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20 juin
2009 : Spectacle
de fin d’études de l’Académie Vaganova
Gala
annuel de l'école Vaganova
Chaque année, au
mois de juin, se tiennent sur
la scène du Théâtre Mariinsky les
traditionnelles représentations du
spectacle de fin d’études de
l’Académie Vaganova, qui constituent sans
aucun doute l’un des sommets attendus de la
période bénie des nuits
blanches à Saint-Pétersbourg. Devant un parterre
résolument familial,
et quelque peu déserté par les touristes
étrangers (le théâtre n’a
d’ailleurs pas jugé bon, une fois n’est
pas coutume, de livrer le
programme en anglais), les élèves de
dernière année de la
célèbre école
de la rue Rossi, fraîchement diplômés et
prêts à être engagés par les
différentes compagnies de ballet de
Saint-Pétersbourg, ainsi que ceux
en passe de l’être dans les toutes prochaines
saisons, offrent un long
et passionnant spectacle composé, à la
manière d’un divertissement de
gala, de pas de deux variés, auxquels viennent
s’ajouter soit de courts
ballets, soit quelque tableau fameux tiré d’une
grande oeuvre du
répertoire classique, faisant appel dans tous les cas
à des solistes et
à de larges ensembles. Le choix peut ainsi se porter, selon
les années,
sur la scène du Jardin animé, extraite du Corsaire, comme ce fut le cas
l’an dernier, le pas de six de La
Vivandière (Markitenka en Russie), le Grand pas de Paquita ou celui de La
Bayadère,
pour ne citer que des exemples d’ouvrages d’une
notoriété certaine et
repris récemment… L’Académie
de ballet russe (АРБ) "du nom d’Agrippina
Yacovlevna Vaganova", dont l’histoire se confond avec celle
du Théâtre
Mariinsky, possède du reste un répertoire
d’une richesse inouïe qui
comprend nombre d’œuvres oubliées, peu
jouées y compris en Russie, le
plus souvent méconnues du public occidental, et qui font
tout le sel de
ce spectacle annuel.
Le
spectacle de cette
année, en trois parties, proposait un programme
très
contrasté s’ouvrant sur le prologue de La Belle
au bois dormant,
l’une des œuvres les plus emblématiques
du ballet impérial, et se
clôturant, après une longue série de
pas de deux à dominante classique,
par un tableau tiré de Gayaneh (ou Gayane,
selon les transcriptions), ballet de caractère
chorégraphié en 1942 par
Nina Anissimova sur la musique d’Aram Khatchatourian,
également
compositeur de Spartacus.
La
rue Rossi : au fond, le théâtre Alexandrinsky -
à droite, l'école Vaganova
Lorsque
le rideau se lève sur les décors en trompe
l’œil du prologue de la version Sergueïev de La Belle
au bois dormant,
donnée quelques jours auparavant, et dans son
intégralité, par la
troupe du Mariinsky, on reste d’emblée
frappé par la maturité scénique
et artistique de ces jeunes danseurs, dont le plus
âgé n’a
vraisemblablement guère plus de 18 ans. Un constat, que rien
ne viendra
infirmer par la suite, s’impose alors : on n’a
jamais cette impression,
parfois pénible il faut bien l’avouer,
d’assister à un spectacle
d’école de danse, aussi brillant et
maîtrisé soit-il. Il y a fort à
parier que du travail de l’école à
celui de la compagnie, un spectateur
de fortune ou médiocrement connaisseur serait
abusé et n’y verrait que
du feu… Si certaines individualités
possèdent évidemment plus
d’habileté, de virtuosité ou de brio
que d’autres, on perçoit néanmoins
que tous ici, sans exception, ont été
formés non pas seulement pour
exécuter brillamment des pas d’école,
mais d’abord pour être en scène
et pour y interpréter le répertoire glorieux
d’un théâtre séculaire. Ce
que chacun nous dit ici avec son corps, c’est que tout ce qui
est en
train de se passer sous nos yeux est en vérité,
sous des dehors
plaisants, la chose la plus sérieuse au monde, bien loin
d’un
quelconque amusement, aussi délicat soit-il…
L’école - l'Académie
-, avec sa rigueur et le poids de ses traditions qui forcent
à
l’humilité, c’est le programme seul qui
vient nous la rappeler
constamment : la mention de chaque soliste y est accompagnée
de celle
du professeur de sa classe, et le moindre numéro du
programme appelle
immédiatement le nom du ou des maîtres de ballet
chargés du travail de
répétition.
Le
prologue de La Belle
au bois dormant
permet d’admirer non seulement la rigueur et la
musicalité unique d’un
corps de ballet féminin qui se déploie avec
autorité sur l’immense
scène du Mariinsky, mais aussi quelques solistes en
puissance, au
travers du défilé des Fées et des
variations qui leur sont attachées.
