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27
décembre
2009 : La Sylphide
Chaque
année durant la période de Noël, le
Festspielhaus de Baden-Baden accueille le Ballet du Mariinsky comme
l'une des étapes européennes obligées
de ses tournées incessantes. Le
lieu a sans doute quelque chose d'improbable, terré dans les
montagnes
de la Forêt Noire et presque coupé du monde, mais,
avec ses fastes
passés, son charme désuet et sa grandeur muette,
il se révèle aussi un
écrin naturel pour abriter la douce - et
éternelle - décadence d'une
compagnie qui, en dépit de tout, continue de faire
rêver.
Bien
sûr, pour cette tournée allemande, le Casse-noisette
tout rose de Vainonen est l'affiche inévitable d'un mois de
décembre
enneigé, mais en marge de ce "classique" de Noël,
joint à quelque Lac des
cygnes
toujours attendu, le Mariinsky, probablement plus détendu en
pays de
Bade qu'en terre londonienne, a ici l'art et la manière
d'offrir au
vieillissant public local des programmes à
l'originalité plus marquée
que d'ordinaire, notamment lors de ses grandes virées
commerciales aux
Etats-Unis ou au Japon. Cette année encore, la promesse de
renouveau
est tenue, car, outre un gala de clôture au contenu
particulièrement
alléchant, la tournée à Baden met
à l'affiche La
Sylphide
de Bournonville, un ballet d'autant plus rare qu'il n'est jamais
donné
hors de Russie, faisant au contraire souvent les beaux jours de la
troupe secondaire restée à la maison, lorsque la
troupe principale
visite le monde.
Evguénia
Obraztsova (La Sylphide) - Léonid Sarafanov (James)
Disons-le d'emblée : La
Sylphide
dansée par le Mariinsky relève avant tout de la
curiosité esthétique...
La version du ballet de Bournonville présentée
ici n'a été montée à
Saint-Pétersbourg qu'en 1981, non par des Russes, mais par
Elsa-Marianne von Rosen, une danseuse suédoise nourrie au
lait danois,
ayant contribué par ailleurs à remonter les
oeuvres du répertoire
bournonvillien pour de nombreuses compagnies. La production, dans les
décors de l'inusable Viacheslav Okunev et les costumes de
l'intemporelle Irina Press, semble sortir tout droit d'un antique
grenier, mais sans doute - se dit-on avec confiance -
était-elle déjà
couverte de poussière et éclairée de
ces tons sépia à sa création... Le
buffet de la maison des Ruben semble hors d'âge, la
cheminée par
laquelle s'échappe la Sylphide, détail important
de la machinerie du
ballet, est bien peu mise en valeur, camouflée qu'elle est
par un plaid
des plus rustique... et les costumes, respectueux de
l'esthétique
pittoresque de l'oeuvre, auraient quant à eux besoin d'une
légère mise
au goût du jour... Pour autant, demande-t-on au Mariinsky de
nous
offrir du rutilant et du pompeux, comme on en possède chez
nous à
foison? L'aristocratie de la danse mérite sa patine, car
l'essentiel,
on le sait, est ailleurs. Au-delà de ces
considérations futiles, il
faut bien reconnaître toutefois que la greffe
bournonvillienne,
tardive, paraît ici superficielle, les danseurs du Mariinsky
assurant
certes le spectacle avec l'élégance, le brio et
les qualités musicales
qu'on leur connaît, mais sans pour autant parvenir
à se fondre
naturellement dans la simplicité romantique que requiert le
style du
ballet, en marge des insolubles questions d'école. De
manière générale,
la sophistication du geste russe peine à s'adapter
à la rudesse du kilt
écossais et au registre réaliste d'un premier
acte, très marqué par la
pantomime, où tout paraît quelque peu contraint et
forcé, sinon
artificiel. Là où un Lac pétersbourgeois,
même fatigué, brille toujours par son harmonie et
son évidence musicales, La
Sylphide
paraît en revanche presque comme une prison pour ces
mêmes danseurs,
habitués à évoluer dans une certaine
atmosphère de grandeur, de
l'épanchement lyrique aux vastes espaces de
l'épopée à la Petipa. Ici,
point de tout cela, la ballet nous plonge dans l'atmosphère
et
l'esthétique d'un drame pittoresque - et presque
petit-bourgeois -, où
le merveilleux, loin de se confondre avec un ailleurs lointain,
à
l'étrangeté radicale, fait lui-même
partie de la vie quotidienne. En
témoigne notamment, en contrepoint parfait du rôle
"blanc" de la
Sylphide, celui, "noir", de la sorcière Madge
(interprétée par Elena
Bazhenova) - diseuse de bonne aventure maléfique
plutôt que créature de
l'autre monde. Celle-ci est traitée par Bournonville
à la manière d'un
personnage de l'univers domestique, presque familier, et de fait un peu
grotesque (le mime et le masque du rôle sont ici
particulièrement
outranciers), sensiblement différent en cela de la
réécriture de Pierre
Lacotte - "d'après Filippo Taglioni" - qui semble en
accentuer la
dimension tragique d'instrument de la Fatalité.
