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Lacdescygnes
Inscrit le: 10 Mar 2006 Messages: 118
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Posté le: Mar Nov 04, 2008 4:34 pm Sujet du message: |
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Pour répondre à Nabucco:
1. Sur la musique.
Non, je ne dis pas "Vive la médiocrité"! Je dis simplement que la partition, quelque soit sa qualité, me semble, dans son esprit, correspondre à l'ambiance du ballet. Et je crois que c'est là un élément important. C'est la raison pour laquelle je n'en dirais pas trop de mal. Après tout, "l'analogie" entre l'ambiance musicale et la narration n'est pas si fréquente que cela. Je ne crois pas que M-O Dupin ait eu en tête de créer une musique faite pour être écoutée "pour elle-même", hors ballet, pour être interpretée par tel ou tel grand chef, ou encore pour être originale. Dans ce contexte, et devant la cohérence que j'ai personnellement ressentie par rapport à la narration, je ne suis pas plus choquée que ça. Après je ne dis pas que j'aurais envie de l'écouter tous les jours, comme ça pourrait être le cas avec la musique de Giselle par exemple ou les partitions de Tchaikovski.
2. Sur la chorégraphie.
Je ne suis pas d'accord avec vous. Et, en repensant à Scaramouche, je trouve qu'il se dégage de ces deux ballets un esprit festif, un gout pour le spectacle et une certaine malice consistant à jouer avec l'illusion théâtrale. Je pense par exemple au retour dans le cour de danse à la fin de Scaramouche, à l'entract des Enfants du paradis, à la présence de personnages de la Commédia dell'arte. Je ressens également le plaisir de J. Martinez à jouer avec les codes du néo-classique. C'est pourquoi je ne dirais pas qu'il manque de personnalité et qu'il ne fasse qu'imiter des chorégraphies déjà connues.
Et comme l'a dit Sophia, comment faire du neuf quand tout semble avoir été fait ? Et j'ajouterais, comment, nous, spectateurs, pouvons-nous ne pas créer de passerelles entre toutes les chorégraphies que nous connaissons ?
Certains ont tout de suite pensé à La Dame aux Camélias dans la scène de bal. Personnellement, embarquée dans l'atmosphère des Enfants du paradis, je n'y ai que très furtivement pensé. Il faut peut-être se demander si ce n'est pas nous qui avons été si marqués par le ballet de Neumeier que nous croyons le retrouver dans toute scène de bal en robe XIXème.
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Cléo
Inscrit le: 21 Sep 2008 Messages: 124 Localisation: PARIS
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Posté le: Mar Nov 04, 2008 5:32 pm Sujet du message: |
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paco a écrit: |
Et c'est probablement parce-que la production était prolixe et sans contrainte de "chef-d'oeuvre absolu obligatoire" que la création était vivante et permettait de temps à autre l'émergence d'un génie ou d'une création historique. |
Tout à fait d'accord! Rappelons d'ailleurs que Giselle, lors de sa création en 1841, était elle même un collage réussi de références aux répertoires chorégraphiques et lyriques de l'époque. Cela n'avait pas échappé aux contemporains. Il y avait déjà eu des mortes maléfiques sur scène (Robert le Diable), l'opposition entre un premier acte terrestre et un deuxième acte "blanc" (La Sylphide), une scène de Folie (Nina ou la folle par amour). Pourtant le collage était réussi et le succès fut au rendez-vous.
Pourquoi a-t-il duré? Qui sait? Peut-être même pas parce que c'était le meilleur... L'engouement d'une époque? l'addition des expériences de grands interprètes?
Je rejoins Sophia sur le fait qu'il n'est parfois utile de remonter quelque chose dont le fil a été rompu, même s'il s'agissait d'un authentique chef d'oeuvre... "Corsaire" de Ratmansky m'a paru déservir l'oeuvre par une volonté de remonter tout ce qui était encore disponible au détriment de la narration. La version Kirov des années 80, pour être moins exhaustive me paraissait plus proche de la sensibilité qui avait présidé à sa création. Pierre Lacote a, selon moi, réussi sa "Sylphide" mais les autres??? J'ai vu "l'Ombre", "Coppélia" (le troisième acte qui n'est plus donné), "Giselle 1841", "Fille du Pharaon"... Plus j'en vois, plus je doute de l'authenticité de la reconstitution de la Sylphide! Pourtant, le fil de la Sylphide a été restauré. Voilà 35 ans qu'on la danse...
