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La Fille mal gardée au Capitole de Toulouse - Conversation avec D. Delouche
25 mars 2013 : Dominique Delouche évoque La Fille mal gardée (Dauberval / Cramér)
A l'occasion de la reprise de La Fille mal gardée
au Capitole de Toulouse, le cinéaste Dominique Delouche, qui
avait dessiné les décors et les costumes de la
production, lors de sa création en 1989 au Théâtre
Graslin, à Nantes, a accepté de répondre à
nos questions. Dominique Delouche est également le
réalisateur de la captation vidéo, diffusée
à la télévision lors de la première, qui
vient d'être éditée en DVD.
Comment le projet de remonter La Fille mal gardée au Capitole de Toulouse est-il né?
L’idée
ne vient pas de moi, mais de Kader Belarbi, qui avait sans doute vu le
spectacle ou la retransmission télévisée -
c’était en 1989-1990. Ça lui est resté
dans un coin de la mémoire et maintenant qu’il est
Directeur du Ballet du Capitole, il aura certainement voulu ajouter
cette touche de «Belle dance» à son
répertoire. On a donc refait la production. Cinq
représentations sont prévues à Toulouse, mais
Kader Belarbi va sûrement aussi utiliser cette production en
tournée, et elle pourrait faire l’objet de reprises
ultérieures.
Tout naturellement, il a demandé à Jean-Paul Gravier de
remonter cet ouvrage. Jean-Paul Gravier l’avait lui-même
donné au Ballet du Rhin et était en quelque sorte
dépositaire de l’héritage. La production, sous
l’impulsion du Ministère de la Culture, avait beaucoup
«voyagé» - pas tellement en France, mais à
l’étranger. Il est donc venu au Capitole, où
il s’est fait aider de James Amar, ce qui est assez touchant, car
Amar fut, il y a vingt-quatre ans, le créateur du rôle de
Colas à Nantes. De même, le théâtre du
Capitole m’a demandé de venir superviser la
réalisation des décors et des costumes, tout en sachant
que je ne suis plus exactement le même Dominique Delouche
qu’en 1989, et que depuis, l’âge a fait son
œuvre… En fait, j’avais cessé ce genre
d’activité depuis plusieurs années
déjà, mais là, s’agissant d’honorer la
mémoire d’Ivo Cramér, l’idée m’a
séduit, moralement.
Pour
la reprise au Capitole, des changements significatifs ont-ils
été introduits par rapport à la version nantaise,
sur le plan de la chorégraphie - Ivo Cramér
(décédé en 2009) n’était plus
là pour diriger les répétitions -, ou sur le plan
de la scénographie? Avez-vous personnellement
procédé à certaines modifications?
Non,
nous avons changé le moins de choses possible. Notre idée
était de reprendre aussi exactement que possible ce que nous
avions fait à Nantes. De toute façon, comme je l’ai
dit, la production, grâce à de nombreuses reprises
à l’étranger, n’a jamais vraiment
sombré dans l’oubli, la transmission de
l’œuvre n’a pas été interrompue. De
plus, il restait la captation que j’avais réalisée
pour la télévision – et aujourd’hui
publiée en DVD -, que nous avons largement utilisée
à chaque fois que nous avions un doute pour la reconstitution de
telle ou telle scène. Quelques adaptations ont été
nécessaires du fait que le plateau du Théâtre du
Capitole est moins profond qu’à Nantes, mais nous sommes
demeurés fidèles à l’original. Et pour la
chorégraphie, Jean-Paul Gravier était tout à fait
à même de la restituer avec une totale exactitude. Pour ma
part, j’ai assisté pratiquement à toutes les
répétions, et particulièrement aux
répétitions techniques, pour veiller au bon
positionnement des éléments du décor, ainsi
qu’au réglage des lumières. C’est pour cela
qu’on m'a demandé de venir à Toulouse.
Une captation de la reprise de La Fille mal gardée au Capitole, avec des moyens techniques modernes, est-elle envisagée?
