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entretiens
Diana Cuni-Mancini, soliste au Ballet Royal du Danemark

02 septembre 2014 : Diana Cuni-Mancini, le "style Bournonville" et la France


Diana Cuni-Mancini a intégré le Ballet Royal du Danemark en 1991. Elle s'apprête à y entamer sa dernière saison en qualité de soliste, et réoriente actuellement sa carrière vers l'enseignement. Elle s'est donné pour mission la transmission du "style Bournonville", si jalousement préservé par les danseurs de Copenhague, et de faire profiter les jeunes générations d'artistes chorégraphiques de l'expérience qu'elle a elle-même acquise auprès de maîtres prestigieux, tels Kirsten Ralov ou Flemming Ryberg. Dans quelques jours, elle sera à Paris pour des master-classes (6 et 7 septembre 2014 dans les studios d'Eléphant Paname), occasion pour elle de faire revivre l'œuvre d'August Bournonville là où elle prit jadis ses racines : en France.





Diana, rappelez-nous un peu votre formation et votre expérience. Depuis combien de temps êtes vous danseuse au Ballet Royal du Danemark?

Je suis membre de la compagnie depuis 1993. Mais au préalable, j'avais fais mes classes à l'école du Ballet Royal du Danemark, que j'avais intégrée en 1982. Je suis entrée en seconde année à l'école, ce qui fait que j'ai suivi quasiment tout le programme de formation en vigueur pour la danse classique au Danemark.


Et aujourd'hui, dansez-vous toujours sur scène?

Oui, mais cette saison sera ma dernière. J’interpréterai A Folk Tale de Bournonville en décembre. Je participerai également à une pièce de théâtre qui comporte des parties dansées. Le sujet en est assez sévère, puisqu'il s'agit d'une œuvre autour de la mort, la façon dont les gens la perçoivent, la ressentent, l'envisagent tout simplement. La distribution est excellente et je suis entourée de personnes remarquables. C'est pour moi une expérience tout à fait passionnante et stimulante. Le spectacle est monté avec le Théâtre Royal du Danemark, dont le Ballet Royal est une des composantes. Le Théâtre Royal est une institution qui comprend à la fois l'opéra, le ballet, et le théâtre dramatique, réunis sous un même toit. De ce fait, il est possible de réaliser des productions en commun.


Envisagez-vous une carrière d'actrice lorsque vous prendrez votre retraite au ballet?

On verra bien! Déjà, là, je serai obligée de parler, dans la production que je viens d'évoquer. Si ça marche, si je me sens bien, si le résultat est satisfaisant, pourquoi pas!


Qu'est-ce qui vous a conduit à enseigner la danse? L'avez-vous déjà fait par le passé?


Le goût pour l'enseignement m'a été donné par Thomas Lund, qui est aujourd'hui directeur de l'école de danse du Ballet Royal du Danemark. Il m'avait demandé de l'accompagner à Varsovie durant une semaine pour donner une série de cours sur le style Bournonville. J'y ai montré les variations et les exercices féminins des fameuses «leçons» de Bournonville. C'est là que j'ai compris que j'étais attirée par l'enseignement. Mais ça remonte à il y a pas mal de temps et, à l'époque, je dansais moi-même encore beaucoup. Les années ont passé, jusqu'à ce que Nikolaj Hübbe me propose de donner des cours de technique Bournonville au Ballet Royal du Danemark. J'ai évidemment accepté, et cela m'a de nouveau procuré beaucoup de plaisir. On a également fait appel à moi à l'école de danse, où je suis intervenue auprès des jeunes de toutes les divisions, et dans le même temps, j'ai pu montrer la technique et le répertoire de Bournonville à l'Inoué Ballet de Tokyo. J'ai aussi conduit des master-classes à l'école du ballet de Perm en Russie. Et cette année, j'ai obtenu la charge de la formation des «aspirants» [danseurs stagiaires en attente de titularisation, ndlr.] du Ballet Royal du Danemark. Et vraiment, cela me rend très heureuse de transmettre aux nouvelles générations la connaissance du «style Bournonville», que j'aime tant.


Et quels ont été vos propres professeurs?

Pour ce qui est de la technique Bournonville, je l'ai apprise auprès de Kirsten Ralov (qui fut directrice adjointe du Ballet Royal du Danemark), puis de Flemming Ryberg (étoile et danseur de caractère dans la compagnie), d'Eva Kloborg et enfin d'Anne-Marie Vessel-Schlüter [ex-soliste et ancienne directrice de l'école de danse du Ballet Royal du Danemark, ndlr]. Une fois entrée dans la compagnie, j'ai travaillé le style Bournonville avec Lis Jeppesen, Sorella Englund et évidemment Nikolaj Hübbe.


Quelles sont les choses les plus importantes que vous ont appris tous vos maîtres?

La chose la plus importante que j'ai apprise, c'est la nécessité de préserver l'harmonie de la ligne formée par les bras et le reste du corps. La tête, les bras – l'épaulement – sont intimement liés entre eux et donnent au style Bournonville sa spécificité. Mais cela ne doit pas être conçu comme une pose statique, cette harmonie doit s'inscrire dans le mouvement. Il faut que cela reste vivant. Ce n'est d'ailleurs pas chose facile, car dans les mouvements rapides, on risque toujours de «casser» la ligne de l'épaulement. Il y a aussi le travail des «petits pas» - davantage que les grands sauts – qui compte beaucoup – les chorégraphies de Bournonville en sont farcies -, mais ce qui caractérise le plus son style, c'est, comme dit, l'épaulement, les ports de bras et les ports de tête. Danser Bournonville me procure toujours une très grande joie, mais il faut prendre garde à ne pas transformer ses œuvres en pièces de musée, il faut se garder de tout statisme, l'important, c'est le mouvement, l'élan, et c'est ça aussi ce que j'essaye de transmettre à mes propres élèves. Les chorégraphies de Bournonville sont très musicales, chaque pas est intimement lié à la musique, et au-delà des pas, c'est avec tout le corps qu'on exécute les mouvements. La danse de Bournonville est en réalité très «physique» et procure énormément de sensations.


