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dossier le prix de lausanne 2010
Entretien : Cathy Marston, chorégraphe


Cathy Marston et Christopher Wheeldon sont cette année les chorégraphes conviés par le Prix de Lausanne pour renouveler le répertoire des variations contemporaines proposées aux candidats. Deux jeunes chorégraphes britanniques, issus de la Royal Ballet School, succèdent ainsi aux noms prestigieux de Jiří Kylian et de John Neumeier, responsables successivement de la partie contemporaine lors des quatre dernières éditions du Prix.

Au quatrième jour de la compétition, l'actuelle directrice du Ballet de Berne vient en personne assister aux répétitions sur scène et apporter ses corrections aux candidats ayant choisi l'une de ses variations, qu'elle préfère au demeurant appeler "solos". Une première l'attend le soir même à Berne. De retour à Lausanne pour la phase des sélections, c'est dans l'atmosphère d'attente inquiète précédant la proclamation des résultats qu'on la rencontre de manière impromptue pour quelques petites questions sur ses chorégraphies.



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Vous êtes peu connue en France en tant que chorégraphe, comme d'ailleurs la plupart des chorégraphes anglais d'aujourd'hui, pouvez-vous nous dire d'abord quelques mots sur votre parcours de danseuse et de chorégraphe?

A 16 ans, je suis entrée à la Royal Ballet School, où j'ai passé deux années. Après ma scolarité à Londres, j'ai rejoint le Ballet de Zürich en tant que danseuse. C'était avant l'arrivée de Heinz Spoerli comme directeur. Le répertoire de la compagnie me plaisait vraiment beaucoup : on y dansait aussi bien les oeuvres de Hans van Manen que celles de Balanchine ou de Nijinsky. J'ai dansé ensuite avec le Ballet de Lucerne, alors dirigé par Richard Wherlock. Cette expérience a duré trois ans. Puis, j'ai passé une saison avec le Ballet de Berne. On peut donc dire que j'ai été très tôt attachée à la Suisse...

J'étais alors danseuse, mais je chorégraphiais déjà. En fait, mon goût pour la chorégraphie est né lorsque j'étais élève à la Royal Ballet School. J'y avais même remporté un concours chorégraphique! Mais c'est à l'âge de 24 ans que j'ai vraiment compris que je voulais être chorégraphe. Il se trouve que le Royal Ballet m'a invitée à cette époque pour chorégraphier un programme comportant trois pièces d'une vingtaine de minutes. Je me suis alors installée à Londres, où j'ai débuté une carrière de chorégraphe "free-lance", parallèlement à ma carrière de danseuse. J'ai monté des chorégraphies pour diverses troupes, aussi bien des troupes anglaises comme l'English National Ballet, le Northern Ballet Theatre ou le Royal Ballet, que le Ballet de Bâle ou encore le Danza Contemporanea de Cuba. Par ailleurs, le Royal Ballet m'a nommée "chorégraphe associée". Concrètement, cela voulait dire qu'on m'offrait une ou deux soirées par saison au Linbury Theatre. J'avais aussi la liberté de choisir tous mes interprètes, qu'ils soient des danseurs issus du Royal Ballet ou d'autres troupes...

Après ces sept années londoniennes, j'ai créé ma propre compagnie, le Cathy Marston Project. Le Ballet de Berne – à nouveau! - m'a contactée en 2007 et j'en suis devenue la directrice. Cela fait maintenant deux ans et demi que j'exerce cette fonction. Avec le Ballet de Berne, je monte mes propres ballets et j'effectue aussi des commandes auprès d'autres chorégraphes. Je continue d'autre part à créer pour des troupes extérieures : j'ai ainsi travaillé récemment avec le Northern Ballet Theatre et le Ballet de Graz, en Autriche, et en octobre prochain, l'une de mes pièces sera créée par le Ballet de Finlande.


Avec Christopher Wheeldon, vous êtes depuis cette année responsable des variations contemporaines inscrites au programme du Prix de Lausanne. Aviez-vous auparavant un lien particulier avec le Prix de Lausanne?

Non, c'est vraiment la première fois que je viens ici.


Comment s'est alors passée la "rencontre"?

C'est le comité artistique du Prix de Lausanne, que préside Wim Broeckx, qui est entré en contact avec moi. Ils m'ont demandé quatre solos pour les candidats. J'étais très surprise, car mon travail n'est pas du tout classique, et dans mes ballets, il n'y a pas à proprement parler de "variations", comme on parle de variations dans le répertoire classique. Tous les solos qui ont été sélectionnés pour le Prix viennent en effet de ballets préexistants, et aucun n'a été chorégraphié spécialement pour les candidats du Prix. J'ai donc choisi les rares solos qu'il pouvait y avoir dans mes ballets.

Je leur ai proposé trois solos dans un premier temps : Traces, Libera me et Caliban (extrait pour ce dernier de Before the tempest… after the storm). Ils les ont aimés, mais il leur en fallait un de plus. J'ai choisi en dernier lieu Captain Alving (extrait de Ghosts), qui raconte l'histoire d'un vieil homme en train de mourir de la syphilis. C'était vraiment le seul solo que je pouvais donner en plus... et ils l'ont accepté!


