Dansomanie : entretiens : Flemming Ryberg
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Flemming Ryberg, danseur de caractère au Ballet Royal du Danemark

 

Pour Dansomanie, Flemming Ryberg dévoile les ficelles de son métier

 

 

Flemming Ryberg, Principal («Etoile»), actuel doyen du Ballet Royal du Danemark, est, depuis sa «retraite», danseur de caractère, un poste prestigieux, et qui n'a, à Copenhague, pas le même sens qu'à Paris. Il s'agit, au pays d'Hamlet, d'artistes spécialisés dans les rôles de pantomime, pantomime qui tient une place de première importance dans les ballets d'August Bournonville, ce qui explique en grande partie que la pratique de cet art se soit perpétuée jusqu'à nos jours.

 

Flemming Ryberg, danseur de caractère au Ballet Royal du Danemark

 

 

Qu’est-ce que la «danse de caractère» au Danemark?

Le Danemark possède une longue tradition de ce que nous appelons la «danse de caractère» ; il s'agit en fait des rôles de pantomime inclus dans les ballets. Cette tradition remonte aux débuts de la Commedia dell'Arte, qui fut introduite - tardivement - au Danemark par Giuseppe Casorti (1749-1826) et Philippo Pettoletti (1783-1845) à la fin du XVIIIème siècle.

Ils ont commencé par donner de petits spectacles de pantomime au Deergarden («Le Jardin au cerfs»), un parc situé a Dyrehaven, au nord de Copenhague. Ces spectacles ont remporté un vif succès, et la famille royale du Danemark a commencé à s'y intéresser. L'affaire a si bien marché que Casorti et Pettoletti se sont vu, vers 1800, proposer la direction du Théâtre royal, à Christiansborg, ou se trouve d'ailleurs aussi le Parlement.

En 1775, le florentin Vincenzo Galeotti (1733-1816) fonde le Ballet Royal du Danemark. Héritier de la tradition de Gasparo Angiolini (1731-1803), chorégraphe et théoricien de la danse, lui-même Florentin, Galeotti est aussi fortement marqué par le travail accompli par Casorti et Pettoletti sur la pantomime, et les 49 ballets qu'il compose pour la troupe royale en portent la marque.

C'est évidemment Galeotti et ses créations que le jeune August Bournonville prend tout d'abord pour modèle. Comme son père, Antoine Bournonville, auquel il succède en 1830 à la direction du Ballet Royal du Danemark, il se tournera ensuite plutôt vers les idées de Noverre, qui combine la danse et la pantomime de manière symbiotique, alors que chez Angiolini et Galeotti les deux éléments sont juxtaposés, sans lien organique entre eux.

 

Vincenzo Galeotti

 

Mais quoiqu'il en soit, la tradition du mime et de la danse de caractère était ainsi établie dans le ballet classique au Danemark. Un autre élément est encore venu la renforcer.

Lorsque August Bournonville a pris la tête du Ballet Royal, il a fait appel à plusieurs danseurs issus de la famille Price, une lignée d'artistes anglais qui s'étaient installés à Copenhague et qui avaient co-dirigé la compagnie à l'époque de Galeotti. Leur connaissance de la pantomime a donc eu un impact déterminant sur les créations chorégraphiques danoises au cours du XIXème siècle.

Et ensuite, ce sont les ballets de Bournonville eux-mêmes qui ont perpétué cet art au Danemark. Si la musique ou les pas de danse peuvent être notés, en revanche, il n'y a pas de moyen de préserver par écrit les figures du mime. Seule la transmission orale peut en perpétuer la tradition, et fort heureusement, nombre de ballets sont restés au répertoire, sans interruption significative ; il y a bien sûr eu quelques changements apportés aux chorégraphies, mais ils sont demeurés relativement peu importants. Dans la pantomime, ce qui compte avant-tout, c’est que le public comprenne l’action qui se déroule sur scène ; et malheureusement, il y a des choses que les spectateurs d’aujourd’hui ne comprennent plus. Certains gestes anciens ne peuvent plus être employés, car le public n’en détient plus les codes.

 

Comment êtes-vous devenu «danseur de caractère»?

A 24 ans, on a commencé à me confier des rôles de caractère dans les ballets de Bournonville, et cela m’a passionné. Par la suite, je suis devenu directeur du Ballet au théâtre de Tivoli, à Copenhague, qui est justement spécialisé dans la pantomime. On ne faisait que cela, et ça me plaisait énormément ; nous formions une petite troupe de dix-huit danseurs, pour assurer les spectacles de pantomime. Nous avons ainsi remonté d’anciennes pièces de Casorti et Pettoletti. Je suis resté sept ans au Théâtre de Tivoli, où je donnais également des cours de pantomime, déjà.

 

Comment cette tradition est-elle transmise aux nouvelles générations de danseurs?

Depuis plusieurs années, en alternance avec d’autres professeurs, je donne des cours de pantomime aux «apprentis» («stagiaires», en attente de titularisation) du Ballet Royal du Danemark. Il n’y a pas parmi eux d’élèves que je forme en particulier pour me succéder. J’espère simplement qu’il y en aura parmi eux qui se souviendront de mon enseignement, et que quelqu’un prendra ma suite lorsque je quitterai le théâtre, sinon la tradition s’éteindra ; ce serait un peu comme si on cessait de danser les ballets de Bournonville.

Au Danemark, la danse de caractère (i.e. la pantomime) est aussi bien considérée que la danse noble. Ce n’est pas qu’une question d’âge. Chez nous, la retraite est à quarante ans (quarante-huit ans lorsque j’ai quitté la troupe) ; à ce moment-là, le théâtre nous propose de poursuivre notre activité en tant que danseur de caractère, avec des contrats annuels renouvelables. Nous avons actuellement dix danseurs de caractère au Ballet Royal du Danemark, qui correspondent à peu près à tous les types de rôles dont nous avons besoin. Avant, nous étions obligés de «faire avec ce qu’on avait», et de grimer des danseurs qui n’avaient pas l’âge des personnages qu’ils devaient interpréter. Maintenant, nous avons les artistes adaptés à chaque emploi. ; le Ballet Royal du Danemark est l’une des rares compagnies à perpétuer une telle tradition.

 

Flemming Ryberg

Entretien réalisé le 11 octobre 2007

 

© Flemming Ryberg – Dansomanie