Dansomanie
: entretiens : Maria Allash
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Maria Allash, Etoile du Bolchoï
Pour Dansomanie, Maria Allash retrace sa vie de danseuse au Bolchoï
Maria Allash est danseuse au Bolchoï depuis 1994. Cette artiste, qui jouit d'un grand prestige auprès des balletomanes moscovites, est moins connue en Occident. Archétype de la ballerine classique russe, elle a accepté, pour Dansomanie, de retracer les moments-clé de sa carrière, et d'évoquer sans faux-semblants les traditions et l'avenir de la danse académique dans son pays, auquel elle voue un attachement tout particulier.
Maria
Allash : une vie au Bolchoï
D'où
est né votre goût pour la danse classique? Quand j'étais
enfant, à l'age de six ans, on m'a emmenée au Bolchoï voir un ballet classique. C'était
Casse-noisette. Je suis immédiatement devenue
folle de danse. A la maison je me suis mise à danser tout le temps. J'ai même
démoli un canapé en y faisant des bonds! Je pratiquais déjà la gymnastique artistique, mais la danse classique
a vite pris le dessus.
Comment êtes- vous
entrée à l'école de danse de
Moscou? Ce sont mes parents qui m'ont amenée à l'école de danse un peu par hasard, sans trop se poser de questions : si elle réussit le concours ce sera bien, sinon on fera autre chose. J'ai réussi. Comment
entre-t-on
à l'Académie de danse de Moscou? Tout d'abord on contrôle l'aptitude à la danse classique : le pas, la souplesse, le saut, l'"en dehors", comme partout dans le monde. On fait attention à la forme du corps, il faut avoir de longues jambes. Les enfants doivent être minces. Ce sont les paramètres principaux. On contrôle également la santé. La danse est un métier très exigeant et ce n'est pas la peine de s'y lancer si on n'est pas en bonne santé. Qui étaient vos
maîtres? Comment
vous ont-ils influencée? Deux professeurs ont eu un grande impact sur moi. Larissa Dorojan, d'abord, qui fut mon maître pendant deux ans, en quatrième et cinquième années. Elle venait du théâtre Mariinski. Elle faisait partie de la première promotion de pédagogues formés par Natalia Doudinskaia. Elle m'a donné l'énergie nécessaire. C'était un très bon professeur et elle m'a enseigné les bases essentielles qui m'ont tant servi par la suite. La seconde personne qui m'a beaucoup influencée fut Sofia Golovkina. Je l'ai eue durant les dernières années de ma scolarité, et j'ai achevé mon cursus en étant son élève. C'est elle qui m'a lancée dans la vie professionnelle. Maintenant, pour en revenir aux origines, j'ai débuté mes études avec Eleonora Chetvéroukhina, mais elle n'est restée à l'école que six mois. Natalia Savina a pris sa suite, et elle a assuré les cours des trois premières années. Aviez-vous un
modèle que vous vouliez suivre? De mon temps tout le monde voulait ressembler à Plissetskaïa, Oulanova, Semenova, Bessmertnova. Je les aimais toutes et toutes étaient mes idoles. J'avais toujours une grande joie de les voir. Chacune de ces danseuses était admirable individuellement, mais en même temps, pour moi, elles formaient un tout. Cette époque marquait la fin du temps des monstres sacrés et de l'exaltation qu'ils suscitaient. Maintenant tout a changé. Récemment nous sommes allés à l'Ecole de danse pour les répétitions de L'Age d'Or. Personne ne nous connaît plus. Les enfants ne nous saluent plus et se permettent des libertés avec nous. Quand nous étions petites filles, l'arrivée à l'école des jeunes ballerines qui venaient de terminer leurs études comme Nadejda Gracheva ou Galina Stepanenko était un grand évènement. On les regardait, sans oser bouger : les futures étoiles étaient devant nous! Maintenant, les élèves se disent : "Qui sont ces filles qui sont arrivées?", et c'est tout. Pourtant, à l'école, il y a des tableaux avec les photos de tous les artistes, et les élèves devraient donc connaître tout le monde, a priori. Les relations entre l'école et le théâtre sont en train de se rompre. Elles ne sont plus aussi étroites qu'autrefois. Aujourd'hui, les élèves ont changé et sont devenus très indifférents, ils ne s'intéressent à rien ; nous, nous n'étions pas comme cela. Quels sont les moments
importants dans la formation d'une ballerine à Moscou? Le plus important c'est l'acquisition des bases de la danse classique ; cela doit être fait dès le plus jeune âge. C'est sur ce socle de connaissances que vient se bâtir ensuite toute la technique. La base, c'est la position du dos et des hanches, l'en-dehors. Ce sont les fondements de la danse classique, ils sont absolument indispensables. On fait évidemment aussi beaucoup attention à l'expression artistique, mais cela vient en second. Il est impossible de danser correctement si l'on ne possède que l'expression artistique. Quelle
est la part de l'éducation musicale dans la formation des
danseurs en Russie? Les cours de piano sont obligatoires à l'école de danse.
