Quels
étaient vos liens avec
l'Académie Princesse Grace avant d'en
devenir directeur en 2009?
J'ai
été élève de
l'Académie durant une année.
J'ai commencé ma formation de danseur à la Scala
de Milan, où je
suis resté durant quatre ans. J'ai
étudié par la suite à la
School of American Ballet et j'ai terminé ma formation
à l'Académie
Princesse Grace, dont je suis sorti diplômé en
1989. J'ai fait
toute ma carrière à
l'étranger : au Ballet royal de Flandres,
au Ballet national de Nancy, au Bayerisches Staatsballett de Munich,
au Staatstheater de Wiesbaden, et enfin au Ballet du Capitole de
Toulouse. Mon souhait a toujours été, une fois ma
carrière
terminée, de diriger une compagnie. Au bout de vingt ans de
carrière, j'ai commencé à prendre
contact avec différents
directeurs, comme Reid Anderson ou John Neumeier, non pas pour leur
demander du travail, mais pour parler avec eux de leur
expérience.
J'ai également écrit à Jean-Christophe
Maillot pour lui parler de
mes envies. Je trouvais qu'il avait beaucoup de talent et j'admirais
ce qu'il avait pu construire à Monaco :
ça m'intéressait donc
de le rencontrer pour parler et écouter ce qu'il avait
à dire de
son expérience. En 2009, il se trouve qu'on lui a
demandé de
diriger l'Académie Princesse Grace, chose qu'il n'avait pas
le temps
de faire. Il lui fallait trouver quelqu'un pour reprendre le poste.
C'est là qu'il m'a appelé. C'est comme
ça qu'on s'est vraiment
connus. J'ai compris qu'ils avaient besoin de quelqu'un qui pouvait
se consacrer corps et âme à cette
école, qui, à l'époque,
était
un peu fragile, pour la reconstruire et lui redonner une
fraîcheur
qu'elle n'avait plus. Depuis 2009, je la dirige et je pense qu'elle a
bien gagné en prestige dans le monde.
Dans
quelle situation avez-vous trouvé l'Académie
Princesse Grace,
longtemps dirigée par Marika Besobrasova, à votre
arrivée?
Disons que
l'école était fragilisée. Non pas au
sens
où elle était en mauvais état, mais au
sens où elle était un peu old-fashioned,
un peu fermée par rapport à ce que les
directeurs de compagnies demandent aujourd'hui. L'enseignement
était
évidemment de qualité, mais il fallait ouvrir les
portes, pour se
mettre au niveau des exigences des compagnies. La danse classique y
occupe toujours une place très importante, mais on a aussi
un
enseignement de danse contemporaine. C'est pour ça qu'on a
des
élèves qui entrent aussi bien au Royal Ballet de
Londres qu'aux
Ballets de Monte-Carlo ou au NDT.
Concrètement,
qu'avez-vous apporté de neuf à
l'Académie depuis 2009?
Pour ce qui est
de la structure, on a construit des
chambres, des studios... Le dernier studio est d'ailleurs
bientôt
terminé. On a également renouvelé une
grande partie de l'équipe
enseignante. J'ai gardé deux professeurs de
l'époque de Marika et
en ai engagé de nouveaux. Il y a aussi eu un renouvellement
complet
au niveau des élèves. Toute l'année,
je parcours le monde, je vois
entre sept et huit mille élèves. Un autre gros
changement a été
de ne prendre que des élèves dont je pense qu'ils
ont un avenir
dans la danse. Si une année, j'ai trente
élèves, j'ai trente
élèves, même si l'école a
cinquante places à offrir. Je ne
prends pas des élèves pour combler un effectif,
comme c'est le cas
dans la plupart des écoles, notamment dans les
écoles
subventionnées par l’État. On a la
chance de pouvoir faire ça
ici. Je n'ai rien contre la danse amateur, mais je pense qu'il est
important que les parents sachent où envoyer leurs enfants,
selon
qu'ils veulent juste prendre quelque cours de danse ou en faire leur
métier. Notre discours est assez honnête
là-dessus. Après, on
n'essaye pas de recruter un seul type d'élève,
répondant à un
seul critère. Dans l'école, nous avons des
élèves qui sont assez
petits, d'autres qui sont très grands, des
élèves plutôt faits
pour tel genre de compagnie, des élèves
plutôt faits pour tel
autre. Avec Jean-Christophe, on fait justement très
attention à ce
que ce ne soit pas l'école des Ballets de Monte-Carlo, une
école
qui ne formerait que des élèves
destinés à intégrer cette
compagnie. Cela serait très frustrant pour eux. Chaque
année, il
n'y a d'ailleurs pas dix contrats qui se libèrent dans une
compagnie. Si leur but est d'intégrer une compagnie et
qu'à la fin,
il n'y a pas de place, ils ont la sensation d'avoir perdu quelque
chose, même si ce n'est pas le cas.
