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entretiens
Clotilde Tran-Phat, une Française à Amsterdam

25 avril 2012 : Clotilde Tran-Phat, corps de ballet au Het Nationale Ballet


La compagnie nationale n'est pas le seul débouché qui s'offre aux anciens élèves de l'Ecole de danse de l'Opéra de Paris. Clotilde Tran-Phat, qui a accepté de se confier à Dansomanie, en est la preuve vivante. Après avoir achevé sa scolarité dans la célèbre institution de Nanterre, elle s'est décidée à faire le "grand saut". Tout juste issue de l'adolescence, elle a accepté un contrat avec le Het Nationale Ballet, où, à la veille du départ en retraite de Mathieu Grémillet, elle incarne, à l'instar de Rémy Catalan, la nouvelle génération de danseurs français venus tenter leur chance dans la métropole hollandaise, très active sur le plan culturel.





Où et comment avez-vous débuté la danse?

J'ai commencé par de l'éveil, en contemporain, dans un centre du 13e arrondissement de Paris, puis je suis entrée au Conservatoire du 13e. A huit ans, mon professeur de l'époque m'a proposé de passer le concours de l'Ecole de l'Opéra de Paris. Je n'ai pas été acceptée. Mais c'est à ce moment-là que j'ai commencé à me dire que je voulais être danseuse et à penser à l'Opéra. J'ai repassé le concours l'année suivante et, à nouveau, j'ai échoué. J'ai intégré le CNR de Paris, où je suis restée un an. J'ai repassé le concours de l'Opéra et là, j'ai enfin été acceptée. Je suis entrée à 11 ans et j'y ai fait toutes mes classes jusqu'en première division.

Ma mère avait fait de la danse en amateur. Mes parents ont bien accepté mon désir d'être danseuse, ils m'ont toujours soutenue dans cette passion. J'ai aussi passé mon bac il y a deux ans. Je m'étais même inscrite en littérature et philosophie à la fac, mais je ne pouvais pas vraiment suivre les cours.



Qu'est-ce qui vous a conduit de l'Opéra de Paris au Het Nationale Ballet?

J'ai passé une première fois le concours d'entrée dans le corps de ballet, j'ai été classée troisième. Comme j'avais encore l'âge pour redoubler, j'ai refait une année. Cette même année, j'ai passé l'audition au Het Nationale Ballet. J'ai obtenu un contrat et là, j'ai commencé à me poser des questions. Je me suis demandée si je préférais m'installer à Paris ou bien voyager. J'ai quand même repassé une deuxième fois le concours de l'Opéra : j'étais troisième des non-engagées. A la suite de ça, je n'ai pas passé le concours externe, car je savais que j'avais mon contrat à Amsterdam. En fait, ce contrat m'a obligé à faire un choix que je n'aurais peut-être pas eu le courage de faire si j'avais eu les deux propositions. Je dois dire aussi que j'avais très envie de partir.


Aviez-vous  passé des auditions dans d'autres compagnies?

J'avais prévu de le faire, mais la première audition que j'ai passée, c'était ici même, et ça a marché. Le Het Nationale Ballet était en fait la première compagnie que j'avais choisie en-dehors de l'Opéra. J'ai passé l'audition en janvier 2011, avec tous les danseurs, sans savoir s'il y aurait des postes à la clé, et je suis revenue à Amsterdam en mai, à la demande du directeur [ndr : Ted Brandsen, directeur artistique du Het Nationale Ballet], qui m'a proposé un contrat d'un an à ce moment-là. Je crois que plus que le physique, il regarde le potentiel. Nous étions environ 160 filles à nous présenter en janvier, ils en ont retenu quatre, et finalement ils en ont pris deux, plus un garçon. Il y a aussi des auditions privées tout au long de l'année.


Vous avez passé l'audition en même temps que Rémy Catalan [autre aspirant issu de l'Ecole de danse de l'Opéra]?


Non, on n'a pas passé l'audition ensemble. Rémy était à l'Opéra il y a deux ans, il s'est blessé le jour de la générale du concours. Il est venu à l'école ici pendant un an tout en étant déjà distribué sur des productions au sein de la compagnie. Il a obtenu un contrat à ce moment-là.


Qu'est ce qui vous a donné l'idée d'auditionner au Het Nationale Ballet?

J'avais entendu parler de la compagnie. J'avais préparé une liste des compagnies où je voulais auditionner, faite en fonction non seulement du répertoire, mais aussi des villes où j'aurais aimé vivre – ce qui éliminait par exemple la Russie. Le répertoire du Het Nationale Ballet se rapproche énormément de celui de l'Opéra, avec des oeuvres très variées, du classique comme des choses plus contemporaines.



Etait-ce une démarche personnelle ou l'Opéra vous a-t-il poussé à auditionner à l'extérieur en raison du peu de postes offerts au concours de promotion?