Ils favorisent la formation de l'oreille et développent le sens du rythme.
Je pense que c'est très important. Avez-vous déjà dansé dans les spectacles du Bolchoï quand vous étiez encore élève? Les enfants participent aux spectacles du Bolchoï. Ils dansent des rôles comme les petits amours dans Don Quichotte ou la valse dans La Belle au bois dormant. J'ai personnellement dansé dans cette valse. Cela donne la possibilité de se familiariser avec la scène, ce qui est indispensable à de futurs danseurs. Les enfants commencent à participer aux spectacles à partir de la cinquième division. Tout d'abord ce sont les spectacles de l'école. Par exemple, la Fille mal gardée comporte une scène destinée aux tout petits. Ensuite cela va crescendo. D'ailleurs, cet ouvrage renferme beaucoup de danses pour des élèves de tous âges. Par ailleurs, les spectacles actuels du Bolchoï contiennent encore plus qu'avant des danses pour les enfants : les Négrillons dans La Bayadère, par exemple. Il y a des rôles similaires dans La Fille du Pharaon. De mon temps il y avait moins de ballets de ce genre, mais chaque fois qu'un spectacle nous donnait une occasion de monter sur scène, c'était une grande fête et nous faisions tout notre possible pour y participer. Quelle est votre opinion sur les
concours? Non, je n'ai jamais participé à aucun concours. Les concours sont probablement nécessaires. C'est l'époque qui veut cela.. Mais il existe une différenciation tacite des artistes : ceux qui assurent les spectacles et les "bêtes à concours". Dans un spectacle, l'intensité de l'effort croît progressivement. Le concours fonctionne comme une compétition sportive. Il faut déployer toute ses forces en une dizaine de minutes. Il est important d'y faire valoir un point de technique, mais on ne prête pas beaucoup attention à l'expressivité. On cherche à battre des records, a faire le plus de pirouettes possible. Les artistes y vont comme des athlètes. Parfois, les concours peuvent donner une impulsion à la carrière d'un danseur, mais cela revêt souvent un caractère purement administratif. Les concours font en même temps de la publicité car ils réunissent beaucoup de monde : des professeurs, des imprésarios. Malheureusement les artistes qui gagnent au concours ne sont pas toujours capables de bien danser un ballet entier. Ils sont magnifiques dans un petit solo de concert, mais lors d'un spectacle ils "sonnent creux". Hélas oui, ça arrive! On peut considérer un concours comme un tremplin pour les artistes qui débutent. Mais après le tremplin on peut aussi bien grimper que chuter. Quand et comment avez-vous été admise dans la troupe du Bolchoï? A la fin des études de l'école, il y a un "examen d'état". On se présente devant un important jury. Après cet examen, l'artiste reçoit des propositions et il peut choisir son futur poste de travail. Le Bolchoï était une des offres qu'on m'a faites. Bien évidemment, je l'ai acceptée. C'est le rêve de tous les élèves d'intégrer la troupe du Bolchoï. C'est très prestigieux. C'est le meilleur théâtre en Russie et un des meilleurs au monde. Donc je ne pouvais pas refuser et je suis devenue danseuse au Bolchoï. Comment jugez-vous votre carrière au Bolchoï? J'estime que j'ai bien réussi. Lors de la première année je dansais déjà des solos. C'était la mazurka dans Les Sylphides, la Reine des dryades, une des trois Sylphides, un des trois Cygnes. Je dansais dans le corps de ballet et j'avais en même temps les rôles d'une soliste. Dès la deuxième année j'ai obtenu officiellement le statut de soliste et mon répertoire s'est élargi. Mais ce sont des choses qui arrivent assez rarement. Je n'ai pas sauté l'étape du corps de ballet, mais tout en étant membre du corps de ballet, je dansais des solos. Il m'est arrivé de danser dans le même spectacle dans le corps de ballet, puis de vite courir me changer et de danser ensuite un solo. Comme tous les jeunes, avides d'action, j'ai essayé d'en faire le plus possible. Quand avez-vous eu votre premier grand rôle? Le premier spectacle où j'ai dansé le rôle principal était La Légende d'amour [ballet de Youri Grigorovitch, ndlr.]