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critiques et comptes rendus
Académie Princesse Grace, Monaco : « Études »

24 juin 2017 : Gala de fin d'études de l'Académie Princesse Grace de Monaco


Andrea Marino Gambazza, Giovanni Tombacco dans Les Indomptés (chor. Claude Brumachon)


L'Académie Princesse Grace occupe aujourd'hui une place de choix dans le paysage des grandes écoles de ballet professionnelles. Dirigée depuis 2009 par Luca Masala (que nous avions longuement interviewé en 2016 à l'occasion du gala de fin d'études), l'Académie accueille en son sein une élite de jeunes danseurs venus du monde entier, qui y suivent un cursus pluridisciplinaire de quatre années. Cette configuration très internationale, de même que l'âge, relativement avancé, des élèves, font que l'Académie ne cherche pas tant à cultiver un style d'école bien marqué que le talent individuel, dans toute sa diversité. Signe d'une excellence qui ne se dément pas, l'Académie aligne régulièrement, depuis quelques années, de remarquables lauréats au Prix de Lausanne (Rina Kanehara, Mikio Kato, David Navarro Yudes ou, plus récemment, Marina Fernandes Da Costa Duarte), qui ont par la suite pu intégrer de prestigieuses compagnies.

Le gala annuel de l'Académie, qui se tient dans la – très fastueuse – salle Garnier du Casino de Monaco, donne naturellement à voir l'excellence de la formation qui y est dispensée – la qualité de mouvement, la polyvalence classique / contemporain, ainsi que la maturité artistique des élèves, en sont peut-être les signes extérieurs les plus prégnants. Il sait néanmoins aussi se démarquer des spectacles d'école plus traditionnels. Les deux volets du gala de cette année – des pas de deux de la première partie à la version modernisée d'Études en seconde partie – laissent ainsi largement la place à la création chorégraphique contemporaine. De fait, par-delà une programmation qui ne ressemble à aucune autre, le gala de l'Académie Princesse Grace donne au public beaucoup moins l'impression d'assister à un spectacle d'élèves, certes très doués, qu'à un spectacle de jeunes danseurs professionnels, avec, pour certains diplômés, un tempérament de soliste déjà sensible.


pas d'adieux
May Nagahisa dans La Bayadère (chor. Roland Vogel / Marius Petipa)

La première partie du spectacle, joliment intitulée « Pas d'adieux », est composée de six pas de deux – six cadeaux offerts aux douze diplômés de l'année. Signés de quelques grands noms d'aujourd'hui, ils semblent avoir été choisis avant tout pour mettre en valeur le style et le tempérament de chacun – classique ou contemporain, à tendance théâtrale ou plus lyrique. Seule incursion du gala dans le répertoire classique (et l'on peut sans doute le regretter), le pas de deux extrait de l'acte des Ombres de La Bayadère est ainsi destiné à faire briller, dès l'ouverture, le talent de May Nagahisa, qui s'apprête à rejoindre à la rentrée le Théâtre Mariinsky. Repérée par Youri Fateev lors d'un stage d'été et invitée l'an dernier à Saint-Pétersbourg dans le cadre du festival, où elle avait interprété la Danse Manou de cette même Bayadère, la jeune danseuse possède, outre une silhouette gracile et très « ballerinesque », une personnalité lumineuse, conjuguée à une technique précise, d'une grande finesse. A ses côtés, Jacopo Arregui T. Saltini, fait valoir ses qualités de partenariat et sa virtuosité saltatoire, même si l'étroitesse du plateau de la salle Garnier limite quelque peu l'exhibition de qualités de bravoure dans le manège. Le Black Swan de Marco Goecke, pastiche expressionniste du célèbre pas de deux, est un contrepoint radical à cet académisme empreint de poésie. On peut certes trouver lassant le style épileptique, éternellement recommencée, du chorégraphe allemand, mais il est difficile de nier qu'il souligne admirablement la personnalité électrique de Lisa Van Cauwenbergh – un concentré d'énergie dissimulé sous la blondeur nordique et le physique juvénile –, bien secondée dans ses évolutions cygnesques et anguleuses par Jaat Benoot, qui va justement rejoindre les Ballets de Monte-Carlo.

pas d'adieux
Nicole Conti et Luca Afflitto dans Carmen (chor. Sara Lourenço)

Moins spectaculaire, plus introspectif, le duo extrait d'
In Memoriam de Sidi Larbi Cherkaoui, créé initialement pour les Ballets de Monte-Carlo, permet de découvrir deux jeunes interprètes habités, d'une grande maturité l'un et l'autre, Michelle Pirelis et Mikhael Kinley-Safronoff, qui font magnifiquement corps avec l'univers tellurique du chorégraphe. Malgré la qualité des danseurs, notamment Luca Afflito en Don José, on reste en revanche un peu à côté de l'esprit de la Carmen de Sara Lourenço, qui n'évite pas les clichés de la sensualité « au bord de la crise de nerfs » – et de l'espagnolade post-moderne. Les Indomptés de Claude Brumachon, pièce souvent donnée, et néanmoins un peu datée, se prête curieusement beaucoup mieux à la sensibilité adolescente. Les deux interprètes, Andrea Marino Gambazza et Giovanni Tombacco, d'une étonnante gémellité, en tempèrent les élans de violence par un mélange innocent de tendresse et de sauvagerie. Acmé de cette première partie, le pas de deux de Roméo et Juliette, dans la relecture néo-classique de Jean-Christophe Maillot, est un écrin idéal pour le couple plein d'empathie formé par Marina Fernandes Da Costa Duarte, si vive et spirituelle (et qui semble décidément à son aise dans tous les répertoires), et Gustavo Ferreira Chalub, naturellement captif de ses charmes.

