fille Carla Krzywdziak
Visions d’art (Loïe Fuller) – Juliette Thélin (08/03) / Solène Monnereau (13/03)
Les Siamoises Ichika Maruyama, Tiphaine Prévost (08/03) / Kayo Nakazato, Manon Cazalis (13/03)
L’Acrobate Amaury Barreras Lapinet
Le Machiniste Jérémy Leydier
La Femme-tronc Sarah Barthez

L’Arlésienne
Musique : Georges Bizet
Chorégraphie : Roland Petit
Décors : René Allio
Costumes :  Christine Laurent
Lumières : Jean-Michel Désiré

Vivette 
– Julie Charlet (08/03) / Alexandra Surodeeva (13/03)
Frédéri 
– Ramiro Gómez Samón (08/03) / Philippe Solano (13/03)

Carmen
Musique : Georges Bizet
Chorégraphie : Roland Petit
Argument : Boris Kochno
Décors et costumes : Antoni Clavé
Lumières : Jean-Michel Désiré

Carmen 
Natalia de Froberville (08/03) / Kateryna Shalkina (13/03)
Don José 
– Dennis Cala Valdés (08/03) / Rouslan Savdenov (13/03)
Le Toréador Norton Ramos Fantinel (08/03) / Jérémy Leydier (13/03)
La Femme-bandit – Tiphaine Prévost
Le Chef-bandit Philippe Solano (08/03) / Davit Galstyan (13/03)
Le Bandit – Amaury Barreras Lapinet


Ballets remontés par Luigi Bonino assisté de Gillian Whittingham
Ballet du  Capitole de Toulouse
Orchestre national du Capitole, dir. Enrique Carreón-Robledo


Jeudi 08 et  mardi 13 mars 2018,  Théâtre du Capitole, Toulouse


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