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Finale
De la finale, jouée chaque année sur le
même air avec des cavaliers différents, que dire
encore de neuf? De celle-ci, on a déjà comme un
avant-goût la veille, dès l'annonce des
résultats, un moment toujours hautement dramatisé
dans l'atmosphère cotonneuse de
l'arrière-scène... Il y a ceux qu'on attendait et
qui sont là comme une évidence, ceux qu'on
attendait et qui n'en sont pas, et ceux aussi, avouons-le, qu'on
n'attendait pas... C'est là le propre de toutes les
sélections, et celle-ci, sans doute, ne faillit pas
à la règle. Petite surprise de l'année
– en est-ce vraiment une? - sur les vingt finalistes,
quatorze garçons et seulement six filles -
sauvées sur le fil... Mais quoi? Ces messieurs
étaient là, ils ont tenu leurs promesses, le
grand écart de l'édition 2010 a toute sa raison
d'être.
Remise des compteurs à zéro à
l'occasion de l'ultime épreuve de la compétition.
Détail technique qui a son importance, le public n'est pas
informé cette année de la note globale
attribuée à chaque candidat à l'issue
des différentes épreuves de la semaine. Pas de
classement provisoire, semi-officiel, qui viendrait brouiller le regard
et le jugement. Pour le reste, il s'agit bien de convaincre une
dernière fois le jury – et le public, qui a aussi
son mot à dire dans l'affaire. La renommée
acquise durant la semaine n'est pas un gage suffisant pour
décrocher par avance la bourse ou la récompense
tant convoitée.
En attendant que le meilleur gagne, petit tour d'horizon
désordonné d'une journée qui passe
comme un souffle d'air...
Le rituel de la finale,
encadré et réglé par les
caméras de télévision, est identique
d'une édition à l'autre. Le spectacle
débute par la série des variations classiques,
auxquelles succèdent les variations contemporaines. Pause
pour se rafraîchir et voter pour son candidat
préféré, divertissement d'entracte,
proclamation des résultats, l'ensemble obéissant
à une mécanique parfaitement rodée, au
rythme constamment soutenu. L'ordre des candidats est
aléatoire, faisant plus ou moins alterner cette
année deux garçons avec une fille. Pour le reste,
la finale, on le sait, dissout les groupes d'âge, un
mélange qui, sur l'ensemble des prestations, n'est pas
toujours à l'avantage des plus jeunes, parvenus du reste en
minorité à ce stade de la compétition
(7 contre 13), dès lors qu'ils se retrouvent directement
confrontés aux plus âgés.
C'est
justement le jeune et très souriant Luca Acri (204) qui est
chargé d'ouvrir le bal en ce jour avec une Fille mal
gardée
bondissante et enjouée. Sa prestation conserve une certaine
efficacité, bien que l'on y perçoive un brin
d'effort. Il a su faire preuve d'une louable énergie
jusque-là, mais la semaine semble avoir
été rude!... De même, dans la variation
de Wheeldon, Commedia, le moindre petit signe de
fatigue et la vélocité prise en défaut
suffisent pour que la précision musicale s'en ressente, et
c'en est terminé... Dommage! Un excellent candidat qui
pâtit néanmoins un peu de sa jeunesse et de sa
relative inexpérience en la circonstance.
Invitée
surprise de la finale, Alexandra Valavanis (103), la candidate
originaire de Zürich, est celle qu'on n'attendait pas
à l'occasion de ce spectacle de clôture d'un genre
un peu particulier. Quitte à promouvoir la Suisse au Prix de
Lausanne, on aurait sans doute préféré
personnellement le garçon de Bâle, Philip
Handschin (432), malheureusement pas très au point au jour
des sélections. Et des garçons, il y en a
déjà quatorze!... La nouvelle
héroïne nationale possède en tout cas
une vivacité indéniable, un joli minois de
Swanilda, ainsi qu'une assurance plaisante dans le rôle, mais
sa technique paraît tout de même insuffisante au
regard du niveau d'ensemble des finalistes : les bras et le haut du
corps, en particulier, sont d'une raideur gênante, et sa
danse, de manière générale, manque de
contrôle et de précision, notamment dans les
séries de pirouettes. Polyphonia paraît de son
côté bien trop imposant pour sa jeunesse et son
inexpérience et, comme tant d'autres dans ce concours, elle
reste absolument extérieure au geste et à la
musique de l'abstraction géométrique
élaborée par Wheeldon sur la musique de Ligeti.
