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entretiens
Les Trois Mousquetaires français de la danse chantent à Leipzig

16 octobre 2015 : B. Bouché,  M.Chaix, J-P. Dury et les "Französische Chansons"

Bruno est danseur à l’Opéra de Paris et dirige en parallèle depuis 2011 «Incidence Chorégraphique». Il est par ailleurs directeur artistique du concours «Les Synodales» à Sens. Jean-Philippe, lui, est le fondateur de la compagnie «Elephant in the Black box» qu'il dirige depuis 2013, après avoir mené une carrière de soliste à l’Opéra de Paris et aux Grands Ballets Canadiens de Montréal et de danseur principal à Madrid pour la Compañia Nacional de Danza, dirigée à l’époque par Nacho Duato. Martin, enfin, a dansé sept ans à l’Opéra de Paris, avant de rejoindre le Leipziger Ballet en tant que soliste, puis le Ballett am Rhein, dirigé par Martin Schläpfer, à Düsseldorf. Il a récemment arrêté de danser pour se consacrer uniquement à la chorégraphie. 





Comment avez-vous été contactés pour cette production?

Bruno, Martin, Jean-Philippe : Le premier contact s'est fait par Rémy Fichet, que nous connaissions de l’époque de l’Opéra de Paris. Il a été soliste à Leipzig, et, depuis 2010, officie en tant que  Directeur de production pour le Ballet de Leipzig. Il nous a fait savoir que le directeur artistique (Mario Schröder) voulait monter ce projet avec de jeunes chorégraphes, invités ou maison, sur le thème des chansons françaises. Nous sommes cinq en tout : nous trois et deux danseurs de la compagnie, Eva Lombardo et Bjarte Emil Wedervang Bruland, qui ont déjà eu la possibilité de chorégraphier des pièces précédemment.



Mis à part le thème principal autour des chansons françaises, vous a-t-on imposé certaines choses? Les musiques? Le nombre de danseurs?


Bruno, Martin, Jean-Philippe : Nous étions totalement libres, ce qui, par la suite, a pu nous poser quelques petites difficultés et nous a obligés à plusieurs réajustements. On a tous environ une vingtaine de minutes, mais pour le reste, c'était à notre guise.

Nous sommes venus au mois de juin 2015, et là, nous avons pu auditionner les danseurs chacun à notre tour. Nous avons réalisé que parfois nous avions choisi les mêmes danseurs, et que certains se retrouvaient de fait dans beaucoup de pièces. Une bonne partie de la compagnie  - 40 danseurs en tout - fait néanmoins partie du spectacle. Il se trouve que onze danseurs sont partis à la fin de la saison dernière, et malheureusement, en revenant en septembre, c'était trop court pour auditionner et prendre le temps de voir les nouveaux. Heureusement, Eva Lombardo, qui est ici depuis août et a donc plus de temps pour les faire travailler, a pris certains d'entre eux pour sa création.

Concernant les musiques, on s'est également retrouvé à avoir deux fois la même par exemple. Donc nous avons fait des compromis entre nous, histoire d'apporter une cohérence au spectacle.

Französische Chansons

Comment s'est déroulé votre emploi du temps. Avez-vous travaillé en même temps dans le théâtre?


Bruno, Martin, Jean-Philippe : Déjà, vu que nous avons nos propres projets en parallèle à gérer, nous faisions chacun des allers-retour et n'avons pas forcément été en même temps au théâtre pendant les répétitions. Ça a été plus délicat les dernières semaines, avant les filages sur scène, où les cinq chorégraphes voulaient travailler avec leurs danseurs.

Il y a plusieurs studios ici pour travailler, ce qui est pratique. Mais vu que certains danseurs se retrouvent sur plusieurs créations en même temps, ce n'était pas toujours simple. Dans l'ensemble, nous avons quand même réussi à concilier nos emplois du temps respectifs, en essayant d'être les plus concis et clairs possible.

Französische Chansons


Cette production ne sera malheureusement pas donnée sur la scène de l’Opéra de Leipzig (en travaux jusqu'à début novembre), mais sous un chapiteau, sur la place devant l’Opéra. Comment avez vous préparé vos chorégraphies, vu la disposition un peu spéciale de la scène?


