Thierry Malandain et le Ballet Biarritz à Chaillot

[haydn]

Signalée par Criticaldance, la venue de Thierry Malandain au Théâtre National de Chaillot lors du week-end de l'Ascension, les 26, 27 et 28 mai prochains. Au programme, Les Créatures, une chorégraphie de Thierry Malandain sur la musique des Créatures de Prométhée, de Beethoven. La chorégraphie originale de Salvatore Vigano étant perdue, d'autres, et notamment Serge Lifar, s'étaient risqués à proposer leur vision de ce célèbre ballet du romantisme naissant.

C'est en tout cas une occasion de découvrir le travail de Thierry Malandain, qui sera l'hôte du Palais Garnier au début de la saison prochaine.

[haydn]

Je reviens du spectacle de Thierry Malandain, et l'on ne peut que vous recommander d'y aller. Le gratin de l'Opéra de Paris (Brigitte Lefèvre et de nombreux danseurs, dont toute une pléïade d'étoiles) s'était déplacé pour cette première de Prométhée, et même si certains partis-pris du chorégraphe peuvent se discuter, c'est un excellent spectacle qui vaut la peine d'être vu. Il reste encore deux représentations, donc, tous à Chaillot, si vous êtes parisiens ou de passage dans la capitale!

[kreul]

J'ai enfin découvert le travail de Malandain... après de multiples lectures de critiques on ne peut plus admiratives de ses chorégraphies.
Il y a de beaux moments (les Willis, l'adage à la rose...), traités avec humour, mais beaucoup de temps chorégraphiques ennuyeux. La musique est trop pesante et présente sur ce ballet et, à certains moments, elle enferme les danseurs dans leur gestuelle.
J'ai préféré les mouvements de groupes aux PDD.
je ne regrette pas mais je n'ai pas fait LA découverte chorégraphique de l'année...

[haydn]

En ce qui me concerne, Kreul, j'ai vraiment beaucoup apprécié ce spectacle, et comme promis, je vous livre un compt-rendu un peu plus détaillé :



Les Créatures, ballet librement inspiré des Créatures de Prométhée de Salvatore Vigano et Ludwig van Beethoven, porté à la scène en 2003 par Thierry Malandain et la troupe du Ballet Biarritz, à eu les honneurs du Théâtre de Chaillot le temps de trois représentations parisiennes. Le public aura pu se convaincre du bien-fondé de l’excellente réputation dont jouissait déjà cette production.

Thierry Malandain a fait un pari difficile, celui de traiter son sujet – en partie du moins – par l’humour et la dérision, ce qui n’est pas sans engendrer un rapport quelque peu conflictuel avec la musique, Beethoven étant pour sa part, un personnage dépourvu de toute vis comica…

Le chorégraphe a d’ailleurs pris quelques libertés avec la partition, l’ordre des numéros ayant été modifié et, en guise de finale, a été ajouté la cantate Meerestille und glückliche Fahrt opus 112. Le décalage est (volontairement sans doute) encore accentué par le choix de l’interprétation retenue pour la bande-son des Créatures de Prométhée, d’un romantisme assez échevelé et très «premier degré» (apparemment la version de David Zinman avec le Rochester Philharmonic, si nos oreilles ne nous ont pas trahies).

Pourtant, tout le travail de Thierry Malandain révèle une compréhension profonde de l’ouvrage de Beethoven et de ce qui reste de l’argument de Salvatore Vigano.

Les ensembles sont particulièrement bien réussis et toujours en parfaite symbiose avec la musique. On admirera tout particulièrement la façon dont la danse restitue, dans ce qui est le «vrai» final du ballet d’origine, le fugato composé par Beethoven, avec les entrées en imitation concrétisées ici par des déboulés successifs. Le geste contribue ici véritablement à la lisibilité de la partition.

L’on pourra s’amuser des allusions aux grandes œuvres du répertoire romantique (Giselle, La Belle au bois dormant), joyeusement parodiées. Loïe Füller et Isadora Duncan font elles aussi les frais de ce pastiche ; d’autres références sont plus discrètes, mais peut-être plus importantes et pertinentes aussi, comme cette ronde qui évoque Le Sacre du printemps au moment même où – si l’on en revient à la partition originelle – Prométhée va ressusciter sur l’intervention de Thalie, et où les deux créatures du Titan prennent conscience de leur amour réciproque – et donc de leur «humanité» (tout comme Prométhée lui-même, qui sait à présent qu’il est mortel).

Les pas de deux dévolus aux deux «créatures», que M. Malandain a choisi de dépeindre sous les traits d’Adam et d’Eve, ont un caractère intimiste qui s’oppose à la vivacité des grands ensembles, et sont travaillés dans un esprit presque «Biedermeyer», ce style viennois qualifié de «petit-bourgeois» par ses détracteurs, quasi-contemporain du Beethoven de la maturité.

A dessein, le chorégraphe rappelle dans ses notes d’intentions, que si les Créatures de Prométhée ont été initialement représentées à la Burgthetater de Vienne en 1801, lors de leur reprise à Milan en 1813, Salvatore Vigano ajouta à la partition des extraits de La Création de Haydn. Et c’est bien dans l’esprit de La Création – découverte «naïve» et réciproque de la femme et de l’homme, dans leur esprit et dans leur chair – que s’inscrit cette intrusion d’Adam et Eve dans le Prométhée de Thierry Malandain.