Quoi qu'il en soit, parvenue à ce stade, elle est au minimum
assurée d'être récompensée
du Prix du meilleur candidat suisse.
Lewis
Turner (423), issu d'Elmhurst, école sise à
Birmingham, et l'une des trois grandes institutions de formation
anglaises avec la Royal Ballet School et l'English National Ballet
School, est de ces candidats qui n'avaient pas non plus
d'emblée en poche leur ticket gagnant pour le dernier round. Victime d'une chute durant
la variation d'Albrecht lors des sélections, il
interprète cette fois sa variation avec toute la
propreté et la concentration requises, mais avouons que sa
danse manque quelque peu d'ampleur et d'éclat, a fortiori
dans le cadre d'une compétition prestigieuse. Sur la
variation contemporaine, il se révèle en revanche
nettement plus percutant. Si les poses sculpturales de Libera me ne sont pas toujours
contrôlées à la perfection, il sait en
tout cas faire preuve d'énergie et, en contrepoint, d'un
véritable relâchement dans le mouvement.
Autre outsider oublié du récit des sélections, Jonathan Batista de Araujo (425), un
Brésilien élève de l'English National Ballet School. Un charisme
indéniable et une aptitude pour le saut et la pirouette expliquent sans
doute sa place en finale, mais son Basilio, d'un monolithisme éprouvant,
manque pourtant d'accents et de la nuance stylistique que l'on
apprécierait de voir dans une variation de bravoure plus que ressassée.
Le choix de Libera me semble en
ce qui le concerne passablement incongru, car le danseur ne possède
guère la puissance et l'énergie que la technique de la chorégraphie
requiert. On n'en retient plus alors qu'une série de gesticulations
dépourvues de signification. Côté brésilien, on voterait plutôt pour les
jumeaux Guilherme Duarte de Menezes (418) et Vitor Duarte de Menezes
(419), même si, en dépit de leur générosité débordante, ils
n'apparaissent pas vraiment comme des lauréats potentiels. Si l'un
semblait jusque-là dominer sur l'autre, la finale les met sensiblement à
égalité dans la variation classique. La danse ne brille peut-être pas
ici par son élégance ou son raffinement, mais elle séduit par la force,
la puissance et le contrôle qui s'en dégagent, tant dans Le Corsaire que dans La Sylphide. La variation
contemporaine s'avère en revanche une déception pour tous les deux : le Captain Alving du premier est bien
trop vert et naïf pour suggérer la souffrance d'un vieil homme en train
de mourir, et le Commedia du
second, scolaire, est dépourvu de toute dimension ludique.

L'écart
de
niveau entre le classique et le contemporain, c'est un peu le
thème récurrent de cette finale –
à l'image
des sélections de la veille. Un niveau technique le plus
souvent
excellent dans les variations classiques, meilleur peut-être
que
d'autres années, quelques personnalités
flamboyantes
même pour y briller, et des variations contemporaines bien
vertes, plus ou moins "hors-sujet", pas toujours à la
hauteur
des attentes.... Mais doit-on s'en étonner, voire s'en
offusquer, si l'on considère la formation presque
exclusivement
classique du gros des candidats? Le Prix évalue cependant,
là encore, une approche, une intelligence en quelque sorte,
d'un
répertoire qu'il sait inédit pour les
participants, plus
qu'une interprétation aboutie et "clé en mains".
