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haydn Site Admin
Inscrit le: 28 Déc 2003 Messages: 26657
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Posté le: Mer Mar 12, 2014 2:02 am Sujet du message: |
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Revenons à des choses plus réjouissantes, encore que...
Quel dommage que l'Opéra ait, question com', quasiment sacrifié l'intéressante soirée Agnès de Mille / Birgit Cullberg, occultée par le battage fait autour de la nomination d'Amandine Albisson et les perturbations liées aux conflits sociaux...
Le programme de ce spectacle est original et cohérent (même si le côté "folklore protestant" un peu sinistre pourra en rebuter certains), et nous change agréablement de la n-ième resucée d'Onéguine, où seule l’irremplaçable Ciaravola est capable de briller et de soutenir l'attention.
Certes, Fall River Legend, d'Agnes De Mille, est loin d'être un chef-d’œuvre et accuse le poids des ans. Mais il n'en demeure pas moins une curiosité historique qui méritait d'être exhumée des tréfonds du répertoire de l'Opéra de Paris. L'ouvrage, créé en 1948, est emblématique d'une danse américaine qui cherche encore sa voie, et qui la trouvera avec George Balanchine et, plus tard, Jerome Robbins.
L'ouvrage est un peu plombé par la musique de Morton Gould (compositeur que tout le monde connait sans le savoir à cause de ses Spirituals for Strings Choir and Orchestra), qui verse dans le sous-Copland pompeux, et par l’argument, mis en conformité avec la morale puritaine au mépris de la réalité des faits qui ont inspiré le ballet (l'héroïne, Lizzie Borden, ayant été acquittée du meurtre de son père et de sa belle-mère, et non pendue). Il est toutefois servi par une scénographie astucieuse, et des interprètes de qualité.
Au flamboyant couple Renavand / Chaillet de la première distribution, on pourra néanmoins préférer Nolwenn Daniel et Sébastien Bertaud, qui étaient à l'affiche de cette soirée du 11 mars 2014. Nolwenn Daniel est plus introvertie, et rend de manière saisissante le caractère obtus, psychotique, de l'Accusée (Lizzie).
Sébastien Bertaud est quant à lui un pasteur très "collet-monté", rigide, incapable de comprendre - et encore moins de pardonner - le geste de folie de sa promise. Impassible, arborant un véritable masque de cire, il donne une réplique glaciale à sa fiancée meurtrière.
Parmi les seconds rôles, on mentionnera l'excellente belle-mère, haineuse et taciturne, de Marie-Solène Boulet, et l'irréel couple de visiteurs nocturnes formé de Juliette Gernez et Hugo Marchand.
Mais c'est après l'entracte qu'arrive le véritable clou du spectacle, avec Mademoiselle Julie. Ici, on passe de l'anecdote au chef-d’œuvre. La modernité de l'adaptation chorégraphique que Birgit Cullberg a réalisée en 1950 de la célèbre pièce de Strindberg est telle qu'on a peine à croire qu'elle n'est séparée que par deux années de Fall River Legend (1948). L'ouvrage bénéficie à la fois d'une scénographie splendide et d'une réalisation théâtrale d'une rare intelligence, qui condense en un peu moins d'une heure, et avec une lisibilité parfaite, toute l'intrigue imaginée par le grand dramaturge suédois - la parole en moins.
Là aussi, l'Opéra de Paris nous aura offert deux distributions de très haute qualité : Aurélie Dupont et Nicolas Le Riche d'une part, Eve Grinsztajn et Audric Bezard d'autre part. Les deux paires sont remarquablement assorties, et Aurélie Dupont, aux faux-airs de Romy Schneider, est délicieusement vénéneuse. Mais chez Eve Grinsztajn - qui, en poursuivant la métaphore cinématographique, évoquerait davantage Marlène Dietrich -, il y a ce "supplément d'âme" (pardon pour la formule galvaudée, je n'en trouve pas d'autre), qui transforme une belle représentation en un inoubliable moment d'émotion. On quitte la salle la gorge nouée, proche des larmes. Les quelques imperfections techniques (c'est vrai, de ce point de vue, Aurélie Dupont peut être considérée comme supérieure) ne sont plus que vétilles, et seule compte la formidable performance scénique réalisée par Eve Grinsztajn, qui est tout autre chose qu'une belle mécanique à faire des pirouettes impeccables. Elle rejoint ici Isabelle Ciaravola, qui a si bien su s'attirer la sympathie du public par la sincérité de son travail artistique. Eve Grinsztajn est sans doute la mieux armée pour lui succéder dans certains rôles néoclassiques, tels Marguerite Gautier (La Dame aux camélias), Manon ou encore Tatiana (Onéguine). De manière incompréhensible, on ne lui a pour l'heure jamais confié le rôle principal d'un grand ballet en deux ou trois actes. Même si on ne l'imagine pas forcément en Odette/Odile ou en Aurore, elle mériterait largement une vraie reconnaissance artistique.