A l'Ecole de l'Opéra, on ne nous incite pas tellement à passer des auditions à l'extérieur. On nous prépare avant  tout à entrer à l'Opéra. On nous parle des CDI, mais aussi des CDD, des petits contrats de trois mois, de six mois.... C'est vrai, les élèves fondent tous leurs espoirs là-dessus. L'année dernière, la direction a commencé à nous en parler davantage. Il y a aussi eu une demande de la part des élèves. Il faut dire que nous étions nombreuses. Les auditions dans les compagnies ont généralement lieu en janvier et le concours de l'Opéra se tient en juillet. C'est tout de même prendre un gros risque que de ne pas auditionner du tout pour se retrouver sans rien à la rentrée. Après, c'est un choix personnel : certains préfèrent rester à l'Opéra, même avec un contrat de trois mois, avec la possibilité de prendre les cours avec la compagnie, d'autres préfèrent partir pour avoir un contrat plus solide.


Si vous n'aviez pas eu un contrat avec le Het, auriez-vous passé d'autres auditions?

Déjà, j'aurais passé le concours de l'Opéra pour avoir un contrat de surnuméraire. C'est quand même intéressant, ça permet de voir le travail au quotidien d'une troupe, de voir comment se passent les remplacements, c'est un tremplin.



Quel effet ça fait de se retrouver seule à 18 ans dans une ville étrangère?


Avant même de me retrouver à Amsterdam, je ne vivais déjà plus chez mes parents. J'y allais seulement pour le week-end car je vivais dans un appartement en colocation près de l'école. Donc ce n'était pas trop différent pour moi de vivre sans mes parents. Ce qui a été le plus dur, ça a été de remplir les papiers administratifs... Mais la compagnie nous a pris en charge, notamment pour nous obtenir le permis de travail. La compagnie possède aussi des appartements dans Amsterdam, dont on peut bénéficier durant les deux premières années. Dès que j'ai eu mon contrat ici, on m'en a parlé. Ils se sont occupés de me trouver un appartement, que je partage avec une autre danseuse.


Quel regard portez-vous sur vos débuts dans une ville inconnue et dans une compagnie étrangère?

Les débuts ont été très durs : une nouvelle langue, une nouvelle ville, de nouvelles responsabilités. Je devais entrer dans la vie adulte et en même temps m'intégrer dans une nouvelle culture. De plus, le travail dans une compagnie est très différent du travail à l'école. On se retrouve livré à soi-même, on ne nous corrige plus aussi souvent, il faut donc apprendre à se motiver. Bien sûr, ça a été aussi très difficile de quitter ma famille, mes amis, la vie que je menais depuis sept ans. En revanche, j'ai beaucoup apprécié le fait de me retrouver dans une compagnie aussi internationale. Ça ouvre l'esprit et ça permet de voir, avec tous ces danseurs venus d'ailleurs, qu'on peut aborder les choses différemment de ce qu'on nous a appris. Cet aspect-là m'a vraiment intéressée.


Vous parlez néerlandais maintenant?

Non, pas encore. Là, je me concentre davantage sur l'anglais, parce qu'au début, ça n'était pas formidable. Du reste, tout le monde parle anglais ici, même en ville.


Qu'est-ce qui a vous a le plus changé sur le plan du style de danse entre Paris et Amsterdam?


Il est difficile pour moi de comparer le travail à l'école et le travail dans une compagnie, donc je ne peux pas trop comparer les cours. Disons que j'ai tout de même fait trois mois à l'Opéra à l'occasion de la série du Lac des cygnes. A l'Opéra, le cours est plus long, il dure 1h30, ici, c'est 1h15. Les quinze-vingt dernières minutes, on les réserve à l'Opéra au travail de pointes, avec des échappés, des relevés... Ici, on met les pointes seulement si on veut, on peut les mettre à la barre, ou au contraire ne pas les mettre, en fait c'est à chacun de se prendre en charge. Sinon, le cours à Amsterdam est très complet, on fait peut-être un peu moins de petite batterie qu'à Paris, parce que la France, c'est quand même le berceau de la petite batterie, mais sinon, c'est à peu près pareil. En fait, ce qui change surtout par rapport à Paris, c'est que l'on est beaucoup moins derrière nous. Il y a des corrections, mais elles sont moins personnalisées, moins au cas par cas. En même temps, c'est un peu normal dans une compagnie, on n'est plus à l'école. Il y a quatre ou cinq maîtres de ballet à l'année qui nous donnent les cours. Nous avons aussi des professeurs invités : par exemple, nous avons eu Andrey Klemm, Johnny Eliasen...


Avec quel statut avez-vous été recrutée?

J'ai été recrutée en tant qu'«aspirante». Au-dessus, il y a «élève», puis «corps de ballet». Les deux premières années correspondent en fait à des contrats d'un an - des contrats de stagiaires en quelque sorte. On a des contrats d'un an pendant les trois ou quatre premières années et ensuite, soit on obtient un contrat à durée illimitée, soit on n'est pas renouvelé. C'est l'une des seules compagnies européennes où l'on peut avoir des contrats à durée indéterminée. C'est plutôt intéressant, surtout en cas de blessure ou bien lorsqu'on veut s'installer, fonder une famille... C'est une sécurité.


D'où viennent les danseurs du Het Nationale Ballet?