A des
degrés divers, la très belle sélection
chinoise de
cette finale est l'illustration de ce décalage
esthétique, payé au prix fort à
l'occasion du
palmarès. Cinq candidats élus, dont trois filles
particulièrement brillantes - et en outre, très
différentes -, et pas la moindre bourse. Il nous semble
pourtant, quelles que soient les réserves qu'on puisse
émettre sur le résultat dans les variations
contemporaines, qu'on est avec ceux-là bien
au-delà d'une
mécanique scolaire, impeccablement
digérée et
récitée... Yang Ruiqi (116), à
nouveau, livre un
superbe exercice de style dans la variation de Swanilda, tandis que
Liao Xiang (309) séduit par son travail stylistique
raffiné, sa justesse musicale et son aisance technique dans
la
variation d'Aurore. Moins spectaculaire, Hiu Tung Yu (111) est celle
qui révèle sans doute le plus de profondeur dans
sa danse
: sa 1ère Ombre est précise, musicale, simplement
enjouée et sans ces effets ornementaux
superfétatoires,
et faussement ingénus, que croient bon d'ajouter parfois
certaines candidates venues d'Asie. Les variations contemporaines sont,
il est vrai, plus problématiques dans le contexte
général. Toutes trois ont choisi Traces de Cathy Marston et en
livrent, chacune à leur manière, une
interprétation essentiellement esthétisante, qui
n'en est probablement pas le sujet. Il faut avouer qu'on peut
difficilement aller plus loin que Liao Xiang (309) dans la perfection
formelle et musicale... Mais ici, la volonté de plaire
à tout prix a quelque chose d'assez pesant et
pénible. Côté garçons, deux
rescapés de l'école de GuangZhou participent
à cette finale. Liang Zecheng (401) offre un Corsaire tout en fluidité
et en élégance, agrémenté
d'un surprenant manège de doubles tours assemblés
- "à la Solor" -, tandis que Chan Chanwai (411) montre
encore une belle progression par rapport aux sélections dans
la variation d'Albrecht. Une variation qui lui permet du reste de faire
valoir autant ses qualités de virtuose, visibles notamment
au travers de superbes sauts et cabrioles, que ses qualités
de style, révélées par une danse
précise et raffinée. Malheureusement, dans Commedia, tous deux passent
à côté de l'ironie du propos de
Wheeldon.
Un peu
moins souverains sans doute sur la partie classique, mais plus
à l'aise à l'inverse sur la partie contemporaine,
les deux candidats américains parviennent à
soutenir un certain équilibre entre les deux variations qui
justifie a posteriori ce statut de lauréat, qui a
échappé, une fois n'est pas coutume, à
tous les Chinois. Christopher Evans (201) assure toujours joliment, et
avec entrain, la variation de La Fille
mal gardée, et son Captain
Alving a
le mérite de comporter une véritable direction.
Un sens donc, que traduit aussi sa remarquable occupation de l'espace.
Aaron Sharatt (414), sans posséder
l'élégance suprême d'un Francesco
Mungamba Reina (402), assure quant à lui avec un brio
certain la variation du Prince Désiré, et bien
que sa danse ne soit pas non plus absolument impeccable dans les
enchaînements ultra-rapides de Wheeldon, il est le seul
peut-être de tous les candidats à avoir su faire
ressentir l'humour et la dérision associés
à Commedia. Dans un tout autre style,
la petite Mariko Sasaki (101), d'une autorité implacable
pour ses 15 ans, offre aussi cet équilibre
classique/contemporain apparemment attendu par le jury. Dans la
3ème Ombre, elle déploie une nouvelle fois sa
mécanique parfaite, mais sur ce sujet, on en a vu
d'autres..., et c'est paradoxalement plutôt grâce
à son Traces, ample, musical et d'une
relative spontanéité, qu'elle nous emporte.
Les
"meilleurs", en toute subjectivité, on les garde, dans le
désordre, pour la fin!... Avec leurs silhouettes
désinvoltes d'outsiders très sérieux,
on adore Shu Kinouchi (416) et Aaron Smyth (431)
– le hasard les faisant venir tous deux de la même
école, celle de l'ABT. Bien sûr, le Japonais est
tombé – et franchement même! - dans Continuum, sans que l'intention ou
l'effet en ait été chorégraphique,
mais au-delà de cette erreur ponctuelle, on ne peut
qu'admirer sa musicalité et son extraordinaire
détente sur l'ensemble de la variation, des
qualités que l'on retrouve dans un Corsaire de toute beauté,
léger, fluide, ponctué de regards
appuyés et justes. L'Australien, beau
ténébreux aux faux airs d'Elvis Presley, se
montre de son côté déjà
très professionnel dans sa manière d'aborder la
scène. Son Basilio sait être spectaculaire sans
sombrer dans la trivialité, ne concédant jamais
aucun effet à la musicalité de la variation, et
son Continuum
est
abordé avec une puissance sereine et un sens de la
scène particulièrement appréciable
dans un concours aussi calibré. Le fait est rare, mais pour
un peu, on oublierait qu'on assiste à une
compétition...
