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entretiens
Hannah O'Neill, de Paris à Saint-Pétersbourg

09 avril 2016 : Hannah O'Neill à la conquête du Mariinsky



Après Héloïse Bourdon, c'est à Hannah O'Neill qu'il incombait de représenter l'Opéra de Paris au Festival du Mariinsky 2016. Tâche ardue, puisque la jeune femme, tout juste promue Première danseuse, devait s'imposer en Gamzatti dans La Bayadère, ouvrage aussi emblématique de la scène pétersbourgeoise - il fut créé en 1877 dans la cité de Pierre le Grand - que Le Lac des cygnes, face à deux étoiles russes, Kimin Kim (Solor) et Oksana Skorik (Nikiya), avec laquelle Hanna O'Neill partage l'honneur d'être cette année nominée aux prestigieux Benois de la danse.



Hannah O'Neill

Comment avez-vous été invitée au Mariinsky?

Cela s'est passé un peu comme pour Héloïse [Bourdon]. Après le dernier concours de promotion – enfin plus exactement alors que les répétitions de La Bayadère avaient commencé –, Benjamin Millepied est venu me dire que Youri [Fatéev] voulait que je danse Gamzatti au Mariinsky. J'étais évidemment contente, même si je n'y croyais pas trop. En fait, Youri Fatéev ne m'avait même pas vue en Gamzatti, il était venu pour les représentations de Kimin Kim et Kristina Shapran [les 19 et 21 décembre 2015, ndlr.], où je dansais la Première ombre. Youri Fatéev et Benjamin Millepied m'attendaient à la sortie des artistes, et ils m'ont dit : «oui, tu viens à Saint-Pétersbourg pour faire Gamzatti au festival du Mariinsky. Tu danseras avec Kimin Kim». C'est là que j'ai compris que c'était «vraiment vrai»! Et encore, les préparatifs, les demandes de visas, etc. ont commencé assez tard, fin février-début mars 2016, et c'est seulement en arrivant à Saint-Pétersbourg que j'ai réalisé ce qui m'arrivait.



On vous avait déjà dit quels seraient vos partenaires?

Pour Solor, oui, on m'a tout de suite dit que ce serait Kimin Kim. En revanche, je ne savais pas qui danserait Nikiya.


Aviez-vous répété avec les solistes avant d'arriver en Russie?

Non. J'ai travaillé le rôle toute seule, à partir d'une vidéo que le Mariinsky m'avait envoyée. En fait, la version du Mariinsky n'est pas si différente que cela de celle de Nouréev. Je me suis préparée durant deux semaines avec mon répétiteur parisien, Laurent Novis. Je ne suis pas quelqu'un qui arrive à travailler seul dans son coin. Pour ces séances, j'avais aussi demandé à Yannick [Bittencourt] et Hugo [Marchand] de me servir de partenaires, afin de peaufiner le pas de deux de Gamzatti et Solor. Comme j'étais distribuée sur le programme mixte [Ratmansky/Balanchine/Robbins/Peck, ndlr.], je n'étais pas trop sollicitée et cela me laissait du temps pour répéter.


Etiez-vous déjà venue à Saint-Pétersbourg? Connaissiez-vous un peu le Mariinsky?

Non, je n'étais jamais venue en Russie. Je connaissais bien entendu le Mariinsky de réputation, mais je n'avais vu la compagnie sur scène qu'une fois, au Japon, quand j'étais plus jeune. J'étais une petite fille, et ce sont des souvenirs assez vagues!


Dans quelle direction avez-vous travaillé le rôle?

Je sais très bien que je ne suis pas une danseuse russe. J'admire beaucoup les danseuses russes, avec leurs lignes, leurs extensions, mais moi, je ne suis pas du tout comme cela. Mes qualités ne sont pas là. Je n'ai pas un corps très souple, notamment. Je voulais donc me concentrer sur ce que moi je pouvais faire le mieux, tout en respectant la version du Mariinsky. Je pense d'ailleurs que si Youri Fatéev nous a invitées [Héloïse Bourdon et moi], c'est aussi pour montrer qu'il existe d'autres styles de danse ailleurs dans le monde. C'est ce qui fait l'intérêt de ce festival aussi. Pour le public, c'est magique de voir ces danseurs venus de partout, dix jours durant, dans des spectacles différents. Je veux donc essayer d'être moi-même. On verra bien ce soir si le public aime ou pas!

De quelle école vous revendiquez-vous?


