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Prix de Lausanne 2015 / Entretiens : Maria Sascha Khan


07 février 2015 : Maria Sascha Khan, du Montana à l'Oural



C'est à Lausanne, où elle accompagnait son jeune frère, Julian MacKay - l'un des lauréats de la compétition - , que nous avons rencontré Maria Sascha Khan.

Maria Sascha Khan est l'aînée d'une famille originaire du Montana, les Khan-MacKay, désormais dispersés aux quatre coins du globe. Repérée à dix ans par un professeur du Bolchoï, Maria Sascha choisit la danse, tout comme, à sa suite, sa sœur cadette, Nadia, et ses deux frères, Julian et Nicholas.

Maria Sascha évoque pour nous son parcours déjà riche, qui l'a conduit du Montana à Washington, puis en Europe, et désormais en Russie.






Votre frère, Julian MacKay, nous a raconté ses débuts dans la danse et l'influence que vous et votre sœur cadette avez pu avoir sur lui. Pour vous qui êtes l'aînée de la famille, comment ont commencé les choses?

Tout est venu d'un homme qui avait été formé à l'Académie du Bolchoï. J'ai grandi à Bozeman dans le Montana, où le ballet est une chose inexistante. C'est un magnifique endroit, il y a beaucoup de montagnes, des cow-boys, mais il n'y a rien du tout en matière de ballet. Quand j'étais petite, je prenais des cours de «danse», mais cela s'apparentait davantage à un éveil au mouvement. Ce n'était pas vraiment de la danse, pas au sens classique du terme. Un jour, un groupe d'anciens danseurs du Bolchoï, installés au Colorado, est venu au Montana. Ils cherchaient du travail pour l'été et tout ce qu'ils ont trouvé, c'est cette petite école où j'étais élève. L'un des danseurs, Misha Tchoupakov, nous a donné une master-class. Après le cours, il est venu me voir et m'a demandé si je voulais devenir danseuse professionnelle. J'étais vraiment surprise qu'il me pose cette question. Je n'avais jamais vu un ballet complet de ma vie, je n'avais même jamais vu de vidéos de danse et je n'imaginais même pas que l'on pouvait faire de la danse son métier. Tout ce dont j'avais conscience, c'était que la danse me procurait un plaisir immense. Je lui ai répondu  «Vous voulez dire que je peux en faire mon métier»? Je ne dirais pas qu'il considérait ma question comme stupide, mais comme il venait du Bolchoï, il a lui-même été très étonné qu'on lui demande ça. Pour lui, être danseur, c'était quelque chose de tout à fait normal. En Russie, c'est très prestigieux. C'est là que j'ai commencé à comprendre que je pouvais faire ça de manière professionnelle et y consacrer ma vie.


Quel âge aviez-vous quand vous avez fait cette rencontre?

J'avais dix ans. Je prenais un cours de danse une ou deux fois par semaine. Mais encore une fois, ce n'était pas vraiment un cours de danse classique, ce n'était même pas de la gymnastique rythmique. On faisait des mouvements, des étirements... Notre professeur ne connaissait même pas le nom des pas. Elle ne disait pas « plié », mais « bend ».


Comment s'est poursuivie votre formation?

A présent, j'ai trois frères et sœur dans le monde de la danse : Nadia, qui fait partie de la Compania Nacional de Danza, Julian et Nicholas qui sont à l'Académie du Bolchoï. Mais à l'époque, étant donné que j'étais l'aînée, ma famille ignorait absolument tout du monde du ballet et de la formation au métier de danseur. Ce fut donc le début pour nous d'un très long voyage – un véritable apprentissage. Il nous a d'abord fallu comprendre ce que cela signifiait d'être un danseur professionnel. Ma mère se posait la question suivante : «Si ma fille possède un talent pour la danse, si elle a cette passion en elle, comment faire pour qu'elle puisse y parvenir»? J'ai commencé par m'inscrire à des stages d'été aux États-Unis, à l'école du San Francisco Ballet, à l'American Ballet Theatre, au Joffrey Ballet ; j'ai aussi participé au stage de l'école du Royal Ballet. Ces stages ont commencé à m'ouvrir les yeux sur le monde professionnel, sur les danseurs de mon âge et sur les autres écoles. J'ai continué à suivre des cours au Montana aussi longtemps qu'il était possible, jusqu'à mes quatorze ans. Là, j'atteignais vraiment l'âge limite. Nous savions qu'il fallait que je quitte le Montana pour avoir une formation correcte.

