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entretiens
Académie Princesse Grace : l'excellence monégasque

25 juin 2016 : Luca Masala, directeur, présente l'Académie Princesse Grace


Ancien danseur, formé à la Scala de Milan et à la School of American Ballet, Luca Masala est, depuis 2009, directeur artistique de l'enseignement et de la pédagogie de l'Académie Princesse Grace, école de ballet monégasque fondée en 1975 et longtemps associée au nom de Marika Besobrasova. A quelques heures du spectacle de fin d'année de ses élèves, il nous parle de l'Académie, de ses spécificités et du renouveau qu'elle connaît.

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De l'école à la compagnie, Monaco, cité de la danse (Jean-Christophe Maillot)




Luca Masala

Quels étaient vos liens avec l'Académie Princesse Grace avant d'en devenir directeur en 2009?

J'ai été élève de l'Académie durant une année. J'ai commencé ma formation de danseur à la Scala de Milan, où je suis resté durant quatre ans. J'ai étudié par la suite à la School of American Ballet et j'ai terminé ma formation à l'Académie Princesse Grace, dont je suis sorti diplômé en 1989. J'ai fait toute ma carrière à l'étranger : au Ballet royal de Flandres, au Ballet national de Nancy, au Bayerisches Staatsballett de Munich, au Staatstheater de Wiesbaden, et enfin au Ballet du Capitole de Toulouse. Mon souhait a toujours été, une fois ma carrière terminée, de diriger une compagnie. Au bout de vingt ans de carrière, j'ai commencé à prendre contact avec différents directeurs, comme Reid Anderson ou John Neumeier, non pas pour leur demander du travail, mais pour parler avec eux de leur expérience. J'ai également écrit à Jean-Christophe Maillot pour lui parler de mes envies. Je trouvais qu'il avait beaucoup de talent et j'admirais ce qu'il avait pu construire à Monaco : ça m'intéressait donc de le rencontrer pour parler et écouter ce qu'il avait à dire de son expérience. En 2009, il se trouve qu'on lui a demandé de diriger l'Académie Princesse Grace, chose qu'il n'avait pas le temps de faire. Il lui fallait trouver quelqu'un pour reprendre le poste. C'est là qu'il m'a appelé. C'est comme ça qu'on s'est vraiment connus. J'ai compris qu'ils avaient besoin de quelqu'un qui pouvait se consacrer corps et âme à cette école, qui, à l'époque, était un peu fragile, pour la reconstruire et lui redonner une fraîcheur qu'elle n'avait plus. Depuis 2009, je la dirige et je pense qu'elle a bien gagné en prestige dans le monde.


Dans quelle situation avez-vous trouvé l'Académie Princesse Grace, longtemps dirigée par Marika Besobrasova, à votre arrivée?

Disons que l'école était fragilisée. Non pas au sens où elle était en mauvais état, mais au sens où elle était un peu old-fashioned, un peu fermée par rapport à ce que les directeurs de compagnies demandent aujourd'hui. L'enseignement était évidemment de qualité, mais il fallait ouvrir les portes, pour se mettre au niveau des exigences des compagnies. La danse classique y occupe toujours une place très importante, mais on a aussi un enseignement de danse contemporaine. C'est pour ça qu'on a des élèves qui entrent aussi bien au Royal Ballet de Londres qu'aux Ballets de Monte-Carlo ou au NDT.


Concrètement, qu'avez-vous apporté de neuf à l'Académie depuis 2009?

