menu - sommaire



entretiens
Mathieu Grémillet, soliste au Het Nationale Ballet

25 avril 2012 : Mathieu Grémillet, soliste au Het Nationale Ballet d'Amsterdam


Mathieu Grémillet, Castelroussin de naissance, a fait le choix d'une carrière artistique internationale, qui, après un passage par Zurich, l'a mené au Het Nationale Ballet d'Amsterdam, où il vient de passer dix ans. Il prendra sa retraite en novembre 2012, mais ne quittera pas pour autant son pays d'adoption, la Hollande ; il y a en effet créé une société de production audiovisuelle, dont il s'occupera à présent à temps complet.





Quel a été votre parcours et comment êtes-vous arrivé au Het Nationale Ballet?

J'ai débuté la danse sur le tard, à l'âge de treize ans. J'ai commencé au Conservatoire de Tours, j'ai fait ensuite un petit passage à l'Opéra de Paris, puis au CNSM de Paris, et enfin à Marseille. On peut dire que j'ai fait un peu toutes les écoles de France! Je restais un an ou deux à chaque fois. Ma formation a été assez chaotique. J'étais assez agité et indiscipliné et ça ne marchait pas toujours. Le déclic en fait est venu à Marseille. Le directeur de l'école était à l'époque Jacques Namont. Je me suis bien entendu avec lui. C'est lui qui m'a montré le chemin, qui m'a notamment permis d'entrer au Jeune Ballet de France. J'y suis resté pendant un an – on n'y restait pas plus d'un an de toute façon. On dansait énormément de ballets et de styles différents.

Ensuite, à 18 ans, j'ai auditionné à Zurich. Je suis resté pendant six ans dans la compagnie de Heinz Spoerli. C'est quelqu'un qui demande énormément à ses danseurs, a fortiori quand il les apprécie. Moi, il m'a fait énormément danser. C'est vraiment avec lui que j'ai appris le métier. C'était ma première vraie compagnie et au bout de six ans, j'avais quand même envie de voir autre chose. Par des amis j'avais entendu parler du Het Nationale Ballet. Je connaissais aussi le directeur de l'époque, Wayne Eagling. Ça m'a tenté, j'ai auditionné et j'ai été pris. En réalité, je n'ai travaillé qu'un an avec Wayne Eagling, puisque Ted Brandsen, le directeur actuel, a pris le relais presque au même moment. Ça fait maintenant dix ans que je suis dans la compagnie. J'y ai gravi tous les échelons.



Est-ce que ça a été facile pour vous de quitter la France?

Ça n'a pas été facile du tout. Quand j'étais adolescent, je dois dire que n'y pensais même pas. J'étais assez naïf. En plus, à l'époque, je ne savais pas trop ce que j'allais faire. J'ai connu plusieurs échecs et en même temps, j'avais envie de continuer la danse. A chaque difficulté, je pensais surtout à l'école où j'allais pouvoir rebondir, poursuivre ma formation de danseur, finir mes études. C'était une période où je me cherchais un peu, où je me demandais si j'allais continuer dans ce milieu. En fait, tout ça est venu petit à petit, grâce à Jacques Namont, grâce au Jeune Ballet de France, qui est très tourné vers l'international. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à prendre conscience qu'il y avait non seulement beaucoup de compagnies de danse dans le monde, mais aussi de très bonnes. Donc pourquoi pas aller voir ailleurs?

mathieu gremillet
Mathieu Grémillet dans Coppélia


Vous voulez terminer votre carrière à Amsterdam?

En fait, ma carrière se termine la saison prochaine. J'ai décidé de terminer sur Paquita en novembre. J'ai déjà un pied dans autre chose, puisque je travaille pour la compagnie. Je fais des vidéos de danse, je m'occupe de la promotion de la compagnie. J'ai une boîte de production à l'extérieur avec un collègue. On fait de la vidéo, du montage... Actuellement, je suis dans une période de transition. Je finis ma carrière de danseur et je m'apprête à en entamer une autre. C'est un moment délicat, même si je suis très impatient de m'investir à 100% dans ma deuxième carrière. Pour l'instant, je jongle entre les deux, donc je n'ai pas toujours le temps de faire vraiment ce que je veux.


De votre point de vue de danseur, comment la compagnie a-t-elle évolué durant ces 10 ans?


