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Aujourd’hui,
nous faisons environ quatre-vingt dix
spectacles par an. A l’époque,
c’était plutôt de l’ordre de
la cinquantaine, ce
qui m’a facilité le travail
d’apprentissage. Je ne peux pas dire qu’un
spectacle particulier m’ait marqué plus que les
autres. En fait, cela dépend de
l’état d’esprit dans lequel je me trouve
au moment de la représentation. On
peut être extrêmement touché par une
œuvre un jour, et y demeurer indifférent
le lendemain. J’essaye toujours de m’investir
à cent pour cent dans chaque
spectacle, mais évidemment, on ne maîtrise pas
toujours le résultat.
Maintenant, c’est vrai, je pourrais peut-être tout
de même mettre en exergue Casse-noisette,
qui m’avait apporté une
très grande émotion.
Au sein de la compagnie, il n’y a pas de
hiérarchie, et
donc, on ne recherche pas à tout prix le succès
personnel. C’est le travail
collectif qui prime, même si, par exemple, lorsque nous avons
fait des tournées
à New York ou à Moscou, j’ai pu
ressentir une euphorie particulière. Le
déménagement de Saint-Etienne à
Biarritz s’est étalé sur
plusieurs mois. Nous avons pris la décision de nous
installer sur la côte
Basque, car la ville de Biarritz avait manifesté le souhait
de créer un Centre
Chorégraphique National. Pour nous
c’était très important.
Jusqu’alors, nous
étions une compagnie privée, et ce
n’était pas toujours facile de trouver des
spectacles. De ce point de vue, notre sort s’est bien
amélioré
maintenant ; nous sommes salariés, alors
qu’auparavant nous étions
intermittents du spectacle, un statut nettement moins confortable. La
contrepartie, ce sont évidemment des contraintes
administratives plus lourdes.
Je suis le plus ancien danseur de la compagnie, mais
beaucoup d’artistes font partie de la troupe depuis assez
longtemps aussi. Je
considère le fait de travailler avec un
chorégraphe unique comme une sorte de
privilège. Ce fut pour moi un choix
délibéré, même si au bout
d’un certain
nombre d’années on peut être
enté de voir autre chose. Mais ici, en
général,
les danseurs restent… Thierry Malandain possède
un style qui lui est propre,
mais qui évolue dans le temps, et l’on ne ressent
pas de monotonie. Evidemment,
la «patte» de Thierry Malandain est
immédiatement reconnaissable, et on s’en
imprègne très vite. Aujourd’hui, si on
me demandait de composer une
chorégraphie, je pourrais difficilement me
défaire de cette influence… J’avoue
ne pas me sentir du tout une âme de créateur!
En
ce qui me concerne, j’ai atteint l’âge
où on commence à se poser la
question de sa reconversion, mais je ne suis pas encore assez vieux
pour
m’arrêter de danser. Devenir enseignant, assistant
de chorégraphe sont des
possibilités auxquelles je réfléchis,
mais il n’y a pour l’heure rien de
concret. Au Ballet Biarritz, il n’y a pas de limite
d’âge fixée de manière
autoritaire, administrative. C’est au danseur de
décider lui-même, lorsqu’il
sent que cela ne va plus. Dans certains cas, la compagnie peut proposer
un
autre poste aux artistes en fin de carrière, mais cela
n’a rien d’automatique.
En tout état de cause, je compte passer le Diplôme
d’Etat de professeur de
danse. Cela me paraît indispensable, quel que soit la
carrière qu’on envisage
par la suite. Mais on ne peut pas non plus se lancer trop tôt
dans la
préparation de cet examen. Il faut du temps pour se former
sérieusement, et du
temps, lorsqu’on est danseur et que l’on doit
assurer les spectacles, on n'en a
pas forcément beaucoup à sa disposition.

J’ai rejoint le
Ballet Biarritz en 2006, et je fais donc
partie des «nouvelles» de la troupe. J’ai
débuté la danse à
l’âge de sept ans à
Hiroshima, avec un professeur japonais. A dix-huit ans, je suis venue
en
France. J’ai d’abord suivi une formation classique,
puis j’ai pris des cours de
danse contemporaine et de danse de caractère.
Au
Japon, les cours classiques ont à peu près le
même
contenu qu’en France ; on y enseigne
d’ailleurs la technique française,
tout comme la russe.
En
1999 - j’avais quatorze ans -,
j’ai passé une audition
pour le Prix de Lausanne. Je suis parvenue
jusqu’aux quarts de finale.
Cela m’a
donné envie de venir m’installer en Europe. Mon
professeur m’a conseillé
d’aller en France. L’idée m’a
plu, car pour moi, la France représentait la
culture artistique, et surtout c’était le berceau
de la danse académique.