Pour ce qui est de la structure, on a construit des chambres, des studios... Le dernier studio est d'ailleurs bientôt terminé. On a également renouvelé une grande partie de l'équipe enseignante. J'ai gardé deux professeurs de l'époque de Marika et en ai engagé de nouveaux. Il y a aussi eu un renouvellement complet au niveau des élèves. Toute l'année, je parcours le monde, je vois entre sept et huit mille élèves. Un autre gros changement a été de ne prendre que des élèves dont je pense qu'ils ont un avenir dans la danse. Si une année, j'ai trente élèves, j'ai trente élèves, même si l'école a cinquante places à offrir. Je ne prends pas des élèves pour combler un effectif, comme c'est le cas dans la plupart des écoles, notamment dans les écoles subventionnées par l’État. On a la chance de pouvoir faire ça ici. Je n'ai rien contre la danse amateur, mais je pense qu'il est important que les parents sachent où envoyer leurs enfants, selon qu'ils veulent juste prendre quelque cours de danse ou en faire leur métier. Notre discours est assez honnête là-dessus. Après, on n'essaye pas de recruter un seul type d'élève, répondant à un seul critère. Dans l'école, nous avons des élèves qui sont assez petits, d'autres qui sont très grands, des élèves plutôt faits pour tel genre de compagnie, des élèves plutôt faits pour tel autre. Avec Jean-Christophe, on fait justement très attention à ce que ce ne soit pas l'école des Ballets de Monte-Carlo, une école qui ne formerait que des élèves destinés à intégrer cette compagnie. Cela serait très frustrant pour eux. Chaque année, il n'y a d'ailleurs pas dix contrats qui se libèrent dans une compagnie. Si leur but est d'intégrer une compagnie et qu'à la fin, il n'y a pas de place, ils ont la sensation d'avoir perdu quelque chose, même si ce n'est pas le cas.

Pour ce qui de l'enseignement, on a changé pas mal de choses. Avant 2009, l'enseignement était délivré par Marika Besobrasova. Elle avait ses classes écrites. Mais en tant qu'ancien élève, je me rends compte que l'enseignement de Marika, c'était d'abord Marika. Elle faisait faire des exercices qui sont toujours très valables, mais l'enseignement, c'était elle, avec ses yeux, sa façon de corriger, de parler... Quand j'étais élève, cela marchait très bien. Après, naturellement, quand une personne commence à vieillir, il devient plus difficile de voir certaines choses. Aujourd'hui, je ne peux pas dire que l'Académie a un style particulier – Vaganova, Balanchine ou un autre... –, et je n'ai d'ailleurs pas cette ambition. Le style de l'Académie, c'est simplement le système qui marche, c'est-à-dire que quand j'ai un élève qui entre à l'Académie, l'idée est qu'il doit sortir avec un contrat, et là-dessus, j'ai 100% de réussite. On a un élève devant nous et on doit faire en sorte que celui-ci puisse s'en sortir en tant que professionnel.


Comment est organisé le cursus à l'Académie?

Le cursus dure quatre ans. Il faut tenir compte du fait qu'on est dans un micro-pays. Si on était à Paris, ce serait évidemment beaucoup plus facile d'avoir des petits élèves de dix ou douze ans. A Monaco, c'est plus difficile. Quand j'ai commencé à voyager dans le monde pour recruter des élèves, je me suis rendu compte que les familles, que ce soit en Amérique, en Russie ou même en Italie, avaient beaucoup de difficulté à laisser partir leur enfant à cet âge. A l'époque, on n'avait pas beaucoup de place, et j'ai donc choisi de faire un cursus de quatre ans, de quatorze à dix-huit ans. Cette année, le cursus est toujours de quatre ans, mais je prends aussi des élèves de treize ans, qui ont un talent extraordinaire et peuvent ainsi terminer leur scolarité à dix-sept ans.


Les élèves que vous acceptez sont donc déjà formés quand ils arrivent?

Ce sont des élèves qui ont déjà fait de la danse. Il y a un revers à la médaille. Je les choisis avec déjà un certain niveau, mais ils ont aussi des défauts. Parfois, les professeurs disent que cela aurait été bien si on les avait eus un peu plus jeunes quand ils étaient faciles à modeler. On nous a beaucoup reproché de prendre des gens avec des qualités. Chez nous, ce serait plus facile qu'ailleurs... Mais on oublie qu'il y a un énorme travail derrière. Il ne s'agit pas uniquement de prendre un élève qui sait tout faire. Nous prenons certes des gens avec des qualités et du talent, mais la formation que nous leur donnons implique aussi de changer certaines choses. Finalement, c'est beaucoup plus compliqué que de prendre quelqu'un qui n'a jamais fait de la danse et à qui on donne le premier pli.