J'ai ensuite été acceptée à la Kirov Academy of Ballet, à Washington DC. A quatorze ans, je me suis donc retrouvée interne là-bas. Ce fut une très bonne expérience. J'avais des professeurs russes qui venaient du Kirov pour le programme académique. On dansait des petits solos tout le temps, on avait également la possibilité d'assister à des représentations de l'ABT quand ils venaient en tournée à Washington. Par ailleurs, j'étais entourée de gens qui partageaient la même passion que moi et qui voulaient eux aussi en faire leur carrière. Après deux années à Washington, je me suis dit que j'avais reçu de l'Académie tout ce qu'il était possible d'en recevoir. Mais je voulais davantage. Durant ces deux années à Washington, j'ai obtenu des bourses, j'ai participé à des compétitions comme le Youth America Grand Prix et chaque fois, je posais la même question aux gens autour de moi. J'ai rencontré pour la première fois Cynthia Harvey, qui est à présent présidente du jury du Prix de Lausanne, lors d'un stage d'été à la Royal Ballet School. C'est elle qui donnait le cours et je lui ai demandé : «Qui, d'après vous, serait le meilleur professeur pour moi? Je cherche un mentor». Je pense qu'il n'était pas seulement important pour moi d'être dans une bonne école, il me fallait aussi avoir un professeur susceptible de m'apporter tout ce dont j'avais vraiment besoin. Et toutes les personnes à qui je posais cette question aux États-Unis ou à Londres m'ont donné le même nom, tous m'ont répondu la même chose : «Tu devrais aller travailler avec Marika Besobrasova».

Jusqu'à ma rencontre avec Cynthia Harvey, personne n'a été capable de me dire le nom de l'école où elle officiait, comment il était possible de la rencontrer. C'était une femme de l'ancien temps, une femme qui avait grandi à l'époque impériale. Elle ignorait tout d'Internet. Quand j'étais élève là-bas, j'allais à l'Internet Café - il n'y avait pas de wi-fi dans l'école. Elle me voyait sortir, elle me demandait où j'allais, je lui disais que j'allais à l'Internet Café et elle me demandait pourquoi. Je lui répondais que c'était pour envoyer des mails. « - Mais à qui ? » « - A mes fans, au Montana, à ma famille... », « - Pourrais-tu me montrer ça un jour? Parce que je ne comprends pas ce que c'est Internet. » Tout ça pour dire que c'était une femme qui appartenait à un monde différent. Il nous a  fallu deux ans pour entrer en contact avec elle.

Ma rencontre avec elle, c'est une histoire magnifique. Personne ne nous disait où elle habitait, ni qui elle était. A l'époque où je l'ai rencontrée, j'étais au Jeune Ballet de Cannes. J'avais quitté la Kirov Academy et j'avais été engagée là-bas. Parfois dans la vie, il nous faut avancer, prendre le nouveau chemin qui se présente à nous. On ne sait pas où il va nous mener, mais il est devant nous et nous le prenons. C'est ce que j'ai fait. Ma mère était venue me voir à Cannes et m'a dit : «Monte-Carlo est  tout près d'ici, tout le monde t'a dit d'aller voir Marika, allons-y». On s'est mis en route et, par hasard, nous avons trouvé l'Académie. J'ai sonné à la porte. Je ne me rendais pas compte à l'époque, mais Marika en personne m'a ouvert la porte, chose qui n'arrivait jamais. Je lui ai dit : «Je vous ai trouvée! Je vous ai cherchée partout! Je veux que vous deveniez mon professeur». Elle m'a invitée à venir dans son bureau pour que nous puissions discuter. Elle m'a fait mettre debout,  elle a regardé mes pieds et me les a fait pointer. Elle a accepté ensuite de me prendre dans son école comme élève à plein temps. J'étais vraiment surprise, car elle ne me connaissait pas bien : «Les élèves qui doivent travailler avec moi, ils me trouvent. Je peux voir, à ta manière de te tenir, à ta manière de bouger, quel genre de danseuse tu es. Je peux voir aussi si tu es quelqu'un avec qui je peux travailler, qui peut retirer quelque chose de mon enseignement et en comprendre la teneur», m'a-t-elle dit.