J'aimerais cependant, comme je viens de l'écrire dans un autre message, qu'on se penche sur un répertoire encore proche, dont le fil n'est pas tout à fait rompu, mais qui est fragile, très fragile. 
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haydn Site Admin
Inscrit le: 28 Déc 2003 Messages: 26659
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Posté le: Mer Nov 05, 2008 11:21 am Sujet du message: |
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Critique mi-chèvre mi chou de Luc Décygnes - Pierre Combescot dans le Canard enchaîné.
Le divertissement du second acte ne lui a que moyennement plu, hormis la performance d'Alessio Carbone (Frédérick Lemaître) :
Citation: |
En fait on assiste à un grand divertissement pompé sur Balanchine où il faut se gratter pour trouver quelques inventions, cependant pas désagréables car magnifiquement dansées par le leste, impertinent et spirituel Alessio Carbone. |
Il concède néanmoins à José Martinez "le sens du théâtre".
Comme c'était prévisible, Pierre Combescot a préféré la distribution qui réunissait Mathias Heymann et Eleonora Abbagnato, dont il prédit à intervalles réguliers la prochaine nomination en tant qu'étoile :
Citation: |
Ganio en Baptiste devient transparent, ce qui n'est pas le cas de Mathias Heymann dans le même rôle. [...] Eleonora Abbagnato en Garance rend du mystère à son personnage. Elle a de beaux abandons et sa variation "Tango-Tango" est torchée haut le coup de pied. |
Si Combescot me paraît sévère envers Mathieu Ganio, j'avoue que je le suivrai assez dans son appréciation de la prestation d'Eleonora Abbagnato ; j'attends avec une certaine impatience ce que va nous montrer Ludmila Pagliero ce soir, pour disposer d'un autre point de comparaison.
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haydn Site Admin
Inscrit le: 28 Déc 2003 Messages: 26659
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Posté le: Jeu Nov 06, 2008 12:02 am Sujet du message: |
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Ludmila Pagliero n'a pas déçu les attentes, et a été une Garance absolument superbe ce soir. Malheureusement, c'est sa seule et unique représentation, donc pas de séance de rattrapage pour celles et ceux qui l'auraient manquée... Très belle réussite de Mathieu Ganio également, qui s'est donné beaucoup de peine pour soigner son jeu de scène. José Martinez a par ailleurs apparemment procédé à quelques corrections supplémentaires dans sa chorégraphie, qui évolue de représentation en représentation.
Compte-rendu plus détaillé à suivre cette nuit ou demain...
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haydn Site Admin
Inscrit le: 28 Déc 2003 Messages: 26659
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Posté le: Jeu Nov 06, 2008 3:00 am Sujet du message: |
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Ce mercredi 5 novembre était l’occasion de découvrir la quatrième et dernière affiche des Enfants du Paradis. Sans qu’on puisse réellement la qualifier de distribution de «jeunes», elle réunissait des artistes qui, hormis Mathieu Ganio, ne sont pas forcément des habitués des premiers rôles.
La Garance de Ludmila Pagliero, ballerine d’origine argentine au talent fort prometteur, était attendue des amateurs, du fait de la personnalité affirmée de l’interprète.
Si, jusqu’à la scène du bal du Rouge-gorge et à son anachronique tango, Mlle Pagliero semblait quelque peu tendue, elle a ensuite pu donner la pleine mesure de son talent. La scène qui l’oppose au comte de Montray, dont elle refuse les avances et les fleurs, fut un petit bijou de musicalité et d’expressivité théâtrale. Ludmila Pagliero possède un tempérament impétueux, mais qu’elle sait borner de manière a préserver lyrisme et raffinement dans l’expression. A ses côtés, Alexis Renaud a incarné un Comte de très bonne facture, dont le classicisme un peu suranné apparaissait comme une lointaine réminiscence du film de Marcel Carné.
