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critiques et comptes rendus
Bayerisches Staatsballett (Munich)

23 mai 2015 : Paquita (Alexeï Ratmansky d'après Marius Petipa)

Retrouvez également notre article du 13 décembre 2014  [Bénédicte Jarrasse]


Paquita
Grand pasPaquita Acte III


Pendant longtemps, la version de Pierre Lacotte était, comme l’affirmait fièrement l’Opéra de Paris, la seule au monde qui permît de voir l’intégralité du ballet Paquita : on s’y ennuyait mais, impressionné par ce privilège, on y retournait. Et ce d’autant plus que le discours autour de cette reconstruction était catégorique : certes, il n’y a rien d’authentique là-dedans en dehors du Grand pas de Marius Petipa, mais le travail de Lacotte sur l’esprit du temps était tout ce qu’on en pouvait connaître. C’était, naturellement, entièrement faux, et on s’en doutait avant même que le Ballet de Bavière ne crée sa propre version en décembre dernier – Dansomanie y était déjà. Le cœur de la soirée réside dans le travail philologique mené par Doug Fullington, qui avait déjà participé à la reconstruction munichoise du Corsaire, moins systématiquement philologique que cette Paquita mais déjà fort réussie.

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Ekaterina Petina (Paquita)

Fullington a travaillé à partir des très fournies sources en notation Stepanov de l’université de Harvard, mais pas seulement : ont été analysés les livrets de la version originale de 1846 et des reprises russes ultérieures, mais aussi les étonnants dessins du danseur Pavel Gerdt ou des photographies anciennes qui, même posées, donnent des indications sur ce qui faisait le style parisien transformé par Petipa – l’un des résultats du travail est d’ailleurs l’idée que, contrairement aux idées reçues, il reste peut-être plus de l’original de Mazilier qu’on a pu le croire jusqu’alors. Le travail de Fullington a été ensuite nourri de vie théâtrale par Alexei Ratmansky, qui a renoncé ici à l’agitation permanente qui pouvait agacer dans son Corsaire, qui n’était pas exempt de la volonté d’«améliorer» le style ancien quitte à en dénaturer l’esprit. Cette fois, sobriété, style et vie théâtrale vont de pair, du moins dans la chorégraphie – la vulgarité des décors de Jérôme Kaplan, qui empire de tableau en tableau, et le clinquant mal maîtrisé des costumes (cette jupe presque fluorescente dont est affublée Paquita, qui donne l’impression d’être 100 % synthétique…) ne viennent pourtant qu’à peine atténuer le plaisir du spectateur.

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Matej Urban (Lucien d'Hervilly), Ekaterina Petina (Paquita), Norbert Graf (Inigo)

La distribution du soir n’est pas aussi équilibrée que d’habitude à Munich : rien ne résiste ce soir à l’ébouriffante Paquita d’Ekaterina Petina, membre de la troupe de Munich depuis 2009 après une première carrière au Mariinsky et première soliste depuis cette saison. Dans ce ballet où les hommes sont réduits à la portion congrue, le rôle décide de la réussite d’une représentation ; la grâce souriante et la vivacité de Petina font merveille, et ce avec le style : la danse n’est pas ici un concours olympique en quête de records, mais un travail d’orfèvre. De l’élégance française aux origines de cette œuvre collective qu’est un tel ballet reste un souci marqué de verticalité, avec un buste souvent fixe qui laisse aux jambes et aux bras le soin de tout travail expressif.

Son partenaire Erik Murzagaliyev, tout jeune danseur issu du corps de ballet, n’était sans doute pas prévu initialement dans cette distribution révélée très tardivement au public ; on ne peut lui en vouloir, dans ces conditions, de ne pas proposer une interprétation très personnelle du personnage. La chorégraphie exige de lui principalement des sauts et de la batterie : le résultat est sérieux, mais pas particulièrement brillant ni exact, contrairement à un très joli manège serré.  

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Ekaterina Petina (Paquita), Matej Urban (Lucien d'Hervilly)

Ce sont cependant dans les variations du pas de trois et du grand pas que cette représentation laisse des regrets. Il est bien entendu que le travail de reconstitution effectué par Doug Fullington suppose un changement de regard : les sauts n’ont pas à être stratosphériques, et les jambes se lèvent autant qu’il faut et pas autant que possible. Mais ce qui n’est pas exigé en termes de virtuosité pure doit être réinvesti au profit du style et de l’élégance : sans jamais frôler l’incident, les différents solistes n’ont pas offert grand-chose ce soir, à l’exception peut-être d’Alisa Scetinina, dans la variation connue par ailleurs comme celle de Cupidon dans Don Quichotte. C’est d’autant plus regrettable qu’on a de grands souvenirs des trios d’Odalisques du Corsaire dans cette même maison, parfaites dans cet équilibre entre virtuosité et style.



Dominique Adrian © 2015, Dansomanie

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Ekaterina Petina (Paquita), Elisa Mestres (corps de ballet)


Paquita

Musique : Edouard-Marie-Ernest Deldevez, Léon Minkus,  Adolphe Adam
Vasily Barmin, Léo Delibes,  Riccardo Drigo, César Pugni

Chorégraphie : Marius Petipa, renconstituée par Alexeï Ratmansky et Doug Fullington
Décors et costumes : Jérôme Kaplan
Lumières : Vincent Millet

Paquita – Ekaterina Petina
Lucien d'Hervilly – Erik Murzagaliyev
Inigo – Maged Mohamed
Le Général d'Hervilly – Peter Jolesch
La Comtesse d'Hervilly – Elaine Underwood
Don Lopez de Mendoza – Ilya Shcherbakov
Dona Serafina – Emma Barrowman
Un Tailleur de pierres – Zoltan Mano Beke
Sa femme – Teegan Kollmann
Pas de trois – Adam Zvonař, Ilana Werner, Mai Kono
Grand Pas – Stephanie Hancox (var. 1), Séverine Ferrolier (var. 2)
Alisa Scetinina (var. 3), Zuzana Zahradníková (var.4)

Bayerisches Staatsballett
Orchester der Bayerischen Staatsoper, dir. Michael Schmidtsdorff

Samedi 23 mai 2015,  National Theater, Munich


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