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entretiens
Kader Belarbi, directeur du Ballet du Capitole de Toulouse

04 décembre 2017 : Kader Belarbi présente son nouveau Casse-Noisette


Pour les fêtes de fin d'année 2017, Kader Belarbi a concoté, pour le Ballet du Capitole de Toulouse, une nouvelle version du célébrissime Casse-Noisette. Réalisée en collaboration avec Antoine Fontaine (décors), Philippe Guillotel (décors) et Hervé Gary (lumières), cette production se veut en rupture avec la tradition, et plongera le spectateur dans un univers déjanté, en partie inspiré d'ouvrages emblématiques de la littérature pour la jeunesse, comme Le Club des cinq. Pour Dansomanie, Kader Belarbi retrace l'histoire de cette création, dont la première idée est née alors qu''il était encore Etoile à l'Opéra de Paris


Kader Belarbi


Le Ballet du Capitole avait à son répertoire le Casse-Noisette de Nanette Glushak. Pourquoi avoir voulu en monter un nouveau?  Est-ce pour des raisons de droits ou aviez-vous envie de faire autre chose ?

Non, il n’y avait aucun problème de droits, simplement, je voulais faire une relecture de Casse-Noisette, en renouveler la tradition. Ce ne sera pas dans la continuité des Casse-Noisette qu’on peut voir dans les compagnies classiques du monde entier. Il n’y aura pas de sapin de Noël, il n’y aura ni grand papa ni grand maman, ni toute la famille Stahlbaum. J’ai voulu replacer l’œuvre dans un autre cadre. C’est le parti que nous avons pris, avec mes trois compagnons d’aventure, Antoine Fontaine pour les décors, Philippe Guillotel pour les costumes et Hervé Gary pour les éclairages.


Est-ce vous qui avez eu l’idée de ce nouveau
Casse-Noisette ou est-ce une initiative de la direction du Théâtre du Capitole?

C’est une proposition que j’ai faite, et qui a été accepté plutôt facilement, en dépit du défi que représente la «re-visitation» d’un ouvrage comme Casse-Noisette. Et j’espère qu’avec le temps ce ballet puisse devenir une sorte de «signature» pour le Capitole. Pour le moment, cela se passe plutôt bien, et nous avons déjà des engagements pour présenter l’œuvre en tournée, ce qui est assez rare pour une production si lourde.


Avez-vous pu choisir vos collaborateurs pour ce
Casse-Noisette ?

Quand je monte une production de cette ampleur, je me donne au moins un an et demi, cela laisse le temps de trouver les gens qui vous correspondent. Là, en plus, il y a un tout nouveau livret, ce qui complique un peu les choses. J’ai très vite pensé à travailler avec Antoine Fontaine, qui est un peintre et scénographe. Il fait pour moi partie des grands peintres de théâtre. Ce que je ne savais pas, c’est qu’il avait un lien tout particulier avec le Capitole. J’ai appris, lorsque je l’ai contacté, que c’était lui qui avait, avec Richard Peduzzi, re-décoré la salle lors des derniers travaux de rénovation. Il avait déjà apporté sa contribution à des productions lyriques à Toulouse, comme Hippolyte et Aricie. Je lui ai proposé de travailler un peu dans l’esprit de Georges Méliès, je voulais quelque chose qui soit à la fois théâtral et cinématographique, en tout cas pour ce qui est de la scénographie. Avec Philippe Guillotel, pour les costumes, nous voulions des accessoires, des «prothèses» qui viennent d'une certaine façon «troubler» le corps des danseurs. Ce sont des personnages un peu mysterieux, «anomaliques» comme j'aime à dire – même si ce mot n'existe pas! Les éclairages seront réalisés par Hervé Gary, qui travaille beaucoup dans le monde du cirque, mais il a aussi touché à l'opéra et à la danse. En fait, nous nous connaissions tous déjà un peu, ne serait-ce qu'indirectement, et j'ai «interconnecté» tout ce monde. Ensemble, nous avons beaucoup échangé, et notre objectif a été d'aller à la fois vers le merveilleux et vers le sombre.

Antoine Fontaine

Antoine Fontaine


Reste-t-il quelque chose du
Casse-Noisette traditionnel dans cette production? Avez-vous préservé des éléments de la chorégraphie, du découpage des scènes?