Mlle Pagliero a persévéré dans ses excellentes dispositions au second acte, composant un vrai personnage, qui évolue de la catin à trois sous à la bourgeoise entretenue. Le duo d’amour avec Baptiste, qui suit le bal, ainsi que la scène de la rupture et de la fuite, à la pension de Mme Hermine, sont poignants, et d’une redoutable efficacité car servis par de vrais interprètes qui défendaient une cause à laquelle ils paraissaient croire réellement. Mathieu Ganio, seule étoile présente sur le plateau, avait pour sa part beaucoup travaillé la pantomime, conférant à sa gestuelle une lisibilité exemplaire.
Autre bonne surprise de la soirée, Sébastien Bertaud, qui a très bien rendu le caractère ambigu, inquiétant, de Lacenaire. On ne peut que regretter de ne voir plus souvent ce danseur à la technique et au style remarquables. Le choix de Christelle Granier pour incarner Nathalie avait, a priori, de quoi étonner : Mlle Granier, actrice farouche, «écorchée vive» - si l’on voudra bien nous pardonner ce lieu commun – présentait un profil assez éloigné de celui des précédentes titulaires du rôle, Muriel Zusperreguy, Alice Renavand ou Mélanie Hurel. Là aussi, l’audace aura payé, et Christelle Granier s’est avérée une Nathalie sensible et aimante, sincèrement attaché à ce Baptiste qui lui échappe, obnubilé par les charmes vénéneux de Garance.
Le Frédérick Lemaître fougueux et juvénile de Julien Meyzindi était plus inégal ; sensible aux élans de Madame Hermine, il paraît n’abandonner qu’à regrets les confortables rotondités de la concierge en surchauffe pour s’en aller conquérir les improbables faveurs de Garance. Dans Robert Macaire, les manèges de grands jetés sont spectaculaires, et les pirouettes et tours en l’air parfaitement dans leur axe. En revanche, on regrettera que le côté cabotin, prétentieux du personnage, que Josua Hoffalt avait si bien rendu, soit ici négligé. Une trouvaille heureuse néanmoins – on ne sait pas trop si elle est volontaire ou accidentelle -, la spectaculaire glissade par laquelle M. Meyzindi a conclu cette scène de ballet. Que l’initiative soit délibérée ou non, l’idée est à retenir.
Dans le rôle de la Ballerine, Aurélia Bellet, que nous avions découvert lors de la représentation du 30 octobre, s’est de nouveau révélée très convaincante, rendant bien le côté superficiel, clinquant de cette héroïne pseudo-balanchinienne.
Au nombre des comprimari, on relèvera les piquantes Charline Giezendanner (Rigolette) et Charlotte Ranson (Pamela), au bal du Rouge-gorge, les sergents de ville de grand luxe interprétés par Yong Geol Kim et Vincent Chaillet, ou la toujours explosive Hermine de Caroline Bance. A l’entracte, Pauline Verdusen, favorisée par un physique adéquat, fut une Desdémone à l’allure très Shakespearienne, qui remporta un succès mérité.
On soulignera enfin que José Martinez a pris la peine de retravailler sa chorégraphie pratiquement entre chaque représentation, afin de rectifier ce qui devait ou pouvait l’être. La scène du vol de la montre – mais peut-être était-ce aussi dû à l’efficacité des interprètes – était bien mieux mise en évidence et isolée du tumulte général que lors des précédentes représentations auxquelles nous avons assisté. Le seul vrai point noir qui subsiste est l’ordonnancement du corps de ballet dans Robert Macaire, où les lignes doivent gagner en netteté. Nous persistons à croire que d’introduire dans les Enfants du paradis ce pastiche de Balanchine était une trouvaille judicieuse, mais on souhaiterait une danse plus fluide, plus tourbillonnante, plus enivrante encore, ainsi que le suggère la musique de Scarlatti. On voudrait voir ici des ensembles qui soient à même de saisir l’esprit de Diamants, voire de The Vertiginous Thrill of Exactitude, de William Forsythe.