Mais si Beethoven et Vigano persévèrent dans leur foi en une humanité éclairée par les arts, et douée d’un indéfectible génie créateur (les allusions maçonniques sont claires), T. Malandain conclut sa relecture par une vision beaucoup plus pessimiste de l’avenir de l’Homme. Adam et Eve se transforment en Abel et Caïn, précipités dans la tourmente par leur combat fratricide. Et, dernière ironie, le ballet se conclut comme évoqué plus haut sur les harmonies de Meerestille und glückliche Fahrt : mer calme et voyage heureux, certes, mais dans l’au-delà. Comme en 1815, c’est un monde qui s’effondre aujourd’hui.


Cette très belle chorégraphie aurait toute sa place sur la scène du Palais Garnier – avec un vrai orchestre cette fois. Et pourquoi ne pas s’aventurer a donner en une même soirée, Les Créatures de Thierry Malandain, suivies des Créatures de Prométhée dans la version de Serge Lifar, qui, rappelons-le, fut à l’origine de la nomination du Maître à la direction du Ballet de l’Opéra de Paris.

[kreul]

Personnellement, si j'acquiesce beaucoup beaucoup de vos remarques (éloges), je confirme que le rapport avec la musique n'est pas ou mal exploité.
Ce ne sont pas quelques sauts sur des notes qui permettent de conclure à une bonne étude de la musique. A.T. de Keersmaeker, qui excelle dans la lecture chorégraphique d'oeuvres musicales arrive à vous faire entendre la partition de façon différente et/ou inhabituelle. Ce travail n'a pas été exécuté par Malandain. Le reste est agréable à voir...

[haydn]

Nous aurons donc le droit de ne pas être d'accord sur tout, Kreul!

[Aurore]

AFP 27.05.06 | 03h17

Première visite parisienne fructueuse pour le néoclassique Ballet Biarritz

Le Ballet Biarritz, Centre Chorégraphique National (CCN) atypique qui
revisite avec panache l'histoire de la danse et sa grammaire classique,
s'est produit vendredi soir pour la première fois à Paris, dans une
pièce à succès de son répertoire, "Les Créatures". Quelques heures
auparavant, son directeur le chorégraphe Thierry Malandain, avait profité
de ce séjour parisien pour signer au ministère de la Culture un protocole
d'accord confirmant les missions de cette compagnie, dernier né des 19 CCN
(en 1998) avec celui de Maguy Marin à Rillieux-la-Pape (Rhône). Créé
en juin 2003 à Biarritz et présenté depuis en tournée jusqu'à New
York, l'oeuvre donnée vendredi au Théâtre National de Chaillot, qui
l'accueillera à nouveau samedi (20H30) et dimanche (15H00), a pour
matière sonore l'unique musique de ballet de Beethoven, "Les Créatures de
Prométhée". Mais "au mythe prométhéen de la création de l'Homme",
Thierry Malandain confie avoir "préféré le récit de la Genèse,
imaginant que le Dieu de l'Ancien testament anima ses créatures du feu
sacré de la Danse". Le ballet parle donc de la gestation de l'art
chorégraphique en même temps que des premiers pas de l'humanité. Avec un
regard sur le passé à la fois très respectueux et également
distancié qui évoque parfois l'humour d'un Jiri Kylian, Thierry Malandain
fait virevolter les jupes à paniers baroques, pastiche le "ballet blanc"
(noir, ici) romantique et compose avec les tutus courts de Marius Petipa.
L'entrée d'une silhouette à l'allure divine jouant de voiles amples avec
ses bras, à la Loïe Fuller, ainsi qu'un solo très fluide, beau comme
l'antique, inspiré de l'art d'Isadora Duncan offrent des moments de
grâce. Et la terreur qui se lit dans les tressaillements des corps, à
l’épisode de la pomme et du serpent, produit un effet saisissant. Les 13
danseurs, vêtus à l'identique sans distinction de sexe, séduisent par
leur unité et leur énergie collective, toujours à l’écoute d'une
musique dotée d'une grande force dramatique. Ancien danseur formé au
classique, Thierry Malandain, 47 ans, a pris la direction du CCN de
Biarritz à sa création, après avoir animé pendant douze ans la
compagnie Temps Présent, d'abord à Elancourt (Yvelines) puis à
Saint-Etienne. Le protocole d'accord signé vendredi pour la période
2006-2008 s'inscrit dans le cadre d'un partenariat Etat-collectivités
locales, qui a permis la constitution à Biarritz d'une compagnie de 16
danseurs permanents encadrés par deux maîtres de ballet. Le CCN, Prix
culture 2005 de la Fondation Sabino Arana de Bilbao (Espagne), s'est aussi
engagé dans un programme de coopération transfrontalière qui a fait
naître un Ballet Biarritz Junior. Un projet de résidence de la compagnie
principale au Théâtre Victoria Eugenia de Saint-Sébastien (Espagne) est également à l’étude.
Thierry Malandain, qui a écrit au cours de sa carrière une
soixantaine de chorégraphies, créera en octobre prochain (du 9 au 28 )
pour le Ballet de l'Opéra de Paris "L'Envol d'Icare", dans le cadre d'un
programme en hommage à Serge Lifar.