Non,
pas que je sache. A titre personnel, je n’aurais pas les moyens
de réaliser un tel enregistrement. Ma
société de production est trop petite pour cela. En 1989,
cela avait été possible, car la télévision
publique avait organisé et financé
l’opération. Je suis en mesure de produire à titre
personnel des documentaires, mais pas ce genre de captation, qui exige
des moyens techniques importants et une organisation administrative
complexe, notamment au niveau des contrats. Grâce à cela,
nous disposons, avec ce film, d’un document d’archive,
d’une sorte d’ «incunable» du cinéma,
mais je ne pense vraiment pas qu’une chaîne de
télévision soit aujourd’hui
intéressée par la réalisation d’un nouvel
enregistrement.
Dans le même ordre d’idées, pensez-vous qu’il serait un jour possible de ressusciter Arlequin, magicien par amour?
Oui, Arlequin, je l’avais filmé un peu avant la Fille mal
gardée, en 1984. Je ne sais pas dans quel état se trouve
le document original, il faudrait que l’INA [Institut National de
l’Audiovisuel, chargé de la préservation du
patrimoine de la radio et de la télévision, ndlr]) se
penche sur la question et numérise ce qui reste de cet
enregistrement. J’essaye, avec ma société de
production, Doriane Films, de rendre disponible toutes mes
réalisations, mais il y a des choses qui sont techniquement
très délicates. On pourrait faire un DVD avec un
programme «Commedia dell’Arte» mais il y aurait aussi
d’épineux problèmes de droits d’auteurs
à régler, notamment en ce qui concerne Le Bourgeois gentillhomme
[R. Noureev, avait programmé, en 1984 et 1985 à
l’Opéra-Comique, deux soirées intitulées
«Commedia dell’Arte», qui comprenaient Le Bourgeois gentilhomme (Balanchine/ R. Strauss), Carnaval (Fokine / Schumann), Arlequin, magicien par amour (Cramér / Du Puy) et Pierrot Lunaire
(Tetley / Schönberg), ndlr.]. C’est d’ailleurs pour
cette raison que le spectacle n’a jamais pu être
diffusé intégralement à la
télévision, car il n’a été possible
de régler les questions de droits que pour Carnaval.
Aviez-vous déjà eu l’occasion de rencontrer Kader
Belarbi, et, le cas échéant, de travailler avec lui?
Je n’ai connu Kader Berlabi qu’en tant que spectateur. Je me souviens de lui tout particulièrement dans Le Sacre du printemps
de Maurice Béjart – à l’époque, il
n’était que Premier danseur, ou peut-être
même Sujet. Il était merveilleux, éblouissant, il
avait l’air d’un jeune fauve, et il possédait une
personnalité à part, tout comme Wilfried Romoli. Plusieurs
fois, par le passé je l'avais rencontré et il
m’avait demandé «quand allez-vous faire un film avec
moi?». Je lui avais répondu «pourquoi
pas?», mais cela n’a finalement pas eu de suite, car les
grands maîtres que j’invitais dans mes films pour
transmettre leur savoir aux jeunes solistes abordaient
généralement un répertoire qui
n’était pas celui de M. Belarbi.
Kader
Belarbi, qui a par le passé manifesté son
intérêt pour la «belle dance» du
dix-huitième siècle – il fut le créateur, en
2003, de Bach Suite 2, de
Francine Lancelot – est-il intervenu lui -même dans le
processus de répétition pour la reprise de La Fille mal
gardée?
Non,
il a été très présent en tant que directeur
du Ballet du Capitole, il a assisté aux
répétitions, mais il n’a pas cherché
à se substituer à Jean-Paul Gravier, qui avait la charge
de cette reconstitution. Il n’avait aucune raison de
s’immiscer dans le travail chorégraphique proprement dit.
Et la musique? C’est vous qui aviez choisi de confier la reconstitution de la partition à Charles Farncombe?
