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Le temple russe de la danse : l'Académie Vaganova de Saint-Pétersbourg

08 avril 2016 : visite à l'Académie Vaganova, Saint-Pétersbourg


A l'occasion du Festival du Mariinsky 2016, nous avons eu la grande chance de bénéficier d'une visite privée de l'Académie Vaganova. Nous vous convions, avec nos guides russes, Julia Telepina, chargée des Relations internationales, et Nikolaï Tsiskaridzé, recteur, à un parcours au sein de ce que l'on peut, sans emphase excessive, qualifier de véritable "temple russe de la danse", l'école, mais aussi le musée, quasi-confidentiel, qu'il abrite.






Le bâtiment dans lequel nous nous trouvons est classé monument historique, et il se trouve à peu près dans l'état où il était en 1838. Les deux côtés de la rue Rossi présentent un aspect symétrique, mais nous n'en n'occupons qu'un seul.

Les premiers cours de ballet de l'Académie eurent lieu dans l'ancien Palais d'Hiver. L'école a ensuite déménagé plusieurs fois, et occupe les locaux de la rue Rossi depuis 1838.

Ici, vous pouvez voir des affiches des spectacles de l'Académie à différentes époques.

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Lors de la dernière guerre, l'école a été évacuée sitôt que les troupes ennemies ont franchi la frontière russe. L'essentiel des professeurs et des élèves ont été mis en sécurité à Perm, en Sibérie. Personne ne savait combien de temps cela allait durer. On imaginait que cela prendrait trois mois, et personne n'a pris de vêtements chauds avec soi [l'invasion allemande a débuté le 22 juin 1941, ndlr.]. Finalement, le siège de Léningrad a duré trois ans. A Perm, l'école était dirigée par Ekaterina Geidenreich [Екатерина Гейденрейх], une danseuse du Mariinsky.
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A l'issue de la guerre, en raison de son patronyme à consonance germanique, elle fut interdite d'exercer dans les principales villes d'URSS, et elle resta à Perm, où elle fonda l’École d’État du Ballet de Perm. Aujourd'hui encore, nous considérons l'école de Perm quasiment comme une «filiale» de l'école Vaganova, car la plupart des professeurs qui y enseignent ont été formés à Saint-Pétersbourg.
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Dans ce couloir, comme vous le voyez, sont exposées des affiches des spectacles de l'école Vaganova, datant des années 1920-1930.
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Sur cette affiche de 1924 (Sylvia / Divertissement), le Mariinsky est dénommé «Théâtre Académique Russe d'Opéra et de Ballet (anciennement Mariinsky)». Le nom de Kirov n'est apparu que plus tard, [comme on peut le voir sur l'affiche ci-dessous annonçant les représentations de Laurencia].
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Là, nous passons devant une classe de garçons. Les garçons ont une tenue de la même couleur, quelle que soit la classe. Les filles, elles, ont une couleur différente pour chaque groupe d'âge (petits, moyens et grands).
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De 1847 à 1905, la compagnie de ballet et l'école étaient placées sous l'autorité directe de Marius Petipa, dit Marius Ivanovitch. En Russie, indiquer le prénom du père à la place du nom de famille est une marque formelle de respect, de déférence. De la même façon, l'architecte du bâtiment où nous nous trouvons, Carlo Rossi, est ici appelé Carlo Ivanovitch. Parfois, cela donne des choses un peu loufoques, comme pour Bartolomeo Rastrelli [1701-1771, l'autre grand bâtisseur de Saint-Pétersbourg, à qui l'on doit notamment le palais de Tsarskoïe Sélo, ndlr.], dont le père se prénommait également Bartolomeo, et qui est donc devenu Bartolomeo Bartolomeïevitch [Варфоломе́й Варфоломе́евич]...

