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14 juin
2009 : Don
Quichotte
Piotr
Stasyunas (Don Quichotte)
Don
Quichotte
demeure, avec Le Lac
des cygnes,
Giselle ou encore La
Bayadère,
l’un des ballets les plus fréquemment mis
à
l’affiche du Théâtre
Mariinsky, et il ne se passe guère de mois sans
qu’il ne
soit au moins
une fois programmé, au théâtre
même ou bien
à l’occasion de quelque
tournée. Par ailleurs, en parallèle au Festival
des Nuits
Blanches,
orienté, semble-t-il, avant tout vers
l’opéra et le
concert
symphonique, ce mois de juin fait en quelque sorte office pour la
troupe de "répétition
générale" des
spectacles d’une tournée
d’été -
qui passera par Amsterdam et Londres - au cours de laquelle le ballet
sera présenté au public occidental. En
l’absence
notable d’Olesia
Novikova, Kitri naturelle immortalisée par la magie de la
vidéo, c’est
Ekaterina Osmolkina qui interprète ici le rôle
principal
– un rôle
qu’elle danse peu habituellement - aux
côtés de
Mikhaïl Lobukhin,
abonné pour sa part au rôle de Basilio,
à
l’instar de Leonid Sarafanov.
Ekaterina
Osmolkina (Kitri)
Si le Don
Quichotte
au
répertoire du Mariinsky, dont la chorégraphie -
faut-il le rappeler -
est dérivée d’Alexandre Gorsky (1902)
et non directement de Marius
Petipa, ne semble pas faire figure de référence,
du moins dans
l’imaginaire du balletomane moyen (hors
noureevolâtres), au même titre
que celui du Bolchoï, en raison peut-être de ses
interprètes passés ou
présents, il n’en reste pas moins une
œuvre d’une beauté singulière
et
sans équivalent, propre à enthousiasmer
au-delà même de la qualité
intrinsèque de la danse. La chorégraphie, en
accord avec le style
propre à la compagnie, y est cependant moins
immédiatement
spectaculaire et le ballet sans doute moins
imprégné de caractère qu’au
Bolchoï. On conçoit à cet
égard tout ce que Noureev a pu puiser – et
modifier – à partir de cette source :
s’il a conservé la même structure
chorégraphique au ballet, sans en trahir l’esprit
(après tout, Don
Quichotte
reste une pochade), il en a ôté un certain nombre
de danses
"folkloriques" (la Danse Gitane de l’acte II et la Danse
Orientale de
l’acte III), privilégiant les variations virtuoses
réservées aux héros,
et surtout – et c’est bien cela le plus
gênant - transformé
considérablement la musicalité. Il faut le
reconnaître, tout ici est
beaucoup plus fluide, vif, rapide, indépendamment
même de la qualité de
l’orchestre, dirigé par Boris Gruzin, lequel
n’est ni vraiment
renversant ni franchement indigne (mais de quelle sonorité
extraordinaire ce théâtre résonne-t-il
!). Pour ce qui est de la mise
en scène, l’acte des Dryades notamment,
camaïeu de tons pastels sur
fond de forêt d’automne, se présente
comme un tableau tout aussi
mémorable dans sa magnificence que ceux de la Descente des
Ombres de La
Bayadère
ou de la Valse des Fleurs de La Belle
au bois dormant.
En contrepoint de cette rêverie, le premier acte charme
l’œil par la
richesse visuelle de ses costumes inspirés d’une
Espagne romantique et
pittoresque. Dans l’ultime tableau enfin, le pas de huit,
avec ses
ballerines aux tutus de dentelle dépareillés,
résonne encore de tout le
lustre du style impérial, en préambule au pas de
deux connu de tous.
