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"Noureev & Friends" au Palais des Congrès (Paris)
01 juin 2013 : Gala en hommage à Rudolf Noureev au Palais des Congrès
Aleksandra Timofeeva et Vadim Muntagirov dans Le Corsaire
On
a parfois l’impression que le monde de la danse – celle
qu’on dit classique - est devenu, pour le meilleur ou pour le
pire, un espèce de gala permanent. En cette année
anniversaire de la naissance de Noureev, un tel constat semble plus
vrai que jamais. Les initiatives, publiques ou privées, se
multiplient un peu partout, «l’hommage» venant en
quelque sorte justifier, légitimer même, le principe du
gala.
Nous le savons bien, nous les Parisiens habitués
de l’inénarrable gala des Etoiles du XXIe siècle du TCE, la qualité d’un
gala se mesure essentiellement à la qualité et à l’homogénéité de son
affiche. Annoncer bruyamment sur le papier des «étoiles» - ce mot
magique - ne suffit pas, il faut encore que la réalité soit à la
hauteur. Pas d’inquiétude avec D&D Productions, la société à
l’initiative de ce «Noureev and Friends», déjà réputée pour ses
programmations soignées – un soin que l’on retrouve jusque dans la
confection des livrets de salle (vendus ici au prix très doux de 5€).
Son « patron », David Makhateli, possède un carnet d’adresses à faire
pâlir n’importe quel organisateur, comme l’excellente Nuit des Etoiles bruxelloise
l’avait montré récemment et comme ce gala vient le confirmer à nouveau.
Pour cet hommage à Noureev, D&D a par ailleurs eu l’intelligence de
s’associer à Charles Jude, étoile à l’Opéra de Paris sous l’ère Noureev
et proche parmi les proches du danseur, et de placer le projet sous les
auspices de la Fondation Noureev. Quelques films d’archives émaillent
ainsi le spectacle, diffusés malheureusement de manière un peu décousue.
Loin de nous resservir un énième Corsaire vu et revu de tous, ils nous font découvrir des images rares - Le Chant des Cigognes, le premier choc chorégraphique de Noureev à Oufa, une prestation du danseur au Muppet Show ou dans la Big Bertha
de Paul Taylor... - et même un témoignage de Barychnikov. Il faut le
dire enfin, la présence – une fois n’est pas coutume - d’un véritable
orchestre dans la fosse du pourtant peu engageant Palais des Congrès,
dirigé de surcroît par un vrai chef de ballet (Valery Ovsiannikov),
change complètement l’appréhension que l’on peut avoir de cette
succession de prestations, où le brio et le charisme purs doivent primer
sur toute autre considération.
Evguénia Obraztsova et Dimitri Goudanov dans dans La Belle au bois dormant
Le gala s’ouvrait de manière inattendue, et néanmoins bienvenue, sur Petite Mort,
pièce de Jiří Kylián donnée dans son intégralité par le Ballet de
Bordeaux. Si les ensembles ne sont pas toujours d’une synchronisation
parfaite, je trouve surtout que les danseurs bordelais s’y montrent
parfois un peu trop raides. La pièce, placée en préambule au gala, n'en
constitue pas moins une belle respiration collective, illuminée en
particulier par la présence de Yumi Aizawa parmi les solistes.
Pour la suite, je retiendrais peut-être en
priorité trois moments - ou trois artistes : Evguénia Obraztsova,
Tamara Rojo et Mathias Heymann.
Dans le pas de deux de La Belle au bois dormant,
Evguénia Obraztsova atteint selon moi quelque chose comme la perfection
en danse classique : charisme, raffinement, élégance, générosité,
technique transcendée, et ce petit truc en plus qui n'appartient qu'aux
grands. Elle a beau être désormais du Bolchoï, c’est d’abord la parfaite
représentante de l’école pétersbourgeoise, qui avait formé Noureev, qui
s’exprime ici. Dmitri Gudanov se montre excellent lui aussi, dans sa
variation comme dans le partenariat, précis et attentionné. Il y a moins
d’évidence pour elle dans le pas de deux de l’acte des Ombres de La Bayadère.
