|




|

 |
|
|
Entretien : Cathy Marston,
chorégraphe
Cathy Marston et Christopher Wheeldon sont cette année les
chorégraphes conviés par le Prix de Lausanne pour
renouveler le répertoire des variations contemporaines
proposées aux candidats. Deux jeunes chorégraphes
britanniques, issus de la Royal Ballet School, succèdent
ainsi aux noms prestigieux de Jiří Kylian et de John
Neumeier, responsables successivement de la partie contemporaine lors
des quatre dernières éditions du Prix.
Au quatrième jour de la compétition, l'actuelle
directrice du Ballet de Berne vient en personne assister aux
répétitions sur scène et apporter ses
corrections aux candidats ayant choisi l'une de ses variations, qu'elle
préfère au demeurant appeler "solos". Une
première l'attend le soir même à Berne.
De retour à Lausanne pour la phase des
sélections, c'est dans l'atmosphère d'attente
inquiète précédant la proclamation des
résultats qu'on la rencontre de manière
impromptue pour quelques petites questions sur ses
chorégraphies.
Vous
êtes peu connue en France en tant que chorégraphe,
comme d'ailleurs la plupart des chorégraphes anglais
d'aujourd'hui, pouvez-vous nous dire d'abord quelques mots sur votre
parcours de danseuse et de chorégraphe?
A 16 ans,
je suis entrée à la Royal Ballet School,
où j'ai passé deux années.
Après ma scolarité à Londres, j'ai
rejoint le Ballet de Zürich en tant que danseuse.
C'était avant l'arrivée de Heinz Spoerli comme
directeur. Le répertoire de la compagnie me plaisait
vraiment beaucoup : on y dansait aussi bien les oeuvres de Hans van
Manen que celles de Balanchine ou de Nijinsky. J'ai dansé
ensuite avec le Ballet de Lucerne, alors dirigé par Richard
Wherlock. Cette expérience a duré trois ans.
Puis, j'ai passé une saison avec le Ballet de Berne. On peut
donc dire que j'ai été très
tôt attachée à la Suisse...
J'étais
alors danseuse, mais je chorégraphiais
déjà. En fait, mon goût pour la
chorégraphie est né lorsque j'étais
élève à la Royal Ballet School. J'y
avais même remporté un concours
chorégraphique! Mais c'est à l'âge de
24 ans que j'ai vraiment compris que je voulais être
chorégraphe. Il se trouve que le Royal Ballet m'a
invitée à cette époque pour
chorégraphier un programme comportant trois
pièces d'une vingtaine de minutes. Je me suis alors
installée à Londres, où j'ai
débuté une carrière de
chorégraphe "free-lance", parallèlement
à ma carrière de danseuse. J'ai monté
des chorégraphies pour diverses troupes, aussi bien des
troupes anglaises comme l'English National Ballet, le Northern Ballet
Theatre ou le Royal Ballet, que le Ballet de Bâle ou encore
le Danza Contemporanea de Cuba. Par ailleurs, le Royal Ballet m'a
nommée "chorégraphe associée".
Concrètement, cela voulait dire qu'on m'offrait une ou deux
soirées par saison au Linbury Theatre. J'avais aussi la
liberté de choisir tous mes interprètes, qu'ils
soient des danseurs issus du Royal Ballet ou d'autres troupes...
Après
ces sept années londoniennes, j'ai
créé ma propre compagnie, le Cathy Marston
Project. Le Ballet de Berne – à nouveau! - m'a
contactée en 2007 et j'en suis devenue la directrice. Cela
fait maintenant deux ans et demi que j'exerce cette fonction. Avec le
Ballet de Berne, je monte mes propres ballets et j'effectue aussi des
commandes auprès d'autres chorégraphes. Je
continue d'autre part à créer pour des troupes
extérieures : j'ai ainsi travaillé
récemment avec le Northern Ballet Theatre et le Ballet de
Graz, en Autriche, et en octobre prochain, l'une de mes
pièces sera créée par le Ballet de
Finlande.
Avec
Christopher Wheeldon, vous êtes depuis cette année
responsable des variations contemporaines inscrites au programme du
Prix de Lausanne. Aviez-vous auparavant un lien particulier avec le
Prix de Lausanne?
Non,
c'est vraiment la première fois que je viens ici.
Comment
s'est alors passée la "rencontre"?
C'est le
comité artistique du Prix de Lausanne, que
préside Wim Broeckx, qui est entré en contact
avec moi. Ils m'ont demandé quatre solos pour les candidats.
J'étais très surprise, car mon travail n'est pas
du tout classique, et dans mes ballets, il n'y a pas à
proprement parler de "variations", comme on parle de variations dans le
répertoire classique. Tous les solos qui ont
été sélectionnés pour le
Prix viennent en effet de ballets préexistants, et aucun n'a
été chorégraphié
spécialement pour les candidats du Prix. J'ai donc choisi
les rares solos qu'il pouvait y avoir dans mes ballets.
Je leur
ai proposé trois solos dans un premier temps : Traces, Libera me et Caliban (extrait pour ce dernier de Before
the tempest… after the storm). Ils les ont
aimés, mais il leur en fallait un de plus. J'ai choisi en
dernier lieu Captain
Alving
(extrait de Ghosts), qui raconte l'histoire
d'un vieil homme en train de mourir de la syphilis. C'était
vraiment le seul solo que je pouvais donner en plus... et ils l'ont
accepté!
