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entretiens
Vladimir Varnava : une nouvelle génération de chorégraphes russes

21 juillet 2016 : Vladimir Varnava, chorégraphe invité des Ballets de Monte-Carlo


Vladimir Varnava, qui a commencé une carrière de danseur au Théâtre de Petrozavodsk, en Carélie (à la frontière russo-finlandaise), s'est lancé dès 2011 dans l'aventure de la création, et est aujourd'hui l'une des figures proéminentes de la jeune avant-garde chorégraphique russe. Récompensé aux Golden Masks de Moscou, il a réglé des ouvrages pour des célébrités, telles Svetlana Zakharova et Igor Kolb. Jean-Christophe Maillot l'a repéré au Festival du Mariinsky, où il présentait, dans le cadre d'une soirée «jeunes chorégraphes», une pièce intitulée Argile («Гли́на», en russe). Ayant beaucoup aimé son travail, le directeur des Ballets de Monte-Carlo invita dès la saison 2014-2015 Vladimir Varnava dans la Principauté, afin qu'il puisse se familiariser avec la compagnie, et lui passa commande d'un nouveau ballet. Laissé libre du choix de l'argument, Vladimir Varnava se décida pour une adaptation d'un conte d'Andersen, Le Baiser de la fée, dont la mise en musique par Stravinsky a acquis une célébrité mondiale. Le processus créatif s'est étendu sur toute la saison 2015-2016, pour aboutir au résultat présenté au public de l'Opéra Garnier de Monaco le 21 juillet dernier.


Vladimir Varnava



Pourquoi avoir choisi ce conte d’Andersen comme argument de votre ballet?

Il y a des titres que j’attrape, qui me tournent dans la tête, que je note dans mon bloc notes, parce que ce sont des thèmes qui me parlent. Honnêtement, je n’étais pas très sûr de mon choix quand Jean-Christophe m’a proposé de faire une création ici. Je n’étais pas très sûr non plus du format, de la manière dont se passe une création ici, de la manière de procéder, etc… L’idée du Baiser de la Fée avait été lancée auparavant, et j'avais été en négociations avec le Théâtre Mariinsky à ce sujet. Même si ces négociations ont été interrompues, c’était donc une chose qui me trottait dans la tête. Je m'étais donc déjà trouvé dans une situation similaire, à réfléchir à une telle création, lorsque Jean-Christophe m’a proposé de venir travailler ici, et avec le temps lorsque j’ai commencé à comprendre le format attendu. Au départ, j’étais venu avec une autre idée, mais à partir du moment où j’ai vu la compagnie, les danseurs, les circonstances, le choix a évolué et l’idée a commencé à naître, à germer, et a donc généré ce qui est devenu cette création. Evidemment, si cela se passait aujourd’hui, maintenant que je connais l’environnement et les danseurs, le choix aurait pu être tout de suite différent, mais je suis content que cela se soit passé comme cela.


C’est donc en partie l’influence et l’apport des danseurs des Ballets de Monte-Carlo qui vous a orienté vers ce type de programme?

Le titre m’était venu auparavant, mais cette création précise n’aurait pu naître qu’ici, avec ces danseurs-là. Si j'avais eu affaire à d’autres danseurs, cela aurait été totalement différent : la chorégraphie, la scénographie, les costumes, probablement tout le reste aussi.  Cette création est vraiment engendrée par la qualité des danseurs d’ici.


C’est justement votre habitude de travail d’écouter les propositions des danseurs ou vous arrivez avec un cadre très écrit et considérez les danseurs comme des «instruments»  à votre disposition pour votre œuvre?