. C'était lors de ma troisième année au Bolchoï. J'ai obtenu de faire Mekhmené-Banou. A l'époque, le théâtre était dirigé par Alexandre Bogatyrev. A mes débuts, c'était encore Youri Grigorovitch qui dirigeait la troupe, mais il est parti six mois après. Après son départ ses ballets sont restés au répertoire. Ils y sont toujours d'ailleurs. Je crois que ce sont les spectacles les plus réussis. Le théâtre vit grâce à ses productions. Comment s'est déroulée votre carrière ensuite? Ensuite j'ai dansé Myrtha dans Giselle puis Gamzatti dans la Bayadère, Spartacus, le Lac des Cygnes. J'ai dansé Odette-Odile dans la dernière version de Grigorovitch quand elle a été mise en scène au théâtre. Mais je n'ai pas dansé la première, j'ai commencé plus tard. La nomination d'Alexeï Ratmansky au Théâtre en tant que directeur artistique du ballet a-t-elle influé sur votre vie professionnelle? Non, je ne peux pas dire que ma vie professionnelle ait subi un changement avec l'arrivée de M. Ratmansky. Pour moi c'est un des directeurs. Il y en a eu un certain nombre. Si je ne m'abuse, Alexeï Ratmansky est déjà le sixième dans ma vie de danseuse. Donc pour moi rien n'a changé. J'ai dansé Léa dans son ballet du même nom. C'était une expérience de chorégraphie moderne, intéressante. Lequel
des six directeurs avec lesquels vous avez travaillé a le plus marqué votre expérience artistique? C'est Vyacheslav Gordéev qui a le plus influencé ma vie professionnelle. Alexei Fadéechev également m'a donné beaucoup de rôles. C'est à son époque que j'ai eu le rôle d'Egine dans Spartacus. Personne n'y croyait, mais lors de la première tout le monde m'a appréciée. En 2000 nous avons montré ce spectacle en Angleterre et nous avons eu beaucoup de succès. Quels sont vos rôles préférés? J'aime tous mes rôles. J'aime danser la Bayadère (Nikiya), Odette-Odile. Mekhmené-Banou est un rôle fantastique. Malheureusement ce spectacle n'est plus dans le répertoire, mais j'y pense souvent. J'aime aussi beaucoup Raymonda. Tous les rôles sont intéressants, il n'y en a pas un qui soit moins bien que les autres. Chaque rôle apporte quelque chose de spécifique. Prenons par exemple la Légende d'Amour : c'est un drame d'une grande profondeur philosophique. Cela oblige à réfléchir. Le rôle de Mekhmené-Banou est très difficile, il met en jeu des sentiments complexes, où l'amour évolue vers la haine. Chaque fois j'y perçois quelque chose en plus. Un danseur conscient de ses possibilités physiques et artistiques doit-il se limiter aux rôles qui lui sont le mieux adaptés? A mon avis la notion d'emploi doit primer. Mais ce n'est pas à la danseuse seule de décider. Une danseuse veut tout danser. C'est à la direction de la compagnie qu'il appartient de canaliser les désirs. Interpréter Odette-Odile n'est pas à la portée de tout le monde. Idem pour Kitri ou Giselle, même si on en a très envie. Tout le monde veut tout, mais il faut fixer des limites, même si cela est difficile. D'ailleurs cela a toujours existé dans le ballet. Ekatarina Maximova, par exemple, n'a dansé Odette-Odile qu'une seule fois ; après elle n'a plus jamais réessayé. Nadejda Pavlova également. S'autolimitaient-elles ou se pliaient-elles à une injonction extérieure, je ne saurais le dire. De toutes manières, cela relève sans doute de choix artistiques. Personnellement, je pense qu'il faut quand même tout essayer et ensuite, ne persévérer que si le rôle convient réellement au danseur. Sans doute c'est très subjectif, mais les questions de goût ont leur importance. Une fille avec des jambes courbées et une grande tête ne peut pas incarner Odette-Odile sur scène. On veut y voir une danseuse au long cou, grande et svelte .
