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Noëllie Coutisson, danseuse au Ballet de l'Opéra National de Bucarest
01 décembre 2013 : Avec Noëllie Coutisson, la France danse à Bucarest
A
la veille du Prix de Lausanne 2014, Dansomanie est allé prendre
des nouvelles de Noëllie Coutisson, candidate lors de
l'édition 2010, qui exerce aujourd'hui son art au Ballet de
l'Opéra National de Bucarest. Alors qu'elle n'était
âgée que de dix-neuf ans, Noëllie Coutisson a fait le
choix courageux de s'installer dans la capitale de la Roumanie, en
dépit du niveau de vie très inférieur aux
standards d'Europe occidentale et de sa méconnaissance de la
langue du pays, qu'elle commence à maîtrister aujourd'hui.
Sa décision s'est néanmoins avérée payante
sur le plan artistique, d'autant que la compagnie nationale roumaine
fait aujourd'hui la Une de l'actualité chorégraphique,
avec la nomination à sa tête de l'ancien danseur
étoile du Royal Ballet de Londres, Johan Kobborg.
A lire aussi : Noëllie Coutisson interviewe Johan Kobborg pour Dansomanie
Nous
vous avions rencontrée lors du Prix de Lausanne. Que
s’est-il passé depuis et comment êtes-vous
arrivée à Bucarest?
Après
le Prix de Lausanne, j'ai continué ma scolarité au
Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de
Paris. Il me restait la fin de la quatrième année et le
Junior Ballet avec les certificats de fin de cursus et
d'interprétation à passer. L'année du Junior
Ballet est une année importante puisque on prépare notre
avenir, on est encore jeune (18-19 ans). On a eu de belles
tournées à Vienne, en Guadeloupe et en Martinique et de
très agréables pièces à danser, dont Ouverture en deux mouvements
de José Martinez, mais on doit aussi trouver du temps pour
passer des auditions et ce n’est pas la partie la plus
appréciable.
Je suis donc allée passer une audition
à l'Opéra de Bucarest, où j'avais observé
un répertoire très classique avec des spectacles
différents chaque semaine. C'était alors une directrice
qui m'a bien appréciée et qui voulait que je vienne deux
mois plus tard en juillet, pour commencer les répétitions
de In the Middle Somewhat Elevated de Forsythe pour une première! J'étais toute excitée et vraiment contente!
Malheureusement, ça aurait été peut-être
trop facile… Un mois plus tard, je reçois un mail de la
secrétaire qui m'annonce que finalement In the Middle
est annulé pour des questions de budget. Ce n’est donc pas
nécessaire que je vienne en juillet, mais fin août,
lorsque la nouvelle saison commencera. Ce n'était que le premier
rebondissement… Quelques semaines plus tard, on m'annonce que le
directeur a changé et donc qu’il doit me voir avant de
m'engager… Je le contacte et je décide de retourner
à Bucarest fin août dans l'optique d'y rester…
Contrat obtenu, mon premier spectacle a été de danser La Cigarette (Suite en blanc) de Lifar lors du Gala d'ouverture de la saison.
Depuis combien de temps êtes-vous dans la compagnie? Pouvez-vous
nous en dire un peu plus sur le style et l’histoire de cette
compagnie? D’où viennent les danseurs? Quelle est leur
formation? Y a-t-il beaucoup de danseurs étrangers ou
êtes-vous un cas isolé?
J'entame
donc ma troisième saison ici. Quand je suis arrivée, il
n'y avait que peu d'étrangers : quelques Japonais, un Italien et
le reste de la compagnie, c’étaient des Roumains, la
majorité des danseurs est issue de l'école de danse de
Bucarest rattachée à l'Opéra. Nous dansons les
grands ballets du répertoire classique, il y a dans le
répertoire quelques ballets néo-classiques, voire
contemporains. Ce ne sont pas des séries de ballets comme il
peut y avoir dans de nombreuses autres compagnies (3 semaines de
répétitions / 3 de spectacles), non, nous avons parfois
deux spectacles différents dans la semaine dans la liste du
répertoire de la compagnie.
La première année est donc difficile, car apprendre les
ballets rapidement par l'intermédiaire d'un dvd, n'avoir que
quelques jours de répétition et aucune
répétition sur scène, ce n'est pas simple mais
c’est un bon moyen d'apprendre vite et de ne pas s'ennuyer, comme
ça peut être le cas la première année dans
des ballets plus importants où les nouveaux ne sont que
remplaçants.
Depuis ma première année, il y a eu beaucoup de
changements, on a eu de nouvelles productions et des danseurs
étrangers jeunes sont arrivés. Alors que nous
n’étions que cinq ou six étrangers quand je suis
arrivée, nous sommes maintenant plus d'une vingtaine : il y a
une dizaine de Japonais, cinq ou six Anglais, deux Italiens, deux
Espagnols… et je suis la seule Française!