Les élèves suivent-ils une formation académique en parallèle?

Oui, tout à fait. J'ai fait un choix inspiré de mon propre parcours. Quand je suis arrivé à New York, c'était un peu difficile. Je ne parlais pas anglais, il me fallait changer d'école. Être inscrit dans une école pour être inscrit dans une école ne sert à rien. J'ai instauré un formule différente, qui est horriblement difficile à organiser : chaque élève de notre école étudie dans sa langue. Cela veut dire que que chaque élève est inscrit dans une école de son pays. On a des tuteurs de chaque pays qui les aident à suivre leur cursus et ils passent les examens quand ils rentrent chez eux. Faute de place, ils n'ont pas le matin école et l'après-midi danse comme dans beaucoup d'endroits. Les choses sont organisées différemment. Ils peuvent faire par exemple deux heures de danse, puis deux heures de maths, etc... Dans une journée, il y a un minimum de trois heures trente de danse classique, plus un minimum d'une heure trente de danse contemporaine – le maximum de cours de danse, c'est six heures –, et le reste du temps est consacré aux études. Après, cela varie d'un jour à l'autre, ils peuvent avoir par exemple du pas de deux, des variations, de la technique, un atelier chorégraphique de composition, un cours de répertoire de Maillot, de Duato, de Mats Ek...


Combien avez-vous d'élèves actuellement?

Nous avons quarante et un élèves. Chaque niveau comprend cinq élèves au minimum et huit élèves au maximum. En dernière année, par exemple, j'ai cinq filles et un garçon. Le garçon travaille dans une classe de six autres garçons – la classes des garçons dits « avancés » –, mais il n'y a que lui qui passe le diplôme.


De quelles origines sont vos élèves?

On a quatorze pays différents représentés. Cette année, on en a du Brésil, de l'Italie, de la France, de l'Espagne, de l'Amérique, de la Belgique, du Mexique, de la Chine, du Japon, d'Israël, de Chypre, de la Corée.


Bénéficient-ils de bourses pour étudier à l'Académie?

L'école est privée et payante. Ce qui se passe, c'est que j'essaye de trouver des bourses pour les élèves. On a pour cela des fondations qui aident les élèves. La plus grande partie de nos élèves sont effectivement boursiers, mais je n'ai jamais pris un élève pour l'argent qu'il apportait à l'école. Seul le talent compte. Si je vois un élève qui a beaucoup de talent et n'a pas les moyens, je ferai tout mon possible pour le faire venir et trouver des subventions.


A combien s'élève le coût d'une année scolaire à l'Académie?

13000 euros : 6500 euros pour l'internat et la cantine, 6500 pour l'enseignement.


Bien entendu, ils sont tous internes...

Cela fait même partie de leur formation. Ils sont logés là où se trouve notre Académie, dans la Villa Singer. Les chambres occupent les trois derniers étages du bâtiment. Au dernier étage, il y a les filles les plus âgées. Au - 2, ce sont les garçons, et au - 1, les filles les plus jeunes. Le reste est occupé par la cantine, les studios de danse, les bureaux, les salles de classe....


Vous dites que l'école n'enseigne pas un style particulier?