Sans décevoir vraiment, il souffre du partenariat inadéquat avec le
géant marmoréen Evguény Ivanchenko. Difficile en effet d’imaginer deux
danseurs aussi éloignés quant au physique et au tempérament. A cet
égard, on ne peut que déplorer l’absence de Ekaterina Kondaurova,
initialement distribuée sur ce pas de deux, ainsi que sur celui du Lac des cygnes.
Daria Vasnetsova est une élégante coryphée, possédant des lignes
magnifiques, comme le Mariinsky n’en manque pas, et sans nul doute tout à
fait apte à danser un solo tel que celui d’Odette. Pour autant, sa
prestation, bien froide, ne porte pas encore la marque d’une intériorité
très personnelle.
Mathias Heymann et Myriam Ould-Braham dans Raymonda
Dès
que Tamara Rojo entre en scène, il se passe quelque chose et
l'on est emporté. Dans le pas de deux de la chambre de Manon,
dansé avec un Federico Bonelli en grande forme, le drame n’est jamais
sacrifié au profit de l’effet esthétique, du joli en quelque sorte. Le
duo de Marguerite et Armand,
plus difficile à poser en soi (il est lui-même extrait d'une oeuvre
brève), est paradoxalement encore plus enthousiasmant. L'Apollon de
Londres, Rupert Pennefather, s’il n’a pas toute l’intensité dramatique
d’un Serguei Polunin, s'y révèle remarquable. Pourtant, aussi formidable
puisse être Tamara Rojo dans ces rôles dramatiques si anglais, on
regrette que les deux extraits de ballets, justifiés par le contexte
d'hommage à Noureev, soient au final aussi proches d'un point de vue
stylistique : passions exacerbées, portés périlleux, costumes d'époque,
érotisme latent et… lit en bonus dans les deux duos.
Aleksandra Timofeeva et Evegueni Ivanchenko dans La Bayadère
Mathias Heymann, enfin, a été grandiose comme il sait l’être. Le solo de Manfred,
qu’il avait déjà dansé lors du gala Noureev
de l’Opéra de Paris, risque de devenir, je le parierais, son
morceau de bravoure à lui dans les prochaines années. Cette reprise,
sur la scène du palais des Congrès, dans une atmosphère plus détendue
peut-être, donne plus de consistance encore à son interprétation. Dans
le pas de deux de Raymonda, il
nous sert la variation parfaite, avec une diagonale de cabrioles
absolument exaltante. Mais plus que sa technique exceptionnelle, qui
nous rendrait Noureev presque digeste au passage, on remarque surtout
son énergie continue, son sens du spectacle, et par-dessus tout sa
capacité à «parler» au public, une qualité qui, en regard, manque
quelque peu à Myriam Ould-Braham – à la «claque» un brin timide.
Celle-ci brille, comme toujours, par ses lignes et la finesse de sa
technique, mais dans ce rôle de tempérament, pour ne pas dire de
caractère, elle paraît parfois dominée musicalement par son partenaire.
Iana Salenko et Marian Walter dans La Sylphide
Les autres prestations étaient toutes d’un
excellent niveau. Iana Salenko, en particulier, est un pur diamant,
d'une musicalité et d'une légèreté uniques dans La Sylphide.
Son partenaire, Marian Walter, y semble malheureusement moins à l’aise
question style. Dommage en tout cas qu’elle n’ait eu que ce moment-là
pour briller – sa danse est de la haute couture - comme on n’en fait
plus! Maia Makhateli s’affirme décidément comme un vrai tempérament
grâce à Two Pieces for Het, une belle pièce de Hans Van Manen, qui n’a pourtant pas le caractère marquant et décisif des Trois Gnossiennes.
Elle est à vrai dire plombée par des costumes impossibles – en
particulier pour monsieur – pauvre Remi Wörtmeyer! – il y a des détails
qui ne passent décidément pas.
Choisis pour conclure le gala, Alexandra
Timofeeva et Vadim Muntagirov n’ont certes pas offert le Corsaire
le plus bouleversant qu’il ait été donné de voir, mais ils ont su
relever avec un brio certain le défi de la bravoure. Ses fouettés à elle
sont exceptionnels de précision et de rythme, tandis que lui enchaîne
avec aisance les tours en l’air et les manèges de grands jetés.
