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critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

27 juin 2018 :  «Tel Aviv fever» au Théâtre Garonne


Stars and dust, chor. Hillel Kogan


Ce programme un peu inattendu est une coproduction du Ballet du Capitole, du théâtre Garonne et du Festival Montpellier Danse 2018 où le spectacle est donné dans le même élan. Il vient lancer à Toulouse la saison croisée France-Israël 2018 et à cette occasion trois chorégraphes israéliens Roy Assaf, Yasmeen Godder et Hillel Kogan ont eu carte blanche pour venir créer trois pièces avec les danseurs du Ballet du Capitole. Dans le même temps deux danseuses de la troupe se sont déplacées à Tel-Aviv-Jaffa pour préparer la pièce de Yasmeen Godder. Cette confrontation entre deux univers éloignés avait pour ses initiateurs toute la saveur de l’inconnu. Le plaisir de la découverte allait-il être partagé par le public? Tout l’enjeu était là.

La première pièce, Adam, de Roy Assaf, n’est pas exactement une création puisque qu’elle fut conçue en 2016 à la demande d’Ohad Naharin pour la Batsheva Dance Company. Son adaptation pour sept danseuses et quatre danseurs de la troupe du Capitole en change sensiblement l’atmosphère, lui conférant une certaine distanciation, un humour au second degré bienvenu.

Dans une première section, les danseurs, tous en justaucorps couleur chair, se jaugent deux par deux. Ils s’évaluent, se soupèsent, se caressent, dans une approche très animale, chaque sortie d’un danseur étant suivie d’une nouvelle entrée, en une chaîne alternée se bouclant sur elle-même. Sur le grand plateau blanc tendu de noir de théâtre Garonne, le silence est à peine troublé par quelques notes éparses de Debussy. La scène se clôt au noir sur un «doigt» de Nicolas Rombaut adressé au public, aussi incongru qu’on pouvait l’attendre.

La deuxième section, la plus longue et la plus loufoque, montre les danseurs énumérer à voix haute chacun à son tour les parties de leur corps sollicitées dans leurs mouvements les plus divers. Tout cela est fort drôle, figurant en quelque sorte une découverte originelle de la danse, qui a le bonheur de ne jamais se prendre au sérieux. La dernière séquence, un peu répétitive celle-ci, voit les danseurs se déplacer à toute allure en mouvements chaotiques pourtant savamment réglés puis s’immobiliser en parfait synchronisme, tandis que la lumière et la musique s’éteignent doucement.

Dans cette pièce où on a fait confiance aux danseurs du corps de ballet, plusieurs personnalités se détachent sensiblement du groupe : Nicolas Rombaut, toujours au premier rang dès qu’il s’agit de faire rire, la charmante Manon Cazalis, l’envoûtante sirène de Yuki Ogasawara. Soulignons surtout l’incroyable présence scénique de Jérémy Leydier qui fait merveille dans ce type de répertoire.

Pour la deuxième pièce du programme Mighty Real, de Yasmeen Godder, on a attaché les rideaux noirs, révélant ainsi les belles murailles de briques de l’ancienne station de pompage des eaux de la Garonne. Dans ce grand espace, une danseuse apparaît, plutôt menue, habillée d’amples vêtements désordonnés. Elle se lance avec assurance dans un long solo qui la fait parcourir la scène en tous sens, ramper ou se rouler par terre, au son abruptement interrompu d’un concerto de Bach, couvert de gratouillis comme au temps des vieux microsillons. Malgré le propos quelque peu austère, Ichika Maruyama réussit la gageure de nous captiver d’un bout à l’autre, révélant une force de conviction insoupçonnée sous un aspect fragile. Ayant pris un micro, elle pousse des hululements pour accompagner un chanteur disco avec : «You make me feel mighty real» c’est -à-dire en s’adressant au public : «Tu me fais exister intensément».

C’est probablement cette recherche d’intensité qui fait le lien entre les trois créations. Recherche du processus créatif, des limites de la liberté du mouvement, intensité du ressenti de son propre corps, de l’approche physique entre danseurs ou bien vis-à-vis du public, expérimentation des sens mis en jeu par la danse.