Quelles
sont vos attentes en matière d'exécution ou
interprétation de ces différents solos, sachant
que les candidats sont parfois très jeunes et
possèdent une formation essentiellement classique?
Il faut
d'abord prendre en compte le fait qu'aucun de ces solos n'est une
abstraction. Tous développent une émotion, voire
comportent un personnage en creux. Pour ce qui est de l'aspect musical,
il est fondamental dans Traces et dans Libera me ; dans Captain
Alving
et Caliban, les danseurs peuvent
créer leur propre musique à
l'intérieur du solo.
J'attends
effectivement certaines qualités techniques ou
interprétatives dans les différents solos.
Dans Traces, comme je l'ai
déjà dit, la musicalité de la danseuse
est très importante. Il faut aussi qu'elle sache montrer un
sens de l'abandon. La figure qu'il met en scène est une
sorte de garçon manqué. Il ne s'agit donc pas de
montrer quelque chose de joli, de mignon ou de sucré ("not
pretty and sweet"), mais au contraire quelque chose d'âpre,
d'un peu "brut de décoffrage" ("rough"). En même
temps, le morceau doit rester enjoué ("playful"). Il
comporte également quelques difficultés
techniques : quand le personnage est à terre, je veux voir
les jambes de la danseuse vraiment traîner sur le sol, je
veux la voir manifester à ce moment-là un sens du
mouvement véritablement organique. Le regard est
également très important, et j'ajouterais aussi
la manière dont la danseuse s'approprie l'espace.
Libera
me est
l'autre solo où la musicalité s'avère
primordiale. C'est une pièce qui comporte beaucoup de
difficultés. C'est la variation
réservée aux braves! Pour le public, c'est celle
qui peut se révéler la plus impressionnante. Le
danseur doit y montrer son relâchement, son sens de la
détente, en même temps que sa force, sa puissance.
Le regard est aussi fondamental ici.
Dans Captain
Alving,
la connaissance du personnage est très importante. Il est en
fait inspiré d'une pièce d'Ibsen, Les
Revenants.
On doit absolument prendre en compte le fait qu'il s'agit là
d'un vieil homme en train de mourir. Ce qui m'ennuie terriblement,
c'est de voir des danseurs qui n'ont pas conscience qu'il souffre.
Notamment quand il se passe la main sur le visage. Il faut ici ici
prêter attention à tous les détails :
je veux notamment que le danseur sache d'où part son
mouvement, comment il se répand, dans quelle direction il
va... Le sens du relâchement et de la chute sont aussi des
aspects primordiaux de l'interprétation
chorégraphique.
Caliban présente
également un personnage, inspiré par la
pièce de Shakespeare, La
Tempête.
Le solo dépeint Caliban avant l'arrivée sur
l'île de Prospero, juste après la mort de sa
mère Sycorax. Caliban est un être à la
fois sauvage et solitaire. La chorégraphie est faite de
mouvements séquentiels, et, là encore, je veux
voir d'où part le mouvement et comment il se
répand dans le corps. Le regard, une fois de plus, est
essentiel.
La
chorégraphie de chaque solo comporte un certain nombre
d'exigences, quelle est la marge de liberté de
l'interprète?
Mes
chorégraphies laissent une certaine liberté
d'interprétation aux danseurs. Dans les deux
dernières, il n'y a pas de comptes musicaux par exemple.
Encore une fois, ce qui m'importe, c'est que le danseur soit capable de
prendre des décisions cohérentes et aille
jusqu'au bout. D'où vient son geste? Où
va-t-il?... etc...
Pour
ce premier coup d'essai à Lausanne, êtes-vous
satisfaite du résultat?
Je n'ai
assisté qu'à la dernière demi-heure
des sélections. Bien entendu, je ne ferai pas de
commentaires personnels. Tout ce que je peux dire, c'est que certains
ont tenu compte des corrections que j'avais faites, et d'autres pas du
tout.
Le
costume est-il un élément important ou secondaire
dans les différents solos?
Non, il
n'est pas très important. Je propose plutôt une
idée de costume qu'un costume très
précis. Par exemple, un haut foncé et une jupe
blanche dans Traces.
Savez-vous
pourquoi le comité artistique du Prix de Lausanne vous a
choisie comme chorégraphe avec Christopher Wheeldon? Et
pourquoi deux chorégraphes et non un seul comme
c'était le cas pour les éditions
précédentes?
Je sais
seulement que Wim Broeckx souhaitait inviter des
chorégraphes à la fois jeunes et
possédant une certaine notoriété. Ce
qui est amusant, c'est que Christopher Wheeldon et moi-même,
nous avons tous deux été
élèves de la Royal Ballet School et nous y avons
eu les mêmes professeurs. De la
génération à laquelle j'appartiens
sont sortis d'ailleurs, à quelques années
près, de nombreux chorégraphes : David Dawson,
Christopher Hampson, William Tuckett et, bien sûr,
Christopher Wheeldon.
Cathy
Marston - Propos recueillis par B. Jarrasse
.
Entretien
réalisé le 30 janvier 2010 - Cathy Marston
© 2010, Dansomanie
|
|
|