Pour ce qui de
l'enseignement, on a changé pas mal de
choses. Avant 2009, l'enseignement était
délivré par Marika
Besobrasova. Elle avait ses classes écrites. Mais en tant
qu'ancien
élève, je me rends compte que l'enseignement de
Marika, c'était
d'abord Marika. Elle faisait faire des exercices qui sont toujours
très valables, mais l'enseignement, c'était elle,
avec ses yeux, sa
façon de corriger, de parler... Quand j'étais
élève, cela
marchait très bien. Après, naturellement, quand
une personne
commence à vieillir, il devient plus difficile de voir
certaines
choses. Aujourd'hui, je ne peux pas dire que l'Académie a un
style
particulier – Vaganova, Balanchine ou un autre...
–, et je n'ai
d'ailleurs pas cette ambition. Le style de l'Académie, c'est
simplement le système qui marche, c'est-à-dire
que quand j'ai un
élève qui entre à
l'Académie, l'idée est qu'il doit sortir avec
un contrat, et là-dessus, j'ai 100% de réussite.
On a un élève
devant nous et on doit faire en sorte que celui-ci puisse s'en sortir
en tant que professionnel.
Comment
est organisé le cursus à
l'Académie?
Le cursus dure
quatre ans. Il faut tenir compte du fait
qu'on est dans un micro-pays. Si on était à
Paris, ce serait
évidemment beaucoup plus facile d'avoir des petits
élèves de dix
ou douze ans. A Monaco, c'est plus difficile. Quand j'ai
commencé à
voyager dans le monde pour recruter des élèves,
je me suis rendu
compte que les familles, que ce soit en Amérique, en Russie
ou même
en Italie, avaient beaucoup de difficulté à
laisser partir leur
enfant à cet âge. A l'époque, on
n'avait pas beaucoup de place, et
j'ai donc choisi de faire un cursus de quatre ans, de quatorze
à
dix-huit ans. Cette année, le cursus est toujours de quatre
ans,
mais je prends aussi des élèves de treize ans,
qui ont un talent
extraordinaire et peuvent ainsi terminer leur scolarité
à dix-sept
ans.
Les
élèves que vous acceptez sont donc
déjà formés quand ils
arrivent?
Ce sont des
élèves qui ont déjà fait de
la danse. Il
y a un revers à la médaille. Je les choisis avec
déjà un certain
niveau, mais ils ont aussi des défauts. Parfois, les
professeurs
disent que cela aurait été bien si on
les avait eus un peu
plus jeunes quand ils étaient faciles à modeler.
On nous a beaucoup
reproché de prendre des gens avec des qualités.
Chez nous, ce
serait plus facile qu'ailleurs... Mais on oublie qu'il y a un
énorme
travail derrière. Il ne s'agit pas uniquement de prendre un
élève
qui sait tout faire. Nous prenons certes des gens avec des
qualités
et du talent, mais la formation que nous leur donnons implique aussi
de changer certaines choses. Finalement, c'est beaucoup plus
compliqué que de prendre quelqu'un qui n'a jamais fait de la
danse
et à qui on donne le premier pli.
Les
élèves suivent-ils une formation
académique en parallèle?
Oui, tout
à fait. J'ai fait un choix inspiré de mon
propre parcours. Quand je suis arrivé à New York,
c'était un peu
difficile. Je ne parlais pas anglais, il me fallait changer
d'école.
