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critiques et comptes rendus
La Nuit des Etoiles au Cirque Royal (Bruxelles)

23 mars 2013 : La Nuit des Etoiles au Cirque Royal de Bruxelles


nuit des étoiles bruxelles
La Nuit des Etoiles  au Cirque Royal de Bruxelles


Le gala est un exercice délicat. Et les reproches que l'on adresse à cette forme, ce sont finalement un peu toujours les mêmes : répertoire paresseux, interprètes dansant à l'économie, principalement attirés par le cachet, recours presque inévitable à des musiques enregistrées, de qualité de surcroît inégale, assemblage forcé de morceaux hétéroclites, réduits – au mieux - à des numéros de virtuosité...

Alors à quoi tiennent son pouvoir d'attraction et sa réussite - éventuelle? A la liste des invités d'abord, au menu proposé ensuite, à la direction artistique enfin. Disons que c'est une alchimie entre les trois qui fait que «ça» fonctionne – ou pas. La Nuit des Etoiles, organisée pour la première fois à Bruxelles par D&D, la jeune société de production de David Makhateli et Denis Autier, a en tout cas montré que ces trois conditions pouvaient être réunies et que la forme, souvent jugée dépassée, était encore propice à la fête, dès lors que ses participants savaient jouer le jeu jusqu'au bout.

 
De manière plus anecdotique, les organisateurs de cette Nuit des Etoiles n'ont pas lésiné sur certains petits détails, de ceux qui font la différence. Au Cirque Royal, le public se voit en effet offrir à l'entrée un joli programme sur papier glacé. On l'ouvre, et, ô surprise, on découvre, outre quelques photos, que l'affiche est identique, à quelques détails près (compréhensibles en l'occurrence), à celle annoncée en détails il y a déjà quelques mois. Non seulement toutes les vedettes prévues sont là (Obraztsova, Kolb, Nunez, Soares...), mais on en a même rajouté une en dernière minute (Timofeeva). Pour être juste néanmoins, on reste plus circonspect sur l'habillage visuel du spectacle et notamment sur certains éclairages, pas toujours très au point ni des plus subtils.


talisman
Evguénia Obraztsova et Igor Kolb dans Le Talisman

Evguénia Obraztsova et Igor Kolb ouvraient le bal avec un classique de la virtuosité impériale, le pas de deux du Talisman, rarement donné en-dehors de Russie. Ce pas de deux est intéressant notamment par sa construction incongrue : deux solos précédent l'adage et les variations. Sa longueur, son caractère à la fois très académique et très ébouriffant - surtout pour monsieur - n'autorisent pas une once de médiocrité chez ses interprètes et je dois dire que je ne l'ai jamais vu dansé médiocrement - plutôt même très brillamment (en l'occurrence par Osmolkina et Alexandrova, toutes deux aux côtés de Lobukhin). On veut bien oublier la bande-son désespérante, la danse et la personnalité d'Evguénia Obraztsova suffisent en elles-mêmes à enchanter. La présence est délicieuse, le haut du corps raffiné jusqu'au bout des doigts, la musicalité intense. Si Igor Kolb conserve malgré le temps sa fougue et ses belles qualités de saut, il reste surtout un partenaire hors-pair, un danseur d'une élégance et d'une félinité rares, avec des ports de bras d'un lyrisme toujours étonnant. Le pas de deux de la deuxième partie, extrait de la Cendrillon de Ratmansky, les met cependant davantage en valeur tous les deux, de par la théâtralité qu'il concentre. Le duo, de facture néo-classique, est très bien écrit et il n'est nul besoin de connaître le contexte pour être touché par cette Cendrillon tendre et rêveuse, aux songes habités par un prince sombre et mystérieux auquel le très plastique Igor prête ses traits.

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Evguénia Obraztsova dans Cendrillon



L'émotion est en revanche étrangement absente des prestations du couple-vedette du Royal Ballet, Marianela Nunez et Thiago Soares. Ce n'est pas ce qu'on attend à vrai dire du Corsaire, qui permet surtout d'admirer la virtuosité de Marianela Nunez, de ses sauts éblouissants à son sens de l'attaque. Winter Dreams, duo échevelé et acrobatique, très caractéristique du style de MacMillan, peine en revanche à surprendre et laisse malheureusement un peu froid.