De l'école française. Évidemment, je ne suis pas passée par l'école de danse de l'Opéra de Paris. Mais maintenant que j'ai intégré la compagnie, j'essaye d'être le plus française possible, en travaillant le bas de jambe, les pieds, les épaulements. Donc c'est vrai, je ne suis pas un pur produit de l'école française, mais c'est pour cette raison que j'ai énormément travaillé avec Laurent Novis [professeur au Ballet de l'Opéra de Paris, ndlr], depuis le jour où je suis entrée au ballet de l'Opéra de Paris.


Sur quels points particuliers Laurent Novis vous corrige-t-il?

En premier lieu, sur les pieds. Et les épaulements. Il me fait comprendre la valeur de chaque pas. Et il me pousse jusque dans mes limites. Je suis une danseuse qui possède un saut assez puissant, facile, et il m'encourage à aller au maximum de ce dont je suis capable : toujours plus d'élévation, toujours plus de pirouettes, bien présenter les pieds, monter la beauté de la femme, de la ballerine.


Quel type de formation aviez-vous reçue en Australie?

J'ai fait mes classes à l'Australian Ballet School, en effet. C'est un peu un mélange moitié-moitié de méthode Vaganova et de pratiques locales, de «style australien». Mais j'ai eu la chance de beaucoup travailler avec la directrice de l'école, Marilyn Rowe, qui, un peu comme les Français, insiste beaucoup sur la présentation du pied. Ce n'était évidemment pas l'école française, au sens strict, mais il y avait un petit quelque chose d'approchant. C'est peut-être aussi pour ça que j'aime beaucoup l'école française de danse.
Vous êtes à Saint-Pétersbourg depuis combien de temps?

Je suis arrivée le mercredi [6 avril 2016] après-midi. J'ai tout de suite enchaîné sur une répétition avec Kimin Kim, le soir à 19h00. Cela m'aura fait en tout trois jours de répétition, uniquement en studio. Je découvrirai la scène – et le corps de ballet – ce soir [9 avril 2016] lors du spectacle!


Êtes-vous déjà montée discrètement sur le plateau tout de même?

Oui, un danseur de la compagnie, Xander Parish, qui parle anglais, m'a fait faire une petite visite du théâtre hier. Il m'a emmenée aussi sur la scène! C'est magnifique, j'ai vraiment halluciné! Je n'arrive pas encore à croire que je vais, moi, danser là ce soir!


Vous avez assisté à la représentation de La Belle au bois dormant hier [8 avril 2016], c'était une façon de vous détendre, de faire baisser la pression?

Oui, tout à fait. Et ça m'a mise en «mode spectacle», cela m'a motivée... Voir les danseurs, sentir les réactions du public, même si ce n'était pas dans le même théâtre, puisqu'on jouait au Mariinsky-II. Cela m'a effectivement permis de me relaxer un petit peu, tout en restant concentrée au maximum. Mais il faut aussi en profiter, sinon, danser n'aurait pas d'intérêt.


Avec qui avez-vous répété à Saint-Pétersbourg?

J'ai un peu honte de le dire, mais il n'y a pas eu de vraie présentation des coaches, et je n'ai pas retenu le nom de la personne qui me suit [vraisemblablement Elvira Tarasova, ndlr.], mais c'était une ancienne étoile de la compagnie, à ce qu'on m'a dit. Youri Fatéev est aussi venu dans le studio hier, ainsi que le coach de Kimin Kim [Vladimir Kim, sans lien familial avec Kimin Kim, ndlr.].

Gamzatti est un rôle très dur techniquement, mais tout se passe de manière très intense en l'espace de vingt minutes seulement. J'ai eu environ une heure de répétition chaque jour, durant trois jours. Je pense que pour Gamzatti, cela suffit. Mais c'était davantage pour faire les derniers ajustements qu'un vrai coaching. J'aimerais avoir un jour la possibilité de travailler vraiment avec la compagnie, le corps de ballet.

Je suis aussi les cours de la compagnie. Ils sont plus brefs qu'a Paris, et ne durent pas plus d'une heure. C'est surtout de l'échauffement. Mais c'est très efficace.



Ce sera un défi pour vous de danser aux côtés de Kimin Kim?

Oui, et ce sera de toute façon un défi de danser avec la troupe du Mariinsky! Je ne me sens pas mieux que d'autres sous prétexte que je suis Première danseuse, et c'est assez impressionnant pour moi de me produire aux côtés de toutes ces stars du Mariinsky ce soir, mais je vais essayer de ne pas trop y penser. Je vais faire de mon mieux.


