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Ballerina, de Bertrand Normand
Dans les coulisses du Mariinsky, avec Bertrand Normand
Après avoir connu une première carrière
grâce à la télévision, puis une sortie en
salles de cinéma, le - déjà célèbre
- documentaire de Bertrand Normand, consacré aux danseuses du
Mariinsky, sort enfin en DVD, trois ans après sa première
diffusion en 2006. A l’occasion de cette parution,
scènes et entretiens inédits avec les protagonistes – au total une quarantaine de minutes de bonus - sont
adjoints au film. Nul doute qu’ils sauront renouveler
l’intérêt et la curiosité de toux ceux qui
ont déjà eu connaissance de Ballerina…
Si le titre du film de Bertrand Normand reste volontiers
général et quelque peu convenu, il illustre cependant le
propos à la fois didactique et fasciné du
réalisateur : mettre en scène, au travers de cinq
destinées différentes, un mythe, celui de la ballerine,
forgé à l’époque romantique, et selon lui
nulle part plus vivace, aujourd’hui encore, qu’en Russie,
tout particulièrement à Saint-Pétersbourg,
où se trouve le Théâtre Mariinsky, cadre presque
unique du documentaire.
Le film imite dans sa structure le parcours initiatique qui conduit
toute ballerine en devenir de ses longues années de formation
à l’école de danse au couronnement que signifie
l’acquisition du titre suprême d’étoile. Alina
Somova, très vite repérée, est encore
élève de l’Académie Vaganova lorsque
s’ouvre le film ; Evgenia Obraztsova, d’un an plus
âgée, est une danseuse de corps de ballet à qui des
rôles de soliste ont d’emblée été
confiés par la direction du théâtre ; Svetlana
Zakharova est une jeune étoile, déjà
célèbre et acclamée, tout comme Diana Vichneva,
qui voit notamment sa carrière s’épanouir à
l’étranger ; Ulyana Lopatkina enfin, au statut
confirmé, effectue son retour sur scène après une
interruption forcée. Celle-ci apparaît du reste, dans le
regard du réalisateur et dans la construction narrative, comme
une espèce de ballerine ultime, avatar moderne de la
créature idéalisée par le romantisme,
entièrement dévouée à son art, et sachant
rester pourtant profondément humaine. Bertrand Normand parvient
notamment à capturer cet instant magique, où on la voit,
seule au fond d’un antique studio, improviser sur la partition
mythique du Cygne, sous les
regards émerveillés d’élèves de
l’école dissimulées derrière une porte, un
peu comme si ces dernières se retrouvaient là, à
l’instar des spectateurs intrusifs que nous sommes, à
violer le secret de la création…
La caméra amoureuse du réalisateur, au service d’un
sujet dont on perçoit qu’il n’est pas «un
parmi d’autres», mais qu’il le touche au plus
profond, se glisse dans les couloirs aux mille détours du
Théâtre Mariinsky et explore ce monde des
arrière-scènes où «se fabriquent» les ballerines. Il y a la lumière
éblouissante et aveuglante de la scène, l’illusion
merveilleuse qu’elle suscite, et il y a ce clair-obscur quotidien
des studios où les corps travaillent, s’épuisent,
souffrent et errent, face au miroir et aux directives des professeurs.
