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critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

24 janvier 2018 :  Soirée Davide Bombana / Mauro Bigonzetti à la Halle aux Grains


Kateryna Shalkina (Cécile de Volanges), Minoru Kaneko (le chevalier Danceny)



Ce programme sans titre relie deux pièces dont le seul point commun est de venir de chorégraphes italiens. Avec deux ballets aux styles et aux esthétiques aux antipodes l'un de l'autre, Davide Bombana et Mauro Bigonzetti témoignent chacun à sa manière de la continuité de la création chorégraphique en Italie, celle qui est restée dans le giron des théâtres institutionnels. Ces deux œuvres étaient entrées au répertoire du Ballet du Capitole en 2015 dans deux programmes différents. Il s'agissait alors d'une création mondiale pour les Liaisons Dangereuses de Bombana. Leur reprise illustre la volonté de Kader Belarbi de faire vivre et transmettre le répertoire de sa compagnie. C'est ainsi l'occasion pour les danseurs nouveaux de se les approprier, d'apporter leur propre vision et leur personnalité, et pour ceux qui ont participé à la création, d'approfondir leurs rôles, d'aller encore plus loin dans leur engagement personnel, et du même coup d'assurer leur part dans la transmission de l'œuvre. Ainsi va la vie d'un théâtre de répertoire, quand il a bien compris sa mission. 

Adapter les Liaisons dangereuses en ballet narratif semble un défi impossible aux amoureux du roman de Choderlos de Laclos. Comment traduire par la danse l'entrecroisement des rapports complexes des nombreux personnages, leur profonde ambivalence, l'enchaînement virtuose des événements? Comment rendre visible cette société où le langage riche et subtil est l'arme principale d'un jeu de séduction et de persuasion toujours varié?

Le chorégraphe a résolu le problème en considérant que la forme du roman par lettres décrit une suite de relations entre deux personnages. Il était donc tout naturel de le transformer en une suite de pas de deux ou duos. Quelques solos ayant été intercalés aux moments les plus dramatiques, il ne restait plus qu'à prendre le prétexte d'une réception pour faire intervenir un corps de ballet festif.

Liaisons dangereuses
Julie Loria (la présidente de Tourvel), Davit Galstyan (le vicomte de Valmont)

Le ballet commence par une scène d'amour entre la marquise de Merteuil et le comte de Gercourt. Celui-ci l'abandonnant pour se marier avec la jeune Cécile à peine sortie du couvent, la marquise ne nous dissimule pas plus avant sa nature vindicative et se lance dans un véhément solo où elle est entourée de ses valets. Elle dansera par la suite chaque fois accompagnée du corps de ballet féminin, comme une porte-parole de revendications sociales. Bombana a ainsi clairement intégré au personnage son angle féministe, exprimé par elle-même dans la longue lettre centrale qui fait basculer le roman vers une terrible course à l'abîme. 


On peut regretter une dramaturgie devenue trop simpliste et rapide, où les protagonistes sont caractérisés d'emblée, sans perspective d'évolution. Cependant, la meilleure inspiration du chorégraphe est sans doute dans le caractère varié des différents pas de deux, à chaque fois adaptés à la situation : acrobatique ou convulsif, romantique ou sensuel, dans l'affrontement ou la domination, chacun d'entre eux peut être détaché de l'ensemble, comme autant de tableaux précieux dans une galerie de peinture.

En passant de la scène rutilante du Casino-théâtre au grand espace tendu de noir de la Halle aux Grains, le décor s'est avantageusement épuré, débarrassé des inutiles projections vidéos que l'on distinguait à peine lors de la création. On retrouve l'indispensable lit incliné, quelques accessoires en situation (un crucifix, des chandeliers...), et surtout les nombreuses lettres passant de main en main, et tombant des cintres au dénouement.

Liaisons dangereuses
Julie Charlet (la marquise de Merteuil),  Davit Galstyan (le vicomte de Valmont)

Julie Charlet nous livre une Merteuil savoureuse, tout en fureur et en intensité. On est heureux que cette technicienne émérite à l'allure de sylphide trouve ici un rôle qui la sorte de sa réserve habituelle. L'élégant et tragique Valmont de Davit Galstyan évoque une sorte de Casanova aux sincérités successives, tandis que Julie Loria déploie une danse grave et lyrique en présidente de Tourvel. A remarquer aussi, l'apparition vive et lumineuse,
en Cécile de Volanges, de Kateryna Shalkina, danseuse venue du Ballet Béjart que l'on a hâte de revoir plus longuement.