La question a déjà été un peu abordée plus haut: votre conception du rôle de Gamzatti sera ici différente de ce que vous faisiez à Paris?

Pas fondamentalement. La chorégraphie du Mariinsky est un peu moins difficile, donc un peu moins stressante aussi, notamment la grande variation du deuxième acte. L'adage est plus ou moins identique à ce que je faisais à Paris, il y a quelques ports de bras, quelques préparations qui changent.

La scène de pantomime de l'acte I est aussi un peu différente, mais de toute façon, elle est différente avec chaque danseuse. C'est davantage sur la musicalité qu'il y a les changements les plus importants, les accents sont placés autrement. Par exemple, quand je baisse le bras, en signe de vengeance, à la fin de la scène, le rideau descend quasiment avec le geste, alors qu'à Saint-Pétersbourg, la pantomime s'interrompt un peu avant. Mais c'est une scène que j'aime beaucoup, il faut se donner à 100%, sinon l'histoire ne passe pas auprès du public. En répétition, j'y suis allée si fort hier que j'ai un peu « choqué » Oksana Skorik [Nikiya, ndlr.], elle ne s'attendait pas à tant de véhémence quand je l'ai touchée, quand je l'ai fait tourner. En fait, au Mariinsky, l'affrontement de Gamzatti et Nikiya est moins démonstratif, moins violent, et Gamzatti ne se roule pas par terre par exemple. J'ai malgré tout essayé de préserver le côté plus véhément du personnage, dont j'ai l'habitude à Paris.


Vous porterez quels costumes?

J'ai apporté tous mes costumes de Paris, ne sachant pas trop à quoi m'attendre, mais finalement, je danserai avec ceux du Mariinsky.


Lorsque vous avez abordé, à Paris, il y a quelques mois, pour la première fois le rôle de Gamzatti, ça a été un moment important dans votre jeune carrière?

Oui, bien sûr. A ce stade de ma carrière, je veux me fixer tous les défis, tous les rôles sont importants. J'en ai besoin, je m'en sens capable. Les rôles les plus difficiles techniquement me permettent d'aller au-delà de moi-même, de dépasser mes limites, de m'améliorer. Je ne dis pas que je veux absolument tout danser dès maintenant, il y a un temps pour chaque rôle, mais je veux en faire le maximum. La Bayadère, c'est l'un des ballets que j'ai le plus vus quand j'étais petite. Je regardais la vidéo avec Elisabeth Platel qui dansait Gamzatti, avec Laurent Hilaire, c'était magique. Alors quand on m'a dit que j'allais moi-même danser Gamzatti pour une première à l'Opéra de Paris...


Vous êtes aussi attirée par d'autre types de rôles que ceux très techniques et virtuoses?

Mes deux ballets préférés sont
Le Lac des cygnes et Giselle. J'ai déjà eu la chance de danser – une seule fois – Le Lac des cygnes, c'était déjà magique, mais c'est passé si vite! J'espère avoir l'occasion de le refaire lorsque le ballet sera repris à l'Opéra de Paris. Sinon, pour moi, LE ballet, c'est Giselle. En mai-juin, je ferai Myrtha à Paris – j'en suis très heureuse - , mais j'espère qu'un jour j'aurai aussi la possibilité de danser le rôle principal.


Vous êtes venue toute seule à Saint-Pétersbourg, ou, comme Héloïse Bourdon, êtes vous accompagnée d'amis et/ou de membres de votre famille?

Ma mère et quelques amis m'accompagnent, ainsi qu'une jeune fille japonaise, venue de l'Académie Princesse Grace, à Monaco, qui a été invitée à danser la Manou par Youri Fatéev ; il avait dû la repérer dans un concours.



Vous assisterez au gala de clôture du Festival?

J'aurais bien aimé, mais le devoir m'appelle, et je rentrerai dès demain matin à Paris. Les répétitions de Giselle débuteront la semaine prochaine. J'ai eu un début de saison relativement tranquille, à la différence de l'année dernière, où j'ai enchaîné Le Lac des cygnes, Paquita... Là, finalement, j'ai envie de travailler beaucoup, j'aime bien aller jusqu'au bout de la fatigue. Je n'aime pas me reposer trop longtemps.


Vous aimez bien danser à l'étranger, en tant qu'invitée?

Eh bien, c'est la première fois, et j'espère bien que cela ne sera pas la dernière. J'adore cela, cela me stimule.



Propos recueillis par Romain Feist





Hannah O'Neill
Hannah O'Neill

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Entretien réalisé le 09 avril 2016 - Hannah O'Neill © 2016, Dansomanie


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