Bien entendu, j’aime beaucoup quand les artistes font preuve d’une grande initiative, parce qu’à partir de là, on peut créer ensemble quelque chose. Dès qu’il y a un jeu de questions/réponses, on va beaucoup plus loin. Maintenant, il m’est arrivé de travailler différemment, lors de créations dans des écoles de danse, où les étudiants ne sont pas assez libérés, ou peut-être pas suffisamment expérimentés, même si ce sont des professionnels, ou lorsque, au contraire, je fais face à de grandes stars, qui ont un statut bien établi [sourire]… Il y a différents types de situations et en fonction de cela, il faut adapter sa méthode de travail. Nous avons une partie dans ce spectacle où je leur ai donné une matière, un thème, pour qu’ils puissent, eux, improviser là-dessus et m’apporter quelque chose. Evidemment, tout le monde veut danser dans un solo - heureusement, ils ne sont pas nombreux -, et nous avons pu construire quelque chose où tout le monde est visible. C’est vraiment le fruit de leur travail qui a conduit à cela.


Justement que vous ont précisément apporté les danseurs? Qu’ont-ils de particulier dans leur esprit ou leur technicité?

Ils ont une grande individualité. Ils ont des personnalités très, très prononcées, et évidemment ils sont devenus très proches. Ils sont entrés dans mon cœur, et c’est finalement difficile de se dire adieu étant donné qu’on a passé un moment très fort ensemble. Ce sont de vrais individus.


Comment aimeriez-vous qu’on définisse votre style chorégraphique?

En ce moment, il me plait de travailler sur la narration. Pas narration au sens des grands ballets narratifs comme le Lac des Cygnes ou Spartacus, mais narration au sens de quelque chose qui raconte une histoire. La narration donne un cadre, et les mouvements et l’état d’esprit des danseurs sont conditionnés par ce cadre. J’aime le poids de la gravitation, j’aime l’inertie, j’aime travailler sur le principe de forces. Maintenant je ne peux pas dire, de par les différents spectacles que j’ai faits, qui sont complétement différents les uns des autres, que j’ai un style particulier, même s’il y a toujours quelque chose de commun qui reste. 

Dans cette création, nous avons notamment conçu un univers qui est subaquatique, immergé, comme l’Atlantide. Alors forcément, les mouvements deviennent beaucoup plus lourds, comme à travers l’eau, pour rendre ce monde mystique et mythique des fées, qui évoluent ici sous l’eau. Et pour moi, c’était presque une surprise, car c’est l’histoire conçue de cette manière qui a influencé ma chorégraphie, et tout à coup, je me suis mis à écrire des choses correspondant à cet état subaquatique! [rires]


Quand on associe danse et Russie, on pense immédiatement aux grands ballets du répertoire classique. Comment êtes-vous arrivé à franchir cette frontière, et à devenir aussi «atypique»?

Depuis l'enfance, je suis intéressé par… En fait, dès que j’ai pris conscience de ce qu’était l’art de la danse, je me suis intéressé à  la danse moderne, étant donné que pendant une très longue période, elle a été «séquestrée» et pas vraiment autorisée en Russie. Et donc dès le début, j’ai commencé à creuser au-delà de l’esthétique que j’aime dans la danse classique. J’ai commencé à m’intéresser aux maîtres européens, au niveau de l’énergie, à voir comment ils la travaillent. Tout ce qui n’existe pas vraiment dans la danse classique. Sachant que je respecte et que j’aime toujours beaucoup les lignes classiques!

Mais il faut aimer toute la danse. J’ai notamment étudié dans mon cursus la danse folklorique, qui est une matière extrêmement riche, beaucoup plus liée à la danse contemporaine qu’on ne le pense. Il y a énormément à apprendre de cette danse folklorique, dite «populaire» alors que c’est un puits de sources d’énergies immense. Ces danses qui nous semblent être des danses de styles différents ont en fait toutes quelque part une source commune.


Est-ce un trait de votre caractère de vouloir explorer toute les formes de la danse, du classique au contemporain, et de l’interprétation à la chorégraphie?

Oui, évidemment, je me nourris de tout. Je suis aussi très intéressé par les arts plastiques, par les musées, la peinture, Chagall… Je vais certainement faire quelque chose sur Chagall. En tout cas, j’aime aller puiser ma substance de tous les côtés.