Est-ce que pour vous, un danseur qui n'a pas été formé au Danemark, avec les méthodes danoises, a tout de même une chance de devenir un bon interprète de Bournonville?

Mais, oui, bien sûr. A partir du moment ou l'on possède un bon sens du mouvement, et de la musicalité, il n'est pas nécessaire d'avoir suivi toute l'école Bournonville! Plus étonnant encore, je me suis rendu compte, en donnant des cours à des enfants à l'étranger, et notamment au Japon, qu'il y en avait parmi eux qui possédaient presque naturellement le style Bournonville. Il faut avoir une bonne coordination des différentes parties du corps – c'est essentiel chez Bournonville - , et j'insiste, de la musicalité, et avec ça, on peut y arriver.


Vous allez venir pour quelques jours en France diriger des master-classes. Qu'est-ce qui vous a décidée?

J'étais déjà venue à Paris il y  deux ans et j'avais pris un cours à Elephant Paname. J'avais trouvé ce lieu magnifique et j'en ai ensuite parlé à l'une de mes collègues au Ballet Royal du Danemark, Gudrun Bojesen. Nous avons discuté de la possibilité d'organiser des master-classes là-bas. Gudrun n'étant pas disponible actuellement, c'est donc moi qui vais prendre en charge ces cours. Et il ne faut pas oublier que Bournonville est de père français, et qu'il fut danseur à l'Opéra de Paris. Le lien entre la France et le Danemark est ici évident, et ce d'autant plus que Bournonville a, pour sa propre méthode, emprunté beaucoup d'idées à l'école française. Et donc pour moi, cela m'a semblé une excellente idée d'initier les danseurs français d'aujourd'hui au style Bournonville.

diana cuni mancini


Pensez-vous que les Danois ont une sorte de rôle de «missionnaires» chargés de diffuser l’œuvre de Bournonville auprès des balletomanes et des artistes chorégraphiques français?

Oui, c'est un peu ça! Mais je suis certaine que les danseurs formés à l'école française sont facilement adaptables au style Bournonville.



Faisons un peu de prospective. Pensez-vous qu'une sorte de programme d'échange pourrait un jour être mis sur pied entre l'école de danse de l'Opéra de Paris et celle du Ballet Royal du Danemark en créant, pourquoi pas, un «Erasmus» pour les jeunes danseurs professionnels?

Tout à fait. Ce serait une idée magnifique. Déjà en janvier dernier [janvier 2014 ndlr.], j'étais venue, en compagnie de plusieurs professeurs de l'école du Ballet Royal du Danemark, faire une visite à nos collègues de l'école de danse de l'Opéra de Paris. Nous avions déjà un peu ce genre de projet en tête.



Quel public attendez-vous pour ces master-classes à Elephant Paname? Des professionnels, des amateurs avertis, des dilettantes?

En fait, je n'en sais rien, c'est la première fois que j'organise quelque chose comme cela à Paris. Et pour faire face à toute éventualité, j'ai prévu des exercices adaptés à des danseurs de niveaux très différents. Je suis ouverte à tout et je serais simplement très heureuse qu'il y ait un nombre suffisant de participants désireux de découvrir le style Bournonville ou de perfectionner leur technique. Quel que soit votre niveau, il y aura toujours quelque chose à apprendre.



Deux journées, c'est court ; quels sont les points sur lesquels vous allez insister en particulier, quels seront vos priorités pédagogiques?

Comme vous le savez sans doute, à la fin de sa vie, Bournonville a conçu une théorie d'enseignement divisée en six «classes», une pour chaque jour ouvré de la semaine, du lundi au samedi. Et le travail de chacune de ces journées correspondait à une difficulté différente. J'ai donc opéré une sélection parmi les exercices de l'ensemble de la semaine, pour aborder aussi bien les pas que les sauts, etc... L'enseignement de Bournonville était  - et demeure – structuré avec une très grande précision, et une musique spécifique a également été prévue pour accompagner chacune des «classes» hebdomadaires.



Aurez-vous un pianiste sur place pour ces master classes?

Oui, j'ai obtenu le concours d'une pianiste de l'Opéra de Paris, Vessela Pelovska [Vessela Pelovska est chef de chant – i.e. pianiste accompagnatrice au ballet de l'Opéra de Paris, ndlr.].



Est-ce que cette expérience a vocation à se renouveler? Avez-vous d'autres projets de master-classes en France?

En tout cas, j'aimerais bien, et s'il y a une vraie demande, je serais très heureuse de pouvoir enseigner le style Bournonville aux Français.



Et comment expliquez-vous que les ballets de Bournonville soient si peu – voire pas du tout – représentés en France?


A vrai dire, je n'en sais rien. Ça tient sans doute aux directeurs de compagnies qui hésitent à les programmer. Peut-être aussi parce que l'Opéra de Paris a sa propre version de La Sylphide, que Bournonville a d'ailleurs «volée» pour la monter au Danemark! En tout cas, je trouverais cela formidable si, par exemple, le Ballet de l'Opéra de Paris inscrivait Le Conservatoire à son répertoire. Ça, vraiment, ce serait merveilleux.




Diana Cuni-Mancini - Propos recueillis par Romain Feist




 diana cuni mancini


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Entretien réalisé par téléphone le 2 septembre 2014 - Diana Cuni-Mancini © 2014, Dansomanie


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