En fait, pour moi, tout l'intérêt de Casse-Noisette est d'arriver au Grand Pas de deux final entre le prince et la princesse. J'ai donc décidé de le préserver, dans la tradition la plus pure, mais tout l'environnement, lui, sera radicalement différent. L'action est située dans un pensionnat. Parmi les élèves, certains sont orphelins, d'autres non. Les parents viennent chercher ces derniers pour Noël, tandis que les autres doivent rester au pensionnat. Drosselmeyer est le directeur de ce pensionnat, flanqué d'une assistante que j'ai appelée la «Haute Surveillante». Il va imaginer des jeux de rôles pour animer le réveillon de Noël avec les orphelins, notamment la petite Marie, qui est ce qu'on pourrait appeler une «sauvageonne» qui ressemble a Fifi Brindacier. Elle est accompagnée d'un groupe de garnements qui s'apparente peu ou prou au « Club des cinq » [protagonistes d'une célèbre série de romans pour la jeunesse parus dans la collection «Bibliothèque rose», ndlr]. Ils vont vivre, tout au long du premier acte, des aventures rocambolesques dans ce lieu clos qu'est le pensionnat. Ils vont finalement s'en échapper par un entresort [ancienne attraction foraine, où l'on entrait par une porte et ou on ressortait par une autre, après avoir vu des phénomènes comme des femmes à barbe etc., ndlr] - ici l'armoire aux jouets -, pour déboucher, au deuxième acte, dans un espace complètement ouvert, que j'ai appelé «la porte des rêves». Ils traverseront ensuite un «jardin chimérique», visiteront des mondes imaginaires, qui évoquent l'Espagne, la Russie, l'Arabie, l'Italie et la Chine, pour arriver au «royaume des neiges», habité par le Père Noël et la Reine des Flocons, qui aura la bonté de restituer à Casse-Noisette le bras qui lui manquait. Il me faut ici revenir un peu en arrière : à l'acte I, j'ai remplacé les souris et les rats par des araignées. La reine des arachnides arrache le bras du Casse-Noisette, et les voyages fantastiques de l'acte II sont en fait une quête pour retrouver ce bras manquant. C'est au cours de ces pérégrinations que se noue la relation amoureuse entre Marie et le Casse-Noisette, qui se métamorphoseront en princesse et en prince pour le fameux Pas de deux que j'évoquais plus haut. A la fin, les deux traversent à nouveau le placard aux jouets et se retrouvent comme auparavant dans le dortoir du pensionnat. Mais à ce moment, la Surveillante arrive, accompagnée d'un jeune homme qui a tous les traits du Prince. Mon propos est ici de brouiller les pistes, afin qu'on ne sache plus ce qui relève du rêve ou de la réalité. Ce Casse-Noisette s'adresse aussi bien aux jeunes qu'aux adultes, et chacun peut y projeter ses peurs, ses fantasmes, ses pensées.

Kader Belarbi

Kader Belarbi


Vous êtes un ancien danseur étoile de l'Opéra de Paris, vous y avez connu le Casse-Noisette de Nouréev. Avez-vous intégré des souvenirs dans votre propre production ou, au contraire, vouliez-vous surtout éviter de «faire du Nouréev»?

Non, on ne peux pas dire les choses en ces termes. Il y a environ huit ans je crois, Brigitte Lefèvre m'avait demandé, pour l'Opéra de Paris, de monter un nouveau Casse-Noisette. J'avais commencé à travailler sur ce projet, mais il n'avait pas abouti, pour des raisons dirons-nous internes à l'Opéra, budgétaires d'abord, mais il y avait aussi d'autres problèmes. J'avais planché environ six mois sur ce Casse-Noisette, et mes notes sont restées dans un tiroir. Je m'étais donc déjà intéressé à cet ouvrage – que j'ai évidemment dansé dans la version Nouréev –, mais ce ne sont pas les esquisses de ce projet avorté qui m'ont servi pour la production toulousaine. En huit ans, j'ai évolué, ma manière de voir les choses n'est plus la même aujourd'hui. J'ai complètement retravaillé le livret, et mon ballet est conçu pour les danseurs du Capitole.


Justement, chose un peu inhabituelle au Capitole, vous avez programmé une série assez longue de représentations, sur presque deux semaines. Est-ce que cela a induit des changements dans l'organisation et dans la constitution des distributions?

Oui, absolument. Déjà, depuis mon arrivée, le nombre de représentations d'un même ouvrage a été accru. Ce fut le cas pour Giselle, puis, de manière plus accentuée, pour Don Quichotte et cela le sera encore davantage pour Casse-Noisette. Le public a répondu présent et les taux de remplissage pour Giselle et Don Quichotte ont atteint 96%. J'en suis très heureux. Cela stimule les danseurs, qui réagissent positivement à ma programmation, que ce soit mes ouvrages ou ceux d'autres chorégraphes. Pour moi, cette augmentation du nombre de spectacles est une source de fierté.


Avez-vous conçu les rôles de
Casse-Noisette pour des personnalités spécifiques ou devaient-ils d'emblée être adaptables à des interprètes différents?