Non,
absolument pas. D’ailleurs, là, je trouve qu’il y a
une petite faiblesse. L’orchestration me paraît un peu trop
riche. Si nous avions pu disposer d’un orchestre baroque,
c’eût été l’idéal
évidemment. Mais cela aurait aussi été
compliqué et coûteux. Jusqu’à présent,
aucune des compagnies qui ont inscrit La Fille mal gardée
à son répertoire n’a eu les moyens d’engager
William Christie ou quelqu’un de ce genre pour accompagner la
danse. Lors de la création, en 1989, c’est la direction de
l’Opéra de Nantes, qui, avec l’accord d’Ivo
Cramér, avait décidé de confier la
réalisation de la partition à Charles Farncombe. En
revanche, j’ai moi-même écrit les paroles du
vaudeville à la fin du troisième tableau [en musique, un
vaudeville désigne un ensemble dans lequel les différents
solistes chantent à tour de rôle un couplet, tandis
qu’entre chaque couplet, le refrain est repris en chœur,
ndlr.]. En fait, seul le refrain («Il n’est qu’un pas
du mal au bien») avait survécu jusqu’à nos
jours, mais pour les couplets, nous ne disposions que de la musique, le
texte était perdu.
Quelles ont été vos sources d’inspiration pour la scénographie?
Les décors sont tous inspirés d’ouvrages de Boucher, notamment Le Pigeonnier.
Mais je n’ai pas repris un tableau unique, j’ai
réalisé une sorte de collage à partir
d’éléments empruntés à plusieurs
toiles. Pour les costumes, je me suis librement servi de divers
peintures du dix-huitième siècle. Là, je ne
pouvais plus prendre Boucher comme référence, car ses
personnages sont trop nobles, trop «versaillais» pour
figurer des paysans crédibles.
Il ne restait plus rien de la scénographie d’origine, celle de Bordeaux en 1789?
Non,
je n’ai rien pu retrouver en matière iconographique. La
partition et le livret sont parvenus jusqu’à nous, mais il
n’est rien resté des décors et des costumes de la
création.
Cela faisait longtemps que vous n’étiez pas remonté sur un plateau de théâtre. Cette Fille est donc un événement pour vous?
Oh
oui! Cela fait plusieurs années que j’ai abandonné
le cinéma – ma dernière réalisation a
été Balanchine in Paris,
il y a trois ou quatre ans, et le théâtre, ça
faisait bien plus longtemps encore que je n’y avais plus
touché. C’est très fatigant, et s’il avait
fallu refaire une production ex nihilo, je n’aurais pas
accepté. Pour La Fille mal gardée,
c’était tout de même moins contraignant, car je
travaillais sur un matériau pré-existant. Mais je
n’ai jamais complètement pris ma retraite. En ce moment,
je me consacre à l’écriture. D’ici un mois,
je vais faire paraître un ouvrage sur Giulietta Masina, la muse
de Fellini [Giulietta Masina (1920-1994), avait été
révélée grâce à son
interprétation du rôle de Gelsomina dans La Strada,
en 1954, ndlr.]. Je travaille également à un livre sur
Luchino Visconti, qui doit sortir en septembre prochain.
Peut-être qu’un jour j’en aurai assez, mais
là, je me suis découvert un goût – certes
tardif – pour l’écriture, et cela me satisfait.
La
reprise de La Fille mal gardée, pour laquelle on a
sollicité votre collaboration, ne vous donne-t-elle pas envie de
vous remettre au théâtre?
Non,
pas du tout. Vous savez, monter une production théâtrale
– ou cinématographique d’ailleurs -, c’est
épuisant, c’est une sorte de combat, même si cela se
passe avec le sourire et dans la bonne humeur. Il faut constamment se
battre, contre les aléas, les imprévus, contre les gens
qui vous veulent du bien et contre ceux qui vous veulent du mal. Cela
nécessite une dépense d’énergie que je ne
suis plus en mesure de fournir. Mais je ne suis pas du tout amer.
J’ai simplement tourné la page du théâtre et
du cinéma maintenant.
Dominque Delouche - Propos recueillis par Romain Feist
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Entretien
réalisé le 25 mars 2013 - Dominique Delouche © 2013,
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