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entretiens
Christine Camillo, de Paris à Berlin via Londres

04 juillet 2010 : Christine Camillo, Maître de Ballet, se présente

L’histoire récente du ballet à Berlin est d’abord le reflet de la partition de l’Allemagne survenue à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et du statut de la ville, divisée en quatre zones d’occupation (russe, américaine, anglaise et française), puis, après la chute du Mur, en 1989, de la réunification des deux états germaniques, RFA et RDA.

Le bâtiment «historique» de l’Opéra de Berlin, édifié sur l’avenue «Unter den Linden» («Sous les Tilleuls») était situé dans l’ex-zone soviétique. Sa création remonte à 1741, sous l’impulsion de Frédéric le Grand. Ravagé par un incendie en 1843, le bâtiment sera à nouveau détruit, par des bombardements aériens, durant la Seconde Guerre mondiale. Seule la façade pourra être sauvée. En 1952, les autorités de la RDA entreprennent la reconstruction de la Staatsoper («Opéra national»), qui sera ré-inaugurée en 1955. En l’an 2000, le gouvernement de l’Allemagne réunifiée décide de raser la Staatsoper et de la remplacer par un théâtre neuf, correspondant mieux aux exigences techniques et artistiques actuelles. D’importantes manifestations populaires viennent heureusement faire échouer ce funeste projet, et la Staatsoper est finalement classée monument historique. D’importants travaux de rénovation y sont actuellement menés, et la vénérable institution devrait être rouverte au public pour la saison 2013-2014.

A Berlin-Ouest, l’opéra et le ballet s’établissent, après 1945, à la Städtische Oper («Opéra municipal »). La Städtische Oper fut bâtie en 1911 sur l’emplacement qu’elle occupe encore aujourd’hui. Egalement dévastée par un bombardement en 1943, elle ne sera reconstruite qu’en 1961, et prendra le nom de Deutsche Oper («Opéra allemand») à cette occasion.

Dans chacun des deux grands théâtres se développe une compagnie de ballet. Si les origines de la danse classique remontent, dans la capitale allemande, à Frédéric Le Grand, qui fonda, en 1742, la première troupe, il ne reste plus rien, ou presque, à Berlin, en matière de danse classique, lorsque le régime national-socialiste s’effondre en mai 1945.

A l’Est, c’est Tatiana Gsovsky, qui, la première, s’attèle à remonter une compagnie classique. Formée à l’école russe, elle s’intéresse également aux idées de Mary Wigman, figure emblématique de la danse contemporaine allemande dans l’entre-deux guerres. En 1951, elle quitte la Staatsoper, créé sa propre troupe et passe à l’Ouest en 1953. De manière assez surprenante, les autorités de la RDA choisissent de privilégier non pas le ballet académique hérité de la tradition russe, mais choisissent au contraire, pour succéder à Tatiana Gsovsky, des directeurs qui s’inscrivent dans la filiation de Mary Wigman : Daisi Spies (1951-1955), Lilo Gruber (1955-1969) et Claus Schulz (1969-1972). Ce n’est qu’en 1974, avec l’arrivée d’Egon Bischoff, que le ballet de la Staatsoper redevient une compagnie «classique», constituée de danseurs formés à la méthode Vaganova. Mickaël Denard, ancien danseur Etoile de l’Opéra de Paris, succède à Egon Bischoff en 1993 ; sous sa direction, le répertoire classique demeure prépondérant, mais les ouvrages de Maurice Béjart ou de Roland Petit font également leur apparition sur la scène de la Staatsoper.

Tatiana Gsovsky est, par un curieux coup du destin, également à l’origine de la renaissance du ballet à Berlin-Ouest. Passée dans le camp occidental, Tatiana Gsvosky est nommée «Maître de ballet et Chorégraphe en chef» de la Städtische Oper (future Deutsche Oper) en 1958. En 1966, elle est remplacée par Kenneth MacMillan, auquel succède quatre ans plus tard, Gerd Reinholm. Si Reinholm, en poste jusqu’en 1990, se concentre essentiellement sur le ballet académique, ses successeurs immédiats, Peter Schaufuss (1990-1994), Ray Barra (1994-1996) et Richard Cragun (1996-1999) privilégient un répertoire plus actuel. La dernière directrice de la troupe sera la Française Sylviane Bayard (1990-2004), disciple de Marcia Haydée, qui effectua l’essentiel de sa carrière de danseuse au ballet de Stuttgart.

En 2004, le gouvernement allemand décida, par mesure d’économie, de fusionner les deux compagnies. A l’ensemble ainsi constitué se joint une troisième troupe, celle de la Komische Oper («Opéra-comique»), elle aussi située dans l’ancienne zone Est, et qui était dévolue à la danse contemporaine et aux chorégraphies expérimentales (Blanca Li l’avait dirigée de 2001 à 2002).

C’est Vladimir Malakhov qui est nommé à la tête de ce nouveau Staatsballett de Berlin, et  préside encore aujourd’hui à sa destinée.

La Française Christine Camillo, aujourd’hui Maître de Ballet, a effectué une grande partie de sa carrière à la Deutsche Oper, dans l’ex-Berlin-Ouest. Elle a gentiment accepté de retracer son parcours. Dans un autre entretien, nous ferons connaissance avec Beatrice Knop qui, elle, est une enfant de l’ancienne zone Est de Berlin.






