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Ballet du Capitole de Toulouse
28 mars 2013 : La Fille mal gardée (Ivo Cramér) - Napoli (August Bournonville)
Nicolas Rombaut (Alain) et Lauren Kennedy (Lison) dans La Fille mal gardée
La production de La Fille mal gardée qui vient d’entrer au répertoire du Ballet du Capitole est sans nul doute la plus proche du Ballet de la paille ou Il n’est qu’un pas du mal au bien,
qui sont les intitulés originaux de l’ouvrage signé
Jean Dauberval. Elle résulte d’un long processus
d’étude et de recherche initié par Jean-Paul
Gravier lorsqu’il dirigeait le Ballet de l'Opéra de
Nantes. A l’occasion des célébrations du
Bicentenaire de la Révolution française, Jean-Paul
Gravier entreprit de recréer cette Fille mal gardée,
dont la première représentation au Grand
Théâtre de Bordeaux eut lieu quelques jours avant la prise
de la Bastille. L’entreprise apparaissait ardue, car
malgré de multiples avatars, il ne restait que peu de choses de
l’œuvre originale, hormis l’argument, écrit
dans ses détails par Dauberval lui-même. Il put retrouver
dans les archives historiques du département de la Gironde la
description de certains costumes, accessoires et éléments
de décors, mais aucune trace en revanche de la musique
utilisée à l’époque. On entend en effet dans
les versions habituellement présentées des assemblages de
divers compositeurs, en général postérieurs
à l’époque de la création. C’est ici
qu’intervint Ivo Cramér, qui découvrit à
l’Académie nationale de Stockholm, où le ballet
avait été remonté en 1792, une partition
annotée pour la pantomime par Dauberval lui-même. Cette
musique originale anonyme s’appuie sur des airs populaires du
temps. Très oubliable en elle-même, elle aurait
été écrite par Franz Beck, maître de musique
en chef du Grand Théâtre de Bordeaux, avec le concours du
premier violon de l’orchestre du théâtre, et
Dauberval en personne y aurait mis la main.
Lauren Kennedy (Lison) et Valerio Mangianti (Ragotte) dans La Fille mal gardée
Ivo Cramér, danseur et chorégraphe suédois, se
spécialisa dans les années 1980 dans la reconstitution de
ballets anciens. Il remonta notamment pour l’Opéra de
Paris Arlequin Magicien par amour, inspiré d’un ballet de Jean-Rémy Marcadet, où s’illustra brillamment Patrick Dupond, et La Dansomanie, d’après Pierre Gardel. Il se lança avec ardeur dans le projet de reconstitution de La Fille mal gardée,
dans l’esprit de l’époque, à partir des
éléments connus : indications de l’action,
pantomime, musique originale, descriptif de certains costumes. Et il
s’inspira pour la danse des traités de Gennaro Magri et de
Charles Compan. Pour la recréation des décors et
costumes, il fit appel au grand cinéaste de la danse Dominique
Delouche. Dans le même esprit, celui-ci s’attacha en
premier lieu à retrouver la vérité d’une
époque et le résultat n’est rien moins que superbe
et fascinant.On ne trouvera pas dans cette version tours en
l’air, sauts et pointes. Les danseuses, portant des souliers
richelieu à talons et des robes à volants, lèvent
rarement la jambe à hauteur de hanche. Les danseurs, en grand
chapeau à plumes, recherchent avant tout la grâce et
l’élégance.
Lauren Kennedy (Lison) et Alexander Akulov (Colas) dans La Fille mal gardée
On est à la charnière de plusieurs esthétiques.
L’aspect idéalisé de ces scènes
champêtres est encore celui des pastorales où
évoluaient des bergers selon Virgile et où les danses
sont peu éloignées des danses de cour. On commence
cependant à rechercher le naturel dans l’expression de
sentiments qui sont communs à l’aristocratie et au peuple,
selon les préceptes de Noverre que Dauberval connaissait bien
pour avoir été son élève, et aussi sous
l’influence des philosophes des Lumières. Ce but est rendu
accessible par l’extrême simplicité de
l’argument : Lison donne à manger aux poules (en panneaux
de bois) et actionne la baratte, sa mère Ragotte s’endort
de fatigue, les moissonneurs réclament leur dû, les
amoureux se cachent…
En rejetant le mot de reconstitution, pour lui préférer
celui d’interprétation, Ivo Cramér voulait garder
à l’œuvre son caractère vivant et actuel,
loin d’une pièce de musée. L’importance des
interprètes est alors primordiale dans le rendu très
naturel de cette suite de scènes. Valerio Mangianti incarne la
riche fermière Ragotte. Il y est fort drôle, sans
caricature excessive. Lauren Kennedy et Alexander Akulov de leur
côté sont frais et vifs en Lison et Colas.