Être inscrit dans une école pour être
inscrit dans une école ne
sert à rien. J'ai instauré un formule
différente, qui est
horriblement difficile à organiser : chaque
élève de notre
école étudie dans sa langue. Cela veut dire que
que chaque élève
est inscrit dans une école de son pays. On a des tuteurs de
chaque
pays qui les aident à suivre leur cursus et ils passent les
examens
quand ils rentrent chez eux. Faute de place, ils n'ont pas le matin
école et l'après-midi danse comme dans beaucoup
d'endroits. Les
choses sont organisées différemment. Ils peuvent
faire par exemple
deux heures de danse, puis deux heures de maths, etc... Dans une
journée, il y a un minimum de trois heures trente de danse
classique, plus un minimum d'une heure trente de danse contemporaine
– le maximum de cours de danse, c'est six heures –,
et le reste
du temps est consacré aux études.
Après, cela varie d'un jour à
l'autre, ils peuvent avoir par exemple du pas de deux, des
variations, de la technique, un atelier chorégraphique de
composition, un cours de répertoire de Maillot, de Duato, de
Mats
Ek...
Combien
avez-vous d'élèves actuellement?
Nous avons
quarante et un élèves. Chaque niveau
comprend cinq élèves au minimum et huit
élèves au maximum. En
dernière année, par exemple, j'ai cinq filles et
un garçon. Le
garçon travaille dans une classe de six autres
garçons – la
classes des garçons dits
« avancés »
–, mais il n'y a
que lui qui passe le diplôme.
De
quelles origines sont vos élèves?
On a quatorze
pays différents représentés. Cette
année, on en a du Brésil, de l'Italie, de la
France, de l'Espagne,
de l'Amérique, de la Belgique, du Mexique, de la Chine, du
Japon,
d'Israël, de Chypre, de la Corée.
Bénéficient-ils
de bourses pour étudier à l'Académie?
L'école
est privée et payante. Ce qui se passe, c'est
que j'essaye de trouver des bourses pour les
élèves. On a pour cela
des fondations qui aident les élèves. La plus
grande partie de nos
élèves sont effectivement boursiers, mais je n'ai
jamais pris un
élève pour l'argent qu'il apportait à
l'école. Seul le talent
compte. Si je vois un élève qui a beaucoup de
talent et n'a pas les
moyens, je ferai tout mon possible pour le faire venir et trouver des
subventions.
A
combien s'élève le coût d'une
année scolaire à l'Académie?
13000
euros : 6500 euros pour l'internat et la
cantine, 6500 pour l'enseignement.
Bien
entendu, ils sont tous internes...
Cela fait
même partie de leur formation. Ils sont logés
là où se trouve notre Académie, dans
la Villa Singer. Les chambres
occupent les trois derniers étages du bâtiment. Au
dernier étage,
il y a les filles les plus âgées. Au - 2, ce sont
les garçons, et
au - 1, les filles les plus jeunes. Le reste est occupé par
la
cantine, les studios de danse, les bureaux, les salles de classe....
Vous
dites que l'école n'enseigne pas un style particulier?
Le style et le
système, ce sont déjà deux choses
différentes. Nous avons des professeurs venus d'horizons
différents.
Michel Rahn, qui était mon co-directeur et maître
de ballet à
Toulouse, a personnellement travaillé avec Balanchine, il a
aussi
beaucoup travaillé avec Kylian et il a une formation russe.
Encore
une fois, ce qu'on essaye d'inculquer à un
élève, c'est une façon
de bouger qui lui permette de s'intégrer rapidement dans le
style
d'une compagnie. J'ai une élève japonaise de
quinze ans qui a été
invitée cette année à danser un
rôle de soliste au Mariinsky.
Elle n'a pas du tout le style Vaganova, mais il n'empêche
qu'elle a
été invitée. J'ai fait ce choix compte
tenu du nombre d'élèves
et de leurs origines. Nous avons quarante et un
élèves étrangers,
venus de quarante et une écoles différentes. Ce
serait très
difficile de les plonger tout d'un coup dans un système
spécifique.