Bruno, Martin, Jean-Philippe : Nous avons été prévenus dès le début que la scène serait très petite, et encadrée par le public, comme dans un cabaret. Nous avions donc déjà pu imaginer comment nous voulions présenter nos pièces. Cependant, même avec un schéma, il faut expérimenter une scène de ce genre pour en comprendre les difficultés. En répétition dans les studios, nous marquions toujours au sol des délimitations pour les danseurs. Mais il n'est pas toujours facile, dans le feu de l'action, de respecter ces limites. Il n’y a aucune coulisse, les danseurs sont donc directement à vue, et la scène en elle-même est très haute par rapport au sol, ce qui peut être assez effrayant pour les danseurs qui doivent vraiment faire attention à leur manière d'utiliser cet espace. Les premières fois sur scène n’ont vraiment pas été faciles et nous avons dû modifier certains passages, car impossibles à réaliser. En studio, ils se permettaient de dépasser, mais une fois sur scène, ils ont vite compris que ce n'était plus possible, surtout entourés par ce vide! On nous avait également promis l'utilisation des parties publiques, où ils avaient installé du lino. Mais un jour, en arrivant sur place, le lino avait disparu, car la location du chapiteau n'a finalement pas voulu que l'on y pose des tapis de danse. Du coup, certaines de nos idées ont dû aussi être changées. Mais c'est le risque du métier, ça nous apprend à réagir vite, à trouver dans un temps réduit des solutions efficaces.

Französische Chansons


Concernant ce thème «chansons françaises», comment l'avez vous abordé?

Bruno : J'ai toujours adoré Barbara ou Brel. Ça a bercé mon adolescence. Cependant, contrairement à ce que l'on pourrait penser, chorégraphier dessus n'est pas facile du tout, d'autant plus dans un pays étranger. Ici, en Allemagne, même s'ils adorent la chanson française, ils n'en comprennent pas les paroles, le vrai sens. Du coup, j’ai tenté de faire en sorte que la chanson ne soit pas une fin en soi, mais un moyen : essayer de construire une pièce et que les chansons viennent s’ajouter dessus. Et j'ai tenté de sortir des clichés que l'on attend de «chansons françaises».

Jean-Philippe : Personnellement, j’ai trouvé ça assez compliqué, car les paroles sont très connotées et c’est difficile de ne pas suivre au mot ce que les paroles racontent. Puis je m'étais toujours juré de ne jamais faire de chorégraphies sur du Brel ou du Piaf! Mais au final, le travail entrepris pour ne pas tomber dans certaines «facilités» a été très formateur.

Französische Chansons


Vous êtes chacun à des étapes différentes dans vos carrières de chorégraphe. Avez- vous un but précis ou préférez-vous encore vous laisser porter au gré des offres, des contrats?

Martin : Déjà, à l’Opéra de Paris j'avais pu commencer à chorégraphier mes premières pièces. Puis, une fois arrivé à Leipzig, le directeur Paul Chalmer m’a directement fait confiance en me proposant d'autres projets de création, tout en menant ma carrière de danseur en parallèle. Je travaillais également en-dehors sur différents projets avec quelques danseurs de la compagnie. Par contre, à Düsseldorf, même si j'ai réussi à continuer à chorégraphier, ça a été plus difficile. Durant cette période, étant donné les emplois du temps, c'était quasiment impossible de prendre du temps pour travailler des pièces en dehors des heures de travail.

L'année dernière, alors que je savais que je voulais de toute façon arrêter de danser, Jutta Ebnother, la directrice du ballet de Nordhausen (Allemagne), m’a proposé de créer une pièce pour ses danseurs. Je suis d'ailleurs heureux que mon directeur m'ait laissé la faire. Ensuite, vu que d'autres projets très intéressants, comme celui de Leipzig, m'avaient été proposés, et que je savais que je ne pourrai pas gérer ces projets avec ma carrière de danseur, j'ai décidé de quitter la compagnie pour ne me consacrer qu'à la chorégraphie.

Directement, après Leipzig, je vais travailler au Ballet de Saarbrücken, dirigé depuis cette année par Stijn Celis. Je vais y créer L’Oiseau de feu, dans une soirée où seront aussi présentées une pièce de S. Celis (Le Mandarin merveilleux) et une de Jiří Kylián (Forgotten Land / Vergessenes Land – créé en 1981 pour le Ballet de Stuttgart ndlr). Je suis vraiment ravi de voir que tout s'enchaîne aussi bien.

Ensuite, je ne sais pas trop où ça va me mener. Peut être que j'aurai l'envie de fonder ma propre compagnie privée ou que je postulerai pour être directeur-chorégraphe dans un théâtre, ce qui, pour être honnête, m'intéresserait plus. Pour l'instant, travailler en chorégraphe invité me plaît, je découvre de nouveaux théâtres, je me fais des contacts. Je tente de me faire un nom, j’expérimente. Et j’attends encore de voir où tout ça va me mener.