Le style et le système, ce sont déjà deux choses différentes. Nous avons des professeurs venus d'horizons différents. Michel Rahn, qui était mon co-directeur et maître de ballet à Toulouse, a personnellement travaillé avec Balanchine, il a aussi beaucoup travaillé avec Kylian et il a une formation russe. Encore une fois, ce qu'on essaye d'inculquer à un élève, c'est une façon de bouger qui lui permette de s'intégrer rapidement dans le style d'une compagnie. J'ai une élève japonaise de quinze ans qui a été invitée cette année à danser un rôle de soliste au Mariinsky. Elle n'a pas du tout le style Vaganova, mais il n'empêche qu'elle a été invitée. J'ai fait ce choix compte tenu du nombre d'élèves et de leurs origines. Nous avons quarante et un élèves étrangers, venus de quarante et une écoles différentes. Ce serait très difficile de les plonger tout d'un coup dans un système spécifique. En quatre ans, ce serait même impossible. L'idée, c'est d'ouvrir leur esprit. Si jamais on a un professeur invité de l'Académie Vaganova ou de l'Opéra de Paris, ils doivent arriver à suivre. C'est différent évidemment d'une formation dite « école française » ou « école américaine ». Personnellement, j'ai fait quatre ans à la Scala, où l'on enseigne l'école russe, puis à la School of American Ballet, où c'est l'école de Balanchine. A Monaco, du temps de Marika, c'était à nouveau l'école russe – elle enseignait plus ou moins les classes de Pouchkine, avec un peu d'influence danoise. Cela ne m'a pas pénalisé. Je dirais même que cette ouverture m'a aidé. Ensuite, j'ai dansé du Balanchine, du Noureev, de nombreux autres chorégraphes... Quoi qu'il en soit, en quatre ans, il est difficile de procéder autrement. La grande majorité des élèves que je prends n'ont peut-être pas toutes les qualités, mais ils en ont d'autres, comme la dynamique, l'expressivité... Pour certains élèves, il sera difficile d'intégrer certaines compagnies, mais ils pourront toujours trouver une place dans d'autres. En ce moment [nous faisons cette interview dans la salle du Palais Garnier, pendant que les élèves prennent la classe sur la scène, ndlr.], vous voyez des élèves de quatorze ans et des élèves de dix-huit ans qui suivent la même classe, et c'est cela que j'aime.

Si l'on doit définir la spécificité de cette école, je dirais donc que c'est le professionnalisme. C'est ce qui m'intéresse le plus, avec l'apprentissage des valeurs humaines. Quand j'étais maître de ballet à Toulouse, je me souviens, je voyais des danseurs à qui il manquait la passion, l'ambition, et qui, à vingt ans, étaient déjà comme des gens de quarante ans. Quand je me suis retrouvé à la tête de cette école, j'ai voulu transmettre aux jeunes ces valeurs-là. Pour moi, le plus important, c'est cela : avoir le temps de travailler avec chaque individu personnellement. C'est incroyable d'ailleurs. Moi j'ai fait trois grandes écoles de ballet, mais je n'y étais pas beaucoup plus qu'un numéro.


Les élèves engagés terminent-ils tous leur cursus?

En sept ans, il y a au maximum huit ou neuf personnes qui n'ont pas terminé leur cursus. Ce n'est pas énorme.


Vers quelles compagnies se dirigent les élèves une fois diplômés?

En tout, nous avons eu six élèves qui sont entrés aux Ballets de Monte-Carlo. Pour la France, nous en avons envoyé au Ballet de Nice et au Ballet du Capitole. En Allemagne, au Bayerisches Staatsballett, à la Dresden-Frankfurt Dance Company [ex-Forsythe Company, ndlr.], dans la compagnie de Goyo Montero à Nuremberg. Nous avons également des élèves qui ont intégré le Royal Ballet de Londres, l'English National Ballet, le NDT, le Ballet de Zurich, le Ballet de Dortmund, le Ballet de Hongrie, le Scottish Ballet, le Ballet royal de Suède, le Ballet de Norvège, le Pittsburgh Ballet aux États-Unis... Il y a là aussi bien des compagnies classiques que des compagnies plus petites ou plus contemporaines.