La prestation magnifique d'Eve Grinsztajn ne doit cependant pas occulter celle de son excellent partenaire, Audric Bezard. Lui aussi s'est montré très à l'aise dans l'expression à la fois violente et onirique de cette improbable histoire d'amours ancillaires à rebours (c'est l’aristocrate qui se dévoie avec son valet, et non le châtelain qui trousse la bonne, on est chez Strindberg, pas chez Feydeau...) qui se déroule la nuit de la Saint-Jean, évocatrice, pour les peuples scandinaves, des rêves et des fantasmagories les plus étranges. En dépit du meurtre final, on est ici loin de la noirceur outrancière de Fall River Legend, et l'esprit qui prédomine ici est plus proche de celui du Songe d'une nuit d'été. Autre plus-value notoire, Mademoiselle Julie bénéficie d'une partition de qualité, signée Ture Rangstrom (musicien suédois formé par Hans Pfiztner), truffée de réminiscences thématiques de ballets du répertoire romantique.
Ici aussi, quelques seconds rôles réussis doivent être signalés, tels Michael Denard, en grotesque Père de Julie, la Kristin survoltée de Ninon Raux (Amélie Lamoureux n'était pas en reste dans la première distribution) et l'Anders bondissant de Phlippe Solano.
Encore une fois, on peut vraiment regretter que l'Opéra de Paris n'ait pas su (ou voulu) mieux mettre en valeur ce spectacle de grande qualité, en le programmant à une période très défavorable - la salle était très loin d'être remplie -, alors qu'il aurait mérité les honneurs de la presse nationale et internationale. |
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Ornella
Inscrit le: 03 Mai 2013 Messages: 363 Localisation: Versailles
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sophia
Inscrit le: 03 Jan 2004 Messages: 22163
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Posté le: Mer Mar 12, 2014 12:21 pm Sujet du message: |
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Son répertoire est très spécifique à mes yeux - entre le caractère et le drame. Celui de Ciaravola l'était aussi, me direz-vous, mais ce n'est pas tout à fait la même chose. Elle a été fantastique dans des ballets comme Le Tricorne, dans la Manon de La Dame aux camélias... On retient moins en revanche ses prestations en Fée des Lilas ou Raymonda. Et je serais peut-être un tout petit peu moins enthousiaste que d'autres sur sa Miss Julie (même si la fin était très belle). C'est une superbe artiste - et ce sont ses qualités artistiques qui en ont fait une première danseuse (on se souvient encore de son Robbins) -, dont le talent n'est certes pas assez exploité, mais pas exactement une "ballerine" à mes yeux. Tout le monde ne peut pas l'être, une compagnie comme l'Opéra brille justement par cette richesse de personnalités, et c'est très bien ainsi. Evidemment, quand on voit le paquet de nominations/promotions discutées et discutables de ces dernières années, on pourrait tout envisager, mais en soi, je pense qu'elle est tout à fait à sa place en tant que première danseuse.
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sophia
Inscrit le: 03 Jan 2004 Messages: 22163
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Ornella
Inscrit le: 03 Mai 2013 Messages: 363 Localisation: Versailles
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paco
Inscrit le: 28 Oct 2005 Messages: 3624
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Posté le: Ven Mar 14, 2014 2:15 am Sujet du message: |
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Le Fantôme de l’Opéra rôdait ce soir à Garnier : pendant l’interlude rideau baissé entre le 1er et le 2e tableau de Mme Julie un élément de décor s’est écroulé dans un fracas bruyant, ponctué d’un cri assez terrifiant derrière le rideau. Plus de peur que de mal heureusement, après une annonce et 10 minutes d’interruption pour réparations diverses le spectacle a pu reprendre, sans apparemment qu’il y ait eu de blessé sur le plateau.
Cette deuxième représentation à laquelle j’assistais (et la dernière de la série) a été fortement ovationnée, y compris Fall River Legend, et ce fut tout à fait justifié.
Fall River Legend, dans la distribution Pujol-Raveau, m’est apparu comme un autre ballet que celui que j’avais vu la semaine dernière (Renavand-Chaillet), bien plus convaincant et captivant. Loin de la rebelle qu’incarnait Renavand, Laetitia Pujol campe une Accusée bien plus complexe : au début véritable clone de la société dans laquelle elle évolue, elle « accuse » (sans jeu de mot) progressivement le poids de celle-ci et devient de plus en plus hallucinée. Elle parcourt dès lors le plateau comme dans un deuxième monde, avec un talent exceptionnel à suggérer avec subtilité une sorte de schizophrénie. La tension avec la Mère, le poids des autres qui l’écrase, sont également nettement plus évidents et perceptibles dans la distribution de ce soir que dans celle de la semaine dernière.
En face de Laetitia Pujol, Pierre-Arthur Raveau est lui aussi l’exact contraire de ce qu’était Vincent Chaillet : là où celui-ci campait un Pasteur austère et franchement pas drôle (volontairement), Raveau apparait beaucoup plus comme le gentil garçon de bonne famille. De fait, le contraste qu’il présente avec l’Accusée glaciale et détachée du Monde est particulièrement saisissant.