trois gnossiennes
Maia Makhateli et Jozef Varga dans Trois Gnossiennes

Les vraies bonnes surprises sont en fait venues des deux danseurs du Het Nationale Ballet qui ont fait une grosse impression en se montrant aussi à l'aise et pertinents dans le répertoire « maison » que dans le répertoire académique. Avec Hans Van Manen et les Trois Gnossiennes, on est très loin des pas de deux lyrico-ésotériques réglés au kilomètre – le néo-classicisme, ce nouvel académisme de la danse – comme on en voit tant désormais dans les galas. C'est de l'abstraction en justaucorps, mais qui a indéniablement une identité et un style : une épure bleu nuit, élégante, savante, distante et froide comme un couperet. Dans la gestuelle presque mécanique des corps, dans la géométrie rigoureuse des lignes dessinées par Van Manen, naît une émotion paradoxale – peut-être la plus authentique, la moins factice du gala. Aux antipodes de cette miniature moderniste, le pas de deux de Don Quichotte, qui clôt le gala, laisse voir tout le charme et toute la virtuosité de Maia Makhateli, dont le style, généreux et piquant, semble se prêter idéalement au rôle. Jozef Varga est peut-être un peu imposant pour faire, à ses côtés, un Basilio vraiment typique, mais il assure merveilleusement le partenariat, avec notamment des portés à une main impressionnants.


trois gnossiennes
Maia Makhateli  dans Don Quichotte

Pas plus que les danseurs du Het, les solistes du Wiener Staatsballett n'ont fait de la figuration. Maria Yakovleva campe une Sylphide très féminine, pleine de charme et de vivacité. On admire au passage le travail précis du bas de jambe, la petite batterie efficace, les bras lyriques, le visage mobile et expressif. Elle a su réunir le meilleur de la France et de la Russie. Kirill Kourlaev, avec son physique puissant et athlétique, est en revanche un James un peu incongru, moins à l'aise que sa partenaire pour surmonter la chorégraphie de Bournonville. La Moszkowsky Waltz, duo de bravoure soviétique, chorégraphié par Vassili Vainonen dans un style héroïque très proche de celui des Eaux du printemps (Spring Waters) de Messerer (lancer de danseuse à l'horizontale inclu), lui permet de s'illustrer pleinement et de montrer tout son brio. Fougue, charisme, engagement sans retenue, l'alchimie du couple est totale.

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Maria Yakovleva et Kirill Kurlaev dans La Sylphide

Yana Salenko et Marian Walter sont de fidèles habitués des grands galas internationaux. L'on sent d'ailleurs que leurs pas de deux sont parfaitement rodés. On ne peut à cet égard s'empêcher de regretter que d'aussi beaux danseurs limitent leurs prestations à un répertoire de pas de deux conventionnels, à seule visée esthétisante et gymnique, qui laisse toujours une furieuse impression de déjà-vu. Incolore, inodore, passe-partout, et même pas complètement déplaisant avec ça, l'Elegie der Herzen de Raimondo Rebeck, sur la musique archi rebattue d'Arvo Pärt, n'en est qu'un exemple de plus. En revanche, on fond pour leur interprétation du Grand pas classique : elle, sublime jusqu'à l'indécence, lui, enthousiasmant aussi, par son élévation, l'ampleur et la légèreté de ses sauts.

On avait pris l'habitude de voir le couple-vedette du Ballet royal de Flandre, Aki Saito et Wim Vanlessen, briller dans Forsythe. Les voilà pourtant qui viennent nous surprendre dans le classique des classiques de gala de Balanchine, le Tchaïkovsky pas de deux. Aki Saito est bien la preuve que la danse, fût-elle classique, ne se limite pas à un physique et à des lignes conformes à des canons réglementaires. Elle est loin d'avoir la silhouette longiligne des danseuses balanchiniennes, et pourtant, dans les quelques minutes de virtuosité virevoltante qu'elle offre là, on se dit qu'elle a tout compris du style du chorégraphe. Elle ne fait ni dans le joli ni dans le glamour ni dans la démonstration d'élégance, mais elle a, en plus des sauts et des pirouettes ébouriffantes, la dynamique, la musicalité, la science des accents qui claquent comme une évidence.

tchaikovsky pas de deux
Aki Saito et Wim Vanlessen dans Tchaikovsky - Pas-de-deux

Alexandra Timofeeva était l'invitée de dernière minute de ce gala. Ses prestations m'ont vraiment semblé en-deçà du reste de l'affiche, mais reconnaissons qu'il n'était pas évident d'imposer dans ces conditions deux solos, a fortiori aussi marqués que ceux qu'elle avait choisis. La Danse russe, qu'on a vue notamment sublimée par Lopatkina, manque à mon sens de nuances, de cette mélancolie qui vient se mêler à la joie. Plus concrètement, le travail si particulier des pieds et des pointes, imité du caractère, ne m'a pas complètement convaincue. Sa Mort du Cygne m'a paru ensuite sans grande vibration. La pièce est bien lourde à assumer il est vrai, et, là encore, d'autres modèles s'imposent à l'esprit.