Après avoir été récompensé plusieurs fois en tant qu’interprète, rêvez-vous toujours de danser de nouveaux rôles, sur de nouvelles scènes? Ou vous êtes aujourd’hui totalement tourné vers vos propres créations?

Bien entendu, j’aime, j’aime beaucoup danser. Il se trouve qu’en Russie, il n’y a que quatre compagnies soi-disant de danse contemporaine. J’ai dansé un certain nombre d’années des rôles classiques ou néo-classiques, mais au bout d’un moment, j’avais envie de faire quelque chose d’autre. Et c’est le manque de danse que j’aurais voulu interpréter qui a fait que je me suis mis à créer. Et ce que j’ai commencé à créer s’est avéré presque «nécessaire» pour certaines personnes. Il arrive parfois que je montre des mouvements en répétition et qu’on me dise «mais tu ne pourrais pas le danser toi-même?». Et après, quand je danse, on me dit «mais tu ne pourrais pas en refaire la chorégraphie?». Donc je suis constamment et continuellement sur un balancier entre danser et chorégraphier. Mais je comprends tout à fait qu’on ne peut pas être assis entre deux chaises : le chorégraphe doit justement rester assis sur sa chaise et se projeter dans autre chose que dans soi-même. Il doit se projeter dans la création au travers de ses danseurs.


Ce n’est pas trop difficile justement de créer ces rôles et de les abandonner à d’autres quand on aime à ce point danser?

Non, ce n’est pas difficile, mais c’est vrai que c’est difficile de comprendre que tu ne danseras plus. Je donne volontiers, je donne tout, je ne garde rien pour moi, et à aucun moment je ne me suis dit que je danserais mieux qu’eux! Non, jamais! Mais… quand je regarde les répétitions des autres chorégraphes, par exemple les répétitions de Jean-Christophe, j’ai envie! J’ai envie de danser et non pas de rester assis!


Vous rêvez donc de danser ici, à Monte-Carlo?

Peut-être… on verra, on ne sait jamais ce que l’avenir peut nous apporter. Je pense en particulier au fait que Jean-Christophe a fait une petite pièce avec Kylián récemment, et donc tout peut arriver. C’est pour moi un indice que tout peut arriver à n’importe quel moment!


Pour revenir au présent : auriez-vous  une deuxième clé de lecture, outre la partie aquatique, pour la création qui va être donnée dans quelques instants?

L’idée qui est peut-être la plus importante pour moi, et qui ne sera peut-être pas visible immédiatement pour le spectateur, est que l’être aimé, pour qu’il puisse respirer, pour qu’il puisse vivre, il faut savoir le laisser. Non pas laisser au sens d'abandonner, mais il faut parfois se sacrifier en quelque sorte.


Donc une crainte de ne pas être totalement compris, même avec un ballet narratif?

J’ai tout fait pour que les spectateurs comprennent. Parfois trop peut-être pour mon souhait. Maintenant, je ne pense pas en permanence à ce qui est compréhensible ou non, car, avant tout, le but est qu’ils prennent du plaisir. Parce que la narration ici n’est pas comme dans les grands ballets dramatiques des années 70 en Russie ou en Allemagne qui racontaient vraiment une histoire. Là, il y a bien une narration, mais c’est plus un sujet, une trame. Ce n’est pas une histoire de bout en bout que l’on doit comprendre pour pouvoir apprécier le ballet.


Un dernier mot?

L’autre idée repose sur le fait que cela ne se passe malheureusement pas toujours comme on le voudrait, dans le monde, et dans la vie… [grave] L’histoire reflète un petit peu cela, ce n’est pas qu’un spectacle de ballet où il y a un happy end attendu, ici on montre une autre facette de la réalité…




Propos recueillis par Xavier Troisille



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Varnava  Le Baiser de la fée
Le Baiser de la fée (chor. Vladimir Varnava)






Entretien réalisé le 21 juillet 2016 - Vladimir Varnava © 2016, Dansomanie


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