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critiques et comptes rendus
Ballets de Monte-Carlo

29 & 30 décembre 2015 : Casse-Noisette Compagnie (Jean-Christophe Maillot) au Grimaldi Forum


Casse-Noisette Compagnie
Casse-Noisette Compagnie


Créé en 2013, Casse-Noisette Compagnie n'est pas à proprement parler une relecture – une de plus – du célèbre conte, consacré, pour le meilleur ou pour le pire, spectacle de Noël par excellence dans moult contrées de par le monde. Cette version – appelons-la ainsi – plonge d'abord ses racines dans l'itinéraire personnel de Jean-Christophe Maillot (le chorégraphe avait d'ailleurs monté à ses débuts à Tours, en 1992, un Casse-Noisette Circus, repris plus tard sous le chapiteau de Fontvieille) et dans l'histoire même de la troupe monégasque, dont elle s'offre comme un miroir et une mise en abyme, que les trente ans de la compagnie donnaient l'occasion de revisiter. Casse-Noisette Compagnie est toutefois plus que cela. Par-delà la rétrospective fantasmatique d'une carrière chorégraphique, pointe un hommage festif – et à certains égards gargantuesque – à la danse, célébrée dans tous ses éclats – populaires ou savants, loufoques ou sublimes, acrobatiques ou féeriques.

Casse-Noisette Compagnie
Casse-Noisette Compagnie

La transposition, post-moderne, du conte dans un univers sensiblement plus réaliste n'en demeure pas moins l'un des moteurs de l'action dans le premier acte. La vaste demeure bourgeoise de la famille Stahlbaum, avec son gigantesque sapin lumineux, laisse place ici au studio d'une compagnie de ballet, dirigé de main de maître par les parents de la petite Clara. Le principe, bien connu, qui consiste à faire de la danse le motif même de la narration est un prétexte tout trouvé, et toujours réjouissant, à la mise en scène d'une classe de danse, avec ses types et ses rituels caractéristiques, et à celle de divertissements chorégraphiques, réminiscences en forme de pastiches d'œuvres du répertoire. Sérénade, créé par Balanchine pour les élèves de la School of American Ballet, est ainsi repris et revisité pour ceux, admirables – disons-le tout net – de discipline et de brio de l'Académie Princesse Grace, désormais placée sous l'autorité des Ballets de Monte-Carlo.

Casse-Noisette Compagnie
Casse-Noisette Compagnie

Du «ballet dans le ballet», surgi très tôt, on glisse imperceptiblement au «ballet sur le ballet» – et sur l'histoire du ballet, inscrite visuellement sur les murs de la salle de danse, ornés d'authentiques photographies, de Nijinsky dans L'Après-midi d'un Faune à George Balanchine, en passant par la toute jeune Caroline Grimaldi, à la barre du studio de Marika Besobrasova. Un joli petit théâtre rouge – un Opéra Garnier en miniature? – fait ici office de maison de poupées, objet-fétiche autour duquel la jeune Clara construit ses rêves – d'étoiles comme il se doit – contre les désirs de ses parents. Drosselmeyer, le vieil oncle magicien, se métamorphose de son côté en une belle et bonne fée, aux allures de vamp hollywoodienne. Quant au légendaire Casse-noisette, offert à Clara le soir de Noël dans le conte, il prend là les traits et l'apparence d'un chorégraphe tout de rouge vêtu, sorte de Puck survolté, débarqué en grande pompe d'une bulle géante dans le studio des Stahlbaum.

Casse-Noisette Compagnie
Casse-Noisette Compagnie

La narration, pas forcément novatrice en soi, vaut en réalité surtout pour les clins d’œil qu'elle accumule de manière délibérément outrancière et la connivence éclairée qu'elle crée avec le public monégasque ou, tout simplement, le public fidèle de Maillot depuis ses débuts en 1993. Sans la maîtrise de ce savoir sur le ballet et sur la compagnie, on peut se sentir à vrai dire un peu débordé, à la première vision au moins, par l'appétit sans frein du chorégraphe, par son imagination foisonnante, par ce trop qui s'exhibe sans complexe – trop de personnages, trop d'agitation, trop d'effets théâtraux et d'accessoires, trop de danses dans tous les recoins du plateau. L'ombre fantasmée de la princesse Caroline de Hanovre, protectrice de l'art chorégraphique et en quelque sorte héritière putative des tsars de Russie, se devine toutefois aisément derrière cette Fée Drosselmeyer, rôle jadis interprété par la muse Bernice Coppieters et repris aujourd'hui avec force et élégance par Marianna Barabas, qui, d'un subtil coup de baguette magique, peut faire surgir un chorégraphe – Jean-Christophe Maillot en personne! –, incarné par un plutôt convaincant Stephan Bourgond (qui succède là à Jeroen Verbruggen), apte à apporter le renouveau nécessaire à une compagnie sclérosée et figée dans des pratiques révolues.


Casse-Noisette Compagnie
Casse-Noisette Compagnie

L'hommage au prince, qui ne pourrait être que platement révérencieux, fait alors revivre – en lieu et place des batailles de rats et de poupées – l'éternelle querelle des Anciens et des Modernes appliquée au monde chorégraphique. Derrière celle-ci, chacun s'amusera, selon sa culture, à repérer tel ou tel comportement emblématique (en prennent pour leur grade aussi bien les danseurs étoiles imbus d'eux-mêmes que les maîtres de ballet par trop rigides), telle ou telle figure de la danse (comme le couple Pierre Lacotte et Ghislaine Thesmar, qui dirigea un temps les Ballets de Monte-Carlo). Les règlements de compte et autres petits coups de griffe, partie intégrante du plaisir du spectacle, sont toutefois mis à distance, sublimés en quelque sorte, par la virtuosité narrative et la fantaisie presque baroque que déploie le chorégraphe. L’œuvre se nourrit d'une réalité, désormais objet d'histoire, qu'elle transcende néanmoins.