Pour les Ballets de Monte-Carlo, c'est parfois difficile et je peux le comprendre. Jean-Christophe cherche des gens qui sont très mûrs et ce n'est pas évident pour de si jeunes élèves. Ce n'est pas une question de qualité de travail, mais pour intégrer les Ballets de Monte-Carlo, il faut avoir une certaine maturité. Jean-Christophe veut aussi des gens qui correspondent au répertoire. Il veut voir des gens capables de transformer le produit qu'il leur donne. Cette année, je suis très content, car nous avons Katrin Schrader qui va intégrer les Ballets de Monte-Carlo. On va également bientôt voir Daniele Delvecchio, ancien élève de l'Académie, dans L'Enfant et les Sortilèges, la nouvelle création de Jeroen Verbruggen [du 21 au 24 juillet 2016, ndlr.]. Il y a également Kaori Tajima, et maintenant Katrin qui rejoint la compagnie à partir du 29 juin. Elle va faire la tournée avec eux et sera titularisée l'année prochaine.


Quelle place occupent les compétitions internationales dans la vie et le rayonnement de l'Académie Princesse Grace?

En tant que membre du jury, je ne fais qu'une seule compétition : le Youth America Grand Prix. La raison en est simple. Lorsque j'ai dû recruter des élèves la première année, je ne disposais pas vraiment d'un budget me permettant de parcourir le monde entier. Le Youth America Grand Prix m'a contacté et invité à être membre du jury de la compétition. C'est là que je me suis rendu compte que c'était un énorme marché pour recruter des élèves. J'ai recruté 50% de mes élèves grâce au YAGP. Je refuse tous les autres concours, sauf le concours de Varna, qui est comme les Jeux Olympiques de la danse, et dont j'ai été membre du jury il y a deux ans, et le Prix de Lausanne. L'Académie est d'ailleurs devenue école partenaire du Prix cette année. J'ai aussi eu la chance d'en être membre du jury. Je suis invité dans d'autres concours, en Italie ou en France, mais je ne les fais pas.

Pour ce qui est des élèves, le seul concours que je leur fais faire, c'est le Prix de Lausanne. J'ai amené trois élèves à Lausanne ces dernières années – David Navarro Yudes, Mikio Kato et Rina Kanehara –, parce qu'ils n'avaient pas l'âge requis pour les auditions. Les élèves que je présente sont des élèves que j'ai pris à treize ans et qui obtiennent leur diplôme à dix-sept ans. Le Prix de Lausanne leur permet de se montrer en scène, de gagner et d'être engagé quelque part. C'est beaucoup plus simple pour eux que d'aller faire une classe dans une compagnie. A l'âge qu'ils ont, les compagnies ne sont pas forcément intéressées, car ils sont un peu jeunes, ils n'ont pas tout à fait terminé leur croissance... Il y a trois ans, grâce à Lausanne, David a été invité au Royal Ballet. J'ai alors appelé le directeur pour être certain qu'il l'acceptait non pas seulement parce qu'il avait gagné le Prix de Lausanne, mais aussi parce qu'il était un minimum intéressé par lui. Il a été très honnête. Il le trouvait certes un peu petit, mais bon, aujourd'hui, il danse des rôles de soliste. Honnêtement, je n'amènerais pas d'élèves au Prix si je n'étais pas sûr qu'ils se fassent remarquer et gagnent quelque chose. Je le fais pour qu'ils aient la possibilité de se montrer. Naturellement, ils montrent aussi le travail que l'on fait tous les jours à l'école, mais je ne le fais pas non plus pour ma gloire personnelle ou pour celle de l'école. On reste assez humbles là-dessus. On essaye d'être très présent sur les réseaux sociaux. Quand on cherche une école ou une université pour son enfant, la première chose que l'on fait, c'est d'aller sur Internet. Il faut donc que les parents puissent savoir ce que l'on fait. Cette année, j'avais la possibilité de présenter un autre élève, Wictor Hugo Pedroso, qui va danser la Tarentelle, à Lausanne. Avec l'expérience que j'ai, honnêtement, je sais qu'il aurait eu la possibilité de gagner une bourse. Par rapport au niveau que j'ai vu, il y avait en tout cas 90% de chances pour que ce soit le cas. Je ne l'ai pas fait, parce que j'étais dans le jury. J'aurais pu le faire – Nikolaï Tsiskaridze, par exemple, avait deux de ses élèves dans la sélection –, mais je ne voulais pas. L'année prochaine, il y aura normalement une fille, qui danse la Tarentelle dans le spectacle, que je suis depuis l'âge de quatorze ans. Je suis parallèlement en contact avec des directeurs de compagnies. J'envoie des photos et des vidéos des élèves pour voir s'ils sont intéressés et pour qu'ils aient la possibilité d'être engagés quand ils en auront l'âge.