Travailler avec elle a changé ma vie. Elle m'a construite de l'intérieur en tant qu'artiste. Elle a changé ma manière d'appréhender le ballet. Elle m'a permis de le comprendre de manière plus intime, par-delà la technique, le style. Elle a éduqué mon esprit. Elle m'a fait comprendre que le ballet était une discipline globale, qui implique le corps, l'âme et l'esprit tout entiers. Parvenir à réunir tout cela au moment d'entrer en scène, c'est la marque des vrais artistes, ceux qui font s'exclamer le public, ceux qui l'émeuvent. J'ai donc passé le diplôme de l'Académie et Vladimir Malakhov m'a engagée aussitôt après au Staatsballett Berlin.



Considérez-vous toujours Marika Besobrasova comme votre mentor principal?

Oui, je peux dire qu'elle a été mon mentor. Ce qu'elle m'a appris, je le garde en moi. Elle m'a aussi enseigné le processus de la visualisation. Chaque soir, avant une représentation, je me représente visuellement en train d'exécuter à la perfection chaque pas, exactement comme je veux qu'ils soient dansés, avec la musique, le costume... Elle me disait toujours : «Si les choses ne sont pas claires dans ta tête, si tu ne sais pas ce que tu vas faire, alors rien n'arrivera». Une autre chose qu'elle m'a apprise et que je considère comme très importante, c'est la respiration. La respiration, selon elle, était très sous-estimée dans la danse. Si l'on veut tenir un équilibre plus longtemps, si l'on veut sauter plus haut, il faut apprendre à respirer correctement. Personne ne m'avait dit cela avant elle. C'était une personnalité unique.


Vous avez participé au Prix de Lausanne à ce moment-là?

Oui, après Washington et avant Monte-Carlo. En fait, c'était juste avant que je me retrouve élève à l'Académie Princesse Grace. Un professeur de la Kirov Academy m'avait fait travailler. C'était très nouveau pour moi. A l'époque, je ne connaissais vraiment rien. J'avais déjà participé à des compétitions, mais j'étais encore assez naïve concernant le monde de la danse et même les différentes écoles. Je ne connaissais pas l'Europe. Je ne connaissais que les écoles et les compagnies américaines. Je ne connaissais pas non plus les danseurs européens. Ça a été en tout cas une superbe expérience, j'y ai appris beaucoup. Je n'étais pas finaliste, mais j'ai eu des propositions, notamment de l'école de l'English National Ballet. C'est à ce moment-là que j'ai rencontré Marika.


Vous avez quitté l'Amérique pour l'Europe. Quelles ont été les les plus grandes difficultés pour vous en termes d'adaptation?

La plus grande difficulté a été culturelle. Il y a un certain nombre de choses que personne ne peut vous apprendre. Vous apprenez toutes ces choses petit à petit en vivant dans un pays étranger. Très honnêtement, cela ne me dérangeait pas de vivre seule, d'apprendre une langue étrangère, je m'en accommodais parfaitement. J'ai beaucoup aimé apprendre le français. Depuis toute petite, j'étais très indépendante. J'aime bien vivre seule. J'ai de l'auto-discipline. Je suis concentrée sur mes objectifs, c'est un truc de famille. Le plus dur a été de comprendre certaines petites différences culturelles. Cela peut vous sembler drôle, mais par exemple, aux États-Unis, on peut aller faire ses courses en survêtement, en France, ça ne se fait pas vraiment. J'ai dû aussi m'habituer aux horaires d'ouverture des magasins. Au moment de ma pause déjeuner, tout était fermé! Et à la fin de ma journée de danse, tout était fermé aussi! Au Montana, les magasins, les épiceries... tout est ouvert tout le temps. Une fois, je suis allée à la boulangerie en «sweat pants» et tout le monde me regardait fixement. Voilà, ce sont des tas de petits détails qu'on apprend au fur et à mesure en vivant dans un pays.


Vous avez par la suite été engagée à Berlin. Pensez-vous que c'est à Berlin que vous avez appris votre métier de danseuse?