Casse-Noisette Compagnie
Casse-Noisette Compagnie

Le premier acte, coupé de la Valse des Flocons, s'achève donc, dans un esprit d'harmonie retrouvée, sur la (re)fondation de la compagnie. Le deuxième n'a dès lors plus qu'à reprendre, au second degré, le principe même des actes à divertissement des ballets de Petipa/Ivanov et à dérouler ses citations visuelles et chorégraphiques, sous l'autorité d'une Fée Drosselmeyer montée sur un char olympien, véritable chef d'orchestre du spectacle. Au défilé des danses de caractère du Casse-noisette traditionnel se substitue une suite de tableaux, conjuguant la féerie et les arts du cirque (et même du marionnettiste), empruntées aux pièces les plus emblématiques de Maillot, de Cendrillon à Roméo et Juliette, en passant par La Belle et Le Songe – rêves de Clara tout autant que rêves du chorégraphe.


Casse-Noisette Compagnie
Casse-Noisette Compagnie

La compagnie brille de nombreuses personnalités hautes en couleur, tels Alvaro Prieto et Mimoza Koike, d'une autorité et d'un humour remarquables dans les rôles du Père et de la Mère de Clara, Anjara Ballesteros dans celui de la jeune Clara ou Gabriele Corrado dans celui du Danseur Étoile, et d'un corps de ballet festif, aussi impeccable que généreux. Pour cette reprise revisitée, Maillot nous fait également le cadeau sans prix d'un pas de deux écrit spécialement pour Olga Smirnova et Artem Ovcharenko, deux artistes du Théâtre Bolchoï, avec lequel Maillot entretient une relation d'amour depuis le succès de sa Mégère apprivoisée en 2014. Avec leur aura et leur virtuosité particulières, les deux danseurs s'intègrent merveilleusement à cette œuvre «plus grande que la vie», même si leur duo amoureux, qui contient tous les ingrédients du sublime, pourrait sans peine s'imaginer comme une pièce autonome ou même comme le point de départ d'un nouveau ballet. Olga Smirnova, ballerine de toute sa chair et de tout son esprit, comme seule la Russie sait encore en produire (que ne l'a-t-on invitée à danser La Bayadère à Paris!), y délaisse son académisme constitutif pour se glisser, avec une gestuelle d'une fluidité renversante, dans la peau d'une héroïne rêvée, en qui s'unissent à la fois Shéhérazade, Aurore et Juliette. Un moment suspendu de grâce immatérielle – un moment pour une vie – avant le final, forcément endiablé, conclu sous une pluie de confettis. Bigarrure toujours.



Bénédicte Jarrasse © 2015, Dansomanie


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la mégère apprivoisée
Casse-Noisette Compagnie


Casse-Noisette Compagnie

Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski, Bertrand Maillot
Chorégraphie et mise en scène : Jean-Christophe Maillot
Dramaturgie : Jean Rouaud
Scénographie : Alain Lagarde
Costumes : Philipe Guillotel

Lumières : Dominique Drillot

Le Père – Alvaro Prieto
La Mère – Mimoza Koike
Clara – Anjara Ballesteros
Fritz – Lucien Postlewaite
La Fée Drosselmeyer – Mariana Barabás
Les Anges gardiens – George Oliveira, Alexis Oliveira
Casse-Noisette – Stephan Bourgond
Charmant, ami de Clara – Christian Tworzyanski
Zoé, amie de Fritz – Victoria Ananyan
Albrecht, Danseur étoile – Gabriele Corrado
Giselle, Danseuse étoile –  Liisa  Hämäläinen

«Cendrillon»
La Fée Drosselmeyer – Mariana Barabás
Les Surintendants du plaisir – George Oliveira, Alexis Oliveira
Casse-Noisette – Stephan Bourgond
Le Père – Alvaro Prieto
La Marâtre – Mimoza Koike
Cendrillon – Anjara Ballesteros
Les Sœurs de Cendrillon – Gaëlle Riou, Anne-Laure Seillan

«La Belle»
La Belle – Olga Smirnova
La Fée Lilas Anna Blackwell
Carabosse – Maude Sabourin

«Le Songe»
Puck – Stephan Bourgond
Titania – Mariana Barabás

«Roméo et Juliette»
Roméo – Gaëtan Morlotti
Juliette – Asier Edeso
Tybalt – Bruno Roque
Mercutio – Leart Duraku
Frère Laurent – Aurélien Alberge

«L'Eveil à l'amour»
Avec :  Olga Smirnova, George Oliveira, Alexis Oliveira, Mariana Barabás, Alvaro Pietro
Mimoza Koike, Gabriele Corrado, Liisa Hämäläinen, Lucien Postlewaite, Victoria Ananyan

«Romé réveille sa belle»
Roméo – Artem Ovcharenko
La Belle – Olga Smirnova


Ballets de Monte-Carlo
Elèves de l'Académie Princesse Grace de Monte-Carlo
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dir. Nicolas Brochot

Mardi 29 et mercredi 30 décembre 2015,  Grimaldi Forum, Monaco


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