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critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

04 avril 2015 : Amour, Amor (Davide Bombana, Thierry Malandain)


Amour amor
Lauren Kennedy (Cécile de Volanges) et  Shizen Kazama (Le chevalier Danceny)
 Les Liaisons dangereuses (chor. Davide Bombana)



En 2010, alors que le Ballet du Capitole était encore dirigé par Nanette Glushak, Davide Bombana, déjà créateur à Toulouse de sa Carmen, avait reçu commande d’un nouveau ballet autour d’une adaptation des Liaisons Dangereuses, s’inscrivant dans une thématique liée au désir. Le projet était bien avancé ; les danseurs d’alors s’étaient emparés de la chorégraphie ; les décors et les costumes étaient prêts. Malheureusement, des raisons personnelles avaient brusquement contraint le chorégraphe à tout annuler, avec pour conséquence un bouleversement in extremis de la programmation. Kader Belarbi, en prenant la direction du Ballet du Capitole, décida de reprendre l’ouvrage. Quelques années plus tard, Davide Bombana n’a selon lui guère changé la conception d’ensemble de son œuvre, mais il a adapté la chorégraphie à une nouvelle bande-son, constituée de diverses pièces de Jean-Philippe Rameau, extraites le plus souvent de ses opéras ou bien de ses suites pour clavecin. A plusieurs moments-clés, ceux montrant l’œuvre manipulatrice de la marquise de Merteuil conjuguée à son abandon auprès de ses différents amants, il a intercalé des musiques de Walter Fähndrich. Ce dernier est un compositeur suisse dont la conception très personnelle des rapports entre la musique et l’espace mérite d’être mieux connue.


Amour amor
Julie Loria (la présidente de Tourvel), Davit Galstyan (Le vicomte de Valmont)
Les Liasons dangeureses (chor. Davide Bombana)

Le roman par lettres de Choderlos de Laclos, sommet de la littérature du 18ème siècle, à l’instar du cycle proustien de la Recherche du temps perdu, semble avoir fait peur aux adaptateurs et scénaristes de tous poils à la recherche d’un sujet. Il faut en vérité une bonne dose de témérité, pour essayer de restituer toute la virtuosité de la composition, l’ambivalence des personnages et la subtilité de l’écriture. Un opéra de Claude Prey, des adaptations théâtrales, quelques réussites cinématographiques sont loin d’épuiser le chef d’œuvre de l’obscur officier de carrière, épris de littérature et de philosophie rousseauistes.

La forme épistolaire du roman est évoquée dans le ballet à travers quelques échanges de lettres ou de billets doux judicieusement placés. Si les danses d’ensemble restent à la surface des choses, notamment une peu intéressante scène de fête au cours de laquelle tous les personnages font assaut d’amabilité, la chorégraphie prend davantage de consistance dans les solos et les duos. Le solide Valmont de Davit Galstyan, la belle et grave douleur de Julie Loria en présidente de Tourvel suscitent l’adhésion.

Amour amor
Maria Gutierrez (La marquise de Merteuil)
Les Liaisons dangeureses (chor. Davide Bombana)

Les deux solos de la Merteuil sont structurés en deux parties : dans un deuxième temps, la marquise réédite sa danse, démultipliée sur le corps de ballet féminin, faisant ainsi écho à une interprétation féministe du roman. Le deuxième solo fait d’ailleurs exactement référence à la longue lettre qui forme le pivot du roman où la Merteuil dévoile à Valmont la raison d’être de sa nature duplice, affirme la dissimulation comme un principe de vie et se déclare «née pour venger son sexe». Les pointes acérées de Maria Gutierrez font merveille dans cet emploi nouveau pour elle. Mais la fin du ballet manque d’élan pour décrire l’enchaînement irréversible des catastrophes. Il aurait fallu davantage d’audace, que par ailleurs suggèrent les costumes aux couleurs pop et les beaux décors blancs projetés d’images abstraites (belle idée que ce lit métaphoriquement incliné).



Amour amor
Juliette Thélin (Candala), Demian Vargas (Carmelo)
L'Amour sorcier (chor. Thierry Malandain)

Manuel de Falla avait conçu son Amour sorcier à partir de véritables histoires gitanes, transmises selon le cliché autour du feu de camp. Sa musique s’inspirait du style flamenco. Le ballet de Thierry Malandain, créé en 2008 à Luxembourg, ne s’inscrit pourtant absolument pas dans le genre du ballet narratif. Les amours gitanes de Candela et Carmelo, contrariées par un spectre amoureux, ne sont pas à chercher sur la scène, mais se devinent dans une vision essentiellement onirique et poétique.


Amour amor
L'Amour sorcier (chor. Thierry Malandain)

Dans une lumière sombre, éclairée par les tuniques lilas des danseuses, sur un sol jonché de pétales de cendre diffusant des reflets «à la Soulages», un corps de ballet de seize danseurs dessine de savantes géométries en un discours qui construit sa propre logique et sa propre évidence. D’emblée, le langage chorégraphique de Thierry Malandain tranche singulièrement par sa richesse et son exigence technique, multipliant les sauts et les figures les plus difficiles pour tout le corps de ballet. Par la force de la musique, les accents andalous ne sont pas totalement gommés, mais viennent en discret rappel dans cette symbolique du cycle perpétuel de l’amour et de la vie.

Se dégageant du corps de ballet, et sans s’identifier formellement comme les héros de l’histoire, un couple se lance alors dans un pas de deux amoureux, une sorte d’hymne à la vie. Juliette Thélin et Demian Vargas font preuve d’une belle présence sur scène et tous les danseurs du Capitole font valoir une énergie sans pareille et une remarquable homogénéité, deux conditions indispensables pour rendre justice à une œuvre très forte
.



Jean-Marc Jacquin © 2015, Dansomanie

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Amour amor
Sofia Caminiti, Vanessa Dirven, Virginie Baïet-Dartigalongue, Solène Monnereau
L'Amour sorcier
(chor. Thierry Malandain)




Les Liaisons dangereuses
Musique : Jean-Philippe Rameau, Walter Fahndrich
Chorégraphie :
Davide Bombana
Décors, costumes et lumières  : Michaela Buerger
Création vidéo : Enrico Mazzi

La marquise de Merteuil Maria Gutierrez
Le vicomte de Valmont 
Davit Galstyan
La présidente de TourvelJulie Loria
Le chevalier Danceny 
Shizen Kazama
Cécile de Volanges Lauren Kennedy
Madame de Volanges 
Beatrice Carbone
Le comte de Gercourt  Valerio Mangianti


L'Amour sorcier
Chorégraphie :
Thierry Malandain
Décors et costumes : Jorge Gallardo
Lumières : Jean-Claude Asquié

Candela – Juliette Thélin
Carmelo Demian Vargas


Ballet du  Capitole de Toulouse
Musique enregistrée

Samedi 4 avril 2015, Théâtre du Casino Barrière, Toulouse


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