On signalera que parmi ces jeunes danseuses, certaines passent
effectivement leur diplôme de fin
d’études, et devraient
vraisemblablement trouver un engagement dans une compagnie (qui peut
être, ou n’être pas, le Mariinsky, objet
probable de tous leurs rêves)
à l’issue de ces représentations,
tandis que d’autres ont encore une ou
deux années de scolarité à effectuer
au sein de l’Académie. Si aucune
ne révèle de manque ou de fragilité
véritable, tant sur le plan
scénique que technique et stylistique,
l’interprète la plus
impressionnante de ce prologue reste néanmoins Yulia
Stepanova, qui, en
Fée des Lilas, ne paraît à aucun moment
avoir usurpé son rôle
d’héroïne. Un certain physique "maison",
fin et longiligne (la tendance
semble toutefois se porter plus féminine et moins gracile
ces derniers
temps), une danse naturellement musicale, une autorité
scénique
indéniable, sans déploiement de force
"à la Petushkova", et un contrôle
parfait du mouvement l’éloignant de toute faute de
goût, la rendent
pleinement convaincante dans ce rôle aristocratique, sans
doute plus du
reste, et toutes proportions gardées (le contexte
n’est pas non plus le
même), que la jolie Lilya Lishchuk qui, à peine
sortie de l’école,
débutait – précipitamment ? - dans ce
même rôle deux jours auparavant,
cette fois avec la troupe même du Mariinsky. Margarita
Frolova se
révèle quant à elle piquante, pleine
de charme et d’acuité dans le tutu
blanc de la Fée Tendresse (Candide dans la tradition
impériale), un
ensemble de qualités qui trouvent à s'exprimer de
manière évidente dans
le pas de deux d'Harlequinade
sur lequel elle est distribuée dans le spectacle du
lendemain. Viktoria
Brileva parvient pour sa part à se montrer tranchante sans
excès ni
cabotinage dans la variation de la Fée Audace (Violente). On
aura
également été heureux de retrouver ici
même l’Américaine Keenan Kampa,
découverte à Lausanne en 2007 (où elle
avait atteint les demi-finales),
dans le tutu rose de la Fée
Générosité (Miettes qui tombent).
L’Académie Vaganova est bien plus internationale
qu’on ne croit
d’ordinaire… Carabosse, enfin, est
incarnée ici par une interprète
féminine (lors de la représentation du ballet
donnée par le Mariinsky
cette même semaine, c'était un homme), Evgenia
Kiseleva, dont le mime,
très professionnel, manque toutefois de
l’ambiguïté ou de la subtilité
que possède sans nul doute le personnage de la mauvaise
fée dans la
version Sergueïev, loin des productions "Disney" du ballet,
teintées de
caricature…
Entrée
de l'Académie Vaganova
La
deuxième partie du programme propose après
l’entracte une série
de divertissements variés sur fond de draperies et de
lustres impériaux
– revisités par l’esthétique
de concert soviétique? - un décor bien
connu de tous les amateurs du Kirov… L’orchestre
dirigé par Pavel
Bubelnikov y sévit sans grande délicatesse, en
alternance avec des
musiques enregistrées qui peuvent se
révéler pénibles, a fortiori dans
un tel écrin théâtral. En ouverture de
ce volet, Scherzo,
chorégraphié par Irina Larionova sur une musique
de Stravinsky, se
présente comme une pièce d’esprit
balanchinien, qui mérite d’être
signalée car elle réunit autour d’un
couple de solistes un corps de
ballet composé de jeunes élèves de
l’Académie Vaganova, très peu
présents lors de ce programme avant tout
dédié aux aînés. Reprise
régulièrement à l’occasion
du spectacle de fin d’études, elle suscite
au lever du rideau un discret murmure d’admiration du public,
séduit
par les alignements géométriques
qu’elle offre, image en creux de la
merveilleuse et mythique discipline de l’école.
