haydn Site Admin
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Posté le: Lun Oct 29, 2012 12:21 pm Sujet du message: |
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Quelques mots sur le triptyque Paquita / Boléro / Carmen présenté au Het Nationale Ballet en ce début de saison chorégraphique amstellodamoise. Début, mais aussi fin, puisque la représentation du 28 octobre marquait le retrait de la scène de Mathieu Grémillet. Le danseur français avait intégré la troupe il y a exactement dix ans, et avait rang de soliste depuis 2005. Pour son ultime apparition, il aura eu la joie de constater qu’il bénéficiait toujours d’une popularité importante auprès d’un public qui ne lui a pas mégoté ses applaudissements et lui a réservé une belle ovation à l’issue de son ultime apparition dans Carmen.
Si la compagnie nationale néerlandaise ne peut se targuer de la même tradition prestigieuse que le Mariinsky, le Bolchoï ou l’Opéra de Paris, il peut en revanche s’enorgueillir d’un corps de ballet discipliné, affichant un excellent niveau technique. On aura pu s’en convaincre dans le Grand pas de Paquita, pièce de virtuosité classique s’il en est, exigeante tant pour les solistes que pour la troupe. Les jeunes élèves de la Nationale Balletacademie, l’école de danse classique rattachée à la compagnie, n’ont pas été en reste, et ont exécuté la Polonaise qui leur est dévolue avec autant de rigueur que d’entrain.
La distribution du 27 octobre était dominée par Igone de Jongh dans le «rôle» de l’Etoile, et par la chinoise Qian Lu, particulièrement brillante dans le Pas de trois. Le lendemain, l’affiche était plus homogène, avec en vedette, le couple très glamour formé par Anna Tsygankova, aux élégants ports de bras, et par Matthew Golding, dont on se demande encore pourquoi le Royal Ballet avait naguère refusé de s’adjoindre ses services. Cela ne l’aura fort heureusement pas empêché d’acquérir une stature de soliste international, tout en faisant carrière aux Pays-Bas.
Le pas de trois a été emmené par Young Gyu Choi, danseur coréen arrivé à Amsterdam il y a un an seulement, et qui possède un belle élévation, bien mise en valeur ici. Dans la série des variations solistes, on remarquait plus particulièrement Maïa Makhateli, qui interprétait avec brio le pas usuellement dévolu à l’Etoile.
Une ombre au tableau tout de même : pourquoi diable le Het Nationale Ballet a-t-il, pour la musique, retenu l’abominable arrangement commis par John Lanchbery? Le trio Deldevez / Minkus / Drigo, déjà, n’avait pas franchement fait dans la dentelle, mais mâtiné des flonflons du co-fondateur de l’Anglo-Soviet Music Press (ça ne s’invente pas...), la partition sombre dans une vulgarité franchement insupportable.
Suivait Boléro, de Krysztof Pastor. Cette énième tentative de suivre les pas de Maurice Béjart – qui, lui, aura réussi l’exploit d’effacer Ida Rubinstein – créatrice de l’œuvre en 1928 - de la mémoire des balletomanes, vaut principalement par les parties dévolues au corps de ballet. La troupe néerlandaise y aura fait montre d’une fluidité et d’une unité remarquables dans les mouvements d’ensemble. Paradoxalement, les interventions des deux solistes, Sasha Mukhamedov et James Sout, sont apparues plus anecdotiques, voire superfétatoires (la faute en incombe principalement à la chorégraphie, et non aux danseurs).
La représentation s’achevait sur Carmen, une pièce mitonnée, dans un style non dépourvu parfois d'humour et de distance, par le directeur du Het Nationale Ballet, Ted Brandsen, sur la musique – inspirée de Bizet – naguère composée par Rodion Schedrin pour Maïa Plissetskaïa. L’ouvrage, à prendre évidemment au second degré, est traité à la manière de West Side Story, dans un décor qui nous transporte des arènes de Séville aux arcades du métro aérien de New-York. Des deux distributions qui s’y sont succédé, on retiendra l’excellent Escamillo de Mathew Golding, très drôle dans un rôle de composition où il incarne un rocker aussi ringard que clinquant, et le non moins remarquable Don José de Jozef Varga. Le Hongrois, taillé en athlète, faisait virevolter dans les airs une Igone de Jongh (Carmen, le 28/10), au gabarit pourtant impressionnant, avec une déconcertante facilité. On aura également beaucoup apprécié, lors de la représentation du samedi 27 octobre, le Dancaire (chef des brigands) fougueux de Bruno da Rocha Peirera, un Brésilien doué d’une belle présence scénique.