Après mon diplôme, je suis donc partie pour Berlin. J'avais passé des auditions, j'avais eu quelques offres et j'étais très excitée. Vous savez, quand on est à l'école, on ne sait pas comment les choses vont se passer, si l'on va trouver un engagement... Cela dépend tellement du goût d'un directeur. A présent, je prenais conscience du fait que c'était possible de devenir danseuse professionnelle. J'avais vu Vladimir Malakhov avec sa nouvelle compagnie en couverture de Pointe Magazine. Je trouvais cette compagnie magnifique, mais je ne pensais pas pouvoir être prise là-bas. Je me suis quand même présentée à l'audition. Ils m'ont dit de me présenter la semaine suivante, parce que Vladimir devait partir quelques jours après. J'y suis donc allée. La classe commence et je vois à côté de moi Polina Semionova, Beatrice Knop, Vladimir lui-même. Je me suis dit qu'avec tous les danseurs magnifiques qui m'entouraient, je n'avais aucune chance. J'ai décidé qu'au lieu de jouer les timides, il valait mieux en profiter, prendre du plaisir et faire de mon mieux. Comme j'étais persuadée que je n'avais aucune chance, j'ai fait ce que j'avais à faire. Après la classe, Vladimir est venu vers moi et m'a proposé un contrat avec la compagnie : «Pouvez-vous commencer la semaine prochaine»?

J'ai passé trois ans à Berlin en tant que danseuse du corps de ballet. A Berlin, j'ai adoré danser le répertoire classique. Il y avait, au sommet de la hiérarchie, des ballerines que l'on pouvait vraiment regarder avec admiration. Toutes les étoiles étaient d'un très haut niveau et c'est quelque chose de rare. Avoir tous ces gens fantastiques autour de soi a été une grande source d'inspiration et j'ai aimé évoluer dans cette atmosphère. A Berlin, j'ai aussi appris à travailler avec une compagnie. Quand on est élève, on connaît sa technique, on connaît ses variations, mais c'est dans une compagnie qu'on apprend vraiment l'art de danser sur scène. J'ai notamment beaucoup appris en regardant danser sur scène Beatrice Knop. C'est quelqu'un qui sait parfaitement adapter ses lignes à la scène. Elle a l'art d'ajouter les détails qu'il faut. A l'école, on apprend à faire une arabesque d'une certaine manière – la manière correcte -, mais pour mieux mettre en valeur sa ligne peut-être, il faut adapter les choses sur scène. Tout cela, on ne le comprend que lorsqu'on devient professionnel, lorsqu'on monte sur scène.

maria sascha khan


Pourquoi êtes-vous partie de Berlin?

A l'époque, le répertoire changeait complètement. Ils ont enlevé tous les classiques du répertoire. Les ballerines que j'admirais le plus commençaient plus ou moins à quitter la compagnie. Par ailleurs, le théâtre – celui de la Staatsoper Unter den Linden – fermait. Je me suis dit que c'était le moment pour moi de changer. Je suis donc partie à Munich.


Pourquoi avoir choisi Munich?

Je ne sais pas comment expliquer... Je suis tout simplement allée à Munich, ils m'ont aussitôt annoncé qu'ils m'engageaient et j'ai accepté. Les conditions matérielles y sont excellentes, ils ont les meilleurs contrats qui soient pour les danseurs, un beau théâtre... On a aussi pas mal d'occasions de faire de la scène dans cette compagnie. Je trouvais par ailleurs leur répertoire magnifique. J'ai eu la chance de travailler avec les meilleurs chorégraphes. Ils venaient à Munich en personne travailler avec la compagnie. On a eu des créations spécialement pour nous, des pièces que nous étions les seuls à danser. John Neumeier notamment venait constamment à Munich. A Berlin, j'ai travaillé aussi avec de très bons chorégraphes, Bigonzetti, Preljocaj, dont j'ai dansé la Blanche Neige, Kylian... Mais Munich a vraiment un répertoire superbe.


Avez-vous eu la possibilité de danser en soliste durant ces années allemandes?

Oui, j'ai eu la possibilité de danser quelques solos, mais je n'ai pas été promue, je suis restée dans le corps de ballet.


Vous avez ensuite quitté Munich. Pourquoi?

