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critiques et comptes rendus
Roméo et Juliette (Catherine Gaudet et Jérémie Niel)

07 avril 2016 : Roméo et Juliette, de C. Gaudet et J. Niel au Théâtre de Chaillot (Paris)


Roméo et Juliette
Clara Furey et Francis Ducharme dans Roméo et Juliette (chor. Catherine Gaudet et Jérémie Niel)


Deuxième partie d'une semaine à Chaillot consacrée aux expériences à la limite entre la danse et le théâtre, après le "ballet d'horreur" Naked Lunch, et, frappé d'une interdiction aux moins de 16 ans, on s'attend cette fois à un nouveau genre : le "ballet érotique". Mais cette pièce annoncée comme danse/théâtre aurait pu s'appeler "En attendant Roméo" tant elle lorgne définitivement vers le théâtre de l'absurde et oublie de danser...

La Très Excellente et Lamentable Tragédie de Roméo et Juliette est un spectacle né au Canada lors d'un festival 2050 Mansfield : rendez-vous à l'hôtel dont le projet était de marier un chorégraphe et un auteur et présenter le fruit de cette union dans ...une chambre de l'hôtel Le Germain de Montréal, co-producteur du concept. Quatre "couples" avaient été formés en 2014 et la création de celui réunissant la chorégraphe Catherine Gaudet ("Lorganisme") et le metteur en scène Jérémie Niel avait retenu l'attention au point de donner naissance à une version longue destinée à tourner dans les salles traditionnelles.

Traditionnel est un bien grand mot car c'est le petit studio de Chaillot qui accueille cette création, à l'entrée duquel la centaine de curieux est invitée à patienter avant d'être admis à pénétrer dans une petite chambre reconstituée avec lit et salle de bain, dont le sol se prolonge par quelques gradins brut tout juste habillés par la moquette. Chaussettes ou sur-chaussures obligatoires pour ajouter de donner une dimension intime à l'expérience de spectateur, qui se trouve plus dans une position d'invité malgré lui que de voyeur. Le dispositif scénique apporte une proximité rare avec les interprètes et la hauteur des gradins offre une vision inhabituelle de près mais en plongée sur les corps en mouvement qui fait porter le regard vers les torses et les visages. Quant à l'interdiction évoquée, si les torses seront souvent nus, les interprètes conserveront leurs pantalons et on aura plus droit à des simulacres d'accouplements ou d'obscénités habillés qu'à de la chaste nudité. Des airs de Prokofiev seront diffusés en alternance avec des bruitages type "pluie sur le toit" achevant la mise en situation de type motel légèrement sordide.



Roméo et Juliette
Francis Ducharme et Clara Furey dans Roméo et Juliette (chor. Catherine Gaudet et Jérémie Niel)

On entre donc par la porte de la chambre pour y découvrir Elle allongée sur le lit et Lui dans la douche, visible au travers d'une vitre embuée. "Elle et Lui" plus que Roméo et Juliette car les personnages historiques alterneront avec Clara et Francis pour achever la confusion entre pièce écrite et "théâ-réalité". L'écriture à huit mains entre les auteurs et les interprètes navigue entre allégorie des thèmes universels de l'histoire originelle (passion, désir, tragédie, mort...) et considérations ancrées dans la réalité et ses trivialités : l'intimité, dont la toilette, les pensées d'une gamine de 14 ans amoureuse, leurs jeux, leurs ébats parfois aussi. La violence est de la partie, des sentiments ou des enlacements, mais aussi de destruction, du décor de la chambre. Les acteurs jouent à être morts à de multiples reprises comme pour rappeler l'inexorable thème de l'histoire, bien plus restitué que celui de l'amour et du romantisme, ne serait-ce que par le choix de la traduction très élisabéthaine du texte qui alterne avec des considérations plus prosaïques et modernes proférées par la Clara/Juliette. C'est peut-être dans ces instants les plus éloignés du mythe Shakespearien du poids de la prédestination et de l'amour interdit, que s'installe une autre dimension universelle, celle de la révolte adolescente et de l'inconsciente volonté de choisir la fuite pour espérer vivre sa propre histoire. En cela on se rapproche beaucoup plus d'une culture moderne bercée des films américains de teenagers idéalistes mais bien concrets à la Juno.

Roméo et Juliette
Clara Furey dans Roméo et Juliette (chor. Catherine Gaudet et Jérémie Niel)

Sinon, le texte originel omniprésent, déclamé en voix off ou par l'acteur Francis Ducharme, prend la majeure place de ce spectacle et ne laisse que cinq moments de danse : trois pas de deux (portés, en parallèle, en miroir) et deux solos de Clara Furey, pour ce qui seront les deux instants les plus intéressants pour un amateur de danse. Le premier qui prend place dans la baignoire (mais habillé), nimbé d'une lumière mauve, contrastant avec le blanc assez cru de l'environnement illuminant parfois autant les interprètes que les spectateurs, et figurant ainsi astucieusement la scène du balcon. Le deuxième lors d'une transe finale préfigurant la mort terminale. Deux solos quasi statiques, mais laissant entrevoir une vraie qualité de la danseuse/musicienne à exprimer de l'émotion au travers de son seul corps. Les pas de deux seront moins intéressants, pas toujours muets de surcroît, du fait de l'espace très restreint dans lesquels ils doivent évoluer (3m² environ) et d'un manque de communion global de ce couple qui ne prend guère. En effet chacun semble jouer sa partition dans son univers propre : Lui, imposant et déclamatoire, plus à l'aise avec les mots et les postures, Elle, déliée et joueuse, osant les rares séquences d'humour, et surtout électrique et troublante lors de ses solos.

Pièce trop déséquilibrée en faveur du théâtre, la dimension chorégraphique est trop faible pour susciter un avis positif sur un site de danse comme Dansomanie. C'est dommage car l'idée de départ était plaisante, génératrice du plaisir de l'interdit de pénétrer ainsi dans ce huis-clos, et de découvrir les réponses offertes par les auteurs à ce type de défi. Dommage aussi car l'interprète féminine est une Juliette-née, qui en exalte la dimension d'infinie jeunesse, et on aurait aimé que lui soit donné beaucoup plus d'espace pour l'interpréter en danse.




Xavier Troisille © 2016, Dansomanie

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La Très Excellente et Lamentable Tragédie de Roméo et Juliette
Musique : Serge Prokofiev, arrangée par Éric Forget
Chorégraphie : Catherine Gaudet et Jérémie Niel
Dramaturgie : Daniel Canty
Scénographie : Max-Otto Fauteux
Costumes : Fruzsina Lanyi
Lumières : Alexandre Pilon-Guay

Roméo Francis Ducharme
Juliette Clara Furey


Musique enregistrée

Jeudi 07 avril 2016 , Théâtre National de Chaillot, Paris


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