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Lacdescygnes
Inscrit le: 10 Mar 2006 Messages: 118
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Posté le: Jeu Nov 06, 2008 9:43 am Sujet du message: |
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Personnellement, le Robert Macaire tel que je l'ai vu m'avait convenu, je ne l'aurais pas forcément vu plus tourbillonnant malgré la musique de Scarlati, mais c'est là un avis purement personnel et votre remarque ne manque pas de pertinence. Disons que tel qu'il l'est actuellement, ce morceau balanchinien que vous trouvez un peu sage permet vraiment de mettre en valeur le morceau de bravoure dévolu avant tout à Frédérick.
En tout cas merci pour vote compte-rendu Haydn! Je regrette bien de ne pas avoir vu cette représentation. Saluons encore l'initiative de José Martinez qui a mis en avant des danseurs qui le sont trop peu en général: Sébastien Bertaud, d'autres choriphées et sujets.
Quels changements avez-vous remarqués en dehors de la scène de la montre ?
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sophia
Inscrit le: 03 Jan 2004 Messages: 22163
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Posté le: Jeu Nov 06, 2008 1:28 pm Sujet du message: |
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Philippe Noisette signe un article sur Les Enfants du Paradis, qui vient d'être publié sur le site http://www.femmes.com/ . Il s'agit en fait d'une rencontre avec Agnès Letestu et José Martinez, illustrée de deux photos du ballet.
Deux étoiles au paradis
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Silk
Inscrit le: 01 Déc 2006 Messages: 165
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Posté le: Jeu Nov 06, 2008 5:55 pm Sujet du message: |
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"...Une trouvaille heureuse néanmoins – on ne sait pas trop si elle est volontaire ou accidentelle -, la spectaculaire glissade par laquelle M. Meyzindi a conclu cette scène de ballet. Que l’initiative soit délibérée ou non, l’idée est à retenir..."
Ayant découvert les "Enfants du Paradis" lors de la représentation du 4 Nov., je me demandais si la glissade d'Alessio Carbone pour conclure cette même scène du ballet était volontaire ou non ? Je crois, Haydn, que vous m'en donnez la réponse...
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maraxan
Inscrit le: 24 Nov 2006 Messages: 600
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Posté le: Jeu Nov 06, 2008 7:00 pm Sujet du message: |
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Cette représentation était vraiment très différente des autres même s'il est vrai que ça "travaille" de jour en jour et qu’aucune ne se ressemble. Les danseurs d’hier se sont jetés corps et âmes sur l’histoire et cela donnait vraiment un regard neuf et un spectacle très en relief, de par leurs choix interprétatifs. Le ballet prenait alors des aspects très théâtraux.
La Garance de Ludmilla Pagliero est assez difficile à cerner. Plutôt réservée au début, (même dans le tango), elle s’est dévoilée très exacerbée dans le pas de deux final, comme en souffrance alors que les autres profitaient un peu du bonheur… Là où Eleonora Abbagnato est beaucoup linéaire, fataliste, du début à la fin avec une interprétation très fine et très ambiguë, elle est plus ouverte mais c’est Isabelle Ciaravola qui est pour moi la plus simple, sa composition très naturelle, plus femme libre qui ne se pose pas de questions et aussi très à l’aise avec son partenaire… Hier, Mathieu Ganio avait moins d’évidence dans les pas de deux qui étaient toute harmonie et concouraient à l’histoire avec Isabelle Ciaravola, et donc, mais j’imagine surtout si on a vu le premier duo, on se posait quand même quelques questions, un peu comme avec le partenariat Eleonora Abbagnato/Mathias Heymann… Avec le comte, mais c’est vrai Alexis Renaud a joué l’effacement et la distance, Ludmilla Pagliero est plutôt indifférente, ils rendent bien ce couple qui n’en est pas un, mais du coup, le comte apparaît un peu terne, trop passif. Christophe Duquenne et Aurélien Houette arrivent mieux à faire ressortir les facettes du comte, amoureux ou peut-être plus désir de possession et donc le pouvoir, la colère (il tue les hommes qu’il suspecte de courtiser Garance dans le film !) et la cruelle désillusion, l’humiliation (même si Alexis Renaud crie plus fort !)