Une fois n’est pas
coutume au pays de la ballerine-reine, c’est le
garçon, Daniil Lopatin,
remarquable virtuose à la personnalité fougueuse,
qui domine sa jeune
partenaire, Arina Varentseva, une charmante brunette dont la danse
garde quelques traces de juvénilité. Ekaterina
Kraciuk produit pour sa
part une très forte impression, dans le pas de deux de La Source,
chorégraphié par Konstantin Sergeev sur la
musique de Delibes, y
éclipsant quelque peu son partenaire, Mikhaïl
Degtyarev, pourtant
irréprochable en termes
d’élégance. Une personnalité
brillante et racée
à la Tereshkina, doublée d’une virtuose
à la technique superlative,
voilà sans doute l’un des noms à
retenir pour le futur… Le solo exécuté
ensuite par Alina Kliueva sur une musique de Rachmaninov
apparaît comme
la caution "moderne" d’un spectacle
dédié exclusivement au répertoire
classique - et sans guillemets s’il vous plaît
– et qui en assume sans
arrière-pensées tout le poids et tout
l’héritage. Le langage
chorégraphique, échappé de la gangue
académique, semble ici uniquement
réduit à quelques clichés : la
lumière change d’aspect pour se faire
plus crue et violente, on quitte les pointes pour les demi-pointes, le
tutu pour la longue robe grahamienne, on adopte un air vaguement
torturé… Certes, la demoiselle est sublimement
belle, comme toutes ses
consoeurs du reste, possède des lignes parfaites et,
douée d'une
présence animale, sait se montrer expressive, mais avouons
que tout
cela nous semble bien convenu et fort peu inventif. On reste
là dans
une imitation de formes. On passera donc notre tour pour cette fois,
préférant évoquer l’autre
figure mémorable de ce second acte… Dans un
style aux antipodes de celui, terrestre et puissant, de Ekaterina
Kraciuk, Olga Smirnova, vision éthérée
revêtue d’un long tutu
romantique, éblouit par sa poésie et son lyrisme
intenses dans Consolation,
un pas de deux de Kazian Goleizovsky sur une musique de Lizst,
révélateur de l’esthétique
d’une époque, qui semble tout à coup
vivre
et devenir passionnant sous ses pas, tant son sens du legato y est
admirable. Le pas de deux de Coppélia
qui lui succède, dans une version quelque peu insolite
signée Fiodor
Lopukhov, en paraît soudain bien triste, et notamment
l’adage, exécuté
proprement mais sans réelle magie. Il faut
néanmoins reconnaître que
les deux solistes, Nadezhda Batoeva et Alexeï Popov,
manifestement très
populaires auprès des spectateurs du
théâtre, excellent en tous points
dans leurs variations respectives. Le couple est des plus
équilibrés –
ce qui n’est pas toujours le cas dans cette série
de pas de deux –,
extrêmement charismatique de surcroît, et tous deux
font preuve d’un
naturel appréciable - Batoeva, avec son
côté vieille
école,
tranche sur ce point avec une certaine génération
récente de danseuses
du Mariinsky - conjugué à une
virtuosité étourdissante, notamment dans
les sauts.
La
troisième partie du spectacle, qui s’ouvre par un Duo
vite oublié de Dmitry Pimonov sur une musique de Corelli,
débute
véritablement avec ce qui a probablement
constitué l’un des sommets du
spectacle, le classique adage de l’acte II de Giselle,
sublimé – si tant est que la chose soit encore
possible – par une
interprète exceptionnelle de maturité et de
maîtrise artistique,
Tatiana Tiliguzova (une autre élève de Ludmila
Safronova – qui, jadis,
forma – hélas ! – notre Alina Somova
internationale -, comme Olga
Stepanova et Ekaterina Kraciuk). Celle-ci semble à vrai dire
réunir
toutes les qualités pour incarner une Giselle non seulement
regardable
– et franchement, ce n’est pas si courant ! - mais
aussi admirable et
digne de ce nom : lyrique sans fausseté,
légère avec contrôle,
précise
et virtuose dans son travail de pied et sa petite batterie, capable de
mimer simultanément par le haut du corps la terre et le
ciel, la
pesanteur et l’apesanteur – à la Lunkina
en quelque sorte... Son
partenaire, Alexandre Saveliev, déstabilisé par
une pirouette
malheureuse, réunit pourtant lui aussi toutes les
qualités d’une étoile
en puissance : une élégance aristocratique et
sans maniérismes
superfétatoires, un sens du partenariat et du
détail technique en même
temps qu’une saltation et une batterie brillantes.
Là encore, deux
jeunes gens à suivre attentivement… Un ultime pas
de deux, Réflexion,
signé de Leonid Jakobson sur une musique de
Tchaïkovsky, dans lequel on
retrouve l’interprète quelque peu minaudante de la
Fée Canari, Oksana
Krachuk, succède à ce beau moment et
pâlit sans doute de la
comparaison. La chorégraphie, peu passionnante, mais sans
doute aussi
trop adulte pour ces très jeunes gens, réduit le
garçon à un rôle de
soutien - bien assumé du reste par Konstantin Ivkin -, mais
l’adage
semble comme rester à l’état gymnique
et manque singulièrement
d’ampleur et d’expressivité. La
conclusion du spectacle est enfin
offerte aux danseurs de caractère, oubliés
jusque-là, avec un large
extrait du ballet Gayaneh.