A
mon arrivée en France, j’ai
été prise au Conservatoire
National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon.
J’y ai travaillé avec
Philippe Cohen, qui en était alors le directeur.
J’y suis restée deux ans. Je
faisais partie du «Ballet Junior», qui fonctionnait
déjà un peu comme une
«vraie» compagnie, avec des séances de
répétition tous les jours.
En
France, la plupart des professeurs ont eux-mêmes
déjà
travaillé au sein d’une compagnie, et sont plus
attentifs à l’anatomie et au
placement qu’au Japon, où il n’existe
d’ailleurs pas de diplôme pour être
professeur de danse.
A
l’issue de ma formation au Conservatoire, j'ai
passé des
auditions un peu partout, aussi bien en France qu’au Japon.
J’ai été prise à
l’école de Pascale Courdioux, à
Villeurbanne ; la directrice montait à ce
moment sa compagnie, «Lyon-Ballet». Cela
m’a donné l’occasion de collaborer
à
des spectacles ; par ailleurs, le répertoire de la
troupe, essentiellement
classique et néo-classique, me permettait aussi de continuer
de travailler sur
pointes. Je suis restée deux ans chez
Pascale Courdioux, en
alternant avec des périodes de six mois au Japon, car
j’avais aussi repris des
cours à Hiroshima.
C’est
ensuite Pascale Courdioux elle-même qui m’a
présentée
au Ballet Biarritz. Là encore, il s’agit
d’une compagnie au répertoire
relativement «classique», ce qui correspondait
à mes propres envies. Ils
recherchaient une danseuse, mais au début, ils ont un peu
hésité à retenir ma
candidature. Puis, en avril 2006, il y a eu un départ dans
la troupe, et j’ai
finalement été engagée. J’ai
pris mes fonctions officiellement en juillet 2006,
mais, au cours des deux premiers mois, je n’ai pas
véritablement participé aux
spectacles, hormis en tant que figurante. Ce n’est
qu’à partir du mois de
septembre que j’ai réellement fait de la
scène.
Chaque
chorégraphe est différent :
c’était la première
fois que je dansais du Malandain, et, évidemment, un certain
temps d’adaptation
est nécessaire. Mais après quelques semaines,
cela vient
naturellement. Certes, on ne travaille pratiquement pas sur
pointes, mais
le style de Thierry Malandain reste néanmoins assez
académique.
Mes
premiers «vrais» spectacles avec le Ballet Biarritz
furent Les Petits riens et Don Juan, sur des musiques de Mozart et
de Gluck, à Cadix, en
Espagne. Le Ballet Biarritz se produit beaucoup en tournée,
et cela me plaît
beaucoup : on y découvre des gens et des cultures
différentes, et pour le
moment, je ne ressens pas de fatigue particulière en raison
de tous ces
déplacements. J’espère surtout
qu’un jour la troupe pourra se produire chez moi
au Japon. C’est vrai, parfois mon pays me manque un peu, mais
c’était mon rêve
de venir en France, et je me sens bien à Biarritz.

J’ai
débuté la danse avec Martine Olivier, au Raincy,
dans
la banlieue parisienne. Elle m’a
présenté au Conservatoire et à
l’Ecole de
danse de l’Opéra de Paris. En raison de ma trop
petite taille, je n’ai pas été
pris à l’Opéra, mais j’ai
tout de même eu la chance de rencontrer des
personnalités telles que Solange Schwartz, Christiane Vaussard
et surtout Roger
Ritz, qui m’a permis d’entrer au
Conservatoire.
J’ai ainsi fait
toutes mes classes au CNSMDP, d’abord deux
années préparatoires, puis au cours
supérieur. J’en suis sorti avec un premier
prix à l’unanimité.

A
l’époque, je rêvais
d’intégrer la compagnie de Maurice
Béjart. En raison de mon physique, je ne pouvais pas
espérer devenir un danseur
noble, et ce que faisait Béjart m’attirait
beaucoup. Avec 500 francs (76 €) en
poche, je me suis rendu en Belgique, avec l’espoir de
rencontrer le Maître!
Jean de Veust, qui était décorateur et costumier
au Théâtre de la Monnaie, à
Bruxelles, ainsi que Germinal Casado, m’ont servi de mentor.
Un jour, De Veust
m’a conseillé d’auditionner au Ballet
Royal de Flandre ; l’idée
était
bonne, car je fus immédiatement engagé.
Malheureusement, j’ai dû brutalement
interrompre ma carrière, pour effectuer mon service
militaire, à Montmédy.