Je ne sais pas dire pourquoi, mais j’ai trouvé l’interprétation de ce tandem beaucoup plus convaincante. Entre autres parce que la présence lugubre de l’Accusée-Pujol contraste cette fois de façon plus percutante avec les danses folkloriques qui ponctuent le récit. De fait, celles-ci n’apparaissent plus comme un pensum, des redondances, mais comme des contrepoints très marqués, très durs, à la détresse du personnage principal. On comprend nettement mieux pourquoi l’Accusée a commis le meurtre et contrairement à la semaine dernière ce ballet m’est apparu comme une évidence. Une longue ovation et plusieurs bouquets de fleurs ont accueilli le tandem Pujol-Raveau à l’issue de ce ballet, et c’était vraiment justifié !
Dans Mademoiselle Julie, le tandem Grinsztajn-Bezard a été une excellente surprise. Inutile de comparer à Dupont-Le Riche, ils sont très différents mais n’ont rien à leur envier dans ce ballet. Je rejoins tout à fait Haydn dans son analyse de ces deux distributions. J’ai été captivé ce soir par l’énergie et l’osmose qui se dégage du tandem Grinsztajn-Bezard, l’avant-dernier tableau fut un grand moment et les deux danseurs ont à juste titre recueilli une immense ovation.
A noter ce soir une salle presque pleine et un public où la moyenne d’âge dépassait à peine 30 ans. Côté jeunots et délire aux saluts on n’était pas loin de l’ambiance du Royal Ballet…
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Edouard
Inscrit le: 22 Fév 2012 Messages: 26 Localisation: Paris
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Posté le: Ven Mar 14, 2014 10:42 am Sujet du message: |
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J'y étais aussi hier soir. Une magnifique soirée.
C'est la chute d'un canapé accroché sur les cintres (pour la prochaine production de "L'Italiana in Algeri") sur les décors de Mademoiselle Julie qui a provoqué l'arrêt du ballet pendant 1/4 d'heure. Plus de peur que de mal.
Cela aurait pu être tragique. Les danseurs étaient perturbés (j'ai appris cela plus tard) un peu par cet événement, mais cela ne se voyait absolument pas.
Mes amis et moi nous étions très impressionnés par le jeu dramatique des danseurs dans "Fall River Legend" et particulièrement par Laëtitia Pujol et Pierre-Arthur Raveau. Mon amie m'a dit qu'elle avait "la chair de poule" à la fin de ce ballet.
"Mademoiselle Julie", c'est une tragédie naturaliste. C'est magnifique et j'aurais bien voulu revoir encore ce ballet. Je n'ai vu que cette distribution et elle était vraiment parfaite. Eve Grinsztajn mériterait d'être nommée à mon avis "Etoile". Ce qu'elle nous a montré hier était sublime. Une précision et une subtilité remarquables. Audric Bezard était très bien.
Une soirée que je n'oublierai pas de sitôt.
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paco
Inscrit le: 28 Oct 2005 Messages: 3624
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Posté le: Ven Mar 14, 2014 2:04 pm Sujet du message: |
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Edouard a écrit: |
Cela aurait pu être tragique. Les danseurs étaient perturbés (j'ai appris cela plus tard) un peu par cet événement, mais cela ne se voyait absolument pas.
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je les comprends... D'une part parce que l'accident mortel de Séville en 1992 est probablement encore dans la mémoire des artistes et techniciens de l'ONP, ensuite parce que ce type d'accident (décrochage d'un élément depuis les cintres) s'est déjà produit ailleurs avec des conséquences graves (je pense notamment au décrochage de la nacelle d'Orphée et Eurydice aux Halles de Schaarbeek lors d'une production de la Monnaie à la fin des années 80, qui avait grièvement blessé deux artistes du choeur).
A vrai dire hier soir j'ai craint le pire quand j'ai entendu ce cri derrière le rideau, j'ai été très soulagé d'entendre rapidement ensuite la voix plutôt enjouée de la régisseuse disant qu'il n'y avait que des dégâts matériels à réparer
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frederic
Inscrit le: 23 Jan 2007 Messages: 976
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Posté le: Ven Mar 14, 2014 9:16 pm Sujet du message: |
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Paco, je vous rejoins! Je ne suis pas un fan de Laetitia Pujol mais je l'ai trouvée bluffante dans Fall River Legend. Elle campe un personnage d'une incroyable complexité psychologique et elle parvient à insuffler un souffle épique à ce ballet. J'ignorais qu'elle fut une artiste aussi complète et je fais mon mea culpa.
Mademoiselle Julie m'a en revanche quelque peu déçu, non pas la chorégraphie, mais l'interprétation d'Eleonora Abbagnato qui réduit le personnage à une obsédée sexuelle sado-masochiste et Stéphane Buillion qui manque singulièrement de chair: Jean n'est pas un prince au royaume des élégances mais un domestique! [édité par la modération : inutile d'être blessant]
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frederic
Inscrit le: 23 Jan 2007 Messages: 976
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Posté le: Ven Mar 14, 2014 11:05 pm Sujet du message: |
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Vous avez la coupe sévère Haydn!
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giselle2012
Inscrit le: 19 Juin 2012 Messages: 4
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