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25
décembre
2009 : Le Lac
des cygnes
La tournée annuelle du ballet du
Mariinsky à
Baden-Baden ne joint pas toujours à la haute
qualité de la troupe
beaucoup d'originalité dans le choix du
répertoire : ainsi s'explique
certainement le taux de remplissage problématique qui a
marqué
l'ensemble de la tournée, et plus encore la
deuxième des trois
représentations du Lac
des Cygnes,
donnée le 25 décembre en matinée. Un
public familial mais clairsemé
était venu pour communier dans la beauté
intemporelle plus que pour tel
ou tel soliste, tandis que la représentation du soir,
réunissant Uliana Lopatkina et Danila Korsuntsev,
bénéficiait d'un public plus nombreux,
à la fois en raison de la
présence de Mlle Lopatkina et d'un horaire plus propice,
sans pour
autant remplir totalement la vaste salle, plus fonctionnelle que
charmante, du Festspielhaus.
Ekaterina Kondaurova (Odette)
La production du Lac
des Cygnes
présentée par le Mariinsky est bien connue, ne
serait-ce que par le
récent DVD publié par Decca, et elle a
été commentée plusieurs fois
dans ces pages, la dernière fois à l'occasion de la dernière tournée
londonienne de la troupe. On se permettra ici d'exprimer
un avis bien moins positif sur cette version du Lac
: outre le ridicule happy end, on peine à accepter un
dernier acte
chorégraphiquement et musicalement médiocre et,
plus que tout,
l'absence de toute pantomime : on ne saurait souligner à
quel point
cette suppression issue d'une fausse idée de danse pure
dénature
profondément le sens de l'oeuvre et est à
l'inverse du ballet classique
façon Petipa, où le plaisir de la narration est
un moteur fondamental.
Du reste, la version présentée ici ne prend pas
la peine de compenser
cette absence par d'autres moyens narratifs, si bien qu'elle
paraîtra
facilement incompréhensible à qui ne
connaît pas son Lac. Que les
décors soient aussi visiblement fatigués
n'arrange en outre pas
l'impression d'ensemble.
L'impression d'ensemble, à vrai dire, est parfois un peu
compromise
par des approximations dans le corps de ballet : si les danses de
caractère ne manquent pas de brio, on aurait aimé
un peu plus de
précision chez les cygnes, y compris les solistes : on ne
sait à quoi
riment ces bras levés dans des positions toutes
différentes, ces
changements de position bruyants pendant l'adage du second tableau. On
ne saurait refuser toutes les circonstances atténuantes
à une troupe
constamment sur les routes, ni reconnaître que là
où seul le brio est
nécessaire, le corps de ballet conserve un éclat
qui mérite à lui seul
le déplacement dans cette ville quelque peu improbable
qu'est
Baden-Baden.
Uliana Lopatkina (Odette)
La comparaison des deux distributions a tourné à
l'avantage de
celle emmenée par Mlle Lopatkina : ce n'est pas vraiment une
surprise,
mais on ne s'attendait sans doute pas à ce que la
différence soit si
profonde. Dès l'entrée d'Uliana Lopatkina, on
oublie tout de la
représentation de l'après-midi : là
où la production dans laquelle elle
évolue pourrait vite tourner à une certaine
trivialité, elle apporte
une évidence qui est plus celle d'une abstraction, d'une
essence, que
d'une incarnation. Même une vision préalable du
récent DVD n'atténue
pas le choc que procure cette étoile parfaitement
aristocratique, bien
au-dessus de la vanité d'une démonstration
technique. Si l'ambiguïté
entre l'animal et l'humain qui marque ce rôle n'est pas
apparemment ce
qui l'intéresse le plus, on ne peut qu'admirer la
manière dont sa danse
peut se faire drame le plus poignant par le seul biais du style
classique.
Danila Korsuntsev (Siegfried)
Cette qualité rare est partagée à
merveille par son partenaire
Danila Korsuntsev. On souligne volontiers son talent évident
pour le
rôle du partenaire et sa complicité avec
l'étoile Lopatkina, mais il
faut aussi souligner à quel point sa prestation individuelle
n'est pas
moins remarquable : son esthétique n'est pas plus
démonstrative, mais
guidée par un goût d'une absolue
sûreté et par une maîtrise constante
de ses moyens. S'il reste en-deçà de sa
partenaire, c'est certainement
en raison d'une chorégraphie qui, pour le coup en pleine
continuité
avec les productions de l'époque de Petipa, ne se soucie
guère de faire
briller le danseur masculin : ce n'est pas un mince mérite
que
d'accepter cette position seconde.