Il me semble aussi que c'est Alessio Carbonne a initié la glissade de Robert Macaire… ce qui n’enlève rien au Frédérick Lemaître de Julien Meyzindi, très en verve et très affirmé, même s’il n’a pas la fluidité du précédent… Il a vraiment "joué" le cabot total et réussit très bien à restituer Frederick Lemaitre dans ses aspects d’acteur égocentrique mais aussi de gentil et bon enfant (il faut dire que Julien Meyzindi a un sourire désarmant)… alors que les autres sont peut-être plus totalement exaspérants, ce qui est savoureux d’ailleurs chez Josua Hoffalt…
Le Lacenaire de Sébastien Bertaud est jubilatoire, aussi très différent des deux autres (Vincent Chaillet et Benjamin Pech) … Il restitue parfaitement la complexité du personnage, méprisant pour un monde qui l’a rejeté mais il montre aussi très bien sa recherche de reconnaissance… La promenade dans les couloirs et dans les loges de Garnier pendant l’entracte était parfaitement bien sentie à ce propos, avec les poses de dandy un peu distant à rapporter aux petits signes de la main vers d’improbables amis qui le tirent vers son désir (inabouti) de mondanité. Puis les tics nerveux qui reviennent sur scène dès que quelque chose ne va pas, ses regards et son cheminement dans les coins de la scène avec une démarche sournoise… Sébastien Bertaud n’a pas les jambes interminables de Vincent Chaillet qui sont spectaculaires dans les soli et qui dépeignent un Lacenaire, sec et nerveux, mais il a dans sa danse une vélocité et une agressivité qui révèle la noirceur du personnage, pour le coup, il parle vraiment avec son corps, une démonstration dans le genre.
Je crois que ces Enfants du Paradis font aussi énormément plaisir pour cela. Il y a une générosité dans la chorégraphie et la mise en scène qui se transfère chez les danseurs, une certaine ambiance de groupe et hier, c'était très exalté!
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sophia
Inscrit le: 03 Jan 2004 Messages: 22163
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Posté le: Ven Nov 07, 2008 2:28 am Sujet du message: |
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C’est la troisième fois que j'assistais à une représentation du ballet de José Martinez (j’ai pu voir les distributions Ciaravola/Ganio et Grinsztajn/Bouché au tout début de la série) et j’avoue que la distribution du 5 novembre est la meilleure de celles que j’ai vues (et que je verrai du reste). La meilleure de loin, je n'en sais rien, mais quitte à en étonner certains, je trouve que Ludmila Pagliero est la seule qui ait vraiment compris toute l’ambivalence du personnage de Garance et à lui avoir donné forme. Bien sûr, elle est loin d’avoir l’expérience scénique de ses collègues, et cela se voit - pourquoi ne pas le dire ? – mais pour le reste, la finesse de son interprétation, son sens des nuances, son intelligence de la progression dramatique sont à louer sans réserves.
Si l’on en revient au modèle imposé par Arletty (et là encore, je fais référence à un film qui, en-dehors de la curiosité pour l’histoire et le patrimoine, ne me plaît pas à bien des égards), il ne faut pas se méprendre : on ne demande pas à une danseuse de lui ressembler physiquement, ce qui serait le comble de l'absurde et du terre à terre, on lui demande de faire croire par des moyens théâtraux au personnage de Garance - à son caractère et à son évolution - tel qu’Arletty l’incarne dans le film, puisque tel est le modèle revendiqué, et du reste respecté, par José Martinez, dont le ballet n’offre pas une relecture, mais bien une adaptation fidèle du propos du film. Or donc, si l’on en revient au film, Garance n’est pas ce qu'on appelle couramment une beauté, du moins pas au sens classique! Et Ludmila Pagliero, justement, ne joue pas le stéréotype de la belle fille du peuple, un peu froide, un peu poseuse, qui s’amuse des hommes tout en succombant à leurs charmes… Dans les premières scènes, tango inclus, la tension et la retenue étaient certes palpables dans son jeu et sa danse, mais par la suite, tout s'est libéré et elle a réussi à donner une couleur particulière à chaque scène - par un détail, un regard, un geste – ainsi qu'une consistance à un rôle qui pour moi n’en avait pas vraiment jusque-là. Après tout, Garance, ce n’est pas que le film de Carné, c’est aussi une sorte de mythe français, celui de la Juive dont parle Baudelaire, la fille de nulle part, la femme-enfant, bizarre et un peu fatale, mi-théâtreuse mi-courtisane… Bref, j’ai adoré successivement chez Melle Pagliero le caractère de séductrice, le côté grande dame indifférente et ennuyée au second acte, puis l'abandon amoureux, et la grandeur finale sans effet au moment où Nathalie découvre l’infidélité de Baptiste, autant d'éléments qu'elle a su imprimer au rôle… Et tout simplement aussi une simplicité et une fraîcheur que je n'avais pas perçues jusque-là chez les autres interprètes. De plus, chaque duo, avec Baptiste, Frédérick ou le Comte, était investi d’une personnalité et d'une couleur qui le différenciaient du précédent, du moins autant que la chorégraphie le lui permettait.
