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critiques et comptes rendus
Malandain Ballet Biarritz

15 avril 2012 : Le Ballet Biarritz  fête dix ans de coopération avec l'Opéra de Reims


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Lucifer, chor.  Thierry Malandain


Le Ballet Biarritz venait, en ce printemps pluvieux, célébrer, dans la métropole champenoise, le dixième anniversaire de sa collaboration avec l’Opéra de Reims. Pour l’occasion, la troupe biarrote avait mis les petits plats dans les grands, avec trois ballets différents à l’affiche, dont une création mondiale, auxquels venaient s’ajouter une projection gratuite d’un documentaire consacré à la genèse de Lucifer, l’un des ouvrages de la trilogie présentée au public rémois, ainsi qu’une exposition de costumes traditionnels de danse basque, et diverses animations (répétitions publiques, spectacles adaptés) à destination des plus jeunes.

C’est sur ce même Lucifer que se levait le rideau : une chorégraphie ambitieuse, qui avait fait, en 2011, en ce qui concerne la musique, l’objet d’une commande spécifique au compositeur Guillaume Connesson. Celui-ci a élaboré une partition imposante, de facture très française, et comportant des références à Berlioz, dont la scène du Sabbat de la Symphonie fantastique est citée via le Dies Irae. Dans la scène du Jugement, précédant la chute de Lucifer – qui, sur le plan chorégraphique, rappelle Artifact Suite, de Forsythe –, la colère des cieux est évoquée par des rythme brutaux et une harmonie basée sur l’accord de Triton (quarte augmentée), que Guy d’Arezzo, avait, au XIème siècle, nommé Diabolus in musica.

Néanmoins, Thierry Malandain réfute toute interprétation «satanique» de Lucifer, et fait de l’archange déchu, porteur de Lumière, une sorte d’alter ego de Prométhée, le porteur de Feu. Ici, cette lumière, c’est l’amour, qu’il découvre et fait découvrir aux humains ; le sentiment jusqu’alors inconnu naît dans la rencontre fortuite entre Lucifer, parti à la découverte de la Terre au mépris des interdictions divines, et La Femme, Eve encore immaculée. C’est Miyuki Kanei, la Japonaise du Ballet Biarritz qui l’incarnait à la scène, et qui dominait de manière impressionnante la distribution. Nous avions eu la chance de rencontrer Mlle Kanei alors qu’elle venait d’intégrer la compagnie, en 2006. Elle s’est aujourd’hui totalement épanouie et a trouvé ici un rôle qui rend justice à ses aptitudes. Au delà du mythe et du mysticisme, Lucifer est un ballet qui s’inscrit dans le droit fil des thèmes chers à Thierry Malandain, telle cette quête obsessionnelle d’un idéal amoureux inaccessible, incarné par La Femme – le choix de Miyuki Kanei, à la plastique pure, n’est certainement pas le fait du hasard – face à une réalité plus prosaïque, personnifié par l’Homme (un ange déchu ici, la symbolique n’est pas innocente),  pis-aller charnel, faillible et fragile.


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Boléro, chor.  Thierry Malandain

Suivait Boléro, créé en 2001 ; Thierry Malandain s’attaquait ici à un monument de la musique et de la danse ; se mesurer à Maurice Béjart tenait de la gageure. Roland Petit notamment, qui s’était hasardé à cette exercice un an avant le directeur du Ballet Biarritz, n’avait pas véritablement convaincu.

La démarche de Thierry Malandain s’inscrit pour sa part dans une sorte de retour – purement spirituel – aux sources de Boléro, originellement destiné à Ida Rubinstein, avec une chorégraphie de Bronislava Nijinska. Mais même si le chorégraphe se défend de toute velléité de paraphrase, il est difficile de ne pas y discerner une sorte d’amplification de la gestuelle du soliste unique de Béjart, répliquée ici symboliquement par douze danseurs, masqués par des paravents translucides symbolisant les limites de la fameuse table, ici délibérément absente. Le treizième apôtre, absent de cette cène aux relents bachiques, est-il le fantôme de Rubinstein, dont Béjart a effacé le souvenir avec son propre Boléro, ou le chorégraphe marseillais lui même, «Judas» qui a «trahi» la danseuse russe en se mesurant – victorieusement, si l’on s’en remet au jugement de l’Histoire – à elle? Ou encore, Thierry Malandain qui esquive avec intelligence un combat perdu d’avance, en traitant la partie de soliste de manière totalement elliptique? Les danseurs du Ballet Biarritz se plient en tout cas habilement au jeu, en restituant les intention du chorégraphe avec une belle discipline d’ensemble, dans une œuvre dont la finalité est de ne faire – paradoxe assumé – ressortir aucune individualité.