Nous voyons ici [pas d'illustration] un portrait d'Elisabeth Guerdt, fille du célèbre danseur Pavel Guerdt, qui devint par la suite, à Moscou, professeur de Maïa Plissetskaïa. Elle avait d'abord enseigné à Saint-Pétersbourg, mais elle entra en conflit avec Agrippina Vaganova, avec qui elle partageait la classe des grands. Plusieurs de ses élèves demandèrent à suivre le cours de Vaganova plutôt que le sien. Elle fut convoquée par la direction mais, vexée, elle ne vint pas au rendez-vous et finalement ce furent tous ses élèves sauf un, qui désertèrent son cours au profit de celui de Vaganova. Blessée, Elisabeth Guerdt démissionna et partit pour l'école du Bolchoï. Et là, sur cette photo, nous voyons donc Pavel Guerdt, Soliste de Sa Majesté [le Tsar de toutes les Russies]. A côté, nous avons Anna Pavlova, alors qu'elle était encore adolescente. Il y a aussi Maria Petipa, la fille que Marius Petipa a eu avec sa première épouse, Maria Sourovtchikova. Elle est aussi devenue soliste au Mariinsky. Marius Petipa eu huit enfants. Deux fois, il a épousé une danseuse russe, mais il n'a jamais parlé le russe! Jamais!
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Là, c'est la première promotion diplômée de l'école sous la direction d'Agrippina Vaganova, en 1925. On peut voir Marina Semionova [photo ci-dessus], qui fut danseuse au Mariinsky avant de partir pour Moscou, où elle a été le «coach» de Nikolaï Tsiskaridzé [photo ci-dessous] au Bolchoï, jusqu'à il y a une dizaine d'années.
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Nous passons ici devant les salles de classe, où les élèves suivent une scolarité académique normale, avec des cours de russe, de langues étrangères, de mathématiques, d'informatique... Il y a aussi des cours d'histoire et d'histoire de la danse, en plus des cours de ballet proprement dit : danse académique, danses historiques, pas de deux... En général, une semaine comprend 12 heures de cours de danse classique, 4 heures de mathématiques, 5 heures de russe. La part de chaque enseignement est définie par des normes éducatives officielles. Tous les cours sont en russe, et c'est pour cela que nous n'acceptons les élèves étrangers que dans les plus grandes classes, lorsque leur éducation académique de base est censée être plus ou moins achevée.
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L'Académie Vaganova forme également des adultes dans des domaines spécialisés : chorégraphes, historiens de la danse, gestionnaires de théâtres et d'institutions culturelles... Youri Grigorovitch a enseigné la chorégraphie dans notre Académie, et on peut le voir répéter la Légende d'amour et La Fleur de pierre, ballet que le Mariinsky projette de remonter à l'automne prochain (2016).
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Là, c'est l'ancienne entrée d'apparat de l'école, qui était utilisée par la famille impériale. Quand le Tsar se rendait en visite [officielle] à l'école, il montait cet escalier. Maintenant, nous y exposons des photographies et portraits d'artistes célèbres : Kchessinskaya, Fokine, Pavlova, Nijinsky, Vaganova bien sûr, Sergueïev... Il y a aussi eu Balanchine, qui a eu quelques problèmes avec la direction parce qu'il s'était mis dans la tête de jouer de la musique «nouveau style» [comprendre : du jazz] pendant les cours.

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Tout au long de ce mur sont affichées les photos des promotions d'élèves issus de l'Académie Vaganova. Certaines sont particulièrement intéressantes, en raison des personnalités qu'on peut y reconnaître : Natalia Makarova, sur celle de 1959 par exemple, ou Dmitri Bryantsev, en 1966, qui devint directeur du Théâtre Stanislavsky à Moscou, et qui fut tué en Tchéquie [ Dmitry Bryantsev s'était rendu en 2004 à Prague pour un voyage «privé». On resta sans nouvelle de lui jusqu'en 2007, lorsque son corps criblé de balles fut retrouvé par hasard dans une forêt près de České Budějovice, ndlr.]. Là, Vadim Goulaev, et Galina Mezentseva, solistes principaux au Mariinsky. Et bien sûr George Balanchine, qui, comme nous l'avons déjà dit, fut élève de l'école. La dernière promotion sortie de l'école sous la direction d'Agrippina Vaganova est celle de 1951. Après avoir elle-même été élève de l'école [photo ci-dessous, 4e à droite], elle entra au Mariinsky et fut nommée Prima Ballerina en 1915. Elle fut engagée comme professeur à l'école en 1921, et en devint la directrice en 1925. En 1934, elle publia sa célèbre méthode, Fondements de la danse classique (Основы классического танца).
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Maintenant, nous allons entrer dans le «musée», qui est plutôt une sorte de « mémorial »où sont préservées des reliques de l'histoire de l'enseignement de la danse en Russie. Nous conservons des souvenirs qui remontent jusqu'à la fondation de l'école par l'Impératrice Anna Ivanova, en 1738, et à son premier directeur, Jean-Baptiste Landais.
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L'Académie Vaganova est un cas un peu unique dans l'histoire de la danse. Partout, il existait d'abord un théâtre, avec une compagnie de ballet, puis on a fondé une école autour. Ici, c'est l'inverse qui s'est produit. Il y a d'abord eu l'école, puis le théâtre et la compagnie!
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C'est avec Charles-Louis Didelot, que l'école, au début du dix-neuvième siècle, a réellement commencé à disposer d'une vraie méthode d'enseignement, avec des cours organisés de manière systématique. Les professeurs étaient à ce moment-là principalement des étrangers [Français et Italiens, ndlr.], et ce n'est qu'à la fin du dix-neuvième siècle qu'aussi bien l'école que la troupe du Mariinsky ont, pour les professeurs et les solistes, commencé à faire massivement appel à des Russes, tels Mathilde Kchessinskaïa.
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Le bâtiment actuel de l'école Vaganova n'a heureusement pas trop souffert lors du siège de Léningrad, et ses trésors ont été préservés. Les élèves célèbres de l'école ont tous légué des souvenirs au musée. Le cas de Natalia Doudinskaïa est assez intéressant. Sa mère était déjà danseuse, mais elle n'avait jamais suivi de cours dans une école officielle. Elle avait appris la danse auprès de professeurs privés, à Kharkov, dans l'actuelle Ukraine, et a commencé à enseigner elle-même la danse à sa fille. Quand Natalia atteignit l'âge de dix ans, la famille émigra à Léningrad, et se mit en quête d'une école de danse pour elle ; Natalia fut finalement acceptée à l'Académie Vaganova. En raison de ses capacités exceptionnelles, Natalia Doudinskaïa fut admise directement en cinquième année, alors qu'au vu de son âge, elle aurait dû entrer en première année, comme les autres élèves. C'est quelque chose qui ne serait plus possible aujourd'hui.
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Ce «musée» a une fonction pédagogique. Les élèves de l'Académie Vaganova doivent avoir des connaissances dans toutes les disciplines artistiques : histoire de la danse, bien sûr, mais aussi histoire du théâtre, histoire du cinéma... Le ballet est un art de synthèse, et les élèves doivent être éduqués à toutes les formes d'art, de culture, y compris la peinture, la musique, la scénographie...