Léonid Sarafanov
(James) - Evguénia
Obraztsova (La Sylphide)
Dans le
rôle-titre, Evguénia Obraztsova retrouve
là le personnage
qui l'a fait connaître, avec celui de Juliette, en tant que
soliste, à
l'occasion de ses tout débuts dans le corps de ballet du
Mariinsky. Son
naturel joyeux et poétique se prête
particulièrement bien à
l'incarnation de l'esprit de la forêt qu'est la Sylphide,
créature
irréelle sans doute, mais aussi ancrée dans la
terre et le végétal,
sensible donc, sinon un tantinet sensuelle. Sa pantomime,
très belle, à
la fois épanouie et retenue, est au demeurant parfaitement
lisible,
donnant forme et vie à un être
espiègle, gracieux, malicieux et
charmant, hantant comme une obsession les songes
éveillés de James au
premier acte. Sa danse bondissante et gaie demeure par ailleurs un
modèle de musicalité et de fluidité :
des pointes moelleuses et un
travail de bas de jambe raffiné, d'une impeccable
précision,
s'associent à un buste mobile, couronné par des
ports de bras sachant
allier grâce, lyrisme et sobriété. Dans
le second acte, son tempérament
terrestre peine toutefois à suggérer le
rêve et le mystère, ces
qualités propres à l'univers du ballet blanc.
Certes, la Sylphide n'est
pas Giselle, elle est bien vivante, mais indépendamment de
la qualité
de sa danse, Evguénia Obraztsova reste humaine, trop
humaine, et femme
plus qu'esprit, au milieu de la ronde fantastique des sylphes, manquant
de révéler tout à fait cette dimension
aérienne et éthérée que
l'on
attend ici du personnage. Il faut sans doute attendre le
dénouement,
mettant en scène la mort de l'héroïne,
pour apprécier pleinement toute
la sensibilité dramatique de l'interprète, sa
féminité frémissante en
train de se dissoudre sous l'effet du geste d'emprisonnement de James.
Léonid Sarafanov
(James) - Evguénia
Obraztsova (La Sylphide)
A
défaut d'entrer de plain-pied dans un style autre - le sien
respire la Russie par tous les pores, et comment pourrait-il en
être
autrement?... -, Evguénia Obraztsova livre
néanmoins, à l'échelle du
ballet, une interprétation cohérente et sereine
du personnage, dont
l'efficacité tient aussi beaucoup au partenariat, empreint
de charme et
de fraîcheur, avec Léonid Sarafanov, davantage
habilité à interpréter
ce type de rôle de demi-caractère que les
personnages traditionnels de
prince confiés d'ordinaire aux étoiles. Les
qualités de virtuose de ce
dernier, tant dans la saltation que dans la petite ou la grande
batterie, ne sont plus à prouver, et de fait, le
rôle de James lui
offre l'occasion d'une véritable démonstration,
où la précision et
l'élégance du travail de bas de jambe sont
emportés par son brio russe
et naturellement bondissant. Si tout – de la pantomime
à la danse – est
marqué chez Sarafanov par une ampleur de mouvement et une
passion qui
se situent sans doute loin de la tempérance danoise, sa
présence
scénique a au moins le grand mérite de laisser
croire à autre chose
qu'au petit "phénomène"
dépassé par le cadre dramatique dans lequel
s'inscrit sa danse. Le physique est toujours très
juvénile, apte à
suggérer la "joie de vivre" bournonvillienne, mais le jeu,
lui, est
vif, autoritaire, viril, parvenant à retenir constamment
l'attention,
en dépit du caractère passablement
désuet de la mise en scène.