En quatre ans, ce serait même impossible. L'idée,
c'est d'ouvrir
leur esprit. Si jamais on a un professeur invité de
l'Académie
Vaganova ou de l'Opéra de Paris, ils doivent arriver
à suivre.
C'est différent évidemment d'une formation dite
« école
française » ou
« école
américaine ».
Personnellement, j'ai fait quatre ans à la Scala,
où l'on enseigne
l'école russe, puis à la School of American
Ballet, où c'est
l'école de Balanchine. A Monaco, du temps de Marika,
c'était à
nouveau l'école russe – elle enseignait plus ou
moins les classes
de Pouchkine, avec un peu d'influence danoise. Cela ne m'a pas
pénalisé. Je dirais même que cette
ouverture m'a aidé. Ensuite, j'ai dansé du
Balanchine, du Noureev, de nombreux autres
chorégraphes... Quoi qu'il en soit, en quatre ans, il est
difficile
de procéder autrement. La grande majorité des
élèves que je
prends n'ont peut-être pas toutes les qualités,
mais ils en ont
d'autres, comme la dynamique, l'expressivité... Pour
certains
élèves, il sera difficile d'intégrer
certaines compagnies, mais
ils pourront toujours trouver une place dans d'autres. En ce moment
[nous faisons cette interview dans la salle du Palais Garnier,
pendant que les élèves prennent la classe sur la
scène, ndlr.],
vous voyez des élèves de quatorze ans et des
élèves de dix-huit
ans qui suivent la même classe, et c'est cela que j'aime.
Si l'on doit
définir la spécificité de cette
école,
je dirais donc que c'est le professionnalisme. C'est ce qui
m'intéresse le plus, avec l'apprentissage des valeurs
humaines.
Quand j'étais maître de ballet à
Toulouse, je me souviens, je
voyais des danseurs à qui il manquait la passion,
l'ambition, et
qui, à vingt ans, étaient
déjà comme des gens de quarante ans.
Quand je me suis retrouvé à la tête de
cette école, j'ai voulu
transmettre aux jeunes ces valeurs-là. Pour moi, le plus
important,
c'est cela : avoir le temps de travailler avec chaque individu
personnellement. C'est incroyable d'ailleurs. Moi j'ai fait trois
grandes écoles de ballet, mais je n'y étais pas
beaucoup plus qu'un
numéro.
Les
élèves engagés terminent-ils tous leur
cursus?
En sept ans, il
y a au maximum huit ou neuf personnes
qui n'ont pas terminé leur cursus. Ce n'est pas
énorme.
Vers
quelles compagnies se dirigent les élèves une
fois diplômés?
En
tout, nous avons eu six élèves qui sont
entrés aux
Ballets de Monte-Carlo. Pour la France, nous en avons envoyé
au
Ballet de Nice et au Ballet du Capitole. En Allemagne, au Bayerisches
Staatsballett, à la Dresden-Frankfurt Dance Company
[ex-Forsythe
Company, ndlr.], dans la compagnie de Goyo Montero à
Nuremberg.
Nous avons
également des élèves qui ont
intégré
le Royal Ballet de Londres,
l'English National Ballet, le NDT, le Ballet de Zurich, le Ballet de
Dortmund, le Ballet de Hongrie, le Scottish Ballet, le Ballet royal
de Suède, le Ballet de Norvège, le Pittsburgh
Ballet aux
États-Unis... Il y a là aussi bien des compagnies
classiques que
des compagnies plus petites ou plus contemporaines.
Pour les Ballets
de Monte-Carlo, c'est parfois difficile
et je peux le comprendre. Jean-Christophe cherche des gens qui sont
très mûrs et ce n'est pas évident pour
de si jeunes élèves. Ce
n'est pas une question de qualité de travail, mais pour
intégrer
les Ballets de Monte-Carlo, il faut avoir une certaine
maturité. Jean-Christophe veut aussi des gens qui
correspondent au répertoire.