Mais le héros de la matinée dominicale fut évidemment Mathieu Grémillet, qui, en Zuniga, s’est offert une dernière fête devant une assistance acquise à sa cause, et venue tout spécialement lui rendre hommage. |
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sophia
Inscrit le: 03 Jan 2004 Messages: 22087
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Posté le: Mer Oct 31, 2012 5:58 pm Sujet du message: |
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Paquita / Boléro / Carmen
Het Nationale Ballet
Het Muziektheater Amsterdam
27 et 28 octobre 2012
Le Het Nationale Ballet possède un vaste répertoire, qui lui permet d'alterner tout au long de ses saisons les bons vieux classiques des familles et les soirées mixtes, réunissant chorégraphes d'hier - Balanchine, Forsythe et Hans van Manen en sont les figures obligées – et créateurs d'aujourd'hui – invités ou issus eux-mêmes directement de la troupe. De ce point de vue, la compagnie semble avoir noué des relations privilégiées avec une poignée de chorégraphes, régulièrement programmés, qui donnent à cette compagnie, à l'histoire relativement récente, un caractère plus familial que bêtement branché ou dans l'air du temps. Du reste, plus que dans un classique éprouvé et connu de tous, c'est dans le cadre d'une de ces affiches mixtes, toujours judicieusement composées, que le Het s'offre au spectateur de passage sous son meilleur jour.
En cet automne glacial, la compagnie nationale néerlandaise propose une soirée au propos bienvenu, placée sous le signe de l'Espagne : Paquita, Boléro, Carmen, voilà des titres qui, dans des registres pourtant très différents, font immédiatement appel à l'imaginaire chorégraphique de tout un chacun. Une affiche diablement sexy, jouant habilement de la symbolique attachée au thème, semble nous convier d'ailleurs au spectacle avec une certaine insistance : un fond rouge sang, ombré de noir, sur lequel se détache un Matthew Golding bondissant, tout en force et en énergie. Le poing serré, la musculature saillante, le regard intense, la star de la troupe, connu pour son sourire... hum.. hollywoodien, n'a vraiment pas l'air de plaisanter.
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La Paquita qui ouvre le spectacle est présentée dans une production toute neuve, réglée par Rachel Beaujean, maître de ballet principal de la troupe, et mise en scène par François-Noël Cherpin, également responsable des costumes de la Carmen de Ted Brandsen. Une toile peinte dans le goût du XIXe siècle, reproduisant les lignes d'un édifice de style mauresque, plante discrètement le décor, de pure convention. Les tutus, aux plateaux de coloris différents, déclinés selon le rang des danseuses – corps de ballet, demi-solistes, solistes, étoile –, viennent rappeler l'esprit russo-impérial du ballet – entre espagnolade stylisée et parade militaire.
C'est forcément une gageure pour une troupe sans véritable école, faite « de bric et de broc », de présenter un ouvrage aussi académique et stylistiquement codifié que le Grand pas de Paquita. L'obstacle, en l'occurrence, ne vient pas tant des solistes (quoique...) – il y en a de bons, d'excellents même, à peu près partout -, que du corps de ballet, et il faut bien avouer que le risque de « trockadérisation » n'est ici jamais bien loin. Soyons snob, la supériorité de « l'école » s'impose alors inévitablement. Pourtant, même sans posséder cette harmonie stylistique et cet air de reconnaissance morphologique qui font tout le charme et le prix des troupes russes ou parisienne, le corps de ballet du Het, discipliné et rigoureusement uni, n'a nullement à rougir de son travail dans les ensembles. Pour autant - et mon Dieu, oui, j'avoue, j'aime la musique de Minkus, d'Adam et de Drigo -, était-on obligé de nous imposer, par-dessus une chorégraphie dans l'ensemble assez standard, si l'on a à l'esprit la version du Kirov et si l'on en excepte la coda générale, cet arrangement terrible de John Lanchbéry, aux accents d'une mièvrerie et d'une vulgarité sans nom?