Evguénia Obraztsova et Dimitri Goudanov dans dans La Belle au bois dormant
A dire vrai, aussi agréable et réussi soit le
spectacle, on en vient forcément à s’interroger sur le lien de ce que
l’on voit avec Noureev. Les danseurs invités, bien trop jeunes pour
l’avoir connu, sont ainsi issus pour la plupart de compagnies avec
lesquelles Noureev a collaboré et où l’on se dit que son héritage est
encore peu ou prou présent - bien qu'à des degrés fort divers.
Néanmoins, les pas de deux choisis, s'ils rappellent la carrière du
danseur ou celle du chorégraphe et directeur de troupe, restent des
morceaux souvent passe-partout, à l’affiche de tous les galas de la
planète, dansés qui plus est dans les versions les plus familières aux
danseurs. Sans doute les extraits choisis par les artistes de l’Opéra de
Paris (une pure noureeverie oubliée et un pas de deux classique
entièrement revu dans le style du chorégraphe) et du Royal Ballet (un
pas de deux de MacMillan et un pas de deux d’Ashton, créé pour lui et
Margot Fonteyn) sont-ils de fait les plus riches de sens au regard de sa
biographie. On peut regretter à cet égard que le programme soit resté
un peu sage - ou un peu paresseux – a fortiori avec des danseurs d’un
tel niveau. Noureev avait bien des défauts, mais il avait indéniablement
cette culture et cette curiosité qui semblent avoir trop souvent
déserté aujourd’hui le monde du ballet.
B. Jarrasse © 2013, Dansomanie
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Daria Vasnetsova et Evegueni Ivanchenko dans Le Lac des cygnes
Petite mort
Musique : Wolfgang Amadeus Mozart
Chorégraphie : Jiří Kylián
Ballet National de Bordeaux
Olga Jegunova, piano solo
La Sylphide (pas de deux, acte II)
Musique : Herman Severin Løvenskiold
Chorégraphie : August Bournonville
Avec : Iana Salenko - Marian Walter (Staatsballett Berlin)
La Bayadère (pas de deux, acte III)
Musique : Ludwig Minkus
Chorégraphie : Marius Petipa
Avec : Evguénia Obraztsova (Bolchoï) - Evegueni Ivanchenko (Mariinsky)
Manon (pas de deux de la Chambre)
Musique : Jules Massenet
Chorégraphie : Kenneth MacMillan
Avec : Tamara Rojo (English National Ballet) - Federico Bonelli (Royal Ballet, Londres)
Two pieces for Het
Musique : Ekki - Sven Tüür, Arvo Pärt
Chorégraphie : Hans van Mannen
Avec : Maia Makhateli - Remi Wörtmeyer (Het Nationale Ballet)
Raymonda (pas de deux, acte III)
Musique : Alexandre Glazounov
Chorégraphie : Rudolf Noureev d'après Marius Petipa
Avec : Myriam Ould-Braham - Mathias Heymann (Opéra National de Paris)
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La Belle au bois dormant (pas de deux, acte III)
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Chorégraphie : Youri Grigorovitch d'après Marius Petipa
Avec : Evguénia Obraztsova - Dimitri Goudanov (Bolchoï)
Manfred
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Chorégraphie : Rudolf Noureev
Avec : Mathias Heymann (Opéra National de Paris)
Marguerite et Armand
Musique : Franz Liszt
Chorégraphie : Frederick Ashton
Avec : Tamara Rojo (English National Ballet) - Rupert Pennefather (Royal Ballet, Londres)
Olga Jegunova, piano solo
Le Lac des cygnes (pas de deux du Cygne blanc)
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Chorégraphie : Marius Petipa, Lev Ivanov
Avec : Daria Vasnetsova - Evegueni Ivanchenko (Mariinsky)
Le Corsaire
Musique : Adolphe Adam, Ricardo Drigo
Chorégraphie : Marius Petipa
Avec : Aleksandra Timofeeva (Ballet du Kremlin) - Vadim Muntagirov (English National Ballet)
Orchestre Pasdeloup, dir. Valery Ovsyanikov
Samedi 1er juin 2013, Palais des Congrès, Paris
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