Il veut voir des gens capables de transformer le produit qu'il leur
donne. Cette année, je suis très content, car
nous avons Katrin
Schrader qui va intégrer les Ballets de Monte-Carlo. On va
également
bientôt voir Daniele Delvecchio, ancien
élève de l'Académie, dans L'Enfant
et les Sortilèges, la nouvelle création
de Jeroen
Verbruggen [du 21 au 24 juillet 2016, ndlr.]. Il y a
également Kaori
Tajima, et maintenant Katrin qui rejoint la compagnie à
partir du 29
juin. Elle va faire la tournée avec eux et sera
titularisée l'année
prochaine.
Quelle
place occupent les compétitions internationales dans la vie
et le
rayonnement de l'Académie Princesse Grace?
En tant que
membre du jury, je ne fais qu'une seule
compétition : le Youth America Grand Prix. La
raison en est
simple. Lorsque j'ai dû recruter des
élèves la première année,
je ne disposais pas vraiment d'un budget me permettant de parcourir
le monde entier. Le Youth America Grand Prix m'a contacté et
invité
à être membre du jury de la
compétition. C'est là que je me suis
rendu compte que c'était un énorme
marché pour recruter des
élèves. J'ai recruté 50% de mes
élèves grâce au YAGP. Je refuse
tous les autres concours, sauf le concours de Varna, qui est comme
les Jeux Olympiques de la danse, et dont j'ai été
membre du jury il
y a deux ans, et le Prix de Lausanne. L'Académie est
d'ailleurs
devenue école partenaire du Prix cette année.
J'ai aussi eu la
chance d'en être membre du jury. Je suis invité
dans d'autres
concours, en Italie ou en France, mais je ne les fais pas.
Pour ce qui est
des élèves, le seul concours que je
leur fais faire, c'est le Prix de Lausanne. J'ai amené trois
élèves
à Lausanne ces dernières années
– David Navarro Yudes, Mikio
Kato et Rina Kanehara –, parce qu'ils n'avaient pas
l'âge requis
pour les auditions. Les élèves que je
présente sont des élèves
que j'ai pris à treize ans et qui obtiennent leur
diplôme à
dix-sept ans. Le Prix de Lausanne leur permet de se montrer en
scène,
de gagner et d'être engagé quelque part. C'est
beaucoup plus simple
pour eux que d'aller faire une classe dans une compagnie. A
l'âge
qu'ils ont, les compagnies ne sont pas forcément
intéressées, car
ils sont un peu jeunes, ils n'ont pas tout à fait
terminé leur
croissance... Il y a trois ans, grâce à Lausanne,
David a été
invité au Royal Ballet. J'ai alors appelé le
directeur pour être
certain qu'il l'acceptait non pas seulement parce qu'il avait
gagné
le Prix de Lausanne, mais aussi parce qu'il était un minimum
intéressé par lui. Il a été
très honnête. Il le trouvait certes
un peu petit, mais bon, aujourd'hui, il danse des rôles de
soliste.
Honnêtement, je n'amènerais pas
d'élèves au Prix si je n'étais
pas sûr qu'ils se fassent remarquer et gagnent quelque chose.
Je le
fais pour qu'ils aient la possibilité de se montrer.
Naturellement,
ils montrent aussi le travail que l'on fait tous les jours à
l'école, mais je ne le fais pas non plus pour ma gloire
personnelle
ou pour celle de l'école. On reste assez humbles
là-dessus. On
essaye d'être très présent sur les
réseaux sociaux. Quand on
cherche une école ou une université pour son
enfant, la première
chose que l'on fait, c'est d'aller sur Internet. Il faut donc que les
parents puissent savoir ce que l'on fait. Cette année,
j'avais la
possibilité de présenter un autre
élève, Wictor Hugo Pedroso, qui
va danser la Tarentelle, à Lausanne.
Avec l'expérience que
j'ai, honnêtement, je sais qu'il aurait eu la
possibilité de gagner
une bourse. Par rapport au niveau que j'ai vu, il y avait en tout cas
90% de chances pour que ce soit le cas. Je ne l'ai pas fait, parce
que j'étais dans le jury. J'aurais pu le faire –
Nikolaï
Tsiskaridze, par exemple, avait deux de ses
élèves dans la
sélection –, mais je ne voulais pas.