Il faut redire également combien la prestation de Mathieu Ganio en Baptiste est une réussite. Le ballet de Martinez lui permet de composer un personnage complexe, drôle et attachant, mais aussi outrancier et un peu ridicule. La poésie de son personnage - le cliché du doux rêveur et de l'Amoureux de la Lune - n'est jamais unilatérale, mais au contraire teintée d'ironie et de second degré. Son interprétation a du reste su mûrir et évoluer, lui permettant de se libérer vraiment, sans crainte de se départir de sa belle image de danseur lisse et parfait. Ainsi, de son solo dansé, à la fois déchirant et aux limites du grotesque... Voilà ce qu'est que la scène, et voilà ce que l'on aime... Si seulement on pouvait voir ce flot jaillir un peu plus souvent à l'Opéra...
Le Frédérick Lemaître de Julien Meyzindi, bien qu'un peu juvénile, réservait aussi de belles surprises, notamment dans le divertissement du second acte. Il est certes objectivement moins virtuose qu'Alessio Carbone (qui a par ailleurs pris une sacrée bouteille, pour parler de manière triviale, depuis qu'il a quitté l'Opéra...), inégalé jusqu'ici sur le plan de la technique pure et des qualités scéniques, mais il fait sans aucun doute ressortir davantage le côté ridicule, cabotin et insupportable du personnage, moins évident à percevoir chez Carbone, comique mais au fond un peu trop "gentil" ou noble... Aurélia Bellet l'accompagnait de manière convaincante dans le rôle de la Ballerine, livrant une prestation donnant délibérément dans le show et le glamour à l'américaine. Bien sûr, ce n'est jamais assez, et l'on en voudrait encore plus...
Parmi les seconds rôles, on aura apprécié le Lacenaire nerveux et agressif de Sébastien Bertaud, ressorti des placards pour l'occasion, alors qu'il mériterait d'être davantage mis en avant. Caroline Bance reste une Madame Hermine impeccable, débridée et vulgaire juste ce qu'il faut. Pauline Verdusen, enfin, séduit par son étonnant physique préraphaëlite, si évocateur dans le petit rôle de Desdémone, qui doit procurer bien des frissons sur le marbre glacé du Grand Escalier...
Le corps de ballet, comme cela a été souligné plus haut, reste tout de même le gros point noir, à l'occasion du divertissement du début du second acte, et, dans une moindre mesure, lors de la scène du bal. Si le désordre est délibéré dans les autres tableaux, mettant en scène un peuple en liesse ou une foule carnavalesque, dans ces épisodes "nobles", l'ordre se doit évidemment de prévaloir au premier chef. Par ailleurs, dans ce passage de "théâtre dans le théâtre" qui n'est qu'en apparence déconnecté de la narration, on ne peut pas dire que la mission du corps de ballet soit de faire de la simple figuration. Il y est mis en valeur au même titre que les solistes, et y joue pleinement son rôle traditionnel de "choeur". Mais à vrai dire, la géométrie approximative des ensembles et un certain laisser-aller musical évoqueraient plutôt l'Ambigu-Comique que le Théâtre Français... Pour terminer, le caractère sombre des costumes, et plus encore les éclairages relativement limités, ne me paraissent pas forcément très adéquats à ce moment-là. C'est au contraire une lumière éclatante, et des lustres dégoulinants de cristal qu'il nous faudrait ici (dans le style Thème et Variations et pastiche du ballet impérial) pour que l'illusion et le mécanisme du "théâtre dans le théâtre" jouent à plein... Il est toutefois possible que je m'égare et que le côté artisanal et fait à l'économie de la scénographie, avec ces tutus un peu tristes en papier journal, soit délibéré, parce que plus évocateur des théâtres populaires du Boulevard du Crime dont il est question dans le ballet (il y aurait ainsi une rupture de style marquée entre Robert Macaire, le mélodrame populaire, et Othello, tragédie noble représentée de fait sous les ors du Grand Escalier)...