Vous
considérez donc que l'emploi est intimement lié à la morphologie du corps?
Oui Peut-être même que c'est le facteur prépondérant pour déterminer l'emploi d'un danseur. Y
a-t-il des rôles
qui vous font rêver?
Je voudrais danser Aurore dans la Belle au bois dormant. C'est un des rares ouvrages au répertoire du Bolchoï que je ne danse pas. Peut-être Giselle aussi. En dehors de notre répertoire, j'aimerais bien faire Manon ou Carmen. Je ne suis pas sûre que ces rôles soient bien adaptés à ma personnalité, mais je voudrais m'y essayer tout de même. Y a-t-il des rôles que vous refuseriez? Je n'ai jamais réfléchi à ce sujet, mais je pense qu'il y en a certainement . Je ne crois pas que je puisse interpréter Shirin dans la Légende d'amour. Je ne sens pas ce rôle. Mais en je crois qu'il faut toujours essayer. Cela m'est déjà arrivé de commencer une variation et de comprendre tout de suite : non ce n'est pas pour moi. Par exemple la Fée diamant, dans la Belle au bois dormant ; c'est un rôle que je déteste et j'emploie tous les stratagèmes possible pour ne pas le danser. Il y aussi la Bayadère : dans les variations des ombres, je n'aime pas les deux premières, mais j'apprécie la troisième et la danse avec plaisir, elle me va bien. Mon âme n'accepte pas les deux premières variations. Techniquement je peux les danser, mais c est à contre-cœur. Cependant je ne refuse rien a priori. Je teste d'abord, et je décide ensuite. Qu'est-
ce qui caractérise l'école russe
de ballet? Les artistes russes se distinguent par leur expressivité, ils mettent de l'âme dans leurs interprétations. Chez eux, dans le mouvement il y a du sens. Nous avons aussi une plastique très particulière. Et nous travaillons différemment la petite batterie. On peut dire que l'école russe est une sorte de synthèse des écoles française, anglaise et italienne, mais une synthèse très particulière, qui ne ressemble plus du tout à ses origines. On le voit dans toutes les interprétations. Peut-être ne sommes nous pas très techniques, mais nous sommes plus expressifs.
Pensez-vous
que le style russe sera préservé en dépit des tendances actuelles à
l'uniformisation? J'espère
que les styles vont subsister dans leur diversité. Sinon, les danseurs
ne seront plus que des machines. C'est sans intérêt. Chaque école doit
conserver son caractère spécifique. C'est bien plus intéressant pour
le public. C'est comme en peinture, chaque école doit avoir son style,
pour que chacun puisse y trouver quelque chose à son goût. Il y a
effectivement actuellement une tendance à la standardisation. Je n'aime
pas ces tentations de se rapprocher des écoles occidentales. J'aurais préféré
que nous gardions le style russe qui nous est propre. Actuellement
il y a beaucoup de professeurs étrangers ici ; mais notre propre école me paraît plus intéressante.