Pouvez-vous nous parler de Mei Nagahisa, l'une de vos élèves qui a été invitée au Mariinsky?

C'est très simple. Elle a participé en juillet dernier à un stage d'été à Southland, près de Los Angeles. Je préfère que les élèves aillent voir un peu ailleurs durant l'été. Sa mère m'avait demandé conseil et on avait trouvé ce stage qui était très bien. Youri Fateev [directeur du Ballet du Mariinsky, ndlr.] y donnait des cours. Il lui a fait quelques corrections. On m'a contacté pour en savoir plus à son sujet. A la fin du stage, elle a dansé la variation du Talisman, qu'on avait travaillée ici à l'école. J'ai revu Youri lors de la tournée du Mariinsky au Japon en octobre dernier. Il m'en a reparlé, il était très intéressé, il voulait la prendre dans la compagnie. Pour lui, elle avait quelque chose de spécial, quelque chose de rare. Je lui ai répondu que ce n'était pas à moi de décider et qu'elle était simplement un peu jeune. On en a parlé avec Mei, qui, évidemment, était ravie ! Le Mariinsky nous a ensuite invités à assister au festival. L'idée, c'était qu'elle voit un peu la compagnie, qu'elle découvre la Russie. Deux semaines avant, Youri m'appelle et me dit : « Écoute, j'ai une idée un peu folle. Et si elle dansait le rôle de Manou dans La Bayadère ? ». Vous savez que dans le rôle de Manou, il y a également deux petites filles de l'école. Bêtement, je pensais qu'il s'agissait d'être l'une de ces petites filles. J'étais évidemment d'accord. Quand il m'a envoyé la vidéo, je lui ai demandé si elle devait faire la fille de droite ou la fille de gauche. Et il me répond que c'est la fille du milieu ! Je l'ai accompagnée pendant les dix jours de répétition, elle a travaillé avec les professeurs du Mariinsky, et quand je l'ai vue apparaître dans ce théâtre, avec tout le corps de ballet derrière elle qui la regardait, j'étais halluciné devant son sang-froid. Youri était enchanté aussi. Maintenant, elle est revenue à Monaco et elle va passer à nouveau une semaine fin juillet au Mariinsky. En juin 2017, elle aura un contrat avec le Mariinsky. Par le passé, il y a eu Diana Vishneva qui a dansé un rôle de soliste [le rôle de Kitri, ndlr.] alors qu'elle était encore élève de l'Académie Vaganova, mais là, c'est la première fois dans l'histoire qu'une élève qui n'est pas de Vaganova danse un rôle au Mariinsky, même si ce n'est pas un grand rôle. Après, il faut bien sûr qu'elle apprenne le style. Quand on voit les filles dans le corps de ballet, elles font trois pas, toutes de la même manière. C'est normal, ils font ça depuis qu'ils ont dix ans. Après, je ne pense pas qu'elle va faire beaucoup de corps de ballet. Dans une interview à la télévision russe, Youri parlait déjà de Giselle et de Juliette. Mais les Russes sont habitués à ça. Olga Smirnova a tout de suite eu des rôles de soliste quand Serguei Filin l'a engagée au Bolchoï. De mon côté, si ç'avait été juste pour la prendre dans le corps de ballet, je lui aurais dit non. Elle se serait noyée dans la masse. Ce qui est important, c'est qu'il a vu que cette fille possède quelque chose de spécial, elle a une lumière que tout le monde n'a pas.


C'est quelque chose que vous aviez décelé aussi chez elle?

