Le
roman-culte de Francis Scott Fitzgerald, The Great Gatsby
(Gatsby le magnifique)
a déjà connu de nombreuses adaptations, cinématographiques et
chorégraphiques. Pour se distinguer des réalisations précédentes,
la production signée Dwight Rhoden – un ancien de chez Alvin Ailey
– met en avant la présence, dans le rôle-titre, de la star du
Mariinsky, Denis Matvienko. L'ouvrage, après sa création à Kiev, a
d'ailleurs été représenté, avec un certain succès apparemment,
sur la nouvelle scène du célèbre théâtre pétersbougeois.
Après
avoir tourné dans plusieurs grandes villes européennes, le
spectacle fait escale à Paris, au Théâtre des Folies-Bergère. Le
choix du lieu peut du reste laisser planer une certaine incertitude
quant à la tonalité du spectacle : solistes venus du monde du
ballet classique, scène dédiée à la revue et au music-hall.
Le
programme n'est pas très disert par ailleurs sur l'origine des
artistes participant à cette aventure. Si les titulaires des rôles
principaux sont quasiment tous, à l'exception notable de Clifford
Williams, clairement russes ou ukrainiens, le reste de la troupe
arbore lui aussi – et notamment les jeunes femmes – des lignes
très académiques et une formation classique de bon aloi. De fait,
on ne sait plus trop si l'on avait affaire à l'effectif de
«Complexions», la compagnie new-yorkaise de Dwight
Rhoden et de son complice Desmond Richardson, également transfuge de
l'Alvin Ailey American Dance Theatre, ou s'il s'agit d'interprètes
recrutés pour l'occasion en Europe de l'Est.
Comme
souvent, lors d'adaptations chorégraphiques d’œuvres littéraires,
on demande à la danse plus qu'elle ne peut en donner, d'autant que
les créateurs d'aujourd'hui se refusent, pour la plupart d'entre
eux, catégoriquement à recourir à la pantomine. The
Great Gatsby n'échappe pas à
la règle, et se présente comme une suite de «tableaux de
genre», avec une narration souvent difficile à suivre, qu'on
connaisse ou non l’œuvre originelle de Fitzgerald.

The Great Gatsby
La
pièce de Dwight Rhoden est constituée de deux parties bien
distinctes séparées par un entracte. La première section se veut
davantage dans l'esprit du music-hall, avec une atmosphère qui
évoque peu ou prou les «Roaring Twenties» – les
années folles. Après la pause, la part belle est faite aux
ensembles, ordonnancés de manière finalement très classique, et
servis par des danseurs plutôt disciplinés et dynamiques. On
retrouve ici un peu la manière de procéder d'un Boris Eifman. Mais
de l'Amérique, il ne reste plus guère que les projections vidéo
sur le mur du lointain, qui tiennent lieu de scénographie. Les
costumes, eux, sont, fort heureusement, mieux traités.
La
partition musicale, écrite spécialement pour cette adaptation du
Great Gatsby, a été
commandée spécialement à Konstantin Meladze, compositeur ukrainien
d'ascendance géorgienne. Le résultat est plutôt efficace et
dynamique, mais ne se distingue pas par une excessive légèreté.
Les élans jazzy a la Bernstein ou à la Gershwin sont entravées de
quelques lourdeurs héritées des canons artistiques de l'ère
soviétique, notamment en raison d'une orchestration très massive,
un peu en décalage avec le propos du ballet. Le tout est sans
conteste professionnel, mais manque de folie.
Si
l'affiche et la communication autour de The Great Gatsby
mettent essentiellement en avant la personnalité de Denis Matvienko,
censé attirer le public, la réalité du spectacle est tout autre.
Le danseur connu de tous les balletomanes est apparu éteint, effacé,
manquant de présence et d'appétit de la scène. Sa partenaire,
Olga Grishenkova – à l'origine, il devait s'agir de sa compagne
Anastasia Matvienko, elle aussi étoile au Mariinsky – est une
belle danseuse classique, mais bien trop sage et stylée pour
incarner une Daisy crédible. Heureusement, Ekaterina Kalchenko
(Jordan) et surtout Ekaterina Alaeva, Myrthle – l'épouse de George
Wilson (Ivan Zhuravlev), le mécano aussi stupide que brutal – sont
apparues plus délurées et plus conforme à ce que l'on peut
attendre dans ce genre de production.
Le
vrai meneur du show est toutefois Clifford Williams, déchaîné en
Meyer Wolfsheim. Le personnage, assez marginal dans le roman de
Fitzgerald, est inspiré d'Arnold Rothstein, célèbre figure de la
mafia juive new-yorkaise de l'entre-deux-guerres, qui trouva la mort
en 1928 lors d'un règlement de comptes entre gangsters. Rhoden en
fait curieusement le rôle central de son ballet, au détriment de
Gatsby lui-même. L'énergie et la personnalité flamboyante de
Clifford Williams auront achevé d'éclipser Denis Matvienko, au
costume blanc pourtant accrocheur. En fait, tout l'ouvrage semble
avoir été construit pour mettre en valeur Clifford Williams, plus
ou moins au détriment des autres protagonistes, et surtout, contre
la logique de l’œuvre littéraire originelle. Pourquoi pas, après
tout. Mais dans ce cas, pourquoi convier Denis Matvienko (enfin,
partie-prenante de l'organisation, il s'est peut-être convié tout
seul) à une fête à laquelle il n'avait pas vraiment lieu de
participer.
Le
public des Folies-Bergère ne s'y est d'ailleurs pas trompé, et
c'est bien Clifford Williams qui a remporté toutes les ovations, les
autres se contentant des miettes.
Romain Feist © 2017, Dansomanie