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entretiens
Beatrice Knop, une Etoile allemande

05 juillet 2010 : à la découverte de Beatrice Knop, Etoile du Staatsballett de Berlin

Les compagnies de ballet germaniques sont paradoxalement surtout connues par les stars étrangères qui y sont mises en avant : Polina Semionova à Berlin, Lucia Lacarra et Cyril Pierre à Munich, Silvia Azzoni et Alexander Riabko à Hambourg, Jiří Bubeníček à Dresde... A l'occasion d'un bref séjour sur les rives de la Spree, nous avons eu le privilège de rencontrer Beatrice Knop, une authentique Berlinoise, qui a été formée et a effectué la quasi-totalité de sa carrière dans sa ville natale.




Une jeunesse berlinoise

Je suis née et j’ai grandi à Berlin. Enfant, j’ai commencé par faire du patinage artistique et de la gymnastique, mais ma mère trouvait cela trop dangereux et ne tenait pas trop à ce que je persévère dans cette voie. Nous avions une maisonnette dans les environs de Berlin. Le hasard a voulu que nos voisins soient danseurs. Cela a donné l’idée à mes parents de m’inscrire à la Staatliche Ballettschule de Berlin. J’y suis restée 8 ans, ce qui, en Allemagne de l’Est, était la durée normale de la formation : on débutait à 10 ans, et on quittait l’école à 18.

Dès ma sortie, j’ai été prise dans la troupe du Staatsballett ; c’était en 1990, juste un an après la chute du Mur. A cette époque, la troupe était encore composée presque exclusivement de danseurs allemands, formés dans les écoles de Berlin, Leipzig et Dresde ; comme «étrangers», je me souviens juste d’un couple de Bulgares, et de deux ou trois Russes, qui vivaient d’ailleurs depuis fort longtemps en Allemagne.

Avant-même d’intégrer le Staatsballett, j’avais déjà participé à des spectacles de la compagnie. A 17 ans, j’ai interprété la première des 32 ombres dans La Bayadère, et ce fut là mon premier rôle. Tout de suite après, alors que j’étais encore élève, j’ai été choisie pour incarner Myrtha, dans Giselle. C’était absolument extraordinaire, car  il s’agissait là d’un rôle que l’on ne donne normalement qu’à des ballerines confirmées. En fait, on avait remarqué mes aptitudes aux sauts, et comme dans le rôle de Myrtha, il y a beaucoup de sauts, la direction de la compagnie a voulu me tester. Cela m’a évidemment aussi valu quelques jalousies et inimitiés, car les autres danseuses comprenaient difficilement qu’on ait pu donné un rôle pareil à une débutante.

Mais lorsque j’ai été prise pour de bon dans la compagnie, j’ai commencé de manière tout à fait normale, au sein de corps de ballet. A Berlin, il n’y a pas de concours interne, comme à l’Opéra de Paris. C’est la direction qui décide des promotions. On commence par vous donner de petits rôles, pour vous tester, et ensuite, si les résultats sont probants, on passe aux choses sérieuses. J’ai été promue soliste au bout de deux ans, grâce à Mickaël Denard, qui, à l’époque, dirigeait le Staatsballett. Ce fut d’ailleurs aussi avec lui que je fus pour la première fois confrontée au style français. A l’école, nous étions formés avec la méthode Vaganova. Au Staatsballett, M. Denard a évidemment maintenu la tradition «russe», mais il a aussi introduit quelques éléments typiquement français, notamment en ce qui concerne le travail des pieds.


staatsoper berlin


A l’Ouest, du nouveau


Trois ans après la chute du Mur, la compagnie a commencé à s’internationaliser. Malheureusement, on a engagé de moins en moins d’élèves de la Ballettschule de Berlin. Le niveau n’était pas toujours suffisant. Au milieu des années 1990, il y en a encore trois ou quatre qui ont été recrutés, et depuis, plus rien. Il est vrai aussi que la Ballettschule a fait évoluer sa politique artistique, en s’ouvrant à la danse contemporaine (ce qui n’était pas le cas du temps de la RDA, où l’on ne formait que des ballerines classiques), et les jeunes qui en sortent ne correspondent pas toujours aux besoins du Staatsballett.