Je peux à présent comparer les cours des professeurs étrangers qui
sont venus travailler chez nous avec ceux de Marina Semenova, par exemple, et j'estime que ses cours sont bien plus complexes et plus intéressants,
en dépit de son grand âge. On peut dire la même chose de ceux de Svetlana
Adyrkhaeva [étoile du Bolchoï durant les années 1960-1980, ndlr.]. C'est l'école russe
qui doit être enseignée! Les étrangers ont toujours voulu comprendre et apprendre notre école. Ils sont
fascinés par nos cours car ils représentent une tradition séculaire.
Une bonne méthode d'enseignement est primordiale car cela permet d'éviter les traumatismes.
L'école russe permet de bien danser tous les ballets classiques. On ne peut pas en dire autant pour toutes les écoles occidentales. Les danseurs qui
suivent un cursus à dominante contemporaine ou néoclassique ne peuvent plus
interpréter aussi bien les ballets classiques.
La
préservation de la tradition doit-elle ainsi primer sur la recherche de
la nouveauté? A mon avis il est très important de conserver les traditions. Un peuple ne peut pas exister sans les traditions qui lui sont propres. Chaque nation se doit de les respecter ; elles doivent être préservées y compris dans le domaine de la danse classique. Aujourd'hui ce problème se pose de manière générale pour la Russie. On critique sans arrêt les Américains, mais eux, ils créent leurs traditions, car ils n'en ont pas. Les Russes, une nation aux traditions riches et anciennes, et dont l'histoire culturelle importante, tournent leurs regards vers les USA et n'arrêtent pas de clamer : "Nous voulons du nouveau!" Tout ce que nous avons chez nous est considéré comme obsolète. C'est comme si on jetait des diamants à la poubelle, pour les remplacer par quelque chose de neuf. Dans
ce contexte, selon vous, la méthode
Vaganova domine-t-elle toujours dans l'enseignement de la danse
classique ou les méthodes occidentales commencent-elles à se
généraliser en Russie? Les systèmes occidentaux ne sont pas encore entrés dans notre système d'éducation. Aujourd'hui tous les professeurs qui enseignent dans les écoles russes de danse classique ont été formés par le système de Vaganova et il fait partie de l'école russe. Marius
Petipa est-il toujours considéré comme la
figure dominante du ballet classique par la nouvelle génération des
danseurs russes? Je pense que oui. C'est lui qui a créé la plupart des ballets du répertoire classique, même si évidemment, on en donne maintenant des versions postérieures et légèrement modifiées. Mais dans les écoles de danse on étudie les chorégraphies de Petipa en cours d'histoire du ballet classique. Quel est
l'héritage le plus important de la période soviétique dans la danse
classique? Je pense que ce sont les ballets de
Youri Grigorovitch qui ont été créés durant cette période. J'ai eu le
bonheur de participer à la première de L'Age d'Or. J'y ai
interprété le rôle de Rita. Je danse aussi toujours avec plaisir Spartacus.
On peut réellement dire que le Bolchoï existe grâce au répertoire de cette époque. Ces ballets sont appréciés dans le monde entier et ils se vendent bien. Et Spartacus? Non, ce n'est qu'une variante de La Légende de l'Amour. En janvier 2004, était-ce la première fois que vous veniez à Paris? Oui, c'était la première fois. Quelles furent vos premières impressions de Paris? Il faisait très mauvais temps. Je ne peux pas dire que Paris m'ait particulièrement marqué, ni dans un sens, ni dans l'autre. Cette ville ne m'a pas impressionnée outre mesure. Mais la tournée s'est bien passée et nous avons été accueillis chaleureusement.
Aviez-vous rencontré des danseurs français avant ce
voyage? José Martinez avait dansé lors d'un festival à Oufa, auquel j'avais moi aussi participé. Je l'ai vu lors de ce festival, mais nous n'avons pas discuté, je le connais seulement de vue.
Avez-vous eu à Paris la possibilité de parler de vos expériences professionnelles avec les artistes français? Non, je n'en ai pas eu l'occasion. Je pense que la troupe de l'Opéra de Paris était en tournée, ou qu'elle travaillait sur une autre scène. On ne s'est pas croisés du tout. [La troupe était à cette époque en congés d'hiver, ndlr.]
Avez-vous eu des problèmes avec la scène en pente de l'Opéra de Paris? Non, on s'habitue vite. On peut danser sur n'importe quelle scène.