Inspiré d’une légende
arménienne, ce ballet, méconnu en Occident,
créé à
Perm durant la dernière guerre pour Natalia Dudinskaya et
Konstantin
Sergueïev, vit notamment briller par le passé Ninel Kurgapkina
et Rudolf
Noureev, avant que celui-ci ne quitte l’URSS. Les deux
solistes
principaux - Ekaterina Duganova dans le rôle
d’Aïcha et Grigory
Piatetsky dans celui d’Armen – ainsi que le corps
de ballet, tous
revêtus de costumes rutilants et colorés, symboles
d’un Orient
littéraire et stéréotypé,
brutal et fascinant, prouvent par leur
puissance et leur enthousiasme communicatif, juste avant la reprise
attendue de Shurale à la fin
du mois, que la tradition des danses nationales et de
caractère est non
seulement toujours vivante en Russie, mais aussi prompte à
enflammer le
public.
B. Jarrasse ©
2009,
Dansomanie
Spectacle
de fin d’études de l’Académie
Vaganova
Première partie
Prologue
de La Belle
au
bois dormant
Musique
: P.I. Tchaïkovsky
Chorégraphie
: Marius Petipa (révision :
Konstantin Sergueïev)
Fée
Tendresse (Candide) – Margarita Frolova - classe
du
professeur Ludmila Kovaleva
Fée
Espièglerie (Fleur de Farine) – Ekaterina
Debishinskaya - classe du professeur Irina Sitnikova
Fée
Générosité (Miettes qui
tombent) – Keenan Kampa (USA)
– classe du professeur Tatiana
Udalenkova
Fée
Audace (Violente) – Viktoria Brileva - classe du
professeur Irina Sitnikova
Fée
Canari – Oksana Marchuk - classe du
professeur Tatiana
Udalenkova
Fée
des Lilas – Yulia Stepanova –
classe du
professeur Ludmila Safronova
Fée
Carabosse – Evgenia Kiseleva –
classe du
professeur Ludmila Safronova
Corps
de ballet composé
d’élèves des grandes sections de
l’Académie Vaganova
Deuxième partie
Scherzo
Musique
: Igor Stravinsky
Chorégraphie
: Irina Larionova
Arina
Varentseva – classe du professeur E. Zabalkanskaya
Daniil
Lopatin – classe du professeur Gennady Selutsky
Corps
de ballet composé
d’élèves des petites sections de
l’Académie Vaganova
Pas
de deux du ballet La
Source
Musique
: Léo Delibes
Chorégraphie
: Konstantin Sergueïev
Ekaterina
Kraciuk – classe du professeur Ludmila Safronova
Mikhaïl
Degtiarev – classe du professeur Nikita
Sheglov
Désespoir
Musique
: Sergeï Rachmaninov
Chorégraphie
: Irina Larionova
Alina
Kliueva - classe du professeur Ludmila Kovaleva
Consolation
Musique
: Franz Liszt
Chorégraphie
: Kazian Goleizovsky
Olga
Smirnova – classe du professeur Irina Trofimova
Denis
Zainetdinov – classe du professeur Mansur Enikeev
Pas
de deux du ballet Coppélia
Musique
: Léo Delibes
Chorégraphie
: Fiodor Lopukhov
Nadezhda
Batoeva - classe du professeur Ludmila Safronova
Alexeï
Popov - classe du professeur Mansur Enikeev
Troisième partie
Duo
Musique
: Archangello Corelli
Chorégraphie
: Dmitry Pimonov
Valeria
Zapasnikova – classe du professeur Tatiana Udalenkova
Sergueï
Strelkov – classe du professeur Boris
Bregvadze
Pas
de deux du ballet Giselle
Musique
: Adolphe Adam
Chorégraphie
: Jules Perrot, Marius Petipa
Tatiana
Tiliguzova - classe du professeur Ludmila Safronova
Alexandre
Saveliev – classe du professeur Nikita Sheglov
Réflexion
Musique
: P.I. Tchaïkovsky
Chorégraphie
: Leonid Jakobson
Oksana
Marchuk - classe du professeur Tatiana Udalenkova
Konstantin
Ivkin - classe du professeur Nikita Sheglov
Scène
du ballet Gayaneh
Musique
: Aram Katchatourian
Chorégraphie
: Nina Anissimova
Aïcha – Ekaterina Duganova - classe
du professeur Ludmila
Kovaleva
Armen – Grigory Piatetsky - classe
du professeur Nikita Sheglov
Izmaïl – Aslan Karginov - classe du
professeur Mansur Enikeev
Kurdy – Yuri Zolotukin - classe du
professeur Gennady Selutsky
Matiyama
Takatosi (Japon) – classe du professeur Boris
Bregvadze
Corps
de ballet composé
d’élèves des grandes sections de
l’Académie Vaganova

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