Quelle est l’organisation hiérarchique de la compagnie et quelle est votre place dans cette hiérarchie?
L'organisation hiérarchique sur le papier est : ensemble (corps de ballet), Soliste, Soliste principal.
Dans la réalité c'est un peu plus compliqué, en
tant qu'ensemble, on peut avoir des places de solistes. Ainsi, je danse
dans le corps de ballet quand je n'ai pas de rôle ou que je n'ai
pas de rôle à préparer. Ce qui me permet de garder
un pied en scène et donc le plaisir de danser sur
scène!!!
Quelles sont les conditions de travail à Bucarest? Est-ce que
c’est très différent de ce que les danseurs peuvent
vivre ailleurs en Europe? Quelles sont les conditions de
rémunération et les obligations de service (nombre
d’heures de cours, de répétition hebdomadaires,
etc…)?
Je
n'ai pas de comparaison possible avec ce que l’on vit dans
d'autres compagnies… mais de ce que j'ai pu voir ou de ce que je
sais, nous avons un Opéra en réalité assez
agréable. Certes, il est assez vieux (il est en
rénovation depuis cette année), mais tout de même
pratique pour tous les jours et pour la préparation avant les
spectacles. La scène est très grande. Nous
avons trois studios de danse, un grand, presque comme la scène
où répète le corps de ballet et deux plus petits
pour les répétitions des solistes. Il y a trois classes
différentes à 10h où les professeurs ne changent
pas. Corps de ballet, solistes ou principaux choisissent la classe qui
leur convient le mieux et les répétitions commencent
à 11h30 jusqu'à 14h. A partir de 14h, ce sont les
élèves de l'école qui occupent les studios et nous
reprenons les répétitions à 18h jusqu'à 20h
du mardi au vendredi, le samedi et dimanche de 10h à 14h
lorsqu'il n'y a pas de spectacle. Les spectacles commencent à
19h ou 18h30 (s'ils sont de très longue durée).
Les loges sont attribuées par affinités ou de
manière pratique et aléatoire. Je n'ai pas changé
de loge depuis que je suis arrivée. Nous sommes cinq danseuses,
d'âges et de rangs différents. Je suis par exemple avec
une danseuse principale / maître de ballet, j'ai donc mon espace,
avec mes rangements, ce qui me permet de laisser mes affaires.
J'ai un salaire moyen de Roumain, c'est à dire très bas
par rapport à l'Europe de l'Ouest, c'est un "salaire pour
survivre", m'a t-on expliqué lors de ma venue : se loger, se
nourrir… Mon contrat est un contrat de collaborateur,
c'est-à-dire renouvelable comme tous les étrangers, les
Roumains, eux, sont employés avec des contrats à
durée indéterminée. Que l'on danse dans tous les
spectacles ou dans peu, dans les opéras ou dans les ballets, des
rôles ou du corps de ballet, notre salaire ne change pas.
Je vis en collocation avec deux Japonaises de la compagnie, nous avons
un appartement agréable avec chacune notre chambre bien
séparée à trois stations de métro de
l'Opéra ou quinze-vingt minutes de bus.
Les professeurs et les maîtres de ballet sont-ils Roumains? Y a-t-il des invités étrangers?
Les maîtres de ballet sont tous Roumains,
certains parlent parfaitement le français, d'autres mieux
l'italien et ou l'anglais, et sinon je comprends de mieux en mieux le
roumain, et puis la danse est un langage international! Il n'y a pas
souvent d'invités étrangers et la venue de Johan Kobborg
est vraiment géniale!
Sur quels rôles (solos) avez-vous pu être
distribuée? Quels ballets / rôles avez-vous plus
particulièrement appréciés?
J'ai donc dansé la Reine des Dryades et les amies de Kitri dans Don Quichotte, la Fée Lilas dans La Belle au bois dormant, la princesse prétendante et le prologue dans Le Lac des cygnes, j'ai appris le rôle de Myrtha dans Giselle, et je vais danser [en décembre 2013, ndlr] la première sylphide dans l'acte 2 de La Sylphide
de Johan Kobborg lors de la première représentation avec
Alina Cojocaru et Steven McRae! J'ai adoré travailler et danser
la Fée Lilas, la chorégraphie n'est pas toujours
évidente, mais c'est le rôle le plus important
(après Aurore) en termes de danse dans cette version de La Belle au bois dormant,
quasiment les trois actes en scène avec deux variations
essentielles. J'ai pris énormément de plaisir à
danser ce rôle qui, de plus, correspond assez bien à ma
personnalité et à ma danse.