Diana Vichneva, volontaire et lucide, incarne plus qu’une autre
les envies et les contradictions de la ballerine : «Quand on va
au théâtre, ce n’est que beauté, ça
semble très facile. Mais derrière tout ça,
c’est le revers de la médaille. Souvent, je me dis que je
ne vais pas pouvoir continuer. Mais ensuite, je vais sur scène,
et tout est différent.» Le ton du film est toutefois
à la célébration, non à la
polémique, et le cliché universel est exploité ici
sans limites et sans crainte, revivifié par le
parti-pris esthétisant et lumineux de la réalisation. La
ville de Saint-Pétersbourg, tout à la fois absente et
présente en marge de ce monde clos et presque hors du temps,
apparaît ainsi, filmée comme un décor de
théâtre et comme un écrin nécessaire
à la fabrique de l’illusion… Genichka se devait
bien pour cela d’aller faire brûler un cierge à
Saint-Nicolas des Marins…
L’efficacité du film de Bertrand Normand tient à ce
qu’il est sans aucun doute apte à séduire le
néophyte, peu au fait de l’univers si particulier –
et au fond si étrange - du ballet classique, autant que le
balletomane, toujours avide d’images dès lors que sa
passion est en jeu, mais à qui le monde mystérieux des
coulisses demeure inéluctablement fermé. Son
intérêt est aussi de s’attacher à plusieurs
incarnations - autant que plusieurs possibles - de la ballerine russe,
dont les déclinaisons semblent inépuisables. Si les cinq
héroïnes, de chair et d’os, choisies par le
réalisateur à un moment précis de la très
longue histoire du Ballet du Mariinsky sont transcendées par un
mythe qui, à bien des égards, les dépasse chacune,
le mythe sait se nourrir simultanément de leurs
personnalités et de leurs différences. Comme le dit le
directeur du théâtre, Valéry Gergiev,
interviewé dans le film et à l’unisson sur ce point
de Manuel Legris : «Elles ne sont pas intéressantes
parce qu’elles connaissent bien l’école et son
enseignement traditionnel et font ce qu’on leur a appris, elles
sont intéressantes parce qu’elles apportent sur
scène leur tendresse, leur chaleur, leur profondeur, leur
sensibilité et leur beauté».
Les bonus proposés permettent de retrouver les différents
protagonistes du film dans des scènes non retenues et des
entretiens inédits. Si l’on regrette
l’impossibilité pratique de visionner toutes les
séquences à la file sans repasser à chaque fois
par le menu, elles offrent néanmoins un éclairage nouveau
et digne d’attention sur le sujet. On signalera notamment le
chapitre consacré à Evgenia Obraztsova, où
l’on voit la jeune coryphée répéter en
studio la variation de la Fête des fleurs à Genzano et interpréter sur scène le rôle de Shirin dans La Légende d’amour
de Grigorovitch, celui dédié à Ulyana Lopatkina,
filmée dans ce même ballet, dans le rôle de
Mekhmene-Banu, ou encore l’entrevue avec cette vieille dame qu'on
devine très modeste, encore si vive d’esprit,
mémoire
vivante de 60 années de spectacles de ballet au
Théâtre Mariinsky : «Elles lisent, et ça se
voit sur scène», dit-elle dans sa grande sagesse…
B. Jarrasse © 2009, Dansomanie
Ballerina
Réalisateur : Bertrand Normand
Documentaire - 2006
Avec Ulyana Lopatkina, Diana Vichneva, Evgenia Obraztsova, Alina
Somova, Svetlana Zakharova, Valéry Gergiev, Manuel Legris,
Pierre Lacotte, Cédric Klapisch et toutes les danseuses et
danseurs du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg.
Montage image : Antonela Bevenja
Montage son : Sandrine Henchoz
Mixage : Raoul Fruhauf
En co-production avec le Théâtre Mariinsky, produit par Yann Brolli et Frédéric Podetti
DVD
Français – 2008 – VO ST – 4/3 – Couleur
DolbyStereo – Film : 77 min. – Bonus : env. 40 min. - Entretiens et scène inédites
Distributeur : Floris Films / Films du Paradoxe
Bonus :
Scènes inédites : Alina Somova et l’Académie
Vaganova. Evgenia Obraztsova. Svetlana Zakharova. Diana Vichneva.
Ulyana Lopatkina.
Entretiens inédits : Pierre Lacotte : un peu d’histoire.
Cédric Klapisch : l’idéal et la tradition. Manuel
Legris : les Français et les Russes. Souvenirs d’une
spectatrice fidèle depuis 60 ans.
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