Une belle surprise enfin que de retrouver sur scène Delphine Moussin à l'occasion de ce gala, aux côtés d'un Alessio Carbone – un habitué de ce genre de réunion - toujours aussi félin et bondissant. Un remplacement de dernière minute et un programme sans doute improvisé, mais les deux morceaux proposés étaient parfaitement choisis pour illustrer le talent de chacun. Arepo est désormais le « tube » de bravoure d'Alessio Carbone, le « truc » qui le distingue et lui promet des ovations : léger, musical et plein d'esprit, il arrive même à en rendre la chorégraphie supportable. Bref, encore du boulot pour tous les petits jeunes qui s'y frottent – rarement avec bonheur - lors des concours... Le large extrait de L'Arlésienne offert en deuxième partie aurait pu faire craindre l'ennui tant il paraît peu en phase avec le style brillant qu'on apprécie dans les galas. Le tableau est en effet presque déserté par la danse, en-dehors de l'haletant manège final de Frédéri. Je ne sais pas à vrai dire ce que ceux qui ne connaissent pas le ballet en ont compris, mais nos deux danseurs ont su lui conférer une véritable intensité.


arepo
Alessio Carbone dans Arepo


On retrouvera avec plaisir, sans doute dans un format comparable (l'orchestre en plus!), D&D et certains des danseurs présents à Bruxelles les 31 mai et 1er juin au Palais des Congrès de Paris pour un gala "Noureev & Friends".




B. Jarrasse © 2013, Dansomanie

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la mort du cygne
Aleksandra Timofeeva dans La Mort du cygne


Talisman
Musique : Ricardo Drigo

Chorégraphie : Marius Petipa
Avec : Evguénia Obraztsova (Bolchoï) - Igor Kolb (Mariinsky)

Russkaya
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski

Chorégraphie : Kasian Golezovski
Avec : Aleksandra Timofeeva

Trois Gnossiennes
Musique : Erik Satie

Chorégraphie : Hans Van Manen
Avec : Maia Makhateli - Jozef Varga (Het Nationale Ballet)

La Sylphide
Musique : Herman Severin Løvenskiold

Chorégraphie : August Bournonville
Avec : Maria Yakovleva - Kirill Kurlaev (Wiener Staatsballett)

Elegie der Herzen
Musique : Arvo Pärt

Chorégraphie : Raimondo Rebeck
Avec : Iana Salenko - Marian Walter (Staatsballett Berlin)

Tchaikovsky-Pas-de-deux
Musique : 
Piotr Ilitch Tchaïkovski
Chorégraphie : George Balanchine
Avec : Aki Saito - Wim Vanlessen (Koninklijk Ballet van Vlaanderen)

Arepo
Musique :
Hugues Le Bars, d'après La Nuit de Walpurgis  (ballet de Faust, Charles Gounod)
Chorégraphie : Maurice Béjart
Avec : Alessio Carbone (Opéra National de Paris)

Le Corsaire
Musique :
Ludwig Minkus
Chorégraphie : Vakhtang Chaboukiani, d'après Marius Petipa
Avec : Marianela Núñez - Thiago Soares (Royal Ballet, London)

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Grand Pas Classique

Musique :
Daniel François Esprit Auber
Chorégraphie : Victor Gsovski
Avec : Iana Salenko - Marian Walter (Staatsballett Berlin)

Cendrillon
Musique :
Serge Prokofiev
Chorégraphie : Alexeï Ratmansky
Avec : Evguénia Obraztsova (Bolchoï) - Igor Kolb (Mariinsky)

Moszkovsky Waltz
Musique : Moritz Moszkovski

Chorégraphie : Vassily Vaïnonen
Avec : Maria Yakovleva - Kirill Kurlaev (Wiener Staatsballett)

L'Arlésienne
Musique : Georges Bizet

Chorégraphie : Roland Petit
Avec : Delphine Moussin - Alessio Carbone (Opéra National de Paris)

Winter Dreams
Musique : 
Piotr Ilitch Tchaïkovski
Chorégraphie : Kenneth MacMillan
Avec : Marianela Núñez - Thiago Soares (Royal Ballet, London)

La Mort du cygne
Musique : Camille Saint-Saëns

Chorégraphie : Michel Fokine
Avec : Aleksandra Timofeeva

Don Quichotte
Musique : Ludwig Minkus

Chorégraphie : Marius Petipa
Avec : Maia Makhateli - Jozef Varga (Het Nationale Ballet)

Musique enregistrée

Samedii 23 mars 2013,  Cirque Royal, Bruxelles


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