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Ballet du Capitole de
Toulouse
21
décembre 2017 : Casse-Noisette
(Kader Belarbi) au Théâtre du Capitole
Natalia de Froberville (Marie), Ramiro Gómez Samón (Casse-Noisette)
Fort d'une réputation d'excellence qu'il faut
défendre, le Ballet du Capitole propose à son public au
moins une création de prestige par saison. Réunir pour
une nouvelle production toutes les forces vives de la maison
théâtrale, associées à des créateurs
de talent, témoigne d'une ambition qu'il faut savoir
apprécier. Pour une longue série festive, au moment
où les enfants vont au spectacle avec leurs parents, le choix de
Kader Belarbi s'est naturellement porté sur une relecture du
célèbre ballet Casse-Noisette,
s'appuyant sur la splendide partition de Piotr Ilitch Tchaïkovski,
véritable joyau musical. L'argument original se déroulant
une nuit de Noël, le ballet est devenu un passage obligé
des fêtes de fin d'année dans un grand nombre de pays.
Pour autant il est beaucoup moins souvent présenté en
France qu'on le prétend parfois. On le sait, le livret sur
lequel s'appuyait la chorégraphie de Petipa et Ivanov avait
passablement édulcoré le conte d'Ernst Theodor Amadeus
Hoffmann, d'autant que l'adaptation due à Alexandre Dumas,
utilisée alors, l'avait débarrassé de ses aspects
grinçants. De plus ce livret arrêtait l'action au tout
début de la deuxième partie, laissant la place à
la danse pure pour des personnages sans contenu dramatique. Ce
scénario lâche était propre à susciter
l'imagination de nombreux chorégraphes qui ont
succédé à Petipa avec des bonheurs inégaux,
tirant l'histoire qui vers le merveilleux le plus absolu, qui vers un
approfondissement psychanalytique, chacun pouvant interpréter
à sa manière le défilé des danses de
caractère du deuxième acte. La personnalité du
mystérieux parrain Drosselmeyer ou l'identification du pantin
animé avec un autre personnage ont également pu varier
à volonté: un neveu de Drosselmeyer comme chez
Hoffmann/Dumas, ou le prince Orgeat, ou Drosselmeyer lui-même, ou
rien du tout. Il faut préserver l'effet de surprise quant
à la solution proposée par Kader Belarbi.
Natalia de Froberville (Marie), Ramiro Gómez Samón (Casse-Noisette)
Au lieu d'un intérieur bourgeois biedermeier de la tradition,
nous voici transportés dans un pensionnat à l'ancienne,
à une époque peu déterminée mais assez
récente pour proposer des pensionnats d'enfants mixtes. Marie y
est une petite pensionnaire parmi les autres, probablement orpheline,
entourée de son cercle d'amis, qu'elle surnomme le club des cinq
(souvenir de la bibliothèque rose). En cette veille de
Noël, les enfants turbulents ne sont guère intimidés
par l'allure stricte de la Haute Surveillante, mais acceptent bon
gré mal gré de mettre de l'ordre dans le dortoir avant
accueillir le directeur. Celui-ci (c'est Drosselmeyer bien sûr) a
gardé du modèle original une allure débonnaire,
ainsi qu'une propension à offrir des jouets aux enfants que les parents
ne sont pas venus chercher, dont Marie et ses amis. La petite fille
reçoit pour sa part un casse-noisette en forme de pantin en
uniforme qui la déconcerte.
Après
ce tableau de départ non dénué d'un certain
réalisme, la nuit venue, les éléments se
dérèglent. Marie revient ouvrir l'armoire aux jouets, la
traverse pour trouver de l'autre côté son environnement
familier démesurément agrandi, son jouet à taille
humaine et son club des cinq eux-mêmes transformés en
jouets. A partir de là, on n'est pas si éloigné de
l'univers de Lewis Carroll, avec ses jumeaux siamois ou ses chenilles
raisonneuses, les théories sur l'absurde en moins.
Natalia de Froberville (Marie), Ramiro Gómez Samón (Casse-Noisette)
Les
tableaux vont s'enchaîner alors à un rythme
accéléré. La bataille contre les araignées,
qui remplacent ici les rats, va montrer la reine des arachnides, qui
prend les traits de la surveillante, arracher un bras au maladroit
casse-noisette. Ce ne sera pas le moindre des défis pour
celui-ci de danser avec ce handicap. Les enfants-jouets partiront
à l'aventure à la recherche d'un bras de remplacement, au
gré de rencontres délirantes dans le pays des jouets.
