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Théâtre de la Ville - Théâtre des Abbesses (Paris)
03 janvier 2011 : La Edad de Oro par la Compaňia Israel
Galván
La Edad de Oro (chor. Israel Galván)
Quand,
à la fin du spectacle, Israel Galván revient saluer le
public, aux côtés de David Lagos, chanteur, et Alfredo
Lagos, guitariste, il sourit comme un enfant, l'air humble et timide,
étranger à toute démonstration de flamboyance. Son
ego semble s'être déjà retiré. On peine
alors à reconnaître en cet homme d'une simplicité
désarmante le danseur baroque et électrisant qui vient de
livrer le combat durant plus d'une heure sur la scène. Un baiser
discret envoyé au public, une main sur le coeur, pas plus
andalouse qu'une autre, sont ici les seuls gestes, presque contraints,
consentis à son statut d'icône absolue du baile flamenco
d'aujourd'hui. Sa danse, elle, est résolument autre : un
déploiement de force et de virtuosité
contrôlées qui savent jouer avec la nuance et la surprise,
une capacité de métamorphose plastique qui
n'hésite pas à se détourner de la grâce pour
s'acoquiner avec la monstruosité, une présence captivante
enfin, qui emmène littéralement le public au bord de la
transe. Le romantisme avait inventé le culte de la
ballerine-reine, Israel Galván, lui, ressuscite seul la folie du
danseur-dieu – sensualité et mystique mêlées,
jusqu'à l'exaspération.
La Edad de Oro (chor. Israel Galván)
La Edad de Oro
est le spectacle qui a permis à Israel Galván, en 2005,
d'acquérir une renommée internationale, bien
au-delà des cercles d'amateurs ou de spécialistes du
genre. On est ici aux antipodes du «ballet flamenco»,
omniprésent sur les scènes actuelles - jusque dans ses
pires dévoiements pittoresques ou commerciaux -, mais
très loin aussi de la radicalité politico-mystique de El final de este estad de cosas, redux,
présenté au Théâtre de la Ville en juin
dernier. Le titre, plus encore qu'un clin d'oeil au film
emblématique de Buñuel, fait explicitement
référence à l' «âge d'or» du
flamenco, une période qu'on situe traditionnellement entre la
fin du XIXème siècle et les années 30, et durant
laquelle, dit-on, la forme, le contenu et l'âme de ce chant, de
cette musique et de cette danse auraient atteint leur apogée,
avant le déclin inexorable et l'appauvrissement stylistique et
spirituel qu'il aurait connus par la suite.
L'oeuvre est pourtant moins un hommage direct à des
maîtres et à un passé idéal
irrémédiablement perdu, dont se réclame toutefois
en creux Galván, qu'une recherche d'épure, après
tant de travestissements. La mise en scène, réduite au
minimum, semble simplement occultée, pour laisser toute sa place
à l'humanité conjuguée du danseur, du chanteur, et
du guitariste. Ce dialogue à trois, venu du fond des âges,
ne pouvait que se dérouler dans le dépouillement et
l'obscurité. Un effet de lumière circulaire vient
interrompre l'ombre, dessinant au sol une arène symbolique,
image traditionnelle dans l'univers du flamenco, et d'autant plus
adéquate dans celui, profondément guerrier, d'Israel
Galván.
La Edad de Oro (chor. Israel Galván)
De profil, cambré, la silhouette élancée vers le
ciel et le regard creusant vers la terre, Israel, tout de noir
vêtu, ploie son corps en avant, les bras tendus à la
manière d'un torero plantant ses banderilles dans le corps de
l'animal, et se jette dans la danse comme dans un combat. Galván
est, par nature, l'homme du solo, mais sa danse d'égoïste
n'est pourtant jamais narcissique ; elle regarde toujours ailleurs.
Elle se construit ici dans la rencontre avec la voix de David Lagos et
la guitare d'Alfredo, mis en lumière, chacun à leur tour,
entre deux solos du danseur. Un langage peu commun se fait jour dans
ces essais successifs, ni vraiment classique ni franchement moderne,
pourtant bien étranger à l'esprit de la fusion qui a
investi le flamenco contemporain. Baroque, la danse de Galván
l'est en revanche indéniablement, en ce qu'elle joue constamment
dans – et avec - l'hyperbole, se cherchant perpétuellement
dans le choc des contraires, entre musique et silence, gravité
et légèreté, transe et ironie,
élégance et trivialité, sublime et caricature de
soi, au risque même du grotesque. La virtuosité des pieds,
entrainés dans un zapateado frénétique, est une
musique à soi seule, à laquelle font écho des jeux
de doigts et de dents nettement plus incongrus. Les mouvements de bras
et de mains, infiniment complexes, façonnent des figures
sibyllines, renoncent au lyrisme classique pour se faire
étrangement maniéristes. Les déhanchements et les
volte-faces, chargés de virilité autant que de
féminité, se confrontent avec le goût pour les
poses arrêtées, volontiers déstructurées.
Cette danse, en un mot, aime les cassures et les brusques changements
de rythme, l'inaction qui succède soudain à la
trépidation, le retrait dans l'ombre aussitôt après
l'exposition en pleine lumière, comme dans un refus
réitéré de s'installer dans les clichés,
ceux-là mêmes avec lesquels le genre se complaît si
volontiers.
La Edad de Oro (chor. Israel Galván)
Malgré l'extraordinaire intimité produite par la petite
salle du Théâtre des Abbesses - si terriblement parisienne
par ailleurs -, cet Edad de Oro de 2005 ne crée toutefois pas la sidération à la manière paroxystique du récent El final de este estad de cosas, redux.
Plutôt qu'exténué ou nerveusement défait, il
laisse au contraire apaisé, sinon satisfait, purifié de
cette infinité de choses médiocres qui hantent le monde
de la danse, tous genres confondus. «Age d'or» et non
«fin d'un état de choses», il permet d'entrevoir a
posteriori la cohérence du parcours chorégraphique de ce
danseur, qui fait renaître la voix de l'interprète unique
et génial, et chez qui le geste, avec sa charge
définitive et irritante, ne paraît jamais privé de
sens.
De manière sans doute significative, il n'y a pas de bis
dans ce spectacle. Pas de morceau de bravoure, pas de variation
brillante, à rejouer pour un public qui pourtant en redemande.
Ou plutôt si, il y en a un, en forme d'ultime paradoxe. C'est
lorsque le danseur va s'asseoir derrière le micro de David
Lagos, se met à entonner banalement une mélopée
andalouse ordinaire, tandis que le chanteur et le guitariste se
métamorphosent à son exemple en danseurs flamenco un brin
maladroits. L'âge d'or, c'est peut-être aussi cela, cette
capacité perdue, ou sans cesse repoussée, à se
jouer de soi-même, avec humour et élégance.
B. Jarrasse © 2011, Dansomanie
La Edad de Oro
Chorégraphie : Israel Galván
Direction artistique : Pedro G. Romero - Máquina P.H.
Mise en scène : Txiki Berraondo
Lumières : Ruben Camacho
Son : Félix Vázquez
Israel Galván, danse
David Lagos, chant
Alfredo Lagos, guitare
Compaňia Israel Galván
Lundi 03 janvier 2011, Théâtre de la Ville, Paris
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