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Grand pas, Paquita Acte III
Pendant longtemps, la version de Pierre Lacotte
était, comme l’affirmait fièrement l’Opéra de Paris, la seule au monde
qui permît de voir l’intégralité du ballet Paquita : on s’y ennuyait
mais, impressionné par ce privilège, on y retournait. Et ce d’autant
plus que le discours autour de cette reconstruction était catégorique :
certes, il n’y a rien d’authentique là-dedans en dehors du Grand pas de
Marius Petipa, mais le travail de Lacotte sur l’esprit du temps était
tout ce qu’on en pouvait connaître. C’était, naturellement, entièrement
faux, et on s’en doutait avant même que le Ballet de Bavière ne crée sa
propre version en décembre dernier – Dansomanie y était déjà. Le cœur de
la soirée réside dans le travail philologique mené par Doug Fullington,
qui avait déjà participé à la reconstruction munichoise du Corsaire,
moins systématiquement philologique que cette Paquita mais déjà fort
réussie.
Ekaterina Petina (Paquita)
Fullington a travaillé à partir des très fournies sources en
notation Stepanov de l’université de Harvard, mais pas seulement : ont
été analysés les livrets de la version originale de 1846 et des reprises
russes ultérieures, mais aussi les étonnants dessins du danseur Pavel
Gerdt ou des photographies anciennes qui, même posées, donnent des
indications sur ce qui faisait le style parisien transformé par Petipa –
l’un des résultats du travail est d’ailleurs l’idée que, contrairement
aux idées reçues, il reste peut-être plus de l’original de Mazilier
qu’on a pu le croire jusqu’alors. Le travail de Fullington a été ensuite
nourri de vie théâtrale par Alexei Ratmansky, qui a renoncé ici à
l’agitation permanente qui pouvait agacer dans son Corsaire, qui n’était
pas exempt de la volonté d’«améliorer» le style ancien quitte à en
dénaturer l’esprit. Cette fois, sobriété, style et vie théâtrale vont de
pair, du moins dans la chorégraphie – la vulgarité des décors de Jérôme
Kaplan, qui empire de tableau en tableau, et le clinquant mal maîtrisé
des costumes (cette jupe presque fluorescente dont est affublée Paquita,
qui donne l’impression d’être 100 % synthétique…) ne viennent pourtant
qu’à peine atténuer le plaisir du spectateur.
Matej Urban (Lucien d'Hervilly), Ekaterina Petina (Paquita), Norbert Graf (Inigo)
La distribution du soir n’est pas aussi
équilibrée que d’habitude à Munich : rien ne résiste ce soir à
l’ébouriffante Paquita d’Ekaterina Petina, membre de la troupe de Munich
depuis 2009 après une première carrière au Mariinsky et première
soliste depuis cette saison. Dans ce ballet où les hommes sont réduits à
la portion congrue, le rôle décide de la réussite d’une représentation ;
la grâce souriante et la vivacité de Petina font merveille, et ce avec
le style : la danse n’est pas ici un concours olympique en quête de
records, mais un travail d’orfèvre. De l’élégance française aux origines
de cette œuvre collective qu’est un tel ballet reste un souci marqué de
verticalité, avec un buste souvent fixe qui laisse aux jambes et aux
bras le soin de tout travail expressif.
Son partenaire Erik Murzagaliyev, tout jeune
danseur issu du corps de ballet, n’était sans doute pas prévu
initialement dans cette distribution révélée très tardivement au public ;
on ne peut lui en vouloir, dans ces conditions, de ne pas proposer une
interprétation très personnelle du personnage. La chorégraphie exige de
lui principalement des sauts et de la batterie : le résultat est
sérieux, mais pas particulièrement brillant ni exact, contrairement à un
très joli manège serré.
Ekaterina Petina (Paquita), Matej Urban (Lucien d'Hervilly)
Ce sont cependant dans les variations du pas de
trois et du grand pas que cette représentation laisse des regrets. Il
est bien entendu que le travail de reconstitution effectué par Doug
Fullington suppose un changement de regard : les sauts n’ont pas à être
stratosphériques, et les jambes se lèvent autant qu’il faut et pas
autant que possible. Mais ce qui n’est pas exigé en termes de virtuosité
pure doit être réinvesti au profit du style et de l’élégance : sans
jamais frôler l’incident, les différents solistes n’ont pas offert
grand-chose ce soir, à l’exception peut-être d’Alisa Scetinina, dans la
variation connue par ailleurs comme celle de Cupidon dans Don Quichotte.
C’est d’autant plus regrettable qu’on a de grands souvenirs des trios
d’Odalisques du Corsaire dans cette même maison, parfaites dans cet
équilibre entre virtuosité et style.
Dominique Adrian © 2015, Dansomanie
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Ekaterina Petina (Paquita), Elisa Mestres (corps de ballet)
Paquita
Musique : Edouard-Marie-Ernest Deldevez, Léon Minkus, Adolphe Adam
Vasily Barmin, Léo Delibes, Riccardo Drigo, César Pugni
Chorégraphie : Marius Petipa, renconstituée par Alexeï Ratmansky et Doug Fullington
Décors et costumes : Jérôme Kaplan
Lumières : Vincent Millet
Paquita – Ekaterina Petina
Lucien d'Hervilly – Erik Murzagaliyev
Inigo – Maged Mohamed
Le Général d'Hervilly – Peter Jolesch
La Comtesse d'Hervilly – Elaine Underwood
Don Lopez de Mendoza – Ilya Shcherbakov
Dona Serafina – Emma Barrowman
Un Tailleur de pierres – Zoltan Mano Beke
Sa femme – Teegan Kollmann
Pas de trois – Adam Zvonař, Ilana Werner, Mai Kono
Grand Pas – Stephanie Hancox (var. 1), Séverine Ferrolier (var. 2)
Alisa Scetinina (var. 3), Zuzana Zahradníková (var.4)
Bayerisches Staatsballett
Orchester der Bayerischen Staatsoper, dir. Michael Schmidtsdorff
Samedi 23 mai 2015, National Theater, Munich
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