En prélude au Grand pas, la Polonaise des enfants donne d'emblée à voir l'excellent « coaching » dont ont, semble-t-il, bénéficié les jeunes élèves de la Nationale Balletacademie. Grigory Chicherin, ancien soliste du Kirov (c'est lui l'homme du pas de trois du film avec Yulia Makhalina), est crédité comme leur professeur dans le programme et l'on peut sans doute voir là sa marque. Des ensembles harmonieux et bien rythmés, une danse enjouée, des sourires gracieux et juvéniles, qu'y a-t-il à demander de plus? Pour ce qui est du Grand pas lui-même, la distribution de du 27 est avant tout dominée par la présence charismatique d'Igone de Jongh, principale néerlandaise de la troupe. Elle offre, dans la variation dite de l'Etoile, une danse aussi raffinée que précise, avec des bras subtils et une musicalité appréciable. On comprend mal en revanche son association régulière et incongrue avec Casey Herd, qui brille peut-être auprès d'elle dans certains registres, mais sans doute pas dans ceux de l'élégance et du raffinement. Tours en l'air et réceptions "à la va-comme-je-te-pousse", manège et grands sauts pris en force, tout cela n'est pas dépourvu d'un certain charme brut, mais semble peu approprié dans le contexte. Parmi les autres solistes, on remarque surtout, dans deux registres opposés, l'aristocratique allure d'Emanouela Merdjanova, éblouissante dans la variation lente, la seconde, qui exige, pour être acceptable, qualités de style et poésie du haut du corps, et la jeune et talentueuse Megan Zimny Gray, qui fait montre dans la variation au célesta (variation de Nicolas Cherepnine, extraite du Pavillon d'Armide), de toute la vivacité et de tout le charme requis. Le pas de trois, plus inégal, laisse voir la belle élévation de Rémi Wörtmeyer et la danse soignée de Qiu Liu. La distribution du 28, réunissant Anna Tsygankova et Matthew Golding, semble toutefois plus homogène, un bon cran au-dessus de celle de la veille de manière générale. Chez elle, une danse élégante, conjuguant autorité, glamour à la russe et musicalité de tout le corps (eh oui, soudain, ça change tout!), chez lui, un charisme certain, une danse large et un brio enthousiasmant. Anna Tsygankova et Matthew Golding s'imposent clairement comme le couple-star - et à vocation internationale - de la compagnie : avec eux, tout va plus vite, plus haut, plus fort, ça mousse et ça fait du bien. On retrouve cette même qualité de danse du côté des solistes du jour : le pas de trois, très harmonieux, donne évidemment à admirer le ballon et la batterie précise du jeune prodige coréen Yong Gyu Choi, mais ces dames, Suzanna Kaic et Naira Agvanean, ne sont pas, elles non plus, en reste. Dans les variations, on admire encore, en plus des solistes de la veille, la danse ample et puissante de Sasha Mukhamedov dans la première variation et la précision musicale et la délicatesse de Maia Makhateli dans la variation de l'Etoile, échangée avec celle des grands jetés, dévolue à Anna Tsygankova.