Ekaterina
Osmolkina (Dulcinée)
Ekaterina Osmolkina est
peut-être l’une des ballerines qui incarne
le mieux aujourd’hui le style du Mariinsky, un style
"post-perestroïka"
sans doute mais qui reste éminemment raffiné,
sans concession,
inégalable au fond, loin des caricatures gymniques dont
certaines
peuvent se repaître. En Kitri, elle se
révèle vive et séductrice, sans
se départir d’un charmant petit air
aristocratique, dont elle sait user
avec finesse aux côtés d’un Basilio
particulièrement viril et spontané,
incarné par Mikhaïl Lobukhin, "vieux" routier du
rôle, toujours aussi
efficace. Dès son entrée et ses
premières variations, la chevelure
rousse et la fleur à l’oreille (oui, il faudrait
écrire une étude, ou
un poème, sur les innombrables métamorphoses des
cheveux des danseurs
russes), elle montre que l’on peut faire preuve de
vivacité et d’un
dynamisme sans failles, sans pour autant débouler sur
scène à la
manière d’une fusée
soviétique prête à éliminer
tout adversaire sur son
passage. L’énergie est ici constamment contenue,
tempérée par le style,
et la grande virtuosité dont elle fait preuve
n’est jamais sacrifiée au
seul désir de spectaculaire.
Ekaterina
Osmolkina (Ducinée)
Les traditionnels
fouettés finaux sont
d’ailleurs remplacés, une fois n’est pas
coutume, par un manège de
tours piqués. Qui s'en offusquera au fond? La tradition
russe n'a pas
ce culte de la virgule, appliquée uniformément
à tous sans distinction.
Ekaterina Osmolkina offre en outre par sa danse toute une gamme de
qualités qui se prêtent idéalement au
rôle de Kitri : des épaulements
gracieux, de superbes développés –
contrôlés -, un travail de pied vif
et précis, une grande rapidité dans les
pirouettes, ainsi qu’une
saltation prodigieuse. C’est d’ailleurs dans les
deux actes
pittoresques qu’elle se révèle
paradoxalement la plus convaincante,
elle qu’on attendait davantage dans le rôle
lyrique, lointain et
évanescent de Dulcinée.
Ekaterina
Osmolkina (Kitri) et Mikhaïl Lobukhin (Basilio)
Mikhaïl
Lobukhin se montre à ses côtés un
excellent partenaire, très sûr dans les soutiens
comme dans les portés,
en même temps qu’une personnalité
remarquable par son jeu comique.
Malgré son côté un peu rustique, il
ressort du couple qu’il forme avec
Osmolkina une véritable complicité et
l’échange est constamment
palpable entre les deux partenaires. Lobukhin n’a du reste
rien à
envier à un Sarafanov du point de vue de la
virtuosité. Après les
saluts officiels, dans un théâtre peu à
peu déserté de ses spectateurs,
les vrais amateurs, éparpillés dans le
théâtre ou se réunissant autour
de la scène, les rappelleront à de nombreuses
reprises, tels de vieux
amis dont on n’arrive pas à se séparer,
et eux, vraies étoiles du
public, joueront le jeu avec
générosité et sans se faire prier,
soudain
infiniment proches… Peut-être est-ce
d’abord cela l’étrangeté de
la
Russie…
Oxana Skorik
(la Reine des Dryades)
Si le
couple principal ne semble guère à même
de susciter de
franches réserves, les seconds rôles offerts par
cette distribution
sont interprétés en revanche de
manière plus inégale. Oxana Skorik,
formée à l’école de Perm et
rendue célèbre par le documentaire assez
discutable de David Kinsella, A
Beautiful Tragedy,
fait ici ses débuts dans le rôle de la Reine des
Dryades, alors même
qu’elle n’est dans la compagnie que depuis cette
saison. Elle possède
une autorité indéniable – classique -
et sa danse révèle une douceur et
une "modestie" appréciables malgré les
inévitables extensions dans les
développés seconde. Mais la crispation et un
certain défaut de contrôle
manquent de la faire chuter dans l’ultime tour à
l’italienne de sa
variation. Dommage, ces débuts précoces (comme,
quelques jours plus
tard, ceux de Lilia Lishuk, au profil comparable, dans le
rôle de la
Fée des Lilas) apparaissent un peu
prématurés… Mais peut-être
est-ce là
une manière de voir "à la parisienne", pour
laquelle tout doit être
inévitablement "parfait" et "abouti" - les guillemets
s’imposant
d’eux-mêmes ?… Le public n'a cependant
pas non plus à être
exclusivement composé de "connaisseurs", qui, eux, savent
tout de "nos"
artistes et sont prompts à pardonner la moindre erreur...