Heureusement, le Ballet de Flandre a accepté de me reprendre
après mon passage
à l’Armée. J’ai fait un an de
Corps de ballet, puis je suis passé demi-soliste,
et enfin soliste. J’y ai fait quelques rencontres marquantes,
comme celle de
Moshé Efrati, un chorégraphe israélien
extraordinaire, qui possédait sa propre
compagnie, composée à
l’époque d’une dizaine de danseurs
malentendants
[ndlr : la «Kol Demama Dance Company», qui
existe toujours et est demeurée
fidèle à son projet initial de faire appel
à des artistes sourds]. Par
ailleurs, le Ballet de Flandre disposait de moyens financiers
importants, et
pouvait se permettre d’inviter des professeurs prestigieux.
J’ai ainsi eu la
chance de travailler avec Hans Brenaa.
En 1980, j’ai
passé une audition au Ballet de Nancy.
C’était
un peu le même genre de compagnie, assez
éclectique ; elle était
dirigée à
l’époque par Jean-Albert Cartier. Là
aussi, j’ai pu travailler avec de nombreux
professeurs et chorégraphes réputés,
et me confronter à de grandes œuvres
telles Petrouchka, Pulcinella
ou encore certains ballets de
Cranko. Et on exigeait de nous une solide technique classique, chose
que je
souhaitais d’ailleurs inconsciemment. C’est
à Nancy que j’ai fait la
connaissance de Thierry Malandain, qui était
également danseur dans la troupe.
Il s’est rapidement lancé dans la
chorégraphie, et Sonatine,
sa deuxième création, fut pour moi
l’occasion de danser
mon premier rôle dans un ouvrage de Thierry Malandain. La
pièce était écrite
sur des musiques de Karlheinz Stockhausen et de Karol Szymanowsky, et
j’en
avais beaucoup aimé l’humour noir et la pantomime
élaborée. C’est ainsi que
débuta ma collaboration avec Thierry Malandain.
En
1985, j’ai quitté le Ballet de Nancy ;
j’ai alors
fait un passage chez Jean-Christophe Maillot –
élève de John Neumeier -, qui
était à l’époque
à Tours. Avec Thierry Malandain, nous avions
déjà formé le
projet de créer une compagnie, mais, au
préalable, je voulais acquérir une
expérience au sein d’une petite structure de six
ou sept danseurs.
L’année
suivante, nous nous sommes jetés à
l’eau, et nous
avons créé «Temps
présent». J’ai
débuté en tant que danseur, mais très
vite, je
me suis mis à donner des cours. A
l’âge de quarante ans, je me suis
arrêté de
danser, et je suis devenu professeur et maître de ballet. Nos
pérégrinations
nous ont menés de Paris à Saint-Etienne, puis
à Biarritz, où j’ai suivi Thierry
Malandain, en compagne de mon épouse, elle aussi danseuse
dans la compagnie. Ma
femme est ensuite devenue enseignante au Conservatoire de
Biarritz-Bayonne-Anglet, et j’ai voulu faire comme elle. Je
suis donc devenu
moi-même professeur au Conservatoire, tout en continuant de
donner des cours à
la compagnie. Cela nous a permis de mettre en place un partenariat
entre le
Centre Chorégraphique National de Biarritz (CCN) et le
Conservatoire National
de Région (CNR).
Au
Ballet Biarritz, je donne régulièrement des cours
en tant
que professeur invité, lorsque la compagnie n’est
pas en tournée. Les classes
sont aménagées de manière à
correspondre aux exigences spécifiques de Thierry
Malandain. Une importance particulière est
accordée au travail du haut du
corps, qui doit être très libre. En
général, je m’efforce de savoir quels
sont
les ballets au programme, de manière à adapter
mon cours. En ce moment
[février 2007, ndlr], le problème, ce sont les
pliés, un peu insuffisants, que je dois donc faire travailler en priorité.
J’aime
beaucoup que mes cours soient «dansants», et que
l’on
y utilise l’espace au maximum. C’est en
étudiant Bournonville que j’ai acquis
la conviction qu’il est nécessaire de bien
maîtriser l’espace, maîtrise que
l’on acquiert en répétant des
enchaînements très longs.
Au Ballet Biarritz, il n’y a pas de cours sur pointes
à
proprement parler. Il arrive que certaines danseuses gardent leurs
pointes,
mais les exercices ne sont pas spécifiquement
adaptés. Cela viendra peut-être
un jour, mais cela dépendra évidemment de
l’évolution artistique de Thierry
Malandain.
Cela
étant dit, nous recherchons néanmoins des
artistes qui possèdent de
solides bases classiques. Un danseur classique peut aborder
tous les
répertoires, tandis que celui qui possède une
formation spécifiquement
contemporaine n’aura pas la polyvalence aujourd’hui
nécessaire. Cela est
d’ailleurs vrai également dans les grandes
compagnies, comme le Ballet de
l’Opéra de Paris. |
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