Valerio Mangianti (Ragotte) et Lauren Kennedy (Lison) dans La Fille mal gardée
Le
contexte politique houleux du moment de la création n’est
pas oublié : selon un gazetier bordelais,
l’interprète de Colas avait, à la demande du
public, porté un toast «à la santé du
Tiers-Etat» à la fin de la scène de la moisson
(avant l’orage). L’assemblée nationale constituante
venait en effet d’être proclamée. L’anecdote
est restituée malicieusement. Au dénouement, tous les
danseurs entonnent par petits groupes les couplets «il
n’est qu’un pas du mal au bien». L’effet charme
est garanti.
En «lever de rideau», le Ballet du Capitole présentait le divertissement du troisième acte de Napoli, précédé du pas de deux tiré de La Fête des fleurs à Genzano.
Le contraste est saisissant, entre la « belle danse » du
18ème siècle et le romantisme bondissant de Bournonville.
Ces entrées au répertoire correspondent en
vérité à l’ambition de Kader Belarbi de
brosser un panorama le plus large possible des différentes
écoles et des différents styles de danse. On peut
remarquer que, à de rares exceptions près, les danseurs
du Capitole n’ont pas été distribués dans
les deux productions et c’est tout à fait sage.
Maria Gutierrez et Davit Galstyan dans La Fête des fleurs à Genzano
Pour ce qui est du style Bournonville, personne ne surpasse les
danseurs du Ballet royal danois qui se sont transmis ses ballets sans
rupture de génération en génération et
abordent sa technique dès leurs années
d’apprentissage. Cette technique exige
légèreté, fluidité, vitesse du bas de
jambe, et une endurance à toute épreuve car il y a peu de
temps morts.
C’est Dinna Bjørn, déjà venue remonter La Sylphide
il y a peu, qui s’est attachée à faire travailler
la troupe toulousaine. Sur un plateau qui fait un peu vide (pourquoi ne
pas avoir habillé la scène d’une simple toile
peinte?), Maria Gutierrez et Davit Galstyan abordent leur pas de deux
avec beaucoup de chic et de brio, davantage dans l’esprit
d’un gala classique que d’une fête bournonvillienne.
Parmi les danseurs du divertissement, on soulignera
particulièrement le naturel d’ Isabelle Brusson et de
Takafumi Watanabe.Ces deux productions font honneur à la
vocation de gardienne du répertoire d’une compagnie de
danse. Ce devrait être un exemple à suivre pour
beaucoup.
Jean-Marc Jacquin © 2013, Dansomanie
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Takafumi Watanabe dans Napoli
La Fête des fleurs à Genzano
Musique : Edvard Helsted, Holger Simon Paulli.
Chorégraphie : August Bournonville
Avec : Maria Gutierrez, Davit Galstyan
Napoli (Acte III, extraits)
Musique : Edvard Helsted, Holger Simon Paulli.
Chorégraphie : August Bournonville, remontée par Dinna Bjørn
Lumières : Jean-Claude Asquié
Avec : Tatyana Ten, Maki Matsuoka, Isabelle Brusson, Juliana Bastos
Kazbek Akhmedyarov, Takafumi Watanabe (Pas de six)
Vanessa Spiteri, Pascale Saurel, Nuria Arteaga, Shizen Kazama, Jérémy Leydier
La Fille mal gardée ou Il n'y a qu'un pas du mal au bien
Musique : pot-pourri anonyme, 1789
Chorégraphie : Jean Dauberval, reconstituée par Ivo Cramér
Décors et costumes : Dominique Delouche
Lumières : Jean-Claude Asquié
Ragotte – Valerio Mangianti
Lison – Lauren Kennedy
Colas – Alexander Akulov
Alain – Nicolas Rombaut
Thomas – Matthew Astley
Bastien – Julian Ims
Le Tabellion – Henrik Victorin
Ballet du Capitole de Toulouse
Orchestre de chambre de Toulouse , dir Enrique Carreón-Robledo
Jeudi 28 mars 2013, Casino-Théâtre Barrière, Toulouse
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