Cantata
Kateryna Shalkina (au premier plan)

Avec Cantata de Mauro Bigonzetti, on quitte les salons et l'alcôve pour descendre dans la rue, là où se concentre la vie dans les civilisations méditerranéennes. Plutôt que de paraphraser l'auteur, laissons-le décrire son oeuvre de la manière la plus éloquente :  «J'ai pensé ce ballet comme si l'on suivait un chemin, un trajet à l'intérieur d'un quartier de Naples. A un moment, une place, à un autre, une petite rue, puis, un croisement, et enfin, une place immense. Tout comme un visiteur qui marcherait dans les rues de la ville et assisterait à diverses situations».

Quatre chanteuses, quatre mammas aux pieds nus se mêlent aux danseurs, pieds nus eux aussi. Tous sont habillés simplement, robe légère, pantalon ample, tee-shirt coloré. Au moment où la lumière se fait, tous sont rassemblés au milieu de la scène et entonnent une mélodie populaire. Les groupes se forment ensuite. Les filles tout d'abord, disposées en triangle menaçant, développent une transe agressive. La suite semble improvisée et c'est tout l'art du chorégraphe et de ses interprètes de le faire croire.

Cantata
Louise Coquillard, Olivia Lindon

Les chanteuses à la voix prenante s'accompagnent de l'accordéon, des tambourins ou des castagnettes pour des chansons venues du fond des mémoires. On entend passagèrement une guitare. Les danseurs restent constamment sur scène, assistant en spectateurs nonchalants, assis ou debout, aux évolutions d'un duo ou d'un trio. On frappe dans ses mains, on joue, on réagit vivement. Le tout bouillonne d'une énergie brute irrépressible, y compris dans les moments plus sereins ou plus nostalgiques. La danse en elle-même s'avère particulièrement athlétique, faisant succéder mouvements explosifs et portés acrobatiques.

Cantata
Juliette Thélin

Si l'osmose de la troupe du Capitole est idéale et suscite une pleine adhésion du public, on ne peut s'empêcher de dégager quelques individualités. Juliette Thélin est ainsi particulièrement expressive dans le long solo à la robe noire, le plus exigeant de tous, avec ses mouvements poussés à l'extrême. Quant aux sympathiques Amaury Barreras Lapinet et Nicolas Rombaut, ils se lancent sans détour dans un stand-up bien rodé qui fait rire. Décidément les danseurs toulousains ne finiront jamais ne nous révéler des talents cachés.





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Cantata
Jérémy Leydier, Minoru Kaneko et Kateryna Shalkina dans Cantata



Les Liaisons dangereuses
Musique : Jean-Philippe Rameau, Walter Fahndrich
Chorégraphie :
Davide Bombana
Décors, costumes et lumières : Dorin Gal

La marquise de Merteuil 
Julie Charlet
Le vicomte de Valmont 
– Davit Galstyan
La présidente de Tourvel Julie Loria
Le chevalier Danceny Minoru Kaneko
Cécile de Volanges Kateryna Shalkina
Madame de Volanges Solène Monnereau
Le comte de Gercourt 
Norton Ramos Fantinel

Cantata
Musique : ASSURD & Enza Paglia, musiques traditionnelles d'Italie du Sud
Chorégraphie : Mauro Bigonzetti, réalisée par Carlos Prado et Stéphane Dalle

Costumes : Helena de Medeiros
 Luumières : Carlo Cerri

Avec :
Sofia Caminiti, Manon Cazalis, Louise Coquillard, Olivia Lindon, Ichika Maruyama
Solène Monnereau, Karina Moreira, Tiphaine Prévost, Kateryna Shalkina, Juliette Thélin
Amaury Barreras Lapinet, Tymofiy Bykovets, Dennis Cala Valdés, Simon Catonnet
Ramiro Gómez Samón, Minoru Kaneko, Jérémy Leydier, Norton Ramos Fantinel
Nicolas Rombaut, Philippe Solano.



Ballet du  Capitole de Toulouse
Musique enregistrée et  musique «live» (Cristina Vetrone, Lorella Monti , Enza Prestia , Enza Pagliara)


Mercredi 24 janvier 2018,  Halle aux Grains, Toulouse


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