«Et la danse, dans tout cela?» : tel est le
sentiment qui nous anime au terme de cette saison 1. Nous l'aurons
finalement attendue durant huit longs épisodes, pour être enfin
contentés lors du final. Hélas, cela ne suffit pas à endiguer
notre frustration.
Il peut paraître incongru de créer une série sur la danse, et de
la reléguer au second plan. Ainsi, les rares moments chorégraphiques
sont souvent interrompus par du trash gratuit : une
danseuse qui saigne du nez à force de cocaïne ou un attouchement de
Paul Grayson sur les parties génitales d'un de ses danseurs. Si l'on
voulait vraiment remuer le couteau dans la plaie, il serait pertinent
de compter le nombre de scènes de sexe par rapport à celles de
danse. Malheureusement, les premières l'emportent considérablement
sur les secondes. La chair et les os (traduction du titre original)
ne seraient donc pas relatifs au ballet et à ses difficultés, mais
peut-être au corps pendant l'amour. De plus, ces scènes ne servent
en rien le propos. Tant qu'à faire du sensationnel, d'autres séries
se sont montrées supérieures (Dexter, UnReal ou Games
of Thrones, pour ne citer qu'elles).

«Avez-vous fait un pacte avec le diable?»
Claire, incarnée par l'excellente Sarah Hay, est un
personnage intéressant. Cependant, un personnage exige une bonne
histoire et, de ce côté là, nous sommes moins enthousiastes. Dès
le troisième épisode, la timide et candide danseuse, fraîchement
entrée à l'American Ballet, souhaite dévoiler son côté obscur.
Son « Black Swan » en quelque sorte, fait assez frappant
lorsque l'on connaît la volonté de Moira Walley-Beckett, la
créatrice de la série, de se détacher du film de Darren Aronofsky.
Claire entre de son plein gré dans une boite de striptease tenue par
un Russe rustre et, comme ses camarades, souhaite y danser. Non par
obligation financière, comme nous aurions pu le croire dans
l'épisode 1, mais pour le pur plaisir de s'encanailler. À la suite
de son effeuillage, son attitude change du tout au tout. De fragile,
elle devient subitement forte, dominatrice, en un claquement de
doigt. Si nous pourrions accorder l'excuse du déclic, sa rapidité
est peu crédible. Par ailleurs, le striptease langoureux de Claire
est montré dans son intégralité, tandis que les scènes de danse,
elles, sont coupées, interrompues. Dans cette série, la pole
dance semble plus attrayante que le ballet.
Quant aux autres personnages, certains semblent avoir
été délaissés, au profit d'autres, risibles par leur
improbabilité. Le champion en la matière est le SDF, Roméo,
habitant en bas de chez Claire. Benêt, étrange et serviable, on
découvre petit à petit qu'il est doté d'une faculté d'observation
pointue et d'un grand sens artistique. Ainsi, au terme de cette
saison 1, il mettra en images le sombre passé de l'héroïne, qui
pleurera d'émotion en voyant le livre qu'il a créé : « Tu
es mon véritable héros, tu m'as sauvé ! » déclarera
t-elle, malheureusement, au premier degré. L'idée de ne pas
stigmatiser les sans-abri comme sales et alcooliques était
brillante. De là à en faire un artiste-chevalier qui, avec un
tesson de bouteille, libérera sa « princesse », c'est un
peu exagéré...
Parlons également de cette chorégraphe, stéréotype
de l'anticonformiste, appelée par le directeur de la danse pour
créer un nouveau spectacle. Avec une musique accompagnant un
discours sur la confiance, elle exhorte les danseurs à se libérer
de leur passé (gros plan sur le visage angoissée de Claire qui,
bien sûr, se sent concernée). Toutefois, ses conseils larmoyants ne
serviront à rien.
En effet, lorsque la compagnie sombre, Paul Grayson
demande à Daphné — dont le père est un riche New-yorkais — de
les aider financièrement. Tout naturellement la ballerine accepte,
mais réclame en échange de devenir soliste. Dès le pilote, nous
l'avions remarqué : dans Flesh and Bone, les danseurs ne
sont jamais promus pour leur talent, puisqu'il semble toujours y
avoir une contrepartie financière ou sexuelle derrière leurs
nominations.

L'éclair de génie final
Si tous les épisodes avaient été semblables au
huitième, la série aurait été excellente. Comme par miracle, tous
les défauts alourdissant l'intrigue s'estompent pour faire place à
une qualité que l'on n'attendait plus. Nous assistons alors à une
succession de scènes magnifiques et puissantes. Entre autres, le
montage alterné entre Mia, à l'hôpital après sa tentative de
suicide, et la représentation de Joyaux de Balanchine, fait
preuve d'une grande inventivité. Mia, dans sa chambre, bandage aux
poignets, esquisse les pas de danse qu'elle aurait dû faire sur
scène, au même moment. Une séquence captivante, pareille à celles
qui la suivront. Nous ressentons enfin la tension avant le lever du
rideau et ces moments de concentration, impeccablement rendus par la
mise en scène. Les silences, les ralentis sont donc plus efficaces
que des discours clichés.
L'apogée vient au moment où Claire monte sur scène.
Dans un décor épuré, esthétique, elle entreprend avec son
partenaire un très beau pas de deux. Flesh and Bone réussit
finalement à doser entre danse et envers du décor, avec subtilité.
Malheureusement, c'est un peu tard. Cet épisode final
ne réussit pas à effacer la surenchère de drogue, d'anorexie, de
folie et de relation incestueuse entre Claire et son frère. Il est
même difficile de saluer la prise de risque, puisque l'inceste a
déjà été abordé dans Game of Thrones. Gérard de Nerval
le disait bien : «Le premier qui compara la femme à
une rose était un poète, le second un imbécile».
Pour l'heure, nous ne savons pas encore si la série
sera reconduite pour une deuxième saison. Si tel est le cas,
espérons qu'elle soit à l'image de l'ultime épisode.
Paola Dicelli © 2015, Dansomanie