Rarement sur la scène du Capitole on a vu se déployer une
telle profusion de décors, souvent en forme de boîtes mobiles,
avec des changements à vue manipulés par les danseurs
eux-mêmes. Les paysages végétaux d'Antoine Fontaine
font surgir mille-pattes surgonflés ou grenouilles sautillantes.
Les costumes aux mille couleurs de Philippe Guillotel font se
multiplier les danseurs du Capitole, apparaissant chacun au moins trois
ou quatre fois sous de nouvelles apparences. Un tour de force pour une
compagnie de 35 danseurs.
Dans ce contexte d'opulente abondance, la chorégraphie en
elle-même ne se taille pas la part du lion. Si elle a le
mérite de faire danser généreusement tous les
personnages, elle manque d'une idée forte propre à faire
ressortir tel ou tel soliste. La complication des costumes ne pouvait
évidemment pas donner lieu à des envolées
spectaculaires. La Valse des fleurs multicolores ou la Valse des
flocons à la fourrure blanche restent des moments
séduisants où on sent la patte de Laure Muret.

Natalia de Froberville (Marie)
Une des idées les plus poétiques est de faire dessiner au
tableau par les enfants-jouets les silhouettes du couple tandis que
Marie et son Casse-Noisette se transforment en princesse et prince,
celui-ci enfin doté de deux bras. Il sont alors prêts pour
danser le pas de deux traditionnel. L'espace s'ouvre et on entre
impromptu dans une autre dimension, un moment de grâce que
contemplent assis les personnages multicolores.
Natalia de Froberville s'investit à plein dans le rôle de
Marie, portant avec malice la perruque rousse à nattes. Sa
technique de premier ordre trouve à s'employer dans la pas de
deux final. Ses pointes à la cambrure idéale, la
grâce, sa manière d'occuper l'espace et son charisme sont
dignes d'une étoile. L'interprétation de Ramiro
Samón n'est pas moins plaisante. Ses évolutions à
un bras font sourire et sa variation finale éblouit. Le couple
fonctionne à merveille. Alexandra Surodeeva dans le triple rôle de surveillante, de reine
des arachnides et de reine des flocons est une danseuse à la
silhouette fine dont la souplesse et l'expressivité sont
prometteuses.
Très belle prestation de Koen Kessels à la tête de
l'orchestre national du Capitole (et de la maîtrise pour la
scène des flocons). On ne soulignera jamais assez la chance pour
une troupe de ballet de pouvoir évoluer au son d'un orchestre de
première valeur. Précisons à ce propos que pour
cette production le découpage musical est quelque peu
modifié. La scène des flocons est déplacée
au cœur du deuxième acte, qui s'ouvre par la Valse des
fleurs. En revanche les interpolations surajoutées paraissent
inutiles. Mais cela est certes un bémol mineur vis-à-vis
de l'ampleur de l'entreprise.
Jean-Marc
Jacquin © 2017, Dansomanie
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Natalia de Froberville (Marie), Ramiro Gómez Samón (Casse-Noisette)
Casse-Noisette
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski, arrangée par Anthony Rouchier
Chorégraphie
: Kader
Belarbi, assisté de Laure Muret
Décors
: Antoine Fontaine
Costumes : Philippe Guillotel
Lumières : Hervé Gary
Casse-Noisette – Ramiro Gómez Samón
Drosselmeyer – Rouslan Savdenov
La Haute Surveillante / La Reine des Arachnides – Alexandra Surodeeva
Marie – Natalia de Froberville
La Poupée Coccibelle – Tiphaine Prévost
Lady Chattelaine – Solène Monnereau
Le Criquet à lunettes – Simon Catonnet
Le Robot Spoutnik – Dennis Cala Valdés
Le Clown Bidibulle – Philippe Solano
Deux Chipies – Manon Cazalis et Olivia Lindon
Ballet du Capitole
de Toulouse
Maîtrise du Capitole, dir. Alfonso Caiani
Orchestre
du Capitole de
Toulouse,
dir. Koen Kessels
Jeudi 21 décembre 2017,
Théâtre du Capitole, Toulouse
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