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Festival de Sablé-sur-Sarthe 2012
21 août 2012 : Terpsichore, par la Compagnie Fêtes galantes (Béatrice Massin)
Dans la moisson des festivals d'été, plus ou
moins éphémères, celui de Sablé-sur-Sarthe, dédié à la musique baroque
et aux danses anciennes, semble perdurer contre vents et marées. Cette
année toutefois, Sablé tourne à l'évidence une page de son histoire.
Jean-Bernard Meunier, créateur charismatique du festival et responsable
de la programmation depuis 1978, a dû passer la main - l'âge de la
retraite sonnant -, et c'est Alice Orange, venue du Théâtre d'Eu, qui
préside désormais aux destinées du festival, ainsi qu'à celles de la
saison culturelle de la ville.
Sur la forme même du festival, peu de changements significatifs sont à
noter : des rencontres matinales avec les artistes transformées en
déjeuners sur l'herbe dans le parc du château, avec nappes en vichy,
fauteuils en osier et paniers repas (façon Glyndebourne?), ont bien été
instaurées, mais pour le reste, le festival, étalé sur cinq jours,
reprend une formule semblable à celle des années précédentes : deux
spectacles en matinée, et un, plus conséquent, en soirée, donnés à Sablé
ou dans les églises et salles des environs, l'ensemble permettant
d'alterner les reprises ou les créations avec des grands noms du baroque
et les découvertes. Sur le fond, on signalera en revanche l'entrée en
fanfare de la «culture lusophone» - concept bien dans l'air du temps -
et surtout du théâtre baroque, qui vient désormais s'inscrire dans la
programmation aux côtés de la musique et de la danse. Pourquoi pas, même
si l'on peut regretter que cette inflexion se fasse au profit du déjà
très visible Benjamin Lazar, chantre de la prononciation restituée et de
l'éclairage à la bougie. Ce dernier est en effet doublement présent à
Sablé - à l'affiche du festival, qui programme une reprise de L'Autre Monde ou les Etats et Empires de la lune de Cyrano de Bergerac ainsi qu'une création autour des Caractères
de La Bruyère, mais aussi en tant que professeur invité de l'Académie
de Sablé, laquelle propose en parallèle au festival une série de
master-classes destinées aux instrumentistes, chanteurs et danseurs.
C'est la danse en l'occurrence, qui semble payer ce tournant manifeste
vers le théâtre imprimé par la nouvelle direction. Exit donc (notamment)
la merveilleuse – et trop rare - Bruna Gondoni
et ses danses de la Renaissance italienne, remplacées dès
cette année par des cours de gestuelle et de
théâtre baroques.
Terpsichore (chor. Béatrice Massin)
La soirée d'ouverture se sera en tout cas
pleinement inscrite dans la tradition festivalière d'antan, avec la
première française de Terpsichore.
Créé en juin dernier au Händel-Festpiele de Halle, le spectacle est né
de la collaboration entre la chorégraphe Béatrice Massin – une habituée
de Sablé - et Christophe Rousset, directeur musical de l'ensemble Les
Talens Lyriques. Impossible au demeurant de séparer cette création
chorégraphique pour six danseurs du magnifique patchwork musical qui
l'accompagne, lequel associe dans une séduisante continuité les
compositions - très françaises - de Jean-Féry Rebel, auteur de
«symphonies chorégraphiques», parmi lesquelles on découvre justement
une Terpsichore, et l'acte de ballet éponyme inséré dans l'opéra Il Pastor fido de Haendel.
