menu - sommaire



critiques audio video
Mr. Gaga, sept ans de la vie d'Ohad Naharin (Batsheva Dance Company)

Cinéma : Mr Gaga, Tomer Heymann dans les pas d'Ohad Naharin


Après plus d'une dizaine de documentaires, Tomer Heymann dresse ici le portrait d'Ohad Naharin, directeur de la danse de la compagnie israélienne Batsheva, qu'il a suivi durant sept ans. Entrecoupé de nombreuses images d'archives, Mr. Gaga explore le cerveau bouillonnant d'un artiste de génie, en même temps qu'il sonde les failles de l'homme et sa détermination pour y palier.


A lire aussi : notre interview d'Ohad Naharin


Mr. Gaga - Ohad Naharin


L'usage voudrait qu'un documentaire réussi possède un angle précis. Mr. Gaga contredit cet adage. Durant 1h40, Tomer Heymann alterne vie professionnelle et vie privée de l'artiste, comme si l'une n'allait pas sans l'autre. C'est précisément cette fusion qui permet pleinement de comprendre le travail chorégraphique d'Ohad Naharin. Né en Israël dans un kibboutz, il commence sa carrière de danseur en 1974 à la Batsheva, pour une courte durée, avant de s'envoler pour New-York à l'invitation de Martha Graham. C'est dans cette ville, où ses espoirs artistiques seront pourtant déçus, qu'il rencontre sa femme, Mary Kajuwara, danseuse dans la troupe américaine d'Alvin Ailey. Très vite, elle quittera cette compagnie pour suivre Ohad Naharin dans ses projets fous et ambitieux.

Pour construire son film, Tomer Heymann a visionné 650h d'images d'archives et, devant l'inventivité du chorégraphe — on peut vibrer devant les extraits de Tabula Rasa (1988), Deca Dance (2005), Last Work (2015), entre autres— on imagine sans peine la difficulté du cinéaste à sélectionner les passages les plus pertinents. On constate ainsi combien, dès ses débuts, Ohad Naharin est fascinant de créativité, travaillant sur le lâcher-prise et en quête constante de sentiments intérieurs. «Faites peu [ de mouvements] mais ressentez beaucoup», telle semble être la matrice de son art. C'est à la Batsheva cependant, où il est cette fois appelé comme directeur de la danse en 1990, qu'il mettra pleinement en pratique son esthétique.

Mr. Gaga - Ohad Naharin


Mais ce qui intéresse le cinéaste ne semble pas tant la force du chorégraphe, que les failles de l'homme, inextricables de sa danse. À travers des flashbacks et en utilisant les codes propres à la fiction, comme le suspense, il explore les faiblesses pour mieux comprendre son travail. La chute. Ou plutôt, la difficulté à chuter. C'est ainsi que Tomer Heymann ouvre son documentaire. On y voit Ohad Naharin en pleine répétition, qui invite une danseuse de sa compagnie à s'abandonner pour laisser son corps chuter. Inlassablement, elle réitère le mouvement qui, parfait pour le spectateur non aguerri, manque d'émotions pour l'oeil avisé du chorégraphe. Cette scène d'ouverture sera la métaphore du film.

Mr. Gaga - Ohad Naharin


C'est par les obstacles qu'Ohad Naharin s'est construit. C'est par la blessure, à force de maltraiter son corps, qu'il invente sa célèbre méthode «Gaga». Rappelant des sonorités enfantines, elle exhorte à écouter son corps et prendre conscience de ses blocages, pour mieux les transcender. Cette méthode n'est pas élitiste et, comme le montrent certaines images de cours collectifs, s'adresse à tous. Tel un gourou, Ohad Naharin enseigne ce qu'il a appris de ses blessures, du haut de son piédestal. Si cette mise en scène peut sembler un brin prétentieuse, elle n'en demeure pas moins juste pour un artiste d'une telle envergure. D'ailleurs, nombre de ses proches et collaborateurs se succèdent durant le film, à travers des témoignages pertinents qui ne mettent qu'un peu plus en lumière l'aura du chorégraphe israélien. Seul bémol : l'intervention furtive et fade de Natalie Portman, présence un peu racoleuse d'une star de cinéma dont le film n'a pas besoin pour briller.


Mr. Gaga - Ohad Naharin


Mr. Gaga montre également la blessure morale, puisque le chorégraphe perd sa femme d'un cancer, au début des années 2000. Mais plutôt que de créer une séquence mélodramatique, Tomer Heymann prend le parti de la reconstruction de l'homme et de l'artiste. Les plans qui suivront montreront alors un Ohad Naharin apaisé, entouré d'une nouvelle femme et d'une petite fille. Et alors, comme une boucle finale, la dernière image revient sur la danseuse du début qui, cette fois, parvient à lâcher-prise.

Tomer Heymann signe un documentaire aussi fort que celui dont il esquisse le portrait, en dévoilant chacune des personnalités d'Ohad Naharin : l'homme, l'artiste et l'engagé, qui s'est toujours évertué à réussir ses chutes, pour mieux s'en relever.


 

Paola Dicelli © 2016, Dansomanie



Remerciements à Sarah Kora Dayanova (Opéra National de Paris) pour son aide.

Le contenu des articles publiés sur www.dansomanie.net et www.forum-dansomanie.net est la propriété exclusive de Dansomanie et de ses rédacteurs respectifs.Toute reproduction intégrale ou partielle non autrorisée par Dansomanie ou ne relevant pas des exceptions prévues par la loi (droit de citation notamment dans le cadre de revues de presse, copie à usage privé), par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. 




Mr. Gaga




Mr. Gaga

Réalisation et scénario : Tomer  Heymann
Scénario : Tomer Heymann
Photographie : Itai Raziel
Montage : Alon Greenberg, Ido Morchrik, Ron Homert
Musique : Ishai Adar
Ingénieur du son : Alex Claude
Production : Barak Heymann, Diana Holtzberg
Durée : 1h43

Avec : Ohad Naharin


Heymann Brothers Films, Sophie Dulac Distribution (France)


http://www.forum-dansomanie.net
haut de page