Car la troisième pièce du programme, Stars and Dust (étoiles et poussière) de Hillel Kogan, est aussi une recherche, une sorte de «work in progress» plein de fraîcheur, de spontanéité et d’humour, illustrant la rencontre entre un chorégraphe contemporain et une troupe rompue au ballet classique. Pendant que les danseurs se préparent en tenue d’échauffement, le chorégraphe et son assistante, Sharon Zuckerman Weiser, commentent en voix off les pages de recherche internet sur le Ballet du Capitole, projetées immenses sur le fond de scène. Ils échangent des propos décalés sur le nom de Kader Belarbi, ses origines, sa magnifique photo “officielle” (signée David Herrero). Ils présentent ensuite les six danseurs retenus pour leur projet, détaillant jusqu’à leur vie personnelle. Le petit ensemble fait alors une démonstration endiablée de ses talents sur une vive polka de Johann Strauss. Mais il faut montrer aussi des extraits du répertoire académique de la compagnie ! Les trois danseuses exécutent aussitôt (le mot est approprié) une descente des ombres de la Bayadère, tout en bavardant sur l’argument du ballet ou leur rapport à l’opium ! Aussi bien, la dernière traversée de jardin à court se fait cigarette au bec. Rappelons que cette descente des ombres sera reprise «en vrai» la saison prochaine au Capitole. Mais ne dévoilons pas tous les gags, on rit beaucoup, et on sent que la rencontre a été pleine de bienveillance et de bonne humeur, dans un rapport d’enrichissement mutuel.

Il serait malhonnête de vouloir s’abstraire à tout prix du contexte géopolitique dans lequel se place cette rencontre. Menaces d’annulation, dispositif de sécurité renforcé, déclaration conjointe en début de spectacle de Kader Belarbi et Jacky Ohayon, le directeur du théâtre Garonne, dénonçant toute volonté de censure, «d’où qu’elle vienne», tout nous ramène à une réalité parfois désespérante dont l’issue semble au-delà de l’horizon. S’il existe un lien entre cette réalité et l’effervescence de la création chorégraphique israélienne, c’est la belle réponse de Roy Assaf qui l’exprime le mieux :

«La scène israélienne est aussi vivante car celles et ceux qui l’animent sont infatigables. La production est considérable, elle se fait dans des circonstances souvent difficiles, en quartiers confinés. Pour moi, travailler sur le corps, c’est être conscient de la douleur qui saisit mon cou et mes genoux ainsi que de cette question lancinante, «jusqu’à quand?»




Jean-Marc Jacquin © 2018, Dansomanie

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tel aviv fever
Adam , chor. Roy Assaf



Adam (création)
Musique : Jeremie Bernheim
Chorégraphie : Roy Assaf, assisté d'Avshalom Latucha et Ariel Freedman
 Lumières : Omer Sheizaf

Avec : 
Virginie Baïet-Dartigalongue, Dafne Barbosa, Manon Cazalis, Louise Coquillard
Raphaëlle Gault, Yuki Ogasawara, Tiphaine Prévost
Martin Arroyos, Lien Geslin Vinck, Jérémy Leydier, Nicolas Rombaut


Mighty  Real (création)
Musique : Tomer Damsky
Chorégraphie : Yasmeen Godder, assisté d'Itzik Giuli et Shuli Enosh
Lumières : Omer Sheizaf

Avec : 
Ichika Maruyama

Stars and Dust (création)
Musique : Johann Strauss fils, Léo Delibes
Chorégraphie : Hillel Kogan, assisté de Sharon Zuckerman Weiser
Lumières : Omer Sheizaf

Avec : 
Olivia Lindon, Solène Monnereau, Juliette Thélin
Simon Catonnet, Minoru Kaneko, Philippe Solano



Ballet du  Capitole de Toulouse
Musique enregistrée


Mercredi 27 juin 2018,  Théâtre Garonne, Toulouse


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