Oui,et de toute façon, je ne prends que des élèves qui ont « quelque chose ». Cette année, j'ai une élève brésilienne qui va passer son diplôme et je me souviens que quand je l'ai recrutée – c'était au Brésil lors d'une audition avec des directeurs de grandes écoles européennes –, personne ne comprenait. On me disait qu'elle était petite, qu'elle n'avait pas un joli pied, qu'elle n'avait pas la ligne d'une danseuse... Mais moi, dans cette classe de deux cents élèves, je ne regardais qu'elle. C'est important ! Résultat, je lui ai fait sauter une classe et elle passe son diplôme après trois ans. Elle a été engagée au Ballet royal de Suède. Johannes Öhman [directeur du Ballet royal de Suède, ndlr.] est venu en septembre voir les élèves et au bout de cinq secondes à la barre, il l'avait repérée !


Pouvez-vous nous parler du programme du spectacle de l'Académie?

La première partie présente trois Tarentelles. La première, Un Piccola Tarentella, est signée de Michel Rahn, qui m'aide à faire des chorégraphies qui impliquent toute l'école. Cette Tarentelle rassemble donc tous les élèves, mais ce n'est pas pour autant un défilé. Ensuite, il y a la Tarentelle de Balanchine. Pour terminer, on présente Tarentisms, une tarentelle à la fois plus paysanne et plus contemporaine, chorégraphiée par Bruno Roque, un danseur des Ballets de Monte-Carlo qui a déjà chorégraphié et pour l'école et pour la compagnie. La deuxième partie présente une pièce d'Eugenio Buratti, un chorégraphe italien qui, depuis cinq ans, donne le cours de contemporain à l'Académie. Je lui avais déjà commandé une chorégraphie il y a deux ans et cette année, il fait donc In-bilico qui utilise presque la moitié de l'effectif. La troisième partie présente trois Gnossiennes et Un Ballo de Kylian. Au début, je voulais faire celle de Han van Manen, mais ça n'a pas été possible, faute de temps. La première, Elles, est signée de Julien Guérin, danseur et chorégraphe des Ballets de Monte-Carlo, la seconde, Hold fast, for if, de Jeroen Verbruggen, ancien danseur des Ballets de Monte-Carlo maintenant chorégraphe, et la troisième, K3, de Bruno Roque. On finit avec Un Ballo de Kylian. La construction du spectacle a été difficile, mais finalement, je suis content : on commence avec toute l'école et on termine avec un ballet très difficile de Kylian. L'idée est de montrer la qualité du travail de l'école, qui, pour moi, est déjà un peu plus qu'une école, et le professionnalisme des élèves, comme dans une jeune compagnie.


Vous n'avez pas souhaité intégré des pièces ou des pas de deux classiques?

C'est un programme que j'ai modifié plusieurs fois pour différentes raisons. Maintenant, quand je le regarde, je me dis qu'il aurait peut-être fallu un peu plus de classique, mais il est sorti comme ça et ça me va très bien. S'il y a un peu moins de classique cette année, ce n'est pas parce que les élèves ne peuvent pas le faire, c'est parce qu'on a dû changer plusieurs fois. Certains chorégraphes devaient venir, puis ils ont annulé, etc... Après, je n'aime pas trop non plus le côté « gala ». Je le ferai dans trois ans pour mes dix ans à la tête de l'école. Je ferai venir aussi d'anciens élèves qui travaillent maintenant dans des compagnies. On fera un vrai gala avec Don Quichotte, Le Corsaire... Mais je trouve plus intéressant de faire une vraie soirée de danse, pour un public qui ne vient pas voir le spectacle de fin d'année d'une école ou son enfant danser. J'ai horreur de ça.


Les spectacles ne se ressemblent pas d'une année sur l'autre?