Ekaterina Kondaurova (Odile)
Par comparaison, Ekaterina Kondaurova et Yevgeny Ivanchenko
peinent à dépasser le premier degré de
leurs rôles : sans doute une
forme physique en berne explique-t-elle largement les approximations du
pas de deux du Cygne noir, où chaque danseur doit lutter
avec son corps
pour venir à bout de ses variations, les fouettés
paraissant dans ces
conditions particulièrement longs (mais ceux d'Uliana
Lopatkina, le
soir, n'auront pas été
particulièrement remarquables non plus). Le
reste de la représentation s'est passé
à vrai dire de façon plus
paisible, mais sans grande émotion.
Yevgueny
Ivanchenko (Siegfried)
Parmi les nombreux solistes à l'affiche, c'est sans
hésiter à Yana Selina qu'on décernera
la palme,
à la fois pour son pas de trois en soirée et pour
sa
danse napolitaine (aux côtés de Vasily Tkachenko)
lors des deux représentations. La précision de la
technique, ici,
s'allie à une présence irradiante et à
une
élégance stylée qui aura ici
parfois manqué : c'est notamment le cas pour sa partenaire
du
pas de
deux, Nadezhda Gonchar, qui ne
fait que les pas sans l'esprit et encore moins de brio. Les deux
messieurs du pas de trois, eux, font preuve de qualités
similaires : Filipp Stepin et Alexei Timofeev
ne figuraient pas sur les distributions initialement
prévues,
mais ils
ont fait une belle démonstration de danse tranchante,
immédiatement
séduisante, précise autant qu'attentive
à leurs
partenaires. Les deux
partenaires de Filipp Stepin étaient Yulia Kasenkova et
Elena
Evseeva
: comme le soir, c'est la seconde soliste qui l'emporte nettement sur
la première, avec un style sans doute moins brillant que
celui
de Yana
Selina, mais d'une admirable pureté.
Le Pas de trois de
l'acte I
Le bilan qu'on pourra faire de ces deux représentations est
donc
des plus nuancés : à l'éclat de
solistes exceptionnels, dans les
premiers comme dans les seconds rôles, s'opposent la routine
de la
tournée et la médiocrité d'une
production qui mériterait au moins
d'être repensée. Le Mariinsky, ici, tient son rang
: c'est déjà
beaucoup, mais est-ce vraiment assez?
Dominique Adrian ©
2009,
Dansomanie
Le Lac des
cygnes
Musique
: Piotr Ilitch Tchaïkovsky
Chorégraphie
: Marius Petipa - Lev Ivanov (version de 1895)
Scénographie :
Konstantin Sergeiev
Décors
: Igor Ivanov
Costumes
: Galina Soloviova
Odette
/ Odile –
Ekaterina Kondaurova (15h00) / Uliana Lopatkina
(20h00)
Siegfried –
Yevgueny Ivanchenko (15h00)
/
Danila Korsuntsev (20h00)
La Reine –
Elena Bazhenova
Le Tuteur –
Piotr Stasiunas
Le Bouffon –
Alexeï Nedviga (15h00)
/
Rafael Musin (20h00)
Rothbart –
Alexander Romanchikov (15h00)
/
Konstantin Zverev (20h00)
Les Amis du Prince –
Nadezhda Gonchar, Yana Selina, Alexeï Timofeev (15h00)
/
Yulia Kasenkova (20h00),
Elena Evseeva, Filipp Stepin
Danse Espagnole – Alexandra
Iosifidi, Ryu Ji Yeon, Islom Baimuradov, Alexander Sergeev
Danse Napolitaine – Yana
Selina, Vassili Tkachenko
Danse Hongroise –
Polina Rassadina, Karen Ioanissian
Orchestre du Mariinsky
Direction musicale : Valery
Ovsianikov
Vendredi 25 décembre
2009, 13h00 et 20h00, Festspielhaus,
Baden-Baden
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