Elizaveta
Cheprasova
(Amour)
En revanche,
Elizaveta Cheprasova, coryphée et membre de la compagnie
depuis 2006,
s’affirme déjà comme l’un des
talents prometteurs à suivre de près dans
les saisons à venir. Très belle, elle tranche par
un physique plus
petit et féminin, moins gracile et
élancé que ceux de maintes
ballerines de la jeune génération. Elle incarne
ici le petit rôle
d’Amour et impressionne par son contrôle et sa
précision musicale. Si
elle ne possède pas le charme mutin et juvénile
de Valeria Martiniuk ou
d’Evgenia Obraztsova dans ce type de rôle, elle
s’impose toutefois par
ses qualités techniques et sa grande maturité
scénique qui devraient la
conduire à s’emparer rapidement de rôles
d’envergure. En ce qui
concerne les personnages de caractère, Alexandra Iosifidi
campe une
Danseuse des rues à la forte personnalité,
terrestre et sensuelle. Son
partenariat avec le jeune et très fin Karen Ioanissyan, qui
incarne
Espada, laisse toutefois songeur. Ce dernier, dont l’emploi
en tant que
danseur de caractère peut sembler problématique
(serait-ce le fait de
posséder un nom à consonance
arménienne qui vous rend automatiquement
destiné à le devenir?), a l’air bien
juvénile à ses côtés et,
malgré
une très belle présence, manque d’une
certaine puissance terrestre pour
convaincre véritablement dans le rôle.
Ji
Yeon Ryu
(la Danseuse orientale)
Habituée de ce type d’emploi, Ji
Yeon Ryu montre quant à elle des bras magnifiques et
sensuels dans la
Danse Orientale du dernier acte, tandis que Polina Rassadina et Rafael
Musin incarnent des Gitans enthousiasmants, sombres,
emportés et d’une
grande élégance. On n’oubliera pas de
mentionner les inusables Nadezhda
Gonchar et Yulia Kasenkova en Marchandes de Fleurs, le genre de
danseuse fidèle, solide, impeccable, distribuable
à merci dans tous les
petits rôles de soliste, et sans lesquelles une compagnie
digne de ce
nom ne saurait subsister. Yana Selina, qu’on retrouve dans la
variation
soliste de l’acte III est de celles-ci, le génie
artistique en plus.
Yana Selina vaut bien dix étoiles
célébrées de compagnies
réputées
grandes, et demeure pourtant l’éternelle seconde
soliste du Mariinsky.
Nul doute, elle serait reine, et des plus grandes, dans
n’importe quel
autre royaume…
B. Jarrasse ©
2009,
Dansomanie
Musique
: Ludwig Minkus
Livret : Marius Petipa, d'après
le roman de Miguel de
Cervantès
Chorégraphie : Alexandre Gorsky,
d'après Marius
Petipa (Danse Gitane et
Danse Orientale chorégraphiés par Nina
Anissimova, Fandango
chorégraphié par Fiodor Lopukhov)
Direction
musicale : Boris Gruzin
Don Quichotte – Piotr
Stasyunas
Sancho Panza –
Stanislav Burov
Lorenzo –
Nikolaï Naumov
Kitri –
Ekaterina Osmolkina
Basilio –
Mikhaïl Lobukhin
Gamache –
Andreï Yakovlev (1er)
Espada –
Karen Ioanissian
La Danseuse des rues –
Alexandra Iosifidi
Les Marchandes de fleurs –
Yulia Kasenkova, Nadezhda Gonchar
La Reine des Dryades –
Oxana Skorik (début)
Amour –
Elizaveta Cheprasova
Mercedes –
Yulia Slivkina
L'Aubergiste –
Alexandre Efremov
Danse Gitane –
Polina Rassadina, Rafael Musin
Danse Orientale – Ji
Yeon Ryu
Fandango –
Elena Bazhenova, Kamil Yangurazov
Variation– Yana
Selina
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