J'ai tout d'abord le sentiment que la compagnie a acquis une certaine stabilité en Europe et dans le monde. Actuellement, il y a énormément de grandes compagnies qui sont un peu à la peine, qu'on voit soit stagner soit légèrement décliner, sur le plan du répertoire ou sur le plan artistique. Il y a eu des moments de doute, des difficultés, qui sont celles que rencontre aussi le monde artistique, mais la compagnie, grâce à Ted et à son équipe, a vraiment réussi à maintenir un très bon niveau artistique, à renouveler le répertoire tout en gardant une certaine discipline dans le recrutement, que ce soit celui des membres du corps de ballet ou celui des solistes et des principaux. Le niveau n'a fait que progresser depuis que je suis entré dans la compagnie. Celle-ci a aussi beaucoup rajeuni. Quand je suis entré, il y avait à peu près autant de danseurs âgés de plus de trente ans que de danseurs de moins de trente ans ; maintenant, il y a très peu de danseurs de plus de trente ans. Il y a énormément de demandes d'auditions, publiques ou privées. Beaucoup de solistes ont ainsi été recrutés. On refuse constamment des gens, sinon on serait submergés. La force de la compagnie, c'est qu'il y a un bon équilibre entre le directeur artistique et le directeur administratif. Ils se sont très bien entourés, ils mènent également une très bonne politique de promotion


Y a-t-il eu des coupes budgétaires comme dans d'autres compagnies européennes, et notamment au Ballet royal de Flandre?


Il y en a eu et il y en aura d'autres. L'opéra et le ballet ont fusionné. Ça a été plus dur pour l'orchestre. Pour le ballet, il n'y a pas eu de réelle baisse des effectifs. On a sans doute engagé un peu moins de danseurs, pris un peu plus de stagiaires. Malgré tous les problèmes économiques, on s'en sort plutôt bien. La compagnie continue à amener du neuf, et notamment de nouveaux chorégraphes. On a fait récemment deux soirées de ballet avec neuf nouvelles pièces, et signées en plus de grands chorégraphes. C'est exceptionnel!



Le recrutement est-il exclusivement international ou y a-t-il une école liée à la compagnie?

Il y a une école liée à la compagnie. De plus en plus de danseurs hollandais sont engagés, même si l'école a encore du mal à produire de bons éléments. Je pense toutefois que Ted Brandsen travaille vraiment à créer une bonne école. Nous sommes le «Ballet national», donc il est important qu'il y ait des danseurs hollandais qui représentent la compagnie. Souvent, les danseurs hollandais font carrière mais n'arrivent pas au sommet. Les choses changent petit à petit.


Et le public ici, comment est-il?

Le public est assez calme, ce n'est pas l'Amérique du Sud! Je dirais qu'il regroupe un peu tous les âges. La compagnie fait un énorme travail éducatif pour attirer de nouveaux publics, notamment sensibiliser les jeunes. On fait beaucoup de spectacles éducatifs, spécialement destinés aux écoles.



Vous avez appris la langue?


Non, j'ai honte. En plus, ma femme [Igone de Jongh, danseuse principale de la compagnie] est hollandaise. Mais bon, la compagnie est tellement internationale, on travaille tout le temps en anglais!


Comment définiriez-vous le style de la troupe?

Très varié. Le Het Nationale Ballet est d'abord une compagnie classique : classique, parce que chaque saison, on programme les grands classiques. Ensuite, c'est une compagnie très marquée par l'influence de Hans van Manen, le plus grand chorégraphe hollandais. Il est toujours là, présent dans la compagnie. Hier, il est encore venu voir Igone danser Giselle. C'est une personnalité très importante, très respectée ici. C'est l'une des forces du Het Nationale Ballet. Chaque année, nous programmons au moins deux ou trois pièces de lui. L'autre force de la troupe, c'est la variété du répertoire : Forsythe par exemple, mais aussi tous les chorégraphes émergents. On danse de plus en plus de Ratmansky, qui est très à la mode. Il nous a fait un très bon Don Quichotte, très vivant, très divertissant. Il nous a également créé un pas de quatre le mois dernier, c'était l'une des meilleures pièces des deux soirées de création. En plus, il est très sympa, très agréable en studio. David Dawson revient aussi régulièrement. Paul Lightfoot et Sol León, du NDT, c'est très récent, parce que d'ordinaire, on [le NDT et le HNB] ne travaille pas trop ensemble. Je ne sais pas vraiment quelles sont les relations entre les deux compagnies, ni le pourquoi du comment de leurs rapports. Ce que je sais, c'est que le NDT vient souvent à Amsterdam, une fois tous les deux mois, et nous dansons nous-mêmes régulièrement dans leur théâtre. Donc la connection, je dirais que c'est Hans van Manen, très dansé au NDT, et maintenant, Lightfoot et León que nous avons maintenant à notre répertoire.

mathieu gremillet
Mathieu Grémillet dans Giselle

Comment envisage-t-on d'un point de vue pratique la vie après la danse quand on mène comme vous une carrière à l'étranger?