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Une Dernière Chanson, chor.  Thierry Malandain

Le gala du 40e anniversaire du Prix de Lausanne nous avait donné un petit avant-goût il y a quelques mois d'Une Dernière Chanson – la création du jour - au travers d'un pas de deux, d'une douce tristesse, magnifiquement interprété par Nathalie Verspecht et Giuseppe Chiavaro. « La Fille au roi Louis » n'est toutefois qu'un des cinq duos, le plus beau peut-être, qui composent ce ballet d'une trentaine de minutes réunissant dix danseurs. Son unité repose sur une sélection de vieilles chansons françaises, qui figurent sur l'album enregistré il y a quelques années par Vincent Dumestre et son ensemble, le Poème Harmonique. On y redécouvre là d'anciennes mélodies, tout droit sorties de l'enfance, telles que «J'ai vu le loup, le renard danser» ou «En passant par la Lorraine», chacune servant de prétexte à illustrer l'un des sept courts tableaux du ballet. Celui-ci voit alterner les compositions - les duos intimistes sont encadrés par deux grands ensembles - et les ambiances, qui nous font glisser imperceptiblement, et sans rupture aucune, de la légèreté à la gravité, de la douleur à la joie, et ainsi de suite. Après Lucifer et un Boléro à dominante sombre et monochrome, Une Dernière Chanson nous offre en contrepoint un final bigarré et plein de couleurs. On y croise des couples d’amoureux, parfois insolites dans leurs associations, habillés de tenues estivales et champêtres, actuelles autant qu'intemporelles, à l'image de ces vieux airs qui les accompagnent. Même sans les connaître, on croit instinctivement les reconnaître, car tous, sans exception, parlent au cœur. L’ensemble s'achève dans un grand éclat de rire collectif où chacun s'effeuille délicieusement, pour finir... en petite tenue sous les yeux d'un public champenois qui ne ménage pas ses applaudissements aux danseurs. Une Dernière Chanson a beau se vouloir léger et festif - comme un dernier verre entre amis –, et s'habiller sans façons, c'est malgré tout la mélancolie qui l’imprègne à chaque instant qui en fait tout le prix
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Romain Feist (Lucifer, Boléro) / B. Jarrasse (Une Dernière Chanson) © 2012, Dansomanie

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Lucifer
Musique : Guillaume Connesson
Chorégraphie : Thierry Malandain
Costumes : Jorge Gallardo
Lumières : Jean-Claude Asquié

Lucifer – Daniel Vizcayo
La Femme – Miyuki Kaneï
Les Archanges –  Aurélien Alberge, Raphaël Canet, Ellyce Daniele, Frederik Deberdt
Michaël Garcia, Aureline Guillot, Jacob Hernandez Martin, Mathilde Labé, Fabio Lopez
Nuria Lopez Cortes, Silvia Magalhaes, Arnaud Mahouy, Nathalie Verspecht, Laurine Viel


Boléro
Musique :
Maurice Ravel
Chorégraphie : Thierry Malandain
Décors et costumes : Jorge Gallardo
Lumières :  Jean-Claude Asquié

Avec : Ellyce Daniele, Aureline Guillot, Mathilde Labé, Nuria Lopez Cortes,
Silvia Magalhaes, Nathalie Verspecht, Laurine Viel, Raphaël Canet
Mickaël Conte,
Frederik Deberdt, Fabio Lopez, Arnaud Mahouy


Une Dernière Chanson
Musique : romances et complaintes de la France d'autrefois
Chorégraphie : Thierry Malandain
Décors et costumes : 
Thierry Malandain
Lumières : Jean-Claude Asquié

J'ai vu le loup, le renard danser – Ellyce Daniele, Claire Lonchampt, Silvia Magahlaes
Laurine Viel, Mickaël Conte, Frederik Deberdt, Jacob Hernandez Martin, Arnaud Mahouy
La Fille au Roi Louis – Nathalie Verspecht, Giuseppe Chiavaro
L'Amour de moy –  Laurine Viel, Frederik Deberdt
Aux marches du palais –  Claire Lonchampt, Arnaud Mahouy
En passant par la Lorraine –  Silvia Magahlaes, Mickaël Conte
Réveillez-vous belle endormie Ellyce DanieleJacob Hernandez Martin
La Molièra qu'a nau escus... – Ellyce Daniele, Claire Lonchampt, Silvia Magahlaes, Laurine Viel
Giuseppe Chiavaro, Mickaël Conte, Frederik Deberdt, Jacob Hernandez Martin, Arnaud Mahouy


Malandain Ballet Biarritz
Musique enregistrée

Dimanche 15 avril 2012,  Opéra de Reims


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