Terpsichore (chor. Béatrice Massin)
Nulle féerie dans cette Terpsichore,
mais une scénographie «blanche», abstraite et minimaliste, que vient
enrichir un travail raffiné sur les lumières. Point de robes à paniers
ou de chaussures à talons, mais des danseurs pieds nus, sans apprêts,
portant des costumes aux coupes simples et épurées, qui libèrent la
danse, tourbillonnante et «obstinée», jusqu'à l'étourdissement : bleu
ciel très clair dans la partie française, multicolores et dépareillés
dans la partie haendelienne. Seule la forme stylisée des vêtements vient
rappeler l'habit de cour du XVIIe siècle. Nulle « histoire » non plus,
le ballet ne raconte que la musique et la manière dont la danse
s'approprie sans cesse l'espace. Terpsichore
a beau être présentée dans le programme comme un hommage à la célèbre
Marie Sallé – muse de la danse de son temps -, il n'a rien, à l'image
des précédents ouvrages de Béatrice Massin, d'un spectacle pittoresque
ou archéologique, d'un ballet exclusivement tourné vers les curiosités
du passé. Le vocabulaire baroque est bel et bien là, omniprésent, mais
il fonctionne plutôt comme un souvenir, celui d'une langue maternelle
que le corps parle naturellement, mise au service d'une oeuvre
pleinement contemporaine. Le ballet s'ouvre dans la pénombre d'un rêve,
comme un clin d'oeil au récent Songes.
La première partie, pâle et monochrome, se joue à quatre, entre
horizontalité et verticalité, terre et ciel. Les danseurs, d'abord
étendus au sol, s'éveillent peu à peu au mouvement, s'essayent, dans un
espace résolument abstrait, à une gestuelle, encore à l'état d'esquisse.
Le second volet musical, qui donne lieu en même temps à une explosion
de couleurs, laisse place à une écriture chorégraphique plus ferme, plus
ample, plus flamboyante - à l'image de la musique chorale de Haendel -,
qui se nourrit des rapports créés entre les six danseurs, déclinés dans
des duos ou des ensembles.
Terpsichore (chor. Béatrice Massin)
Celui qui ne viendrait voir là que de la danse,
sans vouloir l'entendre, sortirait sans nul doute frustré de la
représentation – c'est souvent le cas avec les spectacles de danse
baroque, et celui-ci échappe moins qu'un autre à la tentation du
formalisme. Il n'en reste pas moins que la réussite du travail, toujours
envoûtant, de Béatrice Massin, qu'on avait tellement apprécié dans Un air de Folies
donné en ces mêmes lieux il y a quelques années, tient davantage à sa
rigueur musicologique et à son esthétisme radieux qu'à la créativité
chorégraphique proprement dite. En dépit d'une thématique prometteuse et
du dynamisme impressionnant mis en oeuvre, l'ensemble, marqué par la
répétition incessante des mêmes phrases chorégraphiques, souffre d'un
certain manque de chair, qui finit par rendre la danse quelque peu
décorative en regard de la musique. A l'inverse, la musique, elle, ne
lasse jamais et agit là comme une véritable révélation. La proximité
créée avec les musiciens et le chef, également au clavecin, y est
peut-être pour quelque chose, et, plusieurs fois, l'on se surprend à
regarder, plutôt que vers la scène, du côté de l'orchestre et des
chanteurs, en tous points magistraux.
A noter que Terpsichore sera en octobre à l'affiche de l'Opéra royal de Versailles.
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B. Jarrasse © 2012, Dansomanie
Terpsichore
Chorégraphie : Béatrice Massin
Musique : Jean-Féry Rebel (La Terpsichore, Les Plaisirs champêtres, Les Elémens)
Georg Friedrich Haendel (Terpsichore, acte de ballet extrait d'Il Pastor fido)
Sabina Puertolas, soprano (Erato)
Marianne Beate Kielland, mezzo-soprano (Apollo)
Paul Crémazy, ténor
Jussi Lehtipuu, basse
Danse : Céline Angibaud, Bruno Benne, Sarah Berreby,
Olivier Collin, Laurent Crespon, Adeline Lerme
Compagnie Fêtes galantes, dir Béatrice Massin
Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset
Mardi 21 août 2012, 21h00, Centre culturel Joël Le Theule, Sablé-sur-Sarthe
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