Oui, je suis partie au bout de trois-quatre ans. Je n'étais pas promue. C'est l'une des raisons de mon départ. Je voulais être promue, oui. Je pense que la carrière d'un danseur est trop courte pour que l'on puisse se permettre d'attendre. J'ai toujours été hyper-active, je viens d'une toute petite ville et il était vraiment plus qu'improbable que je devienne une danseuse classique. A cause de ça, j'ai dû constamment me battre et m'efforcer de sortir de mon petit confort. J'ai aussi décidé de quitter Munich, parce que je trouvais qu'il n'y avait pas assez de «coaching». Pour moi, il est très important d'avoir une bonne classe au quotidien, mais aussi un bon «coach» qui soit derrière vous. Si vous voulez que votre carrière se prolonge et si vous voulez continuer à évoluer, c'est difficile si vous n'avez personne qui vous apporte cette nourriture. Et j'ai été engagée à Ekaterinbourg.


On a tout de même l'impression que vous avez toujours cherché un guide...

Plus le temps passe, plus on apprend de choses et mieux on arrive à maîtriser ces choses. Les objectifs se transforment. Une fois que l'on a atteint un but, on est heureux bien sûr, mais l'on se rend compte aussi qu'on peut toujours apprendre davantage, qu'on peut toujours évoluer et progresser davantage. Quand j'ai commencé aux États-Unis, je n'avais aucune idée de cela. J'ai ensuite entrepris un voyage à la découverte de lieux et d'artistes qui pouvaient me motiver, m'aider à développer et à atteindre mon potentiel, à comprendre même quel était mon potentiel. Je pense que quand on est jeune, on ne prend pas la mesure de ce que l'on a en soi. Cela prend du temps et cela demande des efforts de réflexion pour en prendre conscience. Donc oui, c'est vrai, je pense que c'est important pour moi.


Comment s'est passée la rencontre avec la compagnie de Ekaterinbourg?

J'avais entendu parler de Slava Samodourov, le directeur du ballet. Un certain nombre de gens, dont l'opinion compte beaucoup pour moi, m'avaient dit qu'il faisait vraiment du bon travail avec la troupe. Il a reçu deux «Golden Masks» l'année dernière. Il est encore nominé cette année. C'est quelqu'un de très créatif. Ces amis m'ont dit qu'il pourrait m'apprécier comme artiste. Je lui envoyé mon curriculum vitae, ce genre de choses. Il était très intéressé. Je suis donc partie auditionner, et après ça, il m'a offert un contrat de première soliste. Il m'a aussi proposé des rôles spécifiques, comme Odette. Je vais faire mes débuts dans ce rôle en juillet, la compagnie monte d'ailleurs une nouvelle production du Lac des cygnes, qui s'appuie sur la version du Mariinsky. Le répertoire qu'il construit pour la compagnie est vraiment très intéressant : un répertoire mixte, mais avec tous les ballets classiques. J'ai toujours étudié avec des professeurs russes, j'ai appris avec la méthode Vaganova et c'est à celle-ci que va ma préférence. Il y a une autre raison pour laquelle j'ai décidé d'aller là-bas, indépendamment du directeur, du travail qu'il fait avec la troupe et du beau théâtre. En Russie, ils ont cette tradition magnifique du «coaching». On intègre une compagnie et l'on vous donne un professeur particulier. Ce professeur vous aide à préparer les rôles, regarde ce que vous faites en classe... Il y a quelqu'un qui est là. Bien sûr, il y a beaucoup de choses qu'on doit faire soi-même, mais à un moment donné, il faut absolument un œil extérieur porté sur soi. Donc je suis très impatiente de travailler là-bas.


Le ballet d'Ekaterinbourg est-il devenu selon vous plus attractif du fait de l'arrivée de Viacheslav Samodourov à sa tête?

Oui, indubitablement. Il a déjà fait énormément de choses. Il a doublé l'effectif de la troupe. Par exemple, en avril, on va danser à Moscou pour les «Golden Masks», et le spectacle sera retransmis en direct dans les cinémas dans toute la Russie. Il a également fait venir des maîtres de ballet du Mariinsky. Il est très lié au Royal Ballet, puisqu'il y a été étoile. Donc oui, vraiment, il a changé la compagnie.


On dirait quand même que vous et votre famille entretenez une relation particulière à la Russie...