Bruno : Pour moi, c'est la première fois que je chorégraphie pour une compagnie de danseurs autres que ceux de l’Opéra de Paris, et dans un cadre officiel. Même lorsque je montais des soirées à l’Opéra, c'était toujours en-dehors de la saison officielle et n'avais donc pas de vrais horaires pour les répétitions, ou de vrais remplaçants au cas où quelqu'un se blessait. Ici, c’est la première fois que j'ai pu travailler toute une journée avec les danseurs sur ma création. C’est à dire de 11h00 à 18h00 ou 21h00. C'est vraiment agréable!

Mais par contre, avoir sa propre compagnie, c’est travailler avec des gens en qui on a  confiance, avec qui on peut développer son propre style, aller plus vite, prendre plus de risques. Et ne pas devoir commencer avec une page blanche. Ici, malgré les  quatre-cinq semaines de travail, je sens que l'on n'est pas encore prêts, et à une semaine de la première, je n'ai pas encore vu un filage sur scène. Donc c'est une expérience toute nouvelle pour moi, mais ça m'apprend beaucoup. Alors en effet, je danse encore et je vais être programmé sur différents programmes à l’Opéra. J’ai dû négocier avec Benjamin Millepied, et suis de fait en ce moment en congés sans solde à l’Opéra. J'ai cette chance qu'il ait ce souhait que de nouveaux chorégraphes issus de l’Opéra émergent et se fassent connaître. Il a d’ailleurs créé cette année la première académie de chorégraphie, dont je suis heureux de faire partie. Si l'on me propose des projets intéressants à l'extérieur, je pense qu'il acceptera que je parte ; ça ne peut être que formateur!

Jean-Philippe : J’ai déjà eu la possibilité l'année dernière de chorégraphier pour le Ballet de Bâle, et ça m'a poussé à réfléchir sur ma situation de chorégraphe. Là-bas, comme à Leipzig, c’est une toute autre façon de fonctionner que ce que je rencontre avec ma compagnie «Elephant in the Black Box». Dans ces théâtres d'Etat, beaucoup de choses ne sont plus de ma préoccupation! Toute la logistique surtout : l'organisation, la publicité, le marketing, les contrats avec les salles de spectacle, tout ça est géré par d'autres personnes. Ça facilite vraiment la vie!

Ce fut ensuite un réel plaisir de travailler avec les danseurs du Ballet de Leipzig, qui bougent vraiment très bien. Ils ont une vraie base classique, avec de belles lignes et une superbe technique (je les ai vu répéter Rachmaninov d’Uwe Scholz), mais sont aussi habitués avec leur directeur Mario Schröder à travailler dans le sol et ont une réelle puissance physique. C’est très intéressant en tant que chorégraphe de se retrouver face à des danseurs aussi polyvalents

Par contre, je ressens le manque de temps. J'aurais volontiers fait travailler les danseurs plus longtemps. Mais je ne peux pas me permettre de leur demander de venir travailler en plus le week-end, ou en dehors des emplois du temps officiels. Ils sont en contrat avec l’Opéra de Leipzig, et non avec moi.

J’ai vraiment apprécié le travail à Leipzig, mais je ressens aussi le besoin de retrouver mes danseurs, pour qui je n'ai pas été très présent cette année. Heureusement, j’ai la chance d'avoir quelqu'un à Madrid et en tournée, qui peut gérer la troupe à ma place pendant que je ne suis pas là. Nous avons de nouvelles dates et des tournées  programmées, donc je vais me concentrer dessus, mais ces expériences de chorégraphe invité et le fait de voir les différences de fonctionnement avec ma propre compagnie privée m'ont amené à me poser des questions sur le chemin que je voudrais prendre dans un futur proche. Mais pour l'instant, comme pour Martin ou Bruno, j’expérimente, j'apprends et accepte toutes propositions sérieuses.





Bruno Bouché, Martin Chaix, Jean-Philippe Dury - Propos recueillis  par Aurélie Lafaye


Retrouvez également notre interview de Martin Chaix réalisée en 2012 :
30 novembre 2012 : danser en Allemagne, conversation avec Martin Chaix


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Entretien réalisé le 16 octobre 2015 - B. Bouché, M. Chaix, J-P. Dury © Dansomanie


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