Dernier
carré de vainqueurs potentiels, et personnels,
formé de Francisco Mungamba
Reina (402), Caitlin Stawaruk (312), Marcelino Sambé (202) et
Cristian Emanuel Amuchastegui (433)... En Prince
Désiré, Francisco Mungamba Reina (402) accuse un
peu le coup dans le manège final de sa variation, mais son
élégance et sa musicalité uniques,
déjà remarquées lors des
sélections, emportent l'adhésion, bien
au-delà de son seul brio de compétiteur. Dans Continuum, il se montre tout aussi
irréprochable : sens du relâchement et de
l'accélération, souplesse, vitesse,
contrôle..., toutes les qualités y sont. En
voilà un assuré de ne pas jouer les simples
figurants au palmarès. Seule fille à
résister avec une certaine grandeur à la vague
masculine de l'édition 2010, Caitlin Stawaruk (312),
impressionnante de sérieux, de force - tant physique que
morale -, et de maturité artistique au pays des
poupées au sourire mécanique. Choix
idéal notamment que celui du Polyphonia de Wheeldon, ce "rien"
chorégraphique, cette étude sur le mouvement qui
ne fait que dessiner des lignes dans l'espace. Son sens du
phrasé trouve à s'exprimer ici de la plus belle
des manières, c'est-à dire sans effet
démonstratif ni esthétisant, sans
désir de se regarder briller, mais dans la suggestion
intérieure et la compréhension profonde de la
ligne musicale. Et puis, honneur enfin au "perdant" magnifique,
Marcelino Sambé (202), qui n'a
peut-être pas livré le meilleur de
lui-même lors de cette finale, commettant quelques petites
erreurs dans la variation de La Fille
mal gardée qu'il avait pourtant su
parfaitement habiter jusque-là... Un Libera me un tout petit peu moins
implacable, un chouïa fatigué, et c'en est fini
pour lui, mais mon Dieu, on en a vu des médaillés
d'or plus pâles que celui-là... A ce roi sans
couronne, on accorde le grand prix spécial, celui du
souvenir : s'il n'en reste qu'un, ce sera celui-là!... Ce
serait sans compter toutefois sur le petit dernier en tout de ce Prix,
déclaré in fine
premier par le jury et par le public, Cristian Emanuel Amuchastegui
(433). Il n'a pas la tête de l'emploi et c'est aussi pour
cela qu'on l'aime! Tour à tour James flamboyant et Caliban
inspiré, il nous semble plus lumineux encore en ce jour que
lors des sélections. S'il est une place qu'on ne discutera
pas ici, c'est bien la sienne...
B.
Jarrasse © 2010, Dansomanie
Les lauréats
2010 :
Prix
de la Fondation Leenards : |
433 :
Amuchastegui, Cristian Emanuel, Argentine
Houston Ballet Ben Stevenson Academy |
Prix
Beau-Rivage Palace : |
402
: Mungamba Reina, Francisco, Espagne
San Francisco Ballet School; Real Conservatorio
Profesional de Danza "Mariemma" |
Prix
Adveq : |
101:
Sasaki, Mariko, Japon
Yuriko Kawaguchi Ballet School, Toyko |
Prix
Julius Bär : |
312
: Stawaruk, Caitlin, Australie,
Tanz Akademie Zürich ; Australian Ballet School |
Prix
de la Fondation Oak : |
414
: Sharratt, Aaron, USA
Houston Ballet Ben Stevenson Academy |
Prix
de la Fondation Coromandel : |
201:
Evans, Christopher, USA
Ballet Met, Colombus |
Prix
de la Fondation Pro Scientia et Arte : |
423
: Turner, Lewis, Grande Bretagne
Elmhurst School For Dance, Birmingham |
Prix
d'interprétation contemporaine : |
423
: Turner, Lewis, Grande Bretagne
Elmhurst School For Dance, Birmingham |
Prix
du meilleur Suisse : |
103
: Valavanis, Alexandra, Suisse
Balletschule des Opernhauses, Zürich |
Prix
du public : |
433 :
Amuchastegui, Cristian Emanuel, Argentine
Houston Ballet Ben Stevenson Academy |
Les variations
classiques en images :
Les variations
contemporaines en images :
Atmosphères
& ambiances :
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