pas d'adieux
Marina Fernandes et Gustavo Ferreira Chalub dans Roméo et  Juliette (chor. Jean-Christophe Maillot)


La deuxième partie réunit l'ensemble des élèves, tous niveaux confondus, dans une version revisitée d'
Études, ce génial ballet d'Harald Lander, créé à l'origine pour le Ballet royal du Danemark, qui théâtralise une classe de danse. Les vingt études pour piano, réorchestrées, de Czerny ont été pour l'occasion rechorégraphiés par diverses personnalités : des professeurs comme Michel Rahn ou Roland Vogel, des proches de l'Académie comme Jeroen Verbruggen ou Julien Guérin, et jusqu'à Jean-Christophe Maillot lui-même – pour l'adage – qui offre là sa première création pour l'Académie, dont il est par ailleurs le directeur administratif. Trois élèves de dernière année ont même pris part au jeu – car c'en est aussi un. Le ballet perd en unité et en cohérence stylistiques ce qu'il gagne en variété, en esprit ludique, et, surtout, en effet de surprise.

études
Etudes

Il est à la mode de « faire travailler » les entractes en donnant à voir les envers de la scène. De retour dans la salle après la pause, le spectateur découvre les élèves sur la scène en train de s'échauffer tranquillement auprès d'un piano qui bafouille déjà les fameuses études. Les uns après les autres, ils rejoignent les coulisses, abandonnant la scène à une danseuse en tunique blanche (Mackenzie Brown, présence et lignes sublimes – une danseuse à suivre...), qui poursuit, de manière plus chorégraphique, ses exercices à la barre, rappelant par là le premier numéro, en noir et blanc, du ballet de Lander – la barre. On la retrouvera, tout aussi impeccable, dans le final, en tutu noir cette fois, pour l'inévitable série de fouettés. Les tableaux, vifs et enjoués, se succèdent, dans des styles tantôt académique, tantôt plus néo-classique, tantôt résolument contemporain, et selon une dramaturgie et un imaginaire visuel qui font bien souvent écho, de manière détournée, humoristique ou plus littérale, à l'illustre modèle qu'est le ballet de Lander. Le ballet se conclut dans l'apothéose de virtuosité classique attendue – grands sauts, fouettés, pirouettes et coupés-jetés. A rebours de la première partie, il n'y pas là de « stars » outrageusement mises en avant, mais un ensemble de fortes personnalités, où l'on ne distingue plus vraiment les « grands » des « petits » et où la polyvalence des élèves est magnifiée. Chacun est ici d'abord au service d'un collectif, qui séduit à la fois par une très grande propreté technique et une énergie réjouissante.



Bénédicte Jarrasse © 2017, Dansomanie



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études
Etudes



Première partie -  «Pas d'adieux»

La Bayadère
Musique: Ludwig  Minkus
Chorégraphie :  Roland Vogel d'après M. Petipas

Avec :
May Nagahisa,  Iacopo Arregui T. Saltini
 
Black Swan
Musique : Piotr Ilitch Tchaikovski
Chorégraphie :  Marco Goecke

Avec : Lisa Van Cauwenbergh, Jaat Benoot

In Memoriam
Musique : A Filetta
Chorégraphie :  Sidi Larbi Cherkaoui

Avec :
Michelle Pinelis, Mikhael Kinley-Safronoff

 
Les Indomptés
Musique : Wim Martens
Chorégraphie : Claude Brumachon

Avec :
Andrea Marino Gambazza, Giovanni Tombacco

Carmen
Chorégraphie : Sara Lourenço
Musique : Georges Bizet

Avec :
Nicole Conti - Luca Afflitto
 
Roméo et Juliette
Musique : Serge Prokofiev
Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot

Avec : Marina Fernandes da Costa Duarte - Gustavo Ferreira Chalub

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Deuxième partie - 
«Etudes»

Etudes
Musique : Carl Czerny, orchestration Knudåge Riisager
Chorégraphie : Eugenio Buratti, Julien Guérin, Sara Lourenço, Jean-Christophe Maillot
Michel Rahn, Jeroen Verbruggen, Roland Vogel
Chorégraphies additionnelles :  Michelle Pinelis, Luca Afflitto, Lisa Van Cauwenbergh

Avec : Lisa Van Cauwenbergh, Nicole Conti, Marina Fernandes da Costa Duarte
May Nagahisa, Michelle Pinelis
Iacopo Arregui T. Saltini, Jaat Benoot , Gustavo Ferreira Chalub, Andrea Marino Gambazza
Mikhael Kinley-Safronoff , Giovanni Tombacco


Elèves de l'Académie Princesse Grace, Monaco
Musique enregistrée


Samedi 24 juin  2017,  Opéra Garnier


Album photo  (cliquer sur la mosaïque)

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