Est-
ce que le public
parisien est différent du public moscovite? Oui. Celui de Moscou est plus difficile. En comparaison avec le public ailleurs dans le monde, je trouve que c'est notre public qui est le plus difficile. Il est celui qui est le moins sensible à ce que nous faisons. Les Français réagissaient vivement. Ils étaient très reconnaissants. Leurs applaudissements étaient joyeux. Notre public est réticent. Il ne se lâche jamais. Aujourd'hui les gens qui vont au théâtre ne sont pas ceux qui aiment l'art, mais ceux qui peuvent se le permettre [financièrement]. Ils vont au Bolchoï pour le prestige. Mais ce n'est pas la même chose. L'argent ne rend pas intelligent. Une personne qui fait fortune ne devient pas un Einstein pour autant. On loue une loge au Bolchoï pour se montrer et non pour le plaisir de voir le spectacle. On trouve plus prestigieux d'acheter une cravate à mille dollars au lieu d'une à cent cinquante, et de venir au Bolchoï le 31 décembre au soir, quand les places sont à sept mille dollars et non le 2 janvier pour le même spectacle, avec la même distribution [quand les billets sont bien moins cher, ndlr]. Il me semble qu'aujourd'hui en France c'est différent. J'ai eu l'impression qu'en France, on allait au théâtre pour le spectacle lui-même. Peut-être qu'en France, la période que nous vivons en Russie est déjà révolue, à moins qu'elle n'ait jamais existé! Mais nous, nous en sommes à ce stade. Il existe également des admirateurs de telle ou telle personne en particulier. Mais ce n'est plus comme du temps d'Oulanova ou de Doudinskaïa. A l'époque on criait et on applaudissait en étant transporté de joie, pour exprimer son enthousiasme. Cela n'existe plus. Il y a toujours des personnes qui crient, mais pour autre chose. Il y a bien entendu encore de vrais amateurs mais on ne les voit plus [au théâtre]. Gardez-vous des souvenirs particuliers de votre séjour à Paris? J'ai eu le plaisir de visiter les musées. Pour moi c'était le programme obligatoire. Nous avons essayé de faire un musée par jour. Versailles nous a éblouis. Nous avons donné un programme de gala au théâtre du château. Après ce spectacle, nous avons été invités à une réception. Je crois que ce sont des oligarques russes qui ont organisé cette soirée et ils ont invité toute la jet-set parisienne. Le théâtre n'est pas grand, mais il est très beau et très élégant. La scène est toute petite. La réception qui suivait le concert s'est déroulée dans le château. C'était fascinant, On sentait l'atmosphère de l'ancienne époque et on avait l'impression que les chaises gardaient la chaleur des temps passés. Avez-vous des projets pour danser avec la troupe de l'Opéra de Paris? Je ne sais pas si nous aurons d'autres tournées prochainement à Paris, mais si je fais partie de cette tournée, j'y retournerais avec plaisir. Pour le moment je n'ai pas de projets personnels. [L'interview a été réalisée avant l'annonce officielle de la tournée à Paris en janvier 2008, ndlr.].
Quels sont vos projets pour le futur proche au Bolchoï? Je n'ai
pour l'heure pas reçu de nouvelles propositions. Je continue de danser mon répertoire.
Est ce que la reconstruction du Bolchoï a changé votre vie professionnelle? Je voudrais bien que ces travaux se terminent. Je voudrais revenir sur notre scène principale. Elle avait une atmosphère particulière. J'espère qu'elle la conservera. La nouvelle scène ne dégage pas la même impression.
N'avez vous pas le sentiment d'être en quelque sorte "sans domicile fixe"? Si, un peu. La nouvelle scène ne ressemble pas au théâtre. J'ai impression que je suis en tournée, mais une tournée qui ne se termine pas ; je n'arrive pas à rentrer chez moi. Sur cette scène on ne se sent pas chez soi. Le vieux théâtre était ma maison, j'y étais chez moi.
Maria Allash Entretien
réalisé le 3 juin 2006 ©
Maria Allash – Dansomanie. Traduction française par Galina
Cazenobe
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