Bref, au regard de l'évolution notable du spectacle et des apports conjugués des différents interprètes, on espère que les prochaines reprises nous apporteront d'agréables surprises... En attendant, les représentations ont montré que ce ballet avait du mal à tenir seul, sans des interprètes investis, jouant jusqu'au bout le jeu de la théâtralité (j'aurais envie de dire, "sans crainte du ridicule"). C'est cet aspect qui doit à mon sens être approfondi et davantage nourri, car la danse pure demeure au fond presque secondaire (et à cet égard, il n'y a aucune virtuosité technique de taille à démontrer pour les artistes, sauf dans le cas particulier de Frédérick). C'est déroutant pour le public et pour les danseurs, mais c'est peut-être cela la nouveauté apportée par Martinez...
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haydn Site Admin
Inscrit le: 28 Déc 2003 Messages: 26659
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Posté le: Ven Nov 07, 2008 6:19 pm Sujet du message: |
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Mathieu Ganio sera Baptiste aux côtés d'Eleonora Abbagnato samedi 8 novembre à 14h30, en lieu et place de Mathias Heymann. Par ailleurs, c'est Sébastien Bertaud qui tiendra le rôle de Lacenaire au cours de cette même représentation.
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Antonin B.
Inscrit le: 08 Nov 2008 Messages: 13 Localisation: Paris, France
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Posté le: Sam Nov 08, 2008 8:56 pm Sujet du message: |
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Bonjour,
J'ai assisté à une des représentations avec Mlle Ciaravola et Mr Ganio.
Je précise que je suis au départ grand amateur d'Opéra, je suis venu à la danse assez tard, presque par hasard, mais désormais j'assiste assez régulièrement à des ballets, à Garnier et ailleurs. Je me suis bcp documenté sur le sujet, mais je n'ai certainement pas les connaissances de certain(e)s ici et je ne pourrais entrer dans les détails comme vous le faites.
Je vous lis depuis un moment car ce site est pour moi source d'apprentissage. Donc, merci
Alors, ces enfants du Paradis... je manque de temps pour lire tous les commentaires en détails... au risque de répéter des choses déjà dites, je vous livre, rapidement, mon sentiment :
Une belle pièce au cours de laquelle je ne me suis jamais ennuyé, tant il y a à voir, parfois trop, c'est vrai. Beaucoup aimé les 2 interprètes principaux : elle, dans la grâce, personnage habité, brio, et ces jambes sublimes... Une danseuse sensible et intelligente, elle EST Garance. Sa technique n'est pas la meilleure du monde, peut être, mais suffisante pour ne provoquer ni déplaisir ni accrochages grossiers (comme chez d'autres). Lui, intéressant, émouvant, très belle danse (même si elle est rare ici, large part au mime et à l'interprétation), et compréhension totale du personnage. Bref, j'y ai cru, j'ai vécu leur histoire, et j'ai éprouvé bcp de plaisir à les voir évoluer. Touché. Et c'est déjà bcp. Ensuite, beaucoup d'interprètes m'ont enchanté, la chorégraphie, sans être spécialement inventive il me semble, est intéressante et bien maîtrisée. Ce chorégraphe me plaît aussi par sa générosité envers les danseurs - un sentiment très personnel, difficile à expliquer en deux mots.
