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27 mars
2009 : Roméo
et Juliette au Ballet National de Bordeaux
Le Bal des
Capulets
La nouvelle production de Roméo
et Juliette,
signée de Charles Jude, constituait sans conteste le point
culminant de la saison 2008-2009 au Ballet National de Bordeaux.
La chorégraphie et la scénographie de ce ballet
à
grand spectacle portent évidemment l’empreinte de
Rudolf
Nouréev, dont Charles Jude est un peu le fils spirituel.
Cette
filiation est surtout perceptible dans le traitement des ensembles, et
l’écriture fouillée des pas. Mais si
continuité il y a, certaines ruptures sont aussi
marquées.
La version – ou plutôt les versions - de Rudolf
Nouréev étaient elles-mêmes largement
influencées par celle de Kenneth MacMillan, que le
célèbre danseur avait créée
aux
côtés de Margot Fonteyn.
L’intérêt
principal se portait alors sur les pas de deux mettant aux prises les
jeunes amants de Vérone. Charles Jude octroie, lui, la part
du
lion au corps de ballet, qui devient du coup – volontairement
ou
non – le principal protagoniste de la tragédie
shakespearienne. Tout l’espace offert par la scène
du
Grand Théâtre de Bordeaux est occupé en
quasi
permanence, ce qui renforce indéniablement
l’impression
d’opulence que dégage ce Roméo et Juliette.
Pour ce faire, vingt danseurs supplémentaires ont
d’ailleurs été recrutés pour
accroître
temporairement l’effectif de la troupe girondine ; ce
n’est
pas un mince exploit que d’être parvenu
à faire
tenir autant de monde – auquel il convient
d’ajouter des
figurants et des artistes de cirque pour la scène du Bal des
Capulet, au premier acte – sur un plateau dont les dimensions
ne
sauraient être comparées à celles du
Royal Opera
House ou de l’Opéra Bastille.
Les mouvements d’ensemble sont fort bien
réglés et
contribuent à donner à l’ouvrage une
dynamique
haletante, une tension continuelle qui ne se résout que dans
la
scène ultime, avec la mort de Roméo et de
Juliette. Ce
choix est d’une redoutable efficacité sur le plan
théâtral mais tend presque à
marginaliser les
scènes d’amour. La lutte impitoyable qui oppose la
faction
des Capulet à celle des Montaigu prévaut sur
toute autre
considération, et le drame intime est
relégué au
second plan.
Igor Yebra
(Roméo)
L’interprétation abonde dans le même
sens : le
couple principal, formé d’Emmanuelle Grizot et
d’Igor Yebra, se refuse
délibérément aux
épanchements lyriques ; les effusions sont
systématiquement contenues au profit d’une chaste
distance, et l’on frise parfois une certaine
brutalité,
comme dans la scène de la Chambre, au début du
troisième acte. Igor Yebra semble par ailleurs mis en
difficulté ici ou là dans les portés
par la taille
de sa partenaire – rappelons qu’il devait
initialement
danser avec Oksana Kucheruk. Mlle Grizot est pour sa part une Juliette
douée d’une fort belle technique, qui pirouette
avec
autant de vivacité que de propreté et
possédant
par ailleurs une autorité certaine.
L’excellence de certains personnages
«secondaires»
confirme elle aussi la prééminence de la vendetta
familiale sur les autres aspects de l’œuvre. On
citera tout
d’abord le remarquable Mercutio de Roman Mikhalev, veule et
débordant d’énergie. La morphologie de
ce danseur
solidement charpenté convient parfaitement à
l’incarnation d’un bretteur fanfaron et batailleur,
et M.
Mikhalev peut faire valoir toutes ses qualités
athlétiques dans de spectaculaires manèges.
Emmanuelle
Grizot (Juliette) - Ludovic Dussarps (Le Père de Juliette)
Le
père de
Juliette, incarné par Ludovic Dussarps, vient lui aussi
prendre
une importance assez inattendue, en raison de la forte
personnalité de l’artiste. D’une
expressivité
sombre, tourmentée, M. Dussarps évoque quelque
Othello
égaré à Vérone. Il semble
immédiatement conscient du destin tragique qui guette sa
fille,
et chacune de ses apparitions vient ponctuer la sinistre progression du
drame avec une intensité croissante, devenant ainsi
l’un
des principaux moteurs de l’action
théâtrale.
Autre belle actrice, Laure Lavisse, truculente nourrice aux airs de Mrs
Quickly. Cette joyeuse commère brûle les planches
avec un
aplomb et un enthousiasme qui font plaisir à voir, et vient
apporter quelques moments de détente bienvenus au milieu de
cette débauche de passion, de fureur et de sang. Mlle
Lavisse
est une danseuse pleine de charme, tout à son aise dans des
rôles comiques ou d’ingénue : on ne peut
qu’espérer pour elle qu’une certaine
Fille mal
gardée retrouvera, dans un avenir proche, la
scène qui
l’a vu naître…
On mentionnera également le Tybalt fin et racé
d’Alvaro Rodriguez Piñera, qui, dans le
rôle-fétiche de Charles Jude, se voit confier la
dure
tâche de tenir la garde face au Mercutio explosif de Roman
Mikhalev.
Emmanuelle
Grizot (Juliette)
Enfin, on soulignera la prestation soignée de
l’Orchestre
National de Bordeaux Aquitaine, placé sous la direction
d’Ermanno Florio. Des compromis ont certes
été
nécessaires pour s’accommoder de
l’exiguïté de la fosse d’un
théâtre construit à
l’âge des
Lumières, et qui n’avait évidemment pas
été conçu pour accueillir les
formations immenses
requises par les compositeurs des deux siècles à
suivre.
Néanmoins, les déséquilibres entre les
cuivres et
une section de cordes à l’effectif
réduit par la
force des choses ont été assez habilement
contenus, et le
lyrisme et la puissance évocatrice de la magnifique
partition de
Prokofiev sont demeurés intacts.
R. F. ©
2009,
Dansomanie
Roméo
et Juliette
Musique : Serge Prokofiev
Chorégraphie : Charles Jude
Direction
musicale : Ermanno Florio
Roméo
– Igor Yebra
Juliette – Emmanuelle Grizot
Mercutio – Roman Mikhalev
Tybalt – Alvaro
Rodriguez Piñera
Benvolio
– István Martin
Rosalinde – Stéphanie Roublot
Pâris – Marc-Emmanuel
Zanoli
Pâris
– Laure
Lavisse
Le Père de Juliette –
Ludovic Dussarps
Le
Père de Roméo –
Louis Marteau
La
Mère de Roméo –
Laurine Martin
Le Prince de Vérone / Frère Laurent –
Vincent Dupeyron
Ballet National de Bordeaux
Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine
Vendredi
27 mars
2009, Grand
Théâtre de Bordeaux
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