Il y a beaucoup de danseurs qui parlent russe. Ils ne sont pas forcément tous Russes, mais un certain nombre vient des pays de l'Est. Il y a aussi quelques Français, des Australiens, des Anglais (des danseurs qui viennent du Royal Ballet), des Italiens, des Espagnols... C'est très mélangé.


Les danseurs principaux de la compagnie coachent-ils les jeunes recrues?

Il n'y a pas le système de «petit père» ou de «petite mère» comme à l'Opéra. Je ne sais pas comment ça se passe pour les autres nationalités, mais je sais qu'entre Français, il y a quelque chose  qui ressemble à une entraide : par exemple, il arrive que Mathieu [Grémillet] me corrige en classe, Cédric Ygnace fait de même. Il y avait aussi Charlotte Le Chapelier qui est partie à Madrid rejoindre la compagnie de José Martinez.


Vous êtes à Amsterdam depuis un an. Avez-vous été immédiatement distribuée?

Oui. J'ai été sur le Lac, j'ai fait du corps de ballet, mais aussi les Petits Cygnes, ce qui était vraiment important pour moi. J'ai fait aussi les Flocons dans Casse-noisette. Ensuite, il y a eu des créations contemporaines : je n'étais pas titulaire, mais j'étais remplaçante sur une pièce de Juanjo Arquès [Consequence, ndlr] et une de Ton Simons [The Nature of Difference, ndlr]. On a refait le Lac des cygnes en tournée et maintenant on est sur Giselle où je danse les Paysannes au premier acte et les Wilis au second.

J'ai adoré le travail avec Juanjo Arquès, qui est un danseur de la compagnie qui chorégraphie depuis cinq ans. La pièce qu'il a créée pour le programme de janvier [programme de plusieurs créations intitulé Present/s, ndlr] était magnifique : c'était une pièce pour neuf danseurs, avec des pas de deux, des pas de quatre, des ensembles, une pièce très contemporaine. Je n'ai pas eu la chance de la danser pour un vrai spectacle, mais ça m'a  beaucoup plu de travailler avec lui en studio, de voir comment une pièce se crée directement sur les danseurs, tout le temps que ça prend, la patience que ça nécessite... J'ai aussi remplacé une danseuse malade lors d'une répétition sur scène.


Si la direction vous proposait un rôle, lequel aimeriez-vous danser?

J'aimerais beaucoup danser Kylián, McGregor, Forsythe, Mats Ek – mais je ne crois pas qu'il soit au répertoire ici -, Robbins, Lightfoot et León... Je n'ai pas directement travaillé avec eux, mais ils ont créé une pièce pour le programme de janvier et ils sont au NDT.


Avez-vous des regrets parfois?

Je ne regrette pas d'être partie. L'ambiance de travail convient mieux à mon tempérament. Je ressens moins de pression ici sur les danseurs qu'à l'Opéra. Ce n'est pas du tout une critique – l'Opéra est une grande compagnie et il y a des personnes à qui cette ambiance convient très bien -, mais en ce qui me concerne, le fait d'être jugée en permanence a plutôt tendance à m'abaisser qu'à m'élever. Il y a plus de changement en ce qui concerne les danseurs – des départs, des arrivées -, plus d'ouverture d'esprit. Je dois dire que ça me fait du bien de voir des gens différents. Il y a une hiérarchie dans la compagnie, mais la direction donne sa chance à tout le monde.


Comment trouvez-vous la ville d'Amsterdam?

J'aime beaucoup la ville. C'est très différent de Paris. L'eau, les canaux, c'est apaisant, c'est très agréable même s'il pleut beaucoup. Je reviens quand même à peu près une fois par mois à Paris. Ma famille vient me voir aussi, ils sont venus pour chaque production : Le Lac des cygnes, Casse-Noisette, Giselle...


Est-ce que vous pensez que votre exemple, ou celui de Rémy Catalan, va attirer d'autres candidats parisiens?

Il y a des élèves de l'Ecole de danse qui sont venus passer l'audition cette année, mais maintenant, tous les élèves essayent de passer des auditions ici ou ailleurs en Europe. Un contrat de surnuméraire, c'est bien, mais parfois, il peut arriver qu'on le soit pendant trois ans pour finir par être recalé.


Gardez-vous des contacts avec les autres anciens de l'Ecole de danse?

Oui, bien sûr, on garde des contacts.


Est-ce que vous comptez vous installer durablement à Amsterdam?


En quittant Paris, mon projet était de voyager. Maintenant je ne sais pas encore de quoi l'avenir sera fait. Pour l'instant je reste, je me sens bien ici, j'ai signé mon contrat pour la saison prochaine où je serai donc «élève». Je pense que j'aurai bien envie de partir un jour, de voir comment ça se passe ailleurs. Peut-être aussi que j'aurai envie de danser plus de contemporain. J'aime beaucoup la compagnie de Wayne McGregor, le NDT, le SFB...




Clotilde Tran-Phat - Propos recueillis par B. Jarrasse


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Entretien réalisé le 25 avril 2012 - Clotilde Tran-Phat © 2012, Dansomanie


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