L'année prochaine, il y aura
normalement une fille, qui danse la Tarentelle dans
le spectacle, que je suis depuis l'âge de
quatorze ans. Je
suis parallèlement en contact avec des directeurs de
compagnies.
J'envoie des photos et des vidéos des
élèves pour voir s'ils sont
intéressés et pour qu'ils aient la
possibilité d'être engagés
quand ils en auront l'âge.
Pouvez-vous
nous parler de Mei Nagahisa, l'une de vos élèves
qui a été
invitée au Mariinsky?
C'est
très simple. Elle a participé en juillet dernier
à un stage d'été à
Southland, près de Los Angeles. Je
préfère
que les élèves aillent voir un peu ailleurs
durant l'été. Sa mère
m'avait demandé conseil et on avait trouvé ce
stage qui était très
bien. Youri Fateev [directeur du Ballet du Mariinsky, ndlr.] y
donnait des cours. Il lui a fait quelques corrections. On m'a
contacté pour en savoir plus à son sujet. A la
fin du stage, elle a
dansé la variation du Talisman, qu'on
avait travaillée ici à
l'école. J'ai revu Youri lors de la tournée du
Mariinsky au Japon
en octobre dernier. Il m'en a reparlé, il était
très intéressé,
il voulait la prendre dans la compagnie. Pour lui, elle avait quelque
chose de spécial, quelque chose de rare. Je lui ai
répondu que ce
n'était pas à moi de décider et
qu'elle était simplement un peu
jeune. On en a parlé avec Mei, qui, évidemment,
était ravie !
Le Mariinsky nous a ensuite invités à assister au
festival. L'idée,
c'était qu'elle voit un peu la compagnie, qu'elle
découvre la
Russie. Deux semaines avant, Youri m'appelle et me dit :
« Écoute, j'ai une idée un peu
folle. Et si elle dansait le
rôle de Manou dans La Bayadère ? ».
Vous savez
que dans le rôle de Manou, il y a également deux
petites filles de
l'école. Bêtement, je pensais qu'il s'agissait
d'être l'une de ces
petites filles. J'étais évidemment d'accord.
Quand il m'a envoyé
la vidéo, je lui ai demandé si elle devait faire
la fille de droite
ou la fille de gauche. Et il me répond que c'est la fille du
milieu ! Je l'ai accompagnée pendant les dix jours
de
répétition, elle a travaillé avec les
professeurs du Mariinsky, et
quand je l'ai vue apparaître dans ce
théâtre, avec tout le corps
de ballet derrière elle qui la regardait, j'étais
halluciné devant
son sang-froid. Youri était enchanté aussi.
Maintenant, elle est
revenue à Monaco et elle va passer à nouveau une
semaine fin
juillet au Mariinsky. En juin 2017, elle aura un contrat avec le
Mariinsky. Par le passé, il y a eu Diana Vishneva qui a
dansé un
rôle de soliste [le rôle de Kitri, ndlr.] alors
qu'elle était
encore élève de l'Académie Vaganova,
mais là, c'est la première
fois dans l'histoire qu'une élève qui n'est pas
de Vaganova danse
un rôle au Mariinsky, même si ce n'est pas un grand
rôle. Après,
il faut bien sûr qu'elle apprenne le style. Quand on voit les
filles
dans le corps de ballet, elles font trois pas, toutes de la
même
manière. C'est normal, ils font ça depuis qu'ils
ont dix ans.
Après, je ne pense pas qu'elle va faire beaucoup de corps de
ballet.
Dans une interview à la télévision
russe, Youri parlait déjà de
Giselle et de Juliette. Mais les Russes sont habitués
à ça. Olga
Smirnova a tout de suite eu des rôles de soliste quand
Serguei Filin
l'a engagée au Bolchoï. De mon
côté, si ç'avait
été juste pour
la prendre dans le corps de ballet, je lui aurais dit non. Elle se
serait noyée dans la masse. Ce qui est important, c'est
qu'il a vu
que cette fille possède quelque chose de spécial,
elle a une
lumière que tout le monde n'a pas.
C'est
quelque chose que vous aviez décelé
aussi chez elle?