Pour le reste : beaux décors, j'aime bien, les atmosphères sont bien rendues. Théâtre dans le théâtre, éléments de décor retournés, tout celà fonctionne. Costumes : magnifiques, sûrement, mais 10 fois trop. ça m'a rappelé une représentation de la Dame aux Camélias où, de la même façon, l'abondance de costumes et le nombre de changements frisait le ridicule... fichtre, nous ne sommes pas à un défilé à Garnier ! ça n'a pas beaucoup de sens, je trouve. Restons concentrés, c'est de danse dont ils s'agit... Enfin, la musique, eh bien étant grand amateur de musique et d'Opéra, j'ai beaucoup souffert. Je n'en dirai pas davantage. Quand les chorégraphes et balletomanes voudront bien comprendre que la musique d'un ballet ne devrait pas être un vague accompagnement, mais bien un élément constitutif du ballet, la danse en sortira grandie... et les chefs d'orchestre et musiciens auront peut être un peu plus d'enthousiasme pour jouer les partitions servant un ballet. Bref, quand la danse sera servie par une musique digne de ce nom, c'est tout le système qui se trouvera tiré ver le haut...
Voilà, quelques mots rapides...
A bientôt.
_________________ Le regard ne s'empare pas des images, ce sont elles qui s'emparent du regard. Elles inondent la conscience.
F. Kafka
Tout vrai regard est un désir
A. de Musset
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Antonin B.
Inscrit le: 08 Nov 2008 Messages: 13 Localisation: Paris, France
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Posté le: Sam Nov 08, 2008 9:00 pm Sujet du message: |
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Précision/bilan : J'ajoute que mon sentiment global sur ce ballet demeure positif, en dépit de la musique, et je le recommanderais à mes amis.
Si j'osais, je conseillerais quand même à M. Martinez de densifier son propos, de raccourcir un peu l'oeuvre qui a tendance à se "dilater", il y a des longueurs, non pesantes, mais des longueurs. Quelques coupes renforceraient l'ensemble, je crois.
_________________ Le regard ne s'empare pas des images, ce sont elles qui s'emparent du regard. Elles inondent la conscience.
F. Kafka
Tout vrai regard est un désir
A. de Musset
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haydn Site Admin
Inscrit le: 28 Déc 2003 Messages: 26659
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Posté le: Sam Nov 08, 2008 9:58 pm Sujet du message: |
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Bienvenue Antonin B.
Nous sommes loin d'être tous des "spécialistes" ici, et je suis moi-même passé par la musique avant de porter mon intérêt sur la danse.
Question musique justement, je serais quand même porté à une certaine indulgence envers ces "Enfants du Paradis", ayant entendu tellement pire... Marc-Olivier Dupin est quand même quelqu'un qui connait son métier, et l'ensemble se tient, même s'il n'y a là dedans rien qui ambitionne à révolutionner quoi que ce soit. C'est de la musique "utilitaire", essentiellement tonale, mais assez efficace. Maintenant, ainsi que je l'ai déjà dit, lorsqu'Abou Lagraa avait choisi une œuvre de Gérard Grisey - pour le coup pas complaisante du tout - pour servir d'accompagnement au Souffle du temps, créé à l'ONP en mars 2006, de nombreux balletomanes avait aussi poussé des hauts cris, trouvant cela trop avant-guardiste... difficile de contenter tout le monde dans ces conditions.
Curieusement, Episodes, de Balanchine, que le New York City Ballet avait présenté à l'Opéra Bastille en septembre dernier, a reçu un accueil assez bon, alors qu'il y a quand même pas mal d'amateurs de danse classique qui trouvent que Webern sonne déjà de manière trop audacieuse à leurs oreilles...
Alors, imaginons que vous ayez la possibilité de confier la composition de la musique d'un nouveau ballet à un musicien actuel, qui choisiriez-vous, Antonin?
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akhmatova
Inscrit le: 27 Mar 2007 Messages: 341
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Posté le: Sam Nov 08, 2008 10:46 pm Sujet du message: |
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Je suis contre cette dichotomie qui veut que la musique moderne de qualité se doit d'être a-tonale, électronique et que sais-je d'autre, et la musique tonale mélodieuse est d'une moindre qualité.
Personnellement, j'ai trouvé que la musique du ballet manquait cruellement de mélodie. Je ne tiens pas Minkus pour un grand compositeur, mais sa musique est efficace, et quand on sort du ballet (La Bayadère ou Don Quichotte ) il y a toujours une phrase musicale qui vous hante pendant quelque jours.
La musique de Marc-Olivier Dupin ne m'a pas laissé aucune trace une fois la dernière note achevée.
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