Est-ce que vous vous produisez exclusivement à Bucarest ou
avez-vous l’occasion de danser dans d’autres
théâtres?
Il n'y a pas eu de tournées depuis que je
suis là. J'ai eu l'occasion de danser dans d'autres
théâtres grâce aux compétitions que j'ai
continuées.
Vous avez continué
de participer à des concours. Qu’en attendiez-vous et
quels en ont été les résultats ?
Je continue les concours car c'est un bon moyen de s'ouvrir, de
rencontrer des danseurs venus du monde entier, de progresser et de se
faire plaisir en scène en dansant seul et ce que l'on veut. J'ai
eu la médaille d'argent au Concours International d'Istanbul et
j'étais invitée et demi-finaliste au Concours
International de Pékin. Il n'est pas évident de
travailler les variations en dehors des répétitions car
les studios sont très souvent tout de suite occupés et
c'est une démarche personnelle, je ne suis pas aidée par
l'Opéra.
En ce qui concerne La Sylphide
que Johan Kobborg va remonter, aviez-vous déjà vu la
production? Avez-vous déjà eu l’occasion de danser
du Bournonville ou est-ce une découverte?
J'ai été invitée plusieurs fois au stage
Bournonville à Biarritz, stage qui dure une semaine pendant
l'été et j'ai donc appris la classe du lundi, du mardi et
du mercredi (l'ayant fait trois années consécutives) et
des morceaux du répertoire de Bournonville : La Kermesse à Bruges, La Sylphide, Napoli…
Ce stage est très bien fait et très cohérent,
avec, comme directeur du stage, Frank Andersen et tous les professeurs
sont Danois et ont dansé au Ballet Royal du Danemark. En plus
des classes et du répertoire que l'on a pu travailler, on
apprend l'histoire des ballets, on a des cours de musique et de
pantomime en rapport avec un ballet choisi. Le style ne m'était
donc pas inconnu mais je n'avais jamais vu la version de Johan Kobborg
avant.
Avec qui et comment avez-vous travaillé le ballet?
Tout d'abord, c'est la première fois que l'adaptateur d'un
ballet pour une première vient assister aux classes pour faire
"ses premières distributions". Johan Kobborg nous a d'abord
appris directement le ballet, puis les maîtres de ballet de
l'Opéra de Bucarest nous ont fait répéter lorsque
Johan Kobborg était absent ou était avec d'autres
danseurs. Il a choisi comme assistante Corina Dumitrescu, danseuse
principale et maître de ballet de l'Opéra ici.
Aviez-vous déjà eu l’occasion de voir Johan Kobborg
et/ou Alina Cojocaru à Bucarest connaissant leur attachement
particulier pour la Roumanie (ou ailleurs)?
Je n'ai jamais eu cette chance, et je suis vraiment excitée qu'Alina Cojocaru vienne danser le rôle titre de La Sylphide lors de la première le 7 décembre. La chance d'avoir fait venir La Sylphide
dans notre répertoire et ces personnalités de renom
international vient de notre nouveau directeur général,
Răzvan Ioan Dincă.
Avez-vous le mal du pays?
Bucarest reste une capitale, et comme toute
capitale, il y a beaucoup d'animations. Bien sûr, cela reste un
pays pauvre, les hivers sont froids et longs, les étés
très chauds, mais je n'ai pas encore le mal du pays! La vision
que l'on a des Roumains est bien loin de la réalité en
tout cas, les Roumains que je côtoie tous les jours sont des
personnes agréables, généreuses et accueillantes.
La danse reste ma priorité, j'apprends beaucoup, j'ai de
très bons professeurs et maîtres de ballet, j'ai
progressé et je progresse et j'ai encore à progresser
bien sûr. Les classes que nous avons sont de très bonne
qualité, avec des corrections essentielles.
J'apprends le style russe, tout en gardant ma technique
française. Ce qui, je pense, est un bon mélange : la
sûreté, le travail et le haut du corps russe qui selon moi
est la meilleure école pour cela, tout en gardant
l'élégance, la propreté et le bas de jambe qui
peut caractériser la technique française. Il n'y a
malheureusement pas ou très peu de garçons solistes
grands en taille, ce qui risque de bloquer pour mon ascension dans la
hiérarchie et pour avoir des rôles de danseuse principale.
Mais je danse, j'ai pris de l'expérience, et je suis heureuse.
Noëllie Coutisson - Propos recueillis par Bénédicte Jarrasse
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A revoir : Noëllie Coutisson au Prix de Lausanne 2010 :
Entretien
réalisé le 1er décembre 2013 - Noëllie Coutisson © 2013,
Dansomanie
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