Oui,et
de toute façon, je ne prends que des
élèves qui ont « quelque
chose ». Cette année, j'ai une
élève brésilienne qui va
passer son diplôme et je me souviens que quand je l'ai
recrutée –
c'était au Brésil lors d'une audition avec des
directeurs de
grandes écoles européennes –, personne
ne comprenait. On me
disait qu'elle était petite, qu'elle n'avait pas un joli
pied,
qu'elle n'avait pas la ligne d'une danseuse... Mais moi, dans cette
classe de deux cents élèves, je ne regardais
qu'elle. C'est
important ! Résultat, je lui ai fait sauter une
classe et elle
passe son diplôme après trois ans. Elle a
été engagée au Ballet
royal de Suède. Johannes Öhman
[directeur du Ballet royal de Suède, ndlr.]
est venu en septembre voir les élèves et au bout
de cinq secondes à
la barre, il l'avait repérée !
Pouvez-vous
nous parler du programme du spectacle de l'Académie?
La
première partie présente trois Tarentelles. La
première, Un Piccola Tarentella,
est signée de Michel Rahn, qui m'aide à faire des
chorégraphies
qui impliquent toute l'école. Cette Tarentelle rassemble
donc tous
les élèves, mais ce n'est pas pour autant un
défilé. Ensuite, il
y a la Tarentelle de Balanchine. Pour terminer, on
présente Tarentisms, une
tarentelle à la fois plus paysanne et plus contemporaine,
chorégraphiée par Bruno Roque, un danseur des
Ballets de
Monte-Carlo qui a déjà
chorégraphié et pour l'école et pour
la
compagnie. La deuxième partie présente une
pièce d'Eugenio
Buratti, un chorégraphe italien qui, depuis cinq ans, donne
le cours
de contemporain à l'Académie. Je lui avais
déjà commandé une
chorégraphie il y a deux ans et cette année, il
fait donc In-bilico
qui utilise presque la moitié de l'effectif. La
troisième partie
présente trois Gnossiennes et Un Ballo
de Kylian. Au début,
je voulais faire celle de Han van Manen, mais ça n'a pas
été
possible, faute de temps. La première, Elles, est
signée de Julien Guérin, danseur et
chorégraphe des
Ballets de Monte-Carlo, la seconde, Hold fast, for if,
de Jeroen Verbruggen, ancien danseur des Ballets de Monte-Carlo
maintenant chorégraphe, et la troisième, K3,
de Bruno Roque.
On finit avec Un Ballo de Kylian. La construction
du spectacle
a été difficile, mais finalement, je suis
content : on
commence avec toute l'école et on termine avec un ballet
très
difficile de Kylian. L'idée est de montrer la
qualité du travail de
l'école, qui, pour moi, est déjà un
peu plus qu'une école, et le
professionnalisme des élèves, comme dans une
jeune compagnie.
Vous
n'avez pas souhaité intégré des
pièces ou des pas de deux
classiques?
C'est un
programme que j'ai modifié plusieurs fois pour
différentes raisons. Maintenant, quand je le regarde, je me
dis
qu'il aurait peut-être fallu un peu plus de classique, mais
il est
sorti comme ça et ça me va très bien.
S'il y a un peu moins de
classique cette année, ce n'est pas parce que les
élèves ne
peuvent pas le faire, c'est parce qu'on a dû changer
plusieurs fois.
Certains chorégraphes devaient venir, puis ils ont
annulé, etc...
Après, je n'aime pas trop non plus le
côté
« gala ».
Je le ferai dans trois ans pour mes dix ans à la
tête de l'école.
Je ferai venir aussi d'anciens élèves qui
travaillent maintenant
dans des compagnies. On fera un vrai gala avec Don Quichotte,
Le Corsaire... Mais je trouve plus
intéressant de faire une
vraie soirée de danse, pour un public qui ne vient pas voir
le
spectacle de fin d'année d'une école ou son
enfant danser. J'ai
horreur de ça.
Les
spectacles ne se ressemblent pas d'une année sur l'autre?
Pas du tout.