Lorsque les élèves arrivent à l'école Vaganova, ils ont droit à une visite du musée. En première année, ils suivent un cours qu'on peut appeler «d'initiation à la profession [de danseur]», et ils doivent connaître les sources, les racines de leur métier, savoir qui étaient les grands artistes aux différentes époques de l'histoire, ceux qui ont eu le plus d'influence sur le ballet en Russie.

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Ici, nous exposons des chaussons ayant appartenu à des danseuses célèbres, des Russes et des étrangères qui ont été invitées à Saint-Pétersbourg : Pierina Legnani [Milanaise, devenue Prima Ballerina Assoluta au Mariinsky, et première artiste chorégraphique à réaliser une série de trente-deux fouettés dans Cendrillon, puis dans Le Lac des cygnes, ndlr.], [Galina] Oulanova, Margot Fonteyn, Maria Tallchief, Yvette Chauviré, Ghislaine Thesmar... Dans les années 1960, à l'époque de Khrouchtchev, de nombreux artistes étrangers ont été autorisés à se rendre à Léningrad. D'ailleurs, l'un des chaussons de Margot Fonteyn porte la date de 1960 [1961?]. En 1962, le New York City Ballet et Balanchine sont venus à Léningrad et à Moscou, et ont aussi laissé des souvenirs. Il y a également Alicia Alonso...
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Aujourd'hui, les élèves n'utilisent plus forcément les chaussons traditionnels russes, avec l'empeigne en V. Ils ont accès à toutes les marques, et sont libres de choisir ceux qui leur conviennent. La cordonnerie du Mariinsky fabrique également des chaussons, que les élèves peuvent obtenir gratuitement, sans limitation de quantité. Mais souvent, ils préfèrent les produits de marque, payants...
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Une vitrine est consacrée à Mathilde Kchessinskaïa [photo ci-dessus]. Nous avons gardé une photo d'elle avec Natalia Makarova, prise le 17 mars 1954 [Makarova était alors âgée de 14 ans, et élève à l'école Vaganova].

Il y en a également une dédiée à Mikhaïl Barychnikov [photo ci-dessous], lui aussi ancien élève de l'école. Sa famille nous a rendu visite il y a quelques années, mais malheureusement, lui n'a plus voulu retourner en Russie après sa défection. Mais sa femme et ses enfants sont venus ici.

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Nous espérons que la tradition, qui veut que chaque professeur, chaque ancien élève célèbre, chaque directeur lègue quelques souvenirs au musée, se perpétuera. Pour Nikolaï Tsiskaridzé, c'est déjà fait. Il y a une vitrine en son honneur, dans laquelle vous pouvez notamment voir la torche olympique, dont il fut un des porteurs lors des jeux de Sotchi en 2014. Les élèves de l'école ont d'ailleurs eux-même participé aux cérémonies d'ouverture des Jeux Paralympiques qui ont suivi.




Propos recueillis par Romain Feist








nikolaï tsiskaridzé

Nikolaï Tsiskaridzé




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Reportage réalisé le 08 avril 2016 © Dansomanie


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