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Krzysztof Pastor, chorégraphe résident du Het Nationale Ballet, signe avec Boléro la création obligée de cette affiche hispanique. S'il est parfois compliqué, avec Paquita, de se détacher de certains modèles d'exécution, il est tout aussi difficile, avec le Boléro, d'oublier le souvenir imposé dans l'imaginaire - pour le meilleur ou pour le pire - par la chorégraphie de Béjart. Plus froide, plus abstraite, plus géométrique, on comprend tout de même très vite que cette nouvelle version, baignée dans des éclairages chromatiques à dominante rouge sombre (Espagne, quand tu nous tiens...), est manifestement conçue pour rompre, dans sa forme et dans son esprit, avec ce ballet mythique. Là où la version de Béjart sacre et consacre, par sa chorégraphie et par sa mise en scène, l'interprète unique, ce divin démiurge littéralement transfiguré par la danse, celle de Pastor se construit autour d'un corps de ballet, d'où émerge un couple, qui, en réalité, ne se distingue pas fondamentalement du groupe, dans sa gestuelle comme dans son apparence. Là où la version de Béjart s'offre comme une explosion d'érotisme, ésotérique et vaguement mystique, tendue par le crescendo rythmique créé par la musique de Ravel, celle de Pastor est un hymne à l'abstraction et aux lignes, qui paraît même presque détaché de la musique à certains moments. Chorégraphiquement, la pièce est assez anecdotique – un néo-classicisme esthétisant et graphique, vaguement forsythien, que l'on a l'impression d'avoir déjà vu mille fois – mais la pièce a toutefois le mérite de mettre parfaitement en valeur la fluidité et l'énergie sensuelle de la compagnie. Du coup, la présence d'un couple soliste, formé de Sasha Mukhamedov et James Stout lors des deux représentations, paraît un peu gratuite. Leur danse, très minérale, ne transcende pas particulièrement le collectif et vient rompre, sans lui apporter aucun contrepoint stylistique, la belle unité d'une oeuvre avant tout chorale, qui met en transe le public local. Une fois de plus, on se dit quand même que la musique de Ravel fait une bonne partie du travail de catharsis!
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La Carmen de Ted Brandsen est, disons-le, une franche réussite, venant conclure efficacement le programme. Voilà cinquante minutes pleines de dynamisme, presque jazzy dans le rythme et l'atmosphère qu'elles imposent, cinquante minutes qui passent très vite et nous emportent sans manières dans un drame dépourvu de temps mort. Créée à l'origine pour le West Australian Ballet, dont Ted Brandsen a été précédemment directeur, cette version paraît taillée pour sublimer les qualités particulières des danseurs du Het Nationale Ballet : énergie, physicalité, théâtralité - une image moderne et très "Europe du Nord" du classicisme. Les différents solistes y ont la part belle, sans pour autant éclipser le corps de ballet, réduit, mais toujours plus ou moins présent à leurs côtés. Aux antipodes de l'espagnolade traditionnelle, le ballet, appuyé sur l'adaptation musicale que Chédrine avait composée pour la Carmen d'Alonso avec Plissetskaia, se présente comme une suite de saynètes brèves, débarrassées de toute pantomime et de tout pittoresque, et montées à la manière d'un film noir. Il reprend, en la condensant sérieusement, l'intrigue traditionnelle de Mérimée, enchaînant les tableaux sans transition ni rupture, dans un décor grisâtre et neutre, aux allures urbaines. Seuls les costumes, épurés et très colorés, viennent conférer une petite touche latine à l'intrigue, transplantée dans les faubourgs de quelque métropole moderne. Du coup, on se croirait parfois aussi plongé dans un avatar de West Side Story... Anna Tsygankova, dans la distribution du 27, apporte son naturel terrien, sa passion et sa théâtralité formidable à cette héroïne mythique. Giselle, Paquita ou Carmen, cette fille-là est proprement irrésistible! En contrepoint, la douce Micaëla, amoureuse de Don José, trouve une interprète particulièrement poignante en Megan Zimny Gray, qui possède là tous les accents d'une Giselle d'aujourd'hui. Escamillo est, à l'inverse, un personnage traité sur le mode franchement burlesque, oscillant entre clinquant et ringardise. Réservé à un virtuose des sauts et des tours en l'air, Matthew Golding y brille tout naturellement, avec un vrai sens du second degré. Très homogène, cette distribution permet en outre d'apprécier de puissants interprètes masculins, très caractérisés chacun dans leur style et dans leur physique : Artur Shesterikov, Don José à l'élégance toute romantique, Jared Wright, immense et sombre Zuniga, et le formidable et félin Bruno da Rocha Pereira dans le rôle de Dancairo, meneur d'une troupe de brigands particulièrement énergique. Dans la distribution du 28, Igone de Jongh, plus lointaine qu'Anna Tsygankova dans le jeu, séduit par la beauté de ses lignes et sa danse, acérée et puissante. Le partenariat avec Josef Varga, Don José aussi charismatique que passionné, et Mathieu Grémillet, fougueux Zuniga, reste le point fort de cette représentation d'adieux - récompensée par les ovations du public.
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