Disons que là je me retrouve dans deux positions opposées, celle du chorégraphe et celle du directeur de compagnie. Le directeur doit faire le meilleur choix dans l'intérêt de la troupe. Et là, le meilleur choix, c'est que tout le monde puisse danser. Évidemment, le chorégraphe, lui, essaye de bâtir sa création autour d'interprètes particuliers, qui correspondent au mieux aux rôles. Pour ce Casse-Noisette, il y aura trois distributions différentes. Au 1er décembre 2017, Kateryna Shalkina a quitté le Béjart Ballet Lausanne pour rejoindre le Capitole. C’est tout récent donc, et cela s’est fait en plein accord avec Gil Roman. Elle va complètement réorienter sa carrière, et nous l’avons engagée en tant que soliste. Elle aura donc un, peut-être deux Casse-Noisette, compte-tenu de son niveau et de ses qualités. Je dois bien sûr veiller aussi à ce que les artistes déjà intégrés à la troupe depuis longtemps soient eux aussi correctement traités – avec neuf spectacles, tout le monde devrait être servi, d’autant que Casse-Noisette comportera une grande variété de rôles : La Haute Surveillante / Reine des Arachnides / Reine des Flocons, Drosselmeyer / Directeur du pensionnat / Ensorceleur, Marie, Casse-Noisette, le «Club des cinq», un criquet à lunettes, une coccinelle, une châtelaine, un robot «Sputnik» et Bidibule, un clown. Cela laisse donc de nombreuses possibilités ouvertes. Pour constituer ces distributions, il me faut faire preuve à la fois d’équité et de bon sens, en privilégiant les compétences et la qualité.

Tout cela sera donc assez coloré et animé, mais aussi parfois sombre, cruel. Il y a ce Casse-Noisette qui va devoir danser un certain temps sans son bras gauche, qui, comme je vous l’ai dit, lui a été arraché… C’est un peu une réflexion sur les notions de contrainte et de handicap aussi. Nous avons imaginé cela ensemble, Philippe Guillotel et moi. Nous voulions que le corps «dise les choses» autrement que d’habitude.

Kader Belarbi

Kader Belarbi


Est-ce que les bons résultats obtenus jusqu’à présent en termes de remplissage, de fréquentation, vous ont permis d’obtenir de votre tutelle, la Ville de Toulouse, des garanties concernant la poursuite de votre activité au Capitole et la pérennisation de votre travail ?

La municipalité de Toulouse est actuellement plus que bienveillante envers moi. C’est elle qui finance, à hauteur de 94%, le Ballet du Capitole. La part de l’État dans le subventionnement de la compagnie est très réduite. Il faut évidemment être très vigilant car, comme vous le savez, nous sommes partout en période de contraintes budgétaires, et cela conduit parfois à quelques crispations. En tant que Directeur, je sais que je suis dépositaire d’une mission de service public, je sais que chaque euro compte, et je sais aussi où chaque euro est dépensé. Tout cela se fait dans un climat positif avec la Ville de Toulouse, avec l’administration du Théâtre du Capitole et avec son nouveau Directeur artistique, Christophe Ghristi. Je dois néanmoins toujours veiller à ce que les rêves et les projets soient en adéquation avec les moyens disponibles, qui sont non négligeables au Capitole. Nous possédons, en sus de la salle, nos propres ateliers de décors et de costumes, nos propres maquilleuses, coiffeurs et perruquiers, ce qui permet un vrai travail d’équipe. C’est pour moi un enchantement, car j’ai le sentiment de travailler dans un vrai théâtre.


Des projets de collaboration avec le Ballet de Bordeaux et le Ballet Biarritz avaient été évoqués. Qu’en est-il?

Je suis persuadé que le Ballet du Capitole ne peut pas rester isolé dans ce que j’appellerai le «paysage chorégraphique français». Il faut en passer par des synergies, des mutualisations, des co-productions, des échanges. Je me suis même déjà lancé dans ce travail à l’échelle européenne, mais sans que les résultats soient, pour l’instant, aussi positifs que je l’aurais espéré. Mais je ne baisse pas les bras, et je veux, tant sur le plan national qu’européen, concrétiser des co-productions. Mais il faut aussi que tout cela se développe en région. Le Ballet du Capitole est le seul ballet classique dans toute l’Occitanie, et il nous faut être adaptable à des lieux, à des publics différents. Là, je travaille à l’organisation de « rencontres » biennales avec l’Orchestre Philharmonique et l’Opéra de Montpellier. Je suis aussi en train de négocier des conventions avec d’autres théâtres de la région. Mais il faut beaucoup de volonté. J’espère que nous parviendrons ainsi à mettre en commun nos moyens techniques et humains.





Kader Belarbi - Propos recueillis par Romain Feist



 Casse-Noisette affiche


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Entretien réalisé par téléphone le 04 décembre 2017 - Kader Belarbi © 2017, Dansomanie


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