Ça dépend de quels danseurs on parle. Il y a beaucoup de gens ici qui sont de passage, qui vont rebondir ensuite ailleurs. Moi, ma situation est différente : j'ai rencontré ma femme ici, on a un enfant, j'adore Amsterdam, je n'ai pas l'intention de rentrer en France, j'y retourne simplement pour les vacances et pour voir ma famille. Sauf changement radical, ma vie est et restera ici. Ce qui est exceptionnel dans la compagnie, c'est que l'on peut cotiser pour une sorte de reconversion. Il s'agit d'un système unique qui nous permet de faire des études, d'entamer en quelque sorte une deuxième carrière. Il faut cotiser pendant huit-dix ans pour y avoir accès. Il y a quelque chose d'approchant à Londres, mais c'est quand même un peu différent. Ça permet aux danseurs, par exemple ceux en fin de carrière, de pouvoir faire autre chose, de faire des études, d'investir dans de l'équipement comme c'est mon cas, de monter une petite entreprise... C'est vraiment intéressant!


Vous allez donc quitter la compagnie l'an prochain. Quels rôles vous ont particulièrement marqué?


J'ai tout dansé, du corps de ballet aux rôles principaux, en passant par les pas de trois, les pas de quatre - ceux-là j'ai dû tous les faire! Roméo, dans la version de Rudi van Dantzig, est peut-être le rôle qui m'a le plus marqué. C'est à mon avis le rôle le plus complet, peut-être pas le plus technique, bien que ce soit l'une des versions les plus difficiles au niveau du partenariat. En fait, c'est une question difficile et demain, je penserai peut-être à un autre rôle. J'ai aussi adoré Thème et Variations, le Prince de Casse-noisette dans la version de Wayne Eagling (l'un de mes premiers rôles), le Prince dans La Belle au bois dormant il y a deux ans... Je ne peux pas dire vraiment en fait. J'ai adoré dansé les ballets de Robbins aussi...


Le partenariat est-il important dans l'attachement que vous portez à des ballets?

En ce qui me concerne, ça ne m'a pas forcément marqué. On n'a pas vraiment notre mot à dire concernant le choix de la partenaire. Je ne suis pas très grand, donc je ne peux danser avec tout le monde, je ne peux pas danser avec ma femme par exemple. On a juste fait un ballet une fois ensemble, disons qu'on se rencontrait sur scène, mais c'est tout. Sur pointes, elle fait au moins une tête de plus que moi.


Pensez-vous que vous pouvez être un exemple pour de jeunes danseurs français qui ne savent pas trop vers quelle compagnie se tourner?

Les danseurs français ne sont pas toujours au courant de ce qui peut se passer à l'extérieur. Ils ne savent pas forcément qu'il y a des possibilités de faire de belles carrières à l'étranger. Moi-même, j'étais le premier à être comme ça. En France, on connaît l'Opéra de Paris, on regarde les vidéos de l'Opéra de Paris, et puis c'est tout. Alors qu'il y a aussi bien, sinon mieux, ailleurs. Il y a toujours ce problème de chauvinisme : on est bien à la maison et on est les meilleurs. Ici nous avons l'exemple de Clotilde ou de Rémy [Catalan], qui viennent de l'Opéra, mais aux Etats-Unis et en Allemagne, il y a beaucoup de danseurs français qui ont fait de très belles carrières, je ne parle pas simplement de danseurs de corps de ballet, je parle de danseurs principaux. Les danseurs français doivent et peuvent s'exporter.




Mathieu Grémillet - Propos recueillis par B. Jarrasse


Le contenu des articles publiés sur www.dansomanie.net et www.forum-dansomanie.net est la propriété exclusive de Dansomanie et de ses rédacteurs respectifs.Toute reproduction intégrale ou partielle non autrorisée par Dansomanie ou ne relevant pas des exceptions prévues par la loi (droit de citation notamment dans le cadre de revues de presse, copie à usage privé), par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. 


mathieu gremillet




Entretien réalisé le 25 avril 2012 - Mathieu Grémillet © 2012, Dansomanie


http://www.forum-dansomanie.net
haut de page