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Théâtre de la Ville (Paris)
12 janvier 2012 : La Curva par la Compaňia Israel
Galván
La Curva (chor. Israel Galván)
Depuis ses débuts, Israel Galván tord le cou au
flamenco, s'efforçant d'en faire disparaître tout le pittoresque, tous
les clichés, toute les séductions faciles. Avec lui - c'est vraiment peu
de le dire -, le flamenco ne s'embarrasse pas de son folklore
ordinaire. Disons qu'il est simplement là comme une langue maternelle,
comme un instrument avec lequel on joue, comme une pâte constitutive de
l'être, comme une fatalité aussi peut-être, dont le danseur se sert pour
passer à autre chose. Un luxe pareil, bien sûr, il n'y a qu'un
interprète de génie à pouvoir se le permettre.
La Curva (chor. Israel Galván)
La Curva,
son dernier spectacle en date, présenté pour la première fois en
France, s'inscrit parfaitement dans cette perspective, que certains
aiment à qualifier d'expérimentale ou d'avant-gardiste. Toujours
conscient de son héritage, Israel Galván le dédie en passant à Antonio
El Bailarín (1921-1996) et surtout à Vicente Escudero (1887-1980),
interprète controversé, danseur cubiste, dadaïste, sorte de double idéal
pour notre homme « des solitudes ». Le quatuor qu'il met en scène, dans
un écrin à l'abstraction cultivée, est délibérément conçu pour détonner
dans ce monde codifié – jusque dans ses errements contemporains –
qu'est celui du flamenco. Pour cette création, le danseur sévillan s'est
accompagné de Sylvie Courvoisier, pianiste de jazz férue
d'improvisation, Suissesse résidant à New York, a priori très éloignée
de la culture gitano-andalouse dont est issu Galván. Figures plus
proches ou plus familières, la chanteuse Inès Bacan, déjà présente dans El final de este estad de cosas, redux,
et Bobotte, « écuyer du rythme » - maître du compás -, interviennent en
contrepoint de ses improvisations pianistiques, s'y associant parfois
de la voix et du rythme. Un univers sonore étrange, émaillé de longs
silences, de claquements de pieds et de bruits de chaises, naît de cette
confrontation.
La Curva (chor. Israel Galván)
La Curva -
«la courbe» - est donc placé sous le signe du choc – au propre comme
au figuré. Choc de deux cultures sans doute, mais aussi choc des
musiques et des sons qui se superposent, choc des objets qui tombent à
terre, choc des pieds du danseur heurtant violemment le sol, choc d'une
gestuelle à part, celle d'un torero des temps modernes, un torero sous
hallucinogènes, tentant de plier ou de courber l'espace selon son bon
vouloir, préférant éprouver le combat de profil plutôt que dans le
face-à-face. La scène est occupée d'un côté par le piano urbain de
Sylvie Courvoisier, de l'autre par une table, domaine réservé de Bobotte
et d'Inès Bacan, figures de la terre. Ambiance bleu nuit, géométrique
et... dépareillée. Au milieu, un rectangle de sable blanc. Au fond, un
cercle de lumière. Un peu partout, des empilements insolites de chaises.
Durant les premières minutes du spectacle, Galván danse dans le plus
complet silence – il adore ça – avant de faire s'écrouler au sol, dans
un fracas apocalyptique, une pyramide de chaises métalliques. Par la
suite, on le voit naviguer d'un de ces mondes à l'autre, du piano à la
table, de la table aux chaises, des chaises au rectangle de sable, s'en
emparer, les secouer, en éprouver la résistance, comme pour les
posséder. Une pause musicale plus tard et le revoilà qui danse sur une
table, sur une chaise, sur un tamis même, et puis sur le sable, avec
lui, enveloppé dans un halo merveilleux – son ballet blanc à lui.
La Curva (chor. Israel Galván)
Chaque spectacle d'Israel Galván – et celui-là
n'échappe pas à la règle - apparaît comme un défi réitéré, dans lequel
le danseur, avec son corps hiératique et improbable - plus grand, plus
mince et plus voûté que jamais - vient se transfigurer sous nos yeux –
jusqu'à toucher la monstruosité même. Avec ses outrances à la Goya,
chaque « variation » - chaque « caprice » - de Galván - possède ce
quelque chose de définitif qui fascine littéralement ses aficionados
– on est là comme à la corrida (source d'inspiration largement
revendiquée par le danseur), applaudissant la passe du torero magique.
Pourtant, on sent bien qu'après l'extraordinaire El Final de este estad de cosas, redux (La Fin de cet état de choses),
où le danseur mettait en scène sa propre mort sur fond d'Apocalypse, on
atteint là une sorte de limite du système Galván – celle d'une mise en
scène tellement consciencieusement réfléchie et millimétrée qu'elle en
devient pesante, sinon ridicule. Dans La Curva,
on pourrait dire que le trop plein d'idées nuit à l'idée – et
finalement au spectacle lui-même. Devant tant de poses et de (creuse)
sophistication, comment ne pas regretter la sublime simplicité de La Edad de Oro (L'Age d'or)
- son emblème pour ainsi dire, donné l'an dernier aux Abbesses? Les
improvisations de Sylvie Courvoisier, nullement déplaisantes en soi,
virent ainsi à la démonstration maniériste, étouffant l'ensemble,
s'imposant de manière un peu vaine, au détriment de la danse du maître
et du chant unique d'Inès Bacan, pour le coup nu et sans apprêt. Israel
Galván peut bien inviter qui il veut, tenter les rencontres les plus
hasardeuses, s'offrir les dramaturgies les plus élaborées, c'est encore
lui, démiurge désespérément seul, qui habite et justifie la
représentation, même lorsqu'il s'en retire.
B. Jarrasse © 2011, Dansomanie
La Curva (chor. Israel Galván)
La Curva
Chorégraphie : Israel Galván
Musique : Sylvie Courvoisier
Mise en scène et dramaturgie : Txiki Berraondo
Lumières : Rubén Camacho
Son : Pedro León
Israel Galván, danse
Inés Bacán, chant "Jondo"
Sylvie Courvoisier, piano
Bobote, compás
Compaňia Israel Galván
Jeudi 12 janvier 2012, Théâtre de la Ville, Paris
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