Yana Selina (Effie) -
Léonid Sarafanov (James)
On le sait, La
Sylphide
raconte l'éternelle histoire de l'homme partagé
entre la terre et le
ciel, la réalité et l'idéal. Effie, la
fiancée "terrestre" de James,
interprétée ici par l'indispensable Yana Selina,
représente à cet égard
l'envers nécessaire au rêve de la Sylphide. Et
force est de constater
qu'avec son kilt bien trop court – modèle Bardot
en ex-fan des sixties
-, ses rubans rouges, son petit pourpoint ajusté et sa danse
pleine de
dynamisme, la belle Selina – quelque chose comme
"l'étoile inconnue" du
Mariinsky - interprète à merveille la fille de
ferme, pourvue de ce
tempérament qui se doit d'être – avec
style - proche de la terre et des
sens. Si Obraztsova, joli petit elfe au sourire charmeur, manque un peu
de mystère et de profondeur spirituelle dans le
rôle principal, Selina
(qui a elle-même fait ses débuts en Sylphide la
saison passée) se
révèle quant à elle idéale
dans le rôle, secondaire, de la fiancée
trompée, à la fois sensuelle et sans
manières - ni maniérismes. De
même, Gurn, interprété par Soslan
Kulaev, d'une verve et d'une
gaucherie toute paysannes, incarne avec force et un
véritable sens
comique le philistin accompli du drame, antithèse parfaite
à
l'idéalisme de James.
Léonid Sarafanov
(James) - Evguénia
Obraztsova (La Sylphide)
Si le corps de ballet semble plutôt à
l'étroit dans les danses
paysannes et folklorisantes du premier tableau - même pas
revisitées
ici par le style impérial comme dans la Giselle
de Petipa - abandonnées à un brio quelque peu
vain et gesticulant des
danseurs, il se montre en revanche nettement plus à son aise
dans
l'acte II et les parties d'adage, où la
musicalité et le lyrisme des
sylphides peuvent enfin s'exprimer dans une harmonie
retrouvée, même si
les épanchements "giselliens" n'en sont pas
forcément le propos. De son
côté, le quatuor des Sylphides (formé
de Daria Vasnetsova, Maria
Shirinkina, Oksana Skorik et Ksenia Dubrovina) ne possède
pas toujours
la régularité et la précision
souhaitées, dansant dans la précipitation
– la distraction? - et comme pressé d'en finir...
On reste loin de
l'ampleur calme et sereine que la compagnie sait distiller au fil des Lac et autres Bayadère...
Le ballet de Bournonville appartient à un autre registre,
exigeant une
respiration musicale différente, plus allègre que
proprement triste, en
dépit du dénouement que l'on sait, dramatique et
non tragique du reste,
avec une perspective morale absente de la version Lacotte. La
Sylphide
russifiée du Mariinsky, lente, lascive et
mélancolique, avec sa forêt
sombre et presque sépulcrale, se
révèle alors pour ce qu'elle est, un
trésor caché pour amateur, qui manque, sans pour
autant décevoir, de
saisir véritablement l'essence du premier romantisme, au
travers de sa
poésie simple, naïve et joyeuse.
B. Jarrasse ©
2009,
Dansomanie
La
Sylphide
Musique
: Herman Lovenskiøld
Livret : Adolphe Nourrit
Chorégraphie
: August Bournonville, remontée par Elsa Maria von Rosen (version de 1981)
Décors
: Vyacheslav Okunev
Costumes
: Irina Press
La Sylphide – Evguénia Obraztsova
James – Leonid Sarafanov
Gurn – Soslan Kulaev
Anna – Anastasia Vassilieva
Effie – Yana Selina
Madge – Elena Bazhenova
Nancy – Ksenia Romashova
Jeunes Gens – Kirill Safin,
Alexeï Nedviga
Sylphides – Daria Vasnetsova, Maria
Shirinkina , Oxana Skorik, Ksenia Dubrovina
Une Jeune fille – Elizaveta Cheprasova
Un Vieil homme – Dmitri Sharapov
Les Musiciens – Edouard Gusev, Oleg
Dmechenko, Alexander Kulikov
Orchestre du Mariinsky
Direction musicale : Valery
Ovsianikov
Dimanche 27 décembre
2009, 18h00, Festspielhaus,
Baden-Baden
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