J'aime bien travailler tous les deux ans
sur un ballet classique. L'année dernière par
exemple, c'était Le
Lac des cygnes. L'idée était de partir
de la musique de
Tchaïkovsky pour raconter une histoire qui n'a rien
à voir. L'an
dernier, ça racontait l'histoire d'un
élève qui entrait dans une
école et en ressortait danseur professionnel quatre ans
après. Il y
avait des textes lus par les élèves et des
extraits de ballets de
Mats Ek, de Petipa, de Jean-Christophe Maillot, de Marco Goecke.
L'année prochaine, le spectacle sera construit autour de Roméo
et Juliette. Je vais voir avec Jean-Christophe Maillot et
d'autres chorégraphes ce que je peux faire
là-dessus. Je vais aussi
essayer d'avoir des créations pour voir comment les
élèves
réagissent au travail d'un chorégraphe et
comment, dans le même
temps, le chorégraphe peut s'inspirer d'eux. Cette
année, on en a
eu six et ça a bien marché.
Pour
finir, y a-t-il des échanges entre l'Académie
Princesse Grace et
d'autres écoles professionnelles?
Jusqu'à présent,
c'était un peu difficile, mais j'y
pense de plus en plus. Ma priorité, en arrivant à
Monaco, c'était
d'abord de créer une équipe enseignante. J'ai
gardé deux
professeurs d'avant, mais j'en ai fait venir d'autres, de partout.
Tous ces gens ont été d'abord danseurs :
Roland Vogel était
principal au Ballet de Stuttgart, Thierry Sette, soliste au ballet de
Stuttgart, Michel Rahn a été à
Genève et chez Kylian, Gioia
Masala aux Ballets de Monte-Carlo et au Ballet Royal de Flandres,
Olivier Lucea à Munich, chez Duato et à
Zürich, Carole Pastorel
aux Ballets de Monte-Carlo... Il était important que je
passe du
temps avec eux. On m'a nommé, j'avais seulement trente-sept
ans. Ce
n'est pas évident de diriger une école. Ce n'est
pas simplement
faire le programme d'un spectacle ou faire en sorte que les
élèves
mangent et dorment bien. C'est une responsabilité
énorme. Donc j'ai
voulu consolider l'équipe, car il était important
pour moi de les
garder ici. On a tous eu une carrière et il faut respecter
cela. On
n'impose pas des choses aux gens et il nous a donc fallu trouver une
forme d'entente collective, un accord sur le plan
pédagogique.
Maintenant, je pense que des échanges avec d'autres
écoles sont
possibles. Je suis en train de le faire avec la Russie, non pas avec
l'Académie Vaganova, mais avec l'école de Boris
Eifman, qui est une
personne extraordinaire. Il essaye de ramener en Russie les
trésors
d'ailleurs comme les Russes ont amené ailleurs leurs
trésors.
J'aimerais bien travailler aussi avec Jason Beechey à Dresde
et avec
d'autres écoles également. Malheureusement, on ne
garde pas
toujours les contacts, car les directeurs d'école changent
assez
vite. Il n'est pas prévu d'échanges
d'élèves et c'est avant tout
pour que les professeurs puissent voir un peu autre chose.
Propos recueillis par Bénédicte Jarrasse
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La Villa Singer
dite aussi Villa Casa Mia, siège de l'Académie
Princesse Grace
Programme du Gala 2016 de
l'Académie Princesse Grace
___
1ère partie
Una Picolla
tarentella (création)
Musique : Camille
Saint-Saëns
Chorégraphie : Michel Rahn
Tarentella
Musique : Louis
Moreau Gottschalk
Chorégraphie : George Balanchine
Tarentisms
Musique : Kalascima
Chorégraphie : Bruno
Roque
___
2ème partie
In-Bilico (création)
Musique : Alva Noto
Chorégraphie : Eugenio Buratti
___
3ème partie
Elles (création)
Musique : Erik Satie (Gnossienne n°1)
Chorégraphie : Julien
Guérin
Hold fast, for if (création)
Musique : Erik Satie (Gnossienne n°4)
Chorégraphie : Jeroen Verbruggen
K3 (création)
Musique : Erik Satie (Gnossienne n°3)
Chorégraphie : Bruno Roque
Un Ballo
Musique : Maurice Ravel
Chorégraphie : Jiří
Kylián