Quelles sont vos attentes en matière d'exécution ou interprétation de ces différents solos, sachant que les candidats sont parfois très jeunes et possèdent une formation essentiellement classique?

Il faut d'abord prendre en compte le fait qu'aucun de ces solos n'est une abstraction. Tous développent une émotion, voire comportent un personnage en creux. Pour ce qui est de l'aspect musical, il est fondamental dans Traces et dans Libera me ; dans Captain Alving et Caliban, les danseurs peuvent créer leur propre musique à l'intérieur du solo.

J'attends effectivement certaines qualités techniques ou interprétatives dans les différents solos.

Dans Traces, comme je l'ai déjà dit, la musicalité de la danseuse est très importante. Il faut aussi qu'elle sache montrer un sens de l'abandon. La figure qu'il met en scène est une sorte de garçon manqué. Il ne s'agit donc pas de montrer quelque chose de joli, de mignon ou de sucré ("not pretty and sweet"), mais au contraire quelque chose d'âpre, d'un peu "brut de décoffrage" ("rough"). En même temps, le morceau doit rester enjoué ("playful"). Il comporte également quelques difficultés techniques : quand le personnage est à terre, je veux voir les jambes de la danseuse vraiment traîner sur le sol, je veux la voir manifester à ce moment-là un sens du mouvement véritablement organique. Le regard est également très important, et j'ajouterais aussi la manière dont la danseuse s'approprie l'espace.

Libera me est l'autre solo où la musicalité s'avère primordiale. C'est une pièce qui comporte beaucoup de difficultés. C'est la variation réservée aux braves! Pour le public, c'est celle qui peut se révéler la plus impressionnante. Le danseur doit y montrer son relâchement, son sens de la détente, en même temps que sa force, sa puissance. Le regard est aussi fondamental ici.

Dans Captain Alving, la connaissance du personnage est très importante. Il est en fait inspiré d'une pièce d'Ibsen, Les Revenants. On doit absolument prendre en compte le fait qu'il s'agit là d'un vieil homme en train de mourir. Ce qui m'ennuie terriblement, c'est de voir des danseurs qui n'ont pas conscience qu'il souffre. Notamment quand il se passe la main sur le visage. Il faut ici ici prêter attention à tous les détails : je veux notamment que le danseur sache d'où part son mouvement, comment il se répand, dans quelle direction il va... Le sens du relâchement et de la chute sont aussi des aspects primordiaux de l'interprétation chorégraphique.

Caliban présente également un personnage, inspiré par la pièce de Shakespeare, La Tempête. Le solo dépeint Caliban avant l'arrivée sur l'île de Prospero, juste après la mort de sa mère Sycorax. Caliban est un être à la fois sauvage et solitaire. La chorégraphie est faite de mouvements séquentiels, et, là encore, je veux voir d'où part le mouvement et comment il se répand dans le corps. Le regard, une fois de plus, est essentiel.


La chorégraphie de chaque solo comporte un certain nombre d'exigences, quelle est la marge de liberté de l'interprète?

Mes chorégraphies laissent une certaine liberté d'interprétation aux danseurs. Dans les deux dernières, il n'y a pas de comptes musicaux par exemple. Encore une fois, ce qui m'importe, c'est que le danseur soit capable de prendre des décisions cohérentes et aille jusqu'au bout. D'où vient son geste? Où va-t-il?... etc...


Pour ce premier coup d'essai à Lausanne, êtes-vous satisfaite du résultat?

Je n'ai assisté qu'à la dernière demi-heure des sélections. Bien entendu, je ne ferai pas de commentaires personnels. Tout ce que je peux dire, c'est que certains ont tenu compte des corrections que j'avais faites, et d'autres pas du tout.


Le costume est-il un élément important ou secondaire dans les différents solos?

Non, il n'est pas très important. Je propose plutôt une idée de costume qu'un costume très précis. Par exemple, un haut foncé et une jupe blanche dans Traces.


Savez-vous pourquoi le comité artistique du Prix de Lausanne vous a choisie comme chorégraphe avec Christopher Wheeldon? Et pourquoi deux chorégraphes et non un seul comme c'était le cas pour les éditions précédentes?

Je sais seulement que Wim Broeckx souhaitait inviter des chorégraphes à la fois jeunes et possédant une certaine notoriété. Ce qui est amusant, c'est que Christopher Wheeldon et moi-même, nous avons tous deux été élèves de la Royal Ballet School et nous y avons eu les mêmes professeurs. De la génération à laquelle j'appartiens sont sortis d'ailleurs, à quelques années près, de nombreux chorégraphes : David Dawson, Christopher Hampson, William Tuckett et, bien sûr, Christopher Wheeldon.



Cathy Marston - Propos recueillis par B. Jarrasse

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Entretien réalisé le 30 janvier 2010 - Cathy Marston © 2010, Dansomanie


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