Ce n'était pas quelque chose de prévu au départ! Ma grand-mère était germano-russe, mais c'est tout. Pour être honnête, nous pensions dans ma famille, en bons Américains, que les gens qui allaient en Russie, même pour un simple stage d'été, était des fous complets. «Il y a tout ce qu'il faut chez nous, pourquoi aller là-bas»? (rires) Disons qu'au fur et à mesure que l'on avançait dans ce voyage à l'intérieur du monde du ballet, on s'est rendus compte qu'il y avait une tradition là-bas, qui n'existe que là-bas. J'avais commencé d'en recevoir quelque chose par le biais, par exemple, de la Kirov Academy de Washington. Les gens de cette école s'efforcent d'en faire une réplique du Kirov de Saint-Pétersbourg. Ils envoient des professeurs, le cursus est le même, les examens aussi, même le répertoire est assez semblable... Et dans une certaine mesure, ça fonctionne. Mais c'est très différent de s'immerger dans la culture russe. Il y a aussi la mentalité des gens qui vous entourent et qui ont grandi avec tout ça. Rien que le fait de baigner dans cette culture vous apporte quelque chose. Mais non, rien n'était prévu. (rires) Il y a d'abord eu cet homme du Bolchoï qui m'a dit que je pouvais devenir danseuse classique. Je me suis ensuite frottée à différents styles, je les ai tous appréciés, j'ai appris quelque chose de chacun, mais celui avec lequel mon corps se sent le plus à l'aise, c'est le style Vaganova. Donc, il y a aussi quelque chose de l'ordre de la sensation. C'est celui qui, finalement, a été le plus bénéfique pour nous.


Ekaterinbourg reste loin de Moscou, où vivent vos deux frères...

Oui, mais c'est toujours plus près que des autres villes où j'ai vécu!


Quel rôle jouez-vous auprès d'eux? Êtes-vous une sorte de guide?

J'espère!


Êtes-vous leur plus grande fan?

Sans doute! Mais il y a aussi mon autre sœur, mon père et ma mère... Je pense que quand on appartient à la même famille et qu'on a le même métier, on sait qu'il a fallu beaucoup de travail, de persévérance, de travail sur soi.pour arriver là où on en est. Le monde extérieur, lui, voit les succès, les victoires, mais pas les combats, les déceptions, les souffrances endurées. Je crois que c'est aussi pour ça que ma famille a créé cette organisation à but non lucratif d'aide aux jeunes artistes [http://www.youthartsinaction.org]. On a pensé que notre expérience pouvait servir et aider d'autres personnes. J'ai vécu un certain nombre de situations que mes frères connaissent à leur tour. J'essaye de les aider autant que possible à partir de ce que j'ai connu. Je suis leur parcours et je me rends à Moscou dès que je peux. Quand on a deux jours de libres, ça m'arrive de prendre le vol de nuit pour Moscou. Il y a un vol à 23h30, après le spectacle, et j'arrive à Moscou à trois heures du matin. C'est bien aussi pour moi de voir comment fonctionne le système russe. Le Bolchoï me donne la possibilité de suivre la classe sur place, de répéter... Les maîtres de ballet de la compagnie sont vraiment extraordinaires et j'apprécie de voir tous ces artistes magnifiques. Donc oui, j'y vais autant que possible. J'irai au spectacle de fin d'études, sauf si on a Le Lac des cygnes ce soir-là, c'est à la même période. Ce sera un moment formidable pour lui.


Vous aimeriez que Julian intègre les rangs du Bolchoï?

Je voudrais que qu'il se réalise pleinement, où qu'il aille et quoi qu'il fasse. Je voudrais que ses qualités soient reconnues et qu'il obtienne ce qu'il mérite. Pour moi, c'est ce qui est le plus important.


Suivez-vous aussi la carrière de votre sœur à la Compañía Nacional de Danza?

Oui, bien sûr. Ma sœur est dans le groupe classique de la CND. Elle a rejoint la compagnie lors de la deuxième saison de José Martinez. Elle l'aime beaucoup comme directeur. Il est très gentil. Elle a dansé dans In the Middle, Somewhat Elevated. Ils ont aussi fait Raymonda, bientôt il y aura Don Quichotte... Tous les quatre, on est des danseurs très différents. Dans un ballet, on ne pourrait pas danser les mêmes rôles. On a tous des qualités et des manières de danser différentes. On se soutient beaucoup, mais on est tous des individus distincts.


Vous arrivez à vous retrouver dans l'année?

Nous nous retrouvons tous en été, au Montana, quand les saisons des compagnies sont terminées.


Vous allez faire vos débuts dans Le Lac des cygnes. Vous avez d'autres projets dans l'avenir, avec la compagnie ou à l'étranger?

Je vais bientôt danser pour le gala en l'honneur de Marika Besobrasova. Il y a un gala chaque année en avril. Tatler Magazine va publier un reportage sur ma sœur et moi en mai. A Ekaterinbourg, je vais danser Giselle ou Myrtha. Il y a un autre ballet qui est prévu, intitulé Katya and the Prince. Ça a l'air super, mais je ne sais pas encore quel rôle je vais faire. Il y aura la première d'un ballet de Paul Lightfoot, ainsi que La Fille mal gardée en mai, mais je ne suis pas sûre d'en faire partie, je suis un peu grande. Il y aura une nouvelle création de Slava Samodourov. Des tournées également. C'est tout ce que je sais pour l'instant, mais en Russie, les choses fonctionnent différemment. J'en parlais avec mon ami Xander Parish. En Occident, en Europe, la saison est programmée un an à l'avance au moins. On connaît toutes les représentations à l'avance, les tournées, etc... En Russie, on programme trois mois avant, parfois c'est un mois avant... Donc je ne suis encore sûre de rien.


Vous mentionnez le nom de Xander Parish. Y a-t-il une communauté anglo-américaine qui s'instaure en Russie?

Bien sûr, on se connaît tous, mais le monde de la danse est tellement petit. J'ai rencontré Xander quand je suis venue au Prix de Lausanne. Il a deux ou trois ans de plus que moi. Mais à Ekaterinbourg, je suis la seule Occidentale. Il y a trois Japonaises, quelques danseurs des anciennes républiques soviétiques, mais c'est tout.


Vous parlez russe?

Non. Je peux le lire, je connais quelques expressions, mais je ne le parle pas couramment. Je veux cependant l'apprendre. On passe à côté de beaucoup de choses quand on ne parle pas la langue. Quand j'étais en Allemagne, j'ai appris l'allemand, quand j'étais à Monte-Carlo, j'ai appris le français... Donc je vais m'y mettre.


Pour terminer, quels sont vos danseurs préférés, ceux ou celles qui vous ont inspirée?

Je dirais Altinaï Asylmuratova. C'est l'une des premières danseuses que j'ai vues. C'était sur Youtube. Mais elle avait une telle présence, cela ressortait même sur une vidéo. Et sur le plan artistique, je la trouve fabuleuse. Une autre danseuse qui m'a beaucoup inspirée quand j'étais à l'école est Bernice Coppieters, des Ballets de Monte-Carlo. Elle est aussi grande, voire encore plus grande, que moi. Sa manière de bouger est fantastique. Je mentionnerais aussi Eva Evdokimova, qui a été le professeur de ma sœur Nadia. Elle venait aussi nous donner des cours chez Marika. Elle était retraitée bien sûr, mais la voir montrer La Sylphide ou Giselle, c'était quelque chose d'exquis. Je dois dire que j'apprécie pas mal de ballerines d'autrefois. J'ai aussi été très inspirée par les ballerines du ballet de Berlin : Beatrice Knop, Polina Semionova... Mais sans doute y en a-t-il a beaucoup d'autres.


Et vos ballets – ou vos rôles - préférés?

J'adore Odette et Le Lac des cygnes. J'adore aussi Tatiana, le ballet Onéguine, sa musique. J'aime beaucoup Edwaard Liang, un chorégraphe américain, qui a fait des pièces que j'aimerais beaucoup danser. Un ballet que j'ai beaucoup aimé danser, c'est Choreartium, de Léonide Massine, qui a été remonté à Munich il y a deux ans. Ce ballet est d'une musicalité extraordinaire. La façon dont le mouvement se marie à la musique fait qu'on éprouve une joie immense sur scène. On a l'impression de danser vraiment et on sent que le public apprécie en retour.




Propos recueillis et traduits de l'anglais par Bénédicte Jarrassse



maria sascha khan


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Entretien réalisé le 07 février 2015 - Maria Sascha Khan © 2015, Dansomanie


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