Pas du tout. J'aime bien travailler tous les deux ans sur un ballet classique. L'année dernière par exemple, c'était Le Lac des cygnes. L'idée était de partir de la musique de Tchaïkovsky pour raconter une histoire qui n'a rien à voir. L'an dernier, ça racontait l'histoire d'un élève qui entrait dans une école et en ressortait danseur professionnel quatre ans après. Il y avait des textes lus par les élèves et des extraits de ballets de Mats Ek, de Petipa, de Jean-Christophe Maillot, de Marco Goecke. L'année prochaine, le spectacle sera construit autour de Roméo et Juliette. Je vais voir avec Jean-Christophe Maillot et d'autres chorégraphes ce que je peux faire là-dessus. Je vais aussi essayer d'avoir des créations pour voir comment les élèves réagissent au travail d'un chorégraphe et comment, dans le même temps, le chorégraphe peut s'inspirer d'eux. Cette année, on en a eu six et ça a bien marché.


Pour finir, y a-t-il des échanges entre l'Académie Princesse Grace et d'autres écoles professionnelles?

Jusqu'à présent, c'était un peu difficile, mais j'y pense de plus en plus. Ma priorité, en arrivant à Monaco, c'était d'abord de créer une équipe enseignante. J'ai gardé deux professeurs d'avant, mais j'en ai fait venir d'autres, de partout. Tous ces gens ont été d'abord danseurs : Roland Vogel était principal au Ballet de Stuttgart, Thierry Sette, soliste au ballet de Stuttgart, Michel Rahn a été à Genève et chez Kylian, Gioia Masala aux Ballets de Monte-Carlo et au Ballet Royal de Flandres, Olivier Lucea à Munich, chez Duato et à Zürich, Carole Pastorel aux Ballets de Monte-Carlo... Il était important que je passe du temps avec eux. On m'a nommé, j'avais seulement trente-sept ans. Ce n'est pas évident de diriger une école. Ce n'est pas simplement faire le programme d'un spectacle ou faire en sorte que les élèves mangent et dorment bien. C'est une responsabilité énorme. Donc j'ai voulu consolider l'équipe, car il était important pour moi de les garder ici. On a tous eu une carrière et il faut respecter cela. On n'impose pas des choses aux gens et il nous a donc fallu trouver une forme d'entente collective, un accord sur le plan pédagogique. Maintenant, je pense que des échanges avec d'autres écoles sont possibles. Je suis en train de le faire avec la Russie, non pas avec l'Académie Vaganova, mais avec l'école de Boris Eifman, qui est une personne extraordinaire. Il essaye de ramener en Russie les trésors d'ailleurs comme les Russes ont amené ailleurs leurs trésors. J'aimerais bien travailler aussi avec Jason Beechey à Dresde et avec d'autres écoles également. Malheureusement, on ne garde pas toujours les contacts, car les directeurs d'école changent assez vite. Il n'est pas prévu d'échanges d'élèves et c'est avant tout pour que les professeurs puissent voir un peu autre chose.




Propos recueillis par Bénédicte Jarrasse

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Académie Princesse Grace
La Villa Singer dite aussi Villa Casa Mia, siège de l'Académie Princesse Grace





Programme du Gala 2016 de l'Académie Princesse Grace
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1ère partie

Una Picolla tarentella (création)
Musique : Camille Saint-Saëns
Chorégraphie : Michel Rahn

Tarentella
Musique : Louis Moreau Gottschalk
Chorégraphie : George Balanchine

Tarentisms
Musique : Kalascima 
Chorégraphie : Bruno Roque
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2ème partie

In-Bilico (création)
Musique : Alva Noto
Chorégraphie : Eugenio Buratti
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3ème partie

Elles (création)
Musique : Erik Satie (Gnossienne n°1)
Chorégraphie : Julien Guérin

Hold fast, for if
(création)
Musique : Erik Satie (Gnossienne n°4)
Chorégraphie : Jeroen Verbruggen

K3 (création)
Musique : Erik Satie (Gnossienne n°3)
Chorégraphie : Bruno Roque

Un Ballo
Musique : Maurice Ravel
Chorégraphie : Jiří Kylián













Entretien réalisé le 25 juin 2016 - Luca Masala © 2016, Dansomanie


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