Formée à l’Académie Princesse Grâce à Monaco, j’ai remporté le Prix de Lausanne en 1981. Cela m’a valu une bourse d’études d’un an à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris. Néanmoins, j’avais peu d’espoir d’intégrer la compagnie nationale, car il était extrêmement rare que des élèves venant de l’«extérieur» soient pris lors du concours. Claude Bessy, consciente de ce fait, m’a proposé, en guise d’alternative, de devenir professeur – pas moins! – pour les danseurs de la troupe, alors que je n’avais que quinze ans et demi! J’ai évidemment refusé, mais mon passage à l’Ecole de danse m’aura au moins permis de profiter de l’enseignement de très bons professeurs, comme Lucien Duthoit ou Christiane Vaussard. De plus, Claude Bessy m’avait confié la responsabilité de l’organisation des répétitions des «portes ouvertes» – c’est ainsi qu’on appelait à l’époque le spectacle annuel de l’école.

A l’issue de cette année à l’Ecole de l’Opéra de Paris, j’ai quitté assez rapidement la France. De toute façon, il reste un Camillo à Paris, mon frère Eric, qui enseigne toujours à l’Ecole de danse!

Je suis donc allée à Londres passer une audition pour entrer au Scottish Ballet. On m’a d’abord fait savoir qu’il n’y avait pas de place pour moi, mais la direction de la compagnie a tout de même gardé mes coordonnées. En août, on m’a rappelée pour me dire de faire mes valises tout de suite et de venir en Ecosse. Au bout de trois ans, j’ai été nommée soliste. En 1986, j’ai quitté le Scottish Ballet pour aller à Londres, à l’English National Ballet, alors dirigé par Peter Schaufuss. Lorsque celui-ci a été nommé directeur du Ballet de la Deutsche Oper à Berlin, en 1990, il m’a proposé de le suivre, et j’ai accepté. J’ai été engagée à la Deutsche Oper avec un contrat de Première soliste. Peter Schaufuss est parti au Danemark en 1994, mais là, j’ai décidé de rester à Berlin. Trois directeurs se sont succédé de 1994 à 2004 : Ray Barra, Richard Cragun et Sylviane Bayard. Avec ces différentes personnalités, le répertoire a beaucoup évolué, et il a fallu a chaque fois s’adapter. En 2004, les trois compagnies de ballet berlinoises, Deutsche Oper, Staatsoper et Komische Oper ont été fusionnées et placées sous la direction de Vladimir Malakhov. Celui-ci m’a alors proposé de devenir Maître de Ballet à mi-temps, et de consacrer le reste de mon temps à mon activité de soliste dans la compagnie. J’ai refusé, et j’ai préféré mettre un terme à ma carrière de danseuse, pour me consacrer entièrement à mes nouvelles fonctions.

J’ai été moi-même formée aux méthodes russes (Vaganova / Messerer à Monaco) et française (à l’Opéra de Paris), mais le choix de la méthode n’est pas ce qui comptait en premier pour Vladimir Malakhov  quand il m’a nommée Maître de Ballet. Ce qui est prioritaire pour lui, c’est le niveau artistique de la troupe, et son adaptabilité aux divers styles des chorégraphies de notre répertoire, de Petipa à Balanchine ou Cranko. Vladimir Malakhov cherche une manière plus «moderne» de danser les classiques, en mettant l’accent sur la beauté plastique et l’homogénéité des physiques, avec des mouvements plus libres, mais tout en préservant les fondamentaux de la méthode russe.

La grande variété du répertoire est d’ailleurs l’une des caractéristiques saillantes du Ballet de Berlin. Nous pouvons danser aussi bien Giselle que des ouvrages de Bigonzetti, de Béjart, de Duato, de Forsythe ou de Neumeier. Nous avons la chance de posséder suffisamment de danseurs  - quatre-vingt huit - pour aborder des pièces aussi diverses. Dans le futur, les choses évolueront sans doute encore un peu, car Vladimir Malakhov se réservera, je pense, plutôt les chorégraphies néoclassiques et ne dansera plus lui-même les grands classiques, tels le Lac des Cygnes. Pour cela, nous avons beaucoup de très bons solistes, et, avec M. Malakhov, nous sommes très attentifs aux danseurs de la génération montante, à leur ouverture d’esprit et à leur capacité à bien s’intégrer à la compagnie. Il y a peu d’artistes qui sont entrés au Ballet de Berlin directement après leur formation, trois ou quatre tout au plus. La plupart sont venus d’autres troupes, et ont été engagés à des niveaux différents (corps de ballet, solistes) en fonction de leur expérience et de leurs capacités. Mais ensuite, surtout chez les danseurs de corps de ballet, l’effectif reste assez stable, et il y a peu de départs. Chez les solistes, il y a évidemment plus de mouvement. Parmi eux, Polina Semionova est un peu l’emblème de la compagnie. Elle est arrivée chez nous à l’âge de dix-huit ans, et Vladimir Malakhov l’a immédiatement repérée.

Le Ballet de Berlin se trouve actuellement dans une situation de transition, puisque «sa» maison, la Staatsoper Unter den Linden, est en travaux pour plusieurs années. Nous sommes censés y retourner après la fin du chantier, mais le directeur de l’Opéra, Daniel Barenboïm, semble vouloir dédier le théâtre «historique» à la musique. Espérons tout de même qu’il fera un petit effort pour le ballet!




Christine Camillo - Propos recueillis par R. F.




Entretien réalisé le 04 juillet 2010 - Beatrice Knop © 2010, Dansomanie


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