Je n’ai pas encore décidé ce que je ferai lorsque je prendrai ma retraite. Il est possible que je me consacre à la formation des jeunes Allemands à la danse, mais par tempérament, je préfère travailler avec des adultes.  En fait, je crains que si je me mets à enseigner à la Ballettschule, je ne m’éloigne de trop du travail de transmission des rôles. Ce que j’ai le plus envie de faire, c’est de transmettre mes connaissances en matière d’interprétation. La virtuosité pure, la technique pour la technique ne m’intéressent pas. Je suis bien plus touchée par les qualités expressives, théâtrales. La danse, c’est d’abord du théâtre. Le mouvement ne signifie rien en lui-même, il doit être habité, interprété.

Pour cette raison, je n’aime pas beaucoup les ballets sans action [ndlr : Handlung : le mot allemand employé par Beatrice Knop signifie à la fois action, histoire, argument], ou du moins, les ballets sans «atmosphère». Par exemple, Serenade ou Ballet impérial, de Balanchine, n’ont pas vraiment d’action, mais ils dégagent une atmosphère particulière.


Itinéraire d’une conteuse

Je me considère comme une «conteuse d’histoire» ; j’aime que le public quitte le théâtre avec le sentiment que je lui ai narré un conte, une belle histoire, ou que j’ai emmené les spectateurs au cinéma, voir un film. Et, dans cette perspective, les ballets que je préfère sont Le Lac des cygnes, Giselle, Onegin, La Bayadère

Lorsque je suis devenue soliste, j’ai, paradoxalement, décidé de quitter le Staatsballett. Il fallait que j’entreprenne quelque chose d’imprévu, de différent. J’avais vingt-trois ans, et à Essen (ville industrielle du bassin de la Ruhr, ndlr.), on m’offrait le rôle dont je rêvais : Tatiana. A priori, je n’avais que très peu de chances de danser un jour Tatiana à Berlin, étant donné qu’Onegin n’était, à l’époque, pas au répertoire du Staatsballett. Mais finalement, je ne suis restée qu’un an à Essen. Ce fut une belle expérience, mais la compagnie n’était pas vraiment ce qu’il me fallait. Le répertoire y est très contemporain, et moi, je me sens vraiment une ballerine classique. De plus, j’ai eu un gros mal du pays, c’était la première fois que je quittais Berlin, ma ville natale me manquait et j’ai décidé d’y revenir.

Ce n’était pas évident de retrouver la place que j’avais quittée, mais j’ai eu de la chance : une Première soliste était en congé de maternité, et on m’a confié son remplacement, même si je n’avais à l’époque officiellement que le grade de Soliste.

En 2002, Vladimir Malakhov a pris la direction de la compagnie, et a monté la Bayadère. J’ai dansé Gamzatti lors de la Première, et j’ai été immédiatement cataloguée «danseuse autoritaire». Tout le monde me disait que je serais bien mieux en Gamzatti, mais moi, je ne voulais pas de cette étiquette. Je ne voulais pas être qu’une «femme de tête», je désirais aussi montrer que je pouvais être plus fragile, plus tendre, avec des faiblesses.

Vladimir Malakhov a fait ensuite entrer Onegin aui répertoire de la compagnie. Alors que je ne m’y attendais pas, j’ai ainsi pu redanser le rôle de Tatiana dix ans après mes débuts à Essen. Ce fut une expérience totalement différente. J’étais beaucoup plus mûre et expérimentée, avec un tout autre vécu personnel. Ma technique avait aussi beaucoup progressé dans l’intervalle. Le résultat fut incomparablement meilleur. A Berlin, j’ai incarné Tatiana un an avant Polina Semionova, qui, à ce moment là, avait été jugée trop jeune.

Quand Polina Semionova m’a succédé dans le rôle, elle a éprouvé un peu les mêmes difficultés que moi à Essen. Pour interpréter Tatiana correctement, il faut avoir soi-même souffert, et éprouvé les sentiments qui tourmentent l’héroïne de Pouchkine. A dix-neuf ou vingt ans, c’est rarement le cas. Cela dit, je respecte énormément Polina Semionova. Elle avait énormément travaillé pour préparer ses débuts en Tatiana, et elle possédait des dons extraordinaires. De plus, elle avait beaucoup plus d’expérience que moi au même âge, et avait déjà dansé dans le monde entier. 


Star-system et big business

A la Ballettschule, à Berlin-Est, on ne pensait pas du tout à faire carrière à l’étranger. Notre objectif, c’était d’entrer au Staatsballett, qui représentait pour nous ce qu’on pouvait espérer de mieux, la meilleure compagnie allemande. Pour nous, l’étranger, ça n’existait pas, il y avait le Mur. Lorsqu’il est tombé, et que j’ai compris comment marchait le système occidental, avec les impressarii, les agents, qui organisent les tournées et les galas, c’était trop tard. On ne voulait plus de moi : à vingt-huit ans, on me regardait de travers et on me faisait comprendre que j’étais trop vieille…

Je ne suis pas contre le système des impresarii. Ces gens sont utiles pour permettre aux artistes de voyager, de sortir de leur compagnie. On ne peut pas se débrouiller toute seule. Certes, Polina Semionova n’a pas d’agent, mais Vladimir Malakhov en a tenu lieu et l’a beaucoup aidée.

Personnellement, je n’ai jamais eu une mentalité de «business woman». Cela tient sans doute à l’éducation que j’ai reçue en RDA. J’étais idéaliste, j’avais besoin de sécurité, d’ordre. Je n’ai jamais songé à me «vendre», à essayer de gagner de l’argent en-dehors de ma compagnie. Ce que je voulais, c’est simplement pouvoir aborder un ou deux grands rôles chaque saison. Si mes souvenirs sont bons, c’est à vingt-cinq ans que j’ai dansé pour la première fois à l’extérieur, en tant qu’invitée, chez Roland Petit, qui dirigeait alors le Ballet National de Marseille [dans La Valse triste, avec Cyril Pierre et Jan Broeckx, ndlr.]. Et je me sentais encore très immature ; Polina Semionova, à dix-neuf ans, avait déjà beaucoup plus de maturité que moi à vingt-cinq. Elle s’était déjà produite dans le monde entier, alors que moi, je ne connaissais que la scène de la Staatsoper de Berlin! Et je dois dire aussi que je n’avais pas vraiment une mentalité de star
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Générations futures

Ici, à Berlin, nous avons un programme éducatif à destination du jeune public, auquel deux soirées sont spécifiquement dédiées chaque année. Par ailleurs, des visites du théâtre sont organisées pour les groupes scolaires, qui peuvent également assister aux cours de la compagnie. Cela porte ses fruits, car même si les jeunes privilégient encore les spectacles de danse contemporaine, on en voit de plus en plus également lors des représentations d’ouvrages classiques. Le taux de remplissage des ballets est d’ailleurs très bon, aux alentours de 90%, ce qui, à Berlin, est supérieur à la fréquentation enregistrée pour les spectacles lyriques.

Après les travaux de rénovation en cours à la Staatsoper [opéra de Berlin ex-Est, ndlr], dans un an, nos studios de répétition seront installés à la Deutsche Oper [dans l’ancienne zone britannique, à l’Ouest, ndlr]. Normalement, il est prévu que nous continuerons aussi à danser à la Staatsoper, à laquelle je suis très attachée sentimentalement.

A la Staatsoper, le cadre de scène est assez étroit, et donne un sentiment de sécurité, d’intimité. A la Deutsche Oper, l’espace est beaucoup plus vaste et ouvert. Au début, cela déconcerte, mais après, on se sent plus libre, plus à l’aise pour bouger. J’avais beaucoup d’appréhension au début, quand j’ai dû danser à la Deutsche Oper, mais je m’y suis habituée et je m’y sens relativement bien maintenant. Cela me rend plus optimiste pour l’avenir, même si le fait de «voyager» d’une scène à l’autre marque un vrai changement dans mes habitudes. En tout cas, cela me permettra de sortir de la routine, et peut-être, de ne pas me sentir vieillir trop vite
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Beatrice Knop - Propos recueillis par R. F.


beatrice knop odette




Entretien